1919

Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste.


L'ABC du communisme

N.I. Boukharine


1
Le régime capitaliste


8 : Le Salariat

Une classe nombreuse d’hommes restés sans aucune propriété s’est transformée en ouvriers salariés du Capital. Et, en effet, que devait faire le paysan ou l’artisan ruiné ? Soit entrer comme domestique chez un propriétaire terrien, soit se rendre en ville pour travailler dans une fabrique ou une usine. Pour eux, pas d’autre issue. Telle fut l’origine du salariat, ce troisième trait caractéristique du régime capitaliste.

Qu’est-ce donc que le salariat ? Jadis, au temps des sefs et des esclaves, on pouvait vendre ou acheter chaque serf et chaque esclave. Des hommes, avec leur peau, leurs cheveux, leurs jambes et leurs bras, étaient la propriété privée de leurs maîtres. Le maître faisait fouetter à mort son serf, tout comme il brisait, par exemple, étant en état d’ivresse, une chaise ou un tabouret. Le serf ou l’esclave n’était qu’une simple chose. Chez les anciens Romains, les propriétés nécessaires à la production étaient franchement divisées en « instruments de travail muets » (les choses), « instruments de travail à moitié muets » (les bêtes de somme, moutons, vaches, bœufs, etc.) et « instruments parlants » (les esclaves, les hommes). Une pelle, un bœuf, un esclave étaient pour le maître, au même titre, des instruments qu’il pouvait vendre, acheter, détruire.

Dans le salariat, l’homme lui-même n’est ni vendu ni acheté. Il n’y a de vendu ou d’acheté que sa force de travail et non lui-même. L’ouvrier salarié est personnellement libre; le fabricant ne peut ni le bâtonner ni le vendre à son voisin, il ne peut pas même l’échanger contre un jeune lévrier, comme au temps du servage. L’ouvrier lui-même ne fait que louer ses services. Il semble bien que le capitaliste et les ouvriers soient des égaux : « Si tu ne veux pas, ne travaille pas, personne ne te force à le faire », ainsi parlent messieurs les patrons. Ils prétendent même qu’ils nourrissent les ouvriers en les faisant travailler.

En réalité, les ouvriers et les capitalistes ne se trouvent pas sur un pied d’égalité. Les ouvriers sont enchaînés au Capital par la faim. C’est la faim qui les oblige à s’embaucher, c’està-dire à vendre leur force de travail. Pour l’ouvrier, pas d’autre issue, d’autre choix. Les mains vides, il ne peut organiser sa « propre » production; qu’on essaye donc de fondre de l’acier, de tisser, de construire des wagons sans machines et sans outils! Mais la terre elle-même, sous le régime du capitalisme, appartient tout entière à des particuliers; on ne peut s’installer nulle part pour faire de la culture. La liberté pour l’ouvrier de vendre sa force de travail, la liberté pour le capitaliste de l’acheter, « l’égalité » du capitaliste et de l’ouvrier — tout cela n’est, en fait, qu’une chaîne, la chaîne de la faim qui contraint l’ouvrier à travailler pour le capitaliste.

Ainsi, le salariat consiste essentiellement dans la vente de la force de travail ou dans la transformation de cette force en marchandise. Dans la production de marchandises à forme simple, dont il a été question plus haut, on pouvait trouver au marché du lait, du pain, des tissus, des bottes, etc., mais point de force de travail. Cette force ne se vendait pas. Son propriétaire, l’artisan, possédait encore, en dehors d’elle, sa petite maison et ses outils. Il travaillait lui-même, utilisait sa propre force dans sa propre exploitation.

Il en est tout autrement en régime capitaliste. Ici, celui qui travaille ne possède aucun moyen de production; il ne peut utiliser sa force de travail dans sa prorpre exploitation; il est obligé, pour ne pas mourir de faim, de la vendre au capitaliste. A côté du marché où l’on vend le coton, le fromage et les machines, il se crée un marché du travail où les prolétaires, c’est-à-dire les ouvriers salariés, vendent leur force de travail. Par conséquent, ce qui distingue la production capitaliste de la production de marchandises, c’est que dans la production capitaliste, la force de travail elle-même devient une marchandise.

Ainsi, le troisième trait caractéristique du régime capitaliste est le travail salarié.


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