1925

Source : Texte publié en français en 1925 par l’Edition de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement, 33 rue de la Grange-aux-Belles, Paris (10e). La bibliographie de W. Hedeler l’indique sous le numéro 1089, l’original, en russe est au n°1129, publié dans la Pravda du 04-02-1925.
Avant-propos de l'édition française :
« Tous nos camarades connaissent le camarade Boukharine, rédacteur en chef de la Pravda, organe du Parti communiste russe. Tous ne savent pas, peut-être, que notre camarade N.-I. Boukharine a plus d’un titre à s’adresser à des Travailleurs de l’Enseignement.
Nous publions son discours au Congrès des Instituteurs (Moscou, 12-16 janvier).
Ce que peut avoir à dire N.-I Boukharine sur ce sujet :
Les Instituteurs et les Jeunesses Communistes
est bien fait pour nous intéresser.
Mais je crois devoir rappeler que les journalistes sont membres de la Fédération de l’Enseignement de l’U.R.S.S., parce qu’ils sont tenus, en la République des Soviets, pour des Educateurs.
Notre camarade N.-I. Boukharine a quelque droit à cette appellation.
En 1918, il est nommé membre du Collège de rédaction de l’Edition d’Etat, et il garda ces jonctions jusqu’en 1921. A l’année 1918 remonte le début de son action pédagogique. Il est alors chargé de cours à la Première Université Sverdlov. A cette époque également il est élu membre du Présidium de l’Académie Socialiste.
Les principales œuvres de N.-I. Boukharine et toute son action sont celles d’un pédagogue, auquel nous demandons de bien vouloir collaborer au Bulletin de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement.
Principales œuvres
1. L’A.B.C. du Communisme (en collaboration avec Préobrajensky) ; 2. La crise du capitalisme et le mouvement communiste (1923, 82 pages) ; 3. L’économie mondiale et l’impérialisme ; 4. La révolution et la culture prolétariennes (1923, 56 pages) ; 5. La théorie du matérialisme historique ; 6. Le programme des Communistes (59 pages) ; 7. Du renversement du tsarisme à l’effondrement de la bourgeoisie ; 8. L’économie de la période de transition (1920, 157 pages) ; 9. L’économie politique du rentier. »

 

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Les instituteurs et les Jeunesses Communistes

Discours au Congrès des Instituteurs (Moscou, 12-16 janvier 1925)

N.I. Boukharine



Camarades,

Mon but est de vous exposer le point de vue du Parti sur la question de vos relations avec la Jeunesse communiste.

LA REVOLUTION SOCIALE PROCESSUS DE REEDUCATION DES HOMMES

Entre un homme politique et un instituteur, il y a une parenté dans le travail. La construction socialiste se compose de deux parties : 1) la réorganisation politique, économique, matérielle, etc., d’après un type nouveau, et 2) la rééducation des hommes, c’est-à-dire une nouvelle psychologie de toute une série de couches sociales. Dans une certaine mesure, on peut dire que le processus historique est représenté par une modification ininterrompue de la nature humaine, dont l’évolution est d’ailleurs constante.

On a parlé beaucoup ici de l’évolution du corps enseignant. Cela veut dire que votre nature a changé et, d’une façon générale, on peut dire que lorsque l’homme change le régime économique, il se change lui-même. La révolution sociale modifie la nature de classes entières, de la classe paysanne ou du corps enseignant, par exemple.

PEDAGOGIE SCOLAIRE ET PEDAGOGIE SOCIALE

Le problème de la direction politique est en même temps, à un certain point de vue, un problème social-pédagogique. On peut dire qu’un agitateur, qu’un propagandiste, qu’un militant du Parti, qu’un homme d’Etat accomplissent une fonction de pédagogie sociale. Ce n’est pas par hasard que nous employons constamment des expressions telles que : « éduquer les masses », « instruire les masses », ces expressions signifient que le processus historique, en ce qui concerne les hommes, consiste dans leur rééducation.

Dans n’importe quel régime social stable et bien organisé, la pédagogie sociale, c’est-à-dire le système d’éducation des couches et des classes sociales et la pédagogie scolaire ne font qu’un, suivent toujours la même ligne et poursuivent le même but, à savoir : éduquer les hommes dans un sens voulu.

LES DEUX PEDAGOGIES ET LEUR RAPPROCHEMENT

Mais il peut y avoir des cas de divergence entre la politique générale, entre la pédagogie sociale et la pédagogie scolaire. Ceci se produit au moment des grandes transformations sociales, des révolutions ; et on l’a vu chez nous lorsque les nouvelles classes ont transformé le système politique avant de modifier le système d’enseignement à l’école. Il en est résulté des « ciseaux » avec leurs branches ouvertes, représentant ainsi l’écart entre la pédagogie sociale, dont l’incarnation était la politique de notre Parti, et la pédagogie scolaire s’appuyant encore sur les anciens programmes et méthodes.

A un moment donné, cet écart a été à son maximum, tandis que le moment actuel peut être caractérisé par l’adaptation de la pédagogie scolaire à l’ordre établi, c’est-à-dire à la pédagogie sociale.

Nous n’arrivons au socialisme que par l’union étroite entre le Parti — incarnation rationnelle du communisme, — la classe ouvrière que le Parti dirige, et la paysannerie dirigée par la classe ouvrière. Cette condition est indispensable pour arriver au Communisme ou, en d’autres termes, à la transformation psychologique des masses.

LES DIFFERENTS AGES DEMANDENT DES POLITIQUES DIFFERENTES

En dehors de la question des classes, il existe celle des âges. Il y a donc des groupes différents par rapport à' l’âge et il est évident que les formes de notre politique doivent être différentes et adaptées aux âges.

Je pense que notre but fondamental actuel doit être d’arriver à ce que la direction générale passe effectivement à la classe ouvrière; c’est pourquoi le Parti doit être pur au point de vue de sa composition de classe. Nous sommes suivis immédiatement par les Jeunes communistes ; ces hommes n’ont pas vécu sous le régime tsariste et se transforment plus facilement ; c’est pourquoi l’admission de jeunes gens dans les Jeunesses communistes peut être plus large et plus facile que dans le Parti. En ce qui concerne les Pionniers, là, nous devons admettre tous les enfants sans distinction.

Lorsque la situation matérielle sera ce qu’elle devrait être, lorsque les cadres et la masse des instituteurs seront transformés, lorsque le nombre de jeunes qui passeront par les écoles atteindra son maximum, alors l’école sera complètement liée à la vie générale dans le sens le plus large.

Au point de vue de la transformation de la psychologie des masses, le mouvement des Pionniers est capital. Il s’est produit des heurts entre le corps enseignant et la Jeunesse communiste pour la direction de ce mouvement.

Il est évident que l’instituteur est plus instruit en général, mais il est ignorant en politique; on peut ne pas être instruit et avoir un bon sens politique. L’académicien connu Pavlow, dans sa polémique contre moi, posait la question de la façon suivante : « Comment voulez-vous diriger la vie intellectuelle si vous, le prolétariat, vous êtes des ignorants ? et vous le reconnaissez. » Nous répondons : « Il est vrai que nous sommes des ignorants, nous allons nous instruire; mais, du point de vue du Communisme, nous pouvons avoir la bonne ligne politique, parce que ce ne sont pas les capitalistes qui réaliseront le Communisme et qui organiseront la révolution contre eux-mêmes. »

Nous devons dire que le processus de la transformation sera long. Dans ce processus, la direction appartient à notre gouvernement, au Parti, au pouvoir soviétique, à toute la classe ouvrière. La classe ouvrière doit s’adapter aux conditions et circonstances pour éviter les fautes et aller le plus rapidement possible vers son but. Notre but, le développement puissant de l’école nouvelle communiste, ne peut être réalisé qu’au prix de votre propre transformation et des efforts conjugués de tous les éléments sociaux, de toutes les forces sociales étroitement unis dans l'action. Et ce processus de rapprochement et d’unité est notre mot d’ordre du moment.

NOUS LUTTONS CONTRE L’IDIOTIE DE LA VIE PAYSANNE

Nous ne voulons pas que la classe ouvrière ait toujours la suprématie et qu’elle exerce toujours la dictature. Nous ne le voulons pas parce que le but final de sa dictature c’est la transformation de la société humaine aboutissant à la disparition des classes. Nous ne voulons pas que la ville dirige la campagne et absorbe toutes ses richesses, comme cela se voit dans le régime bourgeois. Nous voulons la destruction de ce que Marx appelait « idiotie de la vie de campagne », c’est-à-dire l’horizon du pays ne dépassant pas son village. C’est un problème extrêmement difficile, mais aussi susceptible de donner des résultats très intéressants. Il s'est posé pour la première fois dans l’histoire des peuples, parce que nous voulons l’égalité entre la ville et la campagne. On rit de nous; mais rira bien qui rira le dernier. Nous avons déjà commencé ce travail et le» résultats sont encourageants. C’est à vous de comprendre ce problème et de le résoudre en transformant la maudite psychologie paysanne. Si vous comprenez l’importance de ce travail, vous jouerez un des plus grands rôles de l’histoire.

Ce travail est d’autant plus important que les fautes commises à la campagne sont aggravées par l’esprit petit-bourgeois de la paysannerie et par l’absence d’organes capables de les corriger. Dans les villes, les fautes ont moins de gravité parce qu’elles sont corrigées par la conscience de classe des ouvriers et par les différents organes.

Le bon fonctionnement de l’organisation des Jeunes communistes à la campagne est indispensable pour éviter ces erreurs et pour assurer la bonne transformation de la psychologie paysanne, et par conséquent, la bonne solution des problèmes historiques dont j’ai parlé plus haut.

De même, on peut dire du mouvement des Pionniers qu’il ne faut pas l’envisager au point de vue de la pédagogie scolaire, mais de celui de la pédagogie sociale. En effet, toute la réaction s’appuie sur la paysannerie dont la vie, les conditions créent une psychologie conservatrice. Si nous voulons transformer cette psychologie, nous devons cous attaquer à la base, c’est-à-dire commencer par éduquer et transformer les enfants, parce qu’ils représentent l’arme qui mine l’ancien esprit et qui en prépare un nouveau.

Cette organisation des Pionniers doit se trouver sous la direction immédiate des Jeunesses communistes, comme celle-ci se trouve sous la direction immédiate du Parti.

Quelles doivent être les corrélations de la Jeunesse communiste avec les sans-parti, avec les autorités, et quels sont ses droits ?

A la campagne, la Jeunesse communiste n’a pas de droits juridiques prévus. La Jeunesse communiste n’a pas, comme le Parti, le droit d’édicter des décrets ; elle peut, comme le Parti, agir sur le pouvoir légal pour obtenir ce qu’elle désire; mais comme organe de pouvoir, elle n’a aucun droit. Ceci est indispensable si nous voulons rationaliser l’agriculture et toute l’économie rurale ; il faut que le paysan soit habitué à un seul pouvoir exécutif — les Soviets — autrement il sera complètement désorienté et notre construction ne pourra pas se faire.

LE CORPS ENSEIGNANT EST LE TRAIT D’UNION SPIRITUEL ET INTELLECTUEL ENTRE LA VILLE ET LA CAMPAGNE

L’importance du rôle de l’instituteur est déterminée par le problème des relations régulières entre la ville et la campagne, c’est-à-dire entre les ouvriers et les paysans. Notre désir est de voir les instituteurs former le pont entre la ville et la campagne. Si le corps enseignant comprend toute l’importance de la question et travaille à la solutionner avec toute l’énergie nécessaire, nous pouvons dire qu’il atteindra un niveau moral et intellectuel jamais atteint et que la Fédération sera loin d’être la dernière dans le mouvement syndical général et dans l’œuvre de construction soviétiste. Il est possible que beaucoup d’entre vous ne saisissent pas encore toute l’importance des perspectives que nous aurons progressivement, mais il est hors de doute qu’à mesure de l’amélioration de notre situation matérielle, c’est-à-dire à mesure du développement de toute notre économie, votre rôle sera de plus en plus important si le processus de votre rééducation — de laquelle j’ai parlé plus haut — est un fait accompli.

Il s’agit de la collaboration et non du service, de l’utilisation ou du commandement.

RELATIONS ENTRE LA JEUNESSE COMMUNISTE ET LE CORPS ENSEIGNANT

Maintenant nous allons étudier la question des relations entre la Jeunesse communiste et le corps enseignant. Mais auparavant, il faut nous mettre d’accord sur certains termes devenus courants : utilisation, service, commandement, collaboration.

On ne peut pas dire qu'on peut utiliser quelqu’un comme un citron duquel on exprime tout le suc et que l’on jette. Non, ce n’est pas dans ce sens que nous comprenons le terme : utilisation. Lorsque nous sommes utilisés pour et par le mouvement général, nous n’avons rien à dire et nous nous y soumettons volontiers ; mais lorsque quelqu’un vient à nous et nous dit : Je vais vous utiliser, il se substitue au mouvement général et ceci est inadmissible. Lorsqu’un Jeune communiste vient à l’instituteur avec le même esprit, ce dernier a tout le droit moral de protester.

Service... Dans un certain sens nous pouvons dire que tous, nous sommes au service de la Révolution. Mais quand un Jeune communiste dit à l’instituteur : « Tu es à mon service », cela ne peut s’admettre ! Le Jeune communiste n’est pas un employeur et l’instituteur n’est pas son employé. Notre devoir est d’arrêter cette déviation inadmissible.

Commandement... on peut l’admettre dans le sens de directives, d’indications, etc. ; mais dans le sens d’ordre, jamais nous n’admettrons qu’un Jeune communiste commande un instituteur; ceci n’est pas possible; le niveau de l’éducation politique d’un Jeune communiste se détermine par le sens qu’il donne au mot commandement.

La seule relation que nous pouvons accepter c’est la collaboration ; mais elle suppose la division du travail et celle-ci est nécessaire et possible.

LES FROISSEMENTS ENTRE LA JEUNESSE COMMUNISTE ET L’INSTITUTEUR

Si ces malentendus existent, c’est qu’on ne comprend pas le caractère des relations entre la Jeunesse communiste et l’instituteur. La collaboration est un travail en camarades, ce qui suppose non seulement une tactique, mais aussi un certain degré de tact, ce sont deux choses différentes car on peut avoir une parfaite tactique et pratiquement être un imbécile par manque de tact. On peut comprendre ce qu’on a à faire, mais ne pas savoir comment il faut le faire.

Si nous cherchons les causes des malentendus, nous les trouverons dans les restes de la lutte des classes entre les ouvriers et les intellectuels ; bien que nos instituteurs soient pauvres, nombreux sont ceux qui sont enfants des prêtres contre lesquels la lutte n’est pas finie.

Aux Jeunes communistes nous disons : « Camarades, 1918 n’est plus; la situation a complètement changé; comprenez-la; changez votre tactique si vous voulez être à la hauteur de la situation. » Et nous faisons une forte pression sur eux parce qu’ils font partie de notre organisation et que nous en sommes responsables. Mais, vous, instituteurs, de votre côté, corrigez-vous et l’œuvre générale y gagnera.

LA VANITE NE DOIT PAS EXISTER CHEZ NOS JEUNES COMMUNISTES

Cette vanité, cet orgueil mal placé — Moi, je suis des Jeunesses communistes — existe surtout à la campagne. Ces camarades croient que par le seul fait d’avoir leur carte, ils savent tout, qu’ils ont « vaincu toutes les sciences », et ils ne savent rien du tout. Ils sont complètement ignorants. Nous ne pouvons donc pas admettre qu’ils soient hautains. Avant, lorsqu’il fallait commander, on ne pouvait pas s’arrêter à des questions pareilles ; mais maintenant cela devient insupportable. Maintenant il faut de la persuasion, de la propagande, de l’enseignement. Une grande partie de Jeunes communistes reconnaissent avec nous que leur outrecuidance a été une source de malentendus, non seulement avec les instituteurs, mais aussi avec les paysans, et que ce vice doit être déraciné.

Il faut que le Jeune communiste comprenne qu'il faut autre chose que la force ou que sa carte. Il faut qu’il comprenne qu’il n’a aucun droit de se substituer aux institutions administratives. Il fut un temps où il fallait employer la force même contre des instituteurs; mais ce temps n’est plus : maintenant tout le monde a compris que nous suivons le bon chemin et à aucun prix nous n’admettrons des excès, quittes à employer la force.

IL FAUT LUTTER CONTRE LA DEBAUCHE

Nous disons franchement que dans notre Jeunesse communiste il y a des phénomènes morbides que l’on couvre par l’idéologie de lutte révolutionnaire. Par exemple un Jeune communiste fait des saletés sous les fenêtres d’un curé et il pense faire de la propagande antireligieuse; il ne se rend pas compte que c’est de la sauvagerie pure.

De même pour la vie sexuelle, nous sommes loin de préconiser la vie suivant un horaire prévu d’avance ; non, puisque notre Parti lutte pour le maximum de jouissance que la vie peut donner. Mais de là à la débauche et à la sauvagerie, il y a une marge. Il faut lutter contre la débauche et c’est le devoir de nos organisations de jeunes. Mais ceci ne diminue en lien la valeur du mouvement des Jeunes communistes, l’importance historique qu’il a eue et qu’il aura encore.

L’INSTITUTEUR NE DOIT PAS IGNORER LE ROLE DE LA JEUNESSE COMMUNISTE

Si nous examinons maintenant l’attitude des instituteurs, nous pouvons dire que leur transformation a été radicale. Cependant le corps enseignant n’est pas encore homogène et nous pouvons le diviser en trois groupes : 1) les communistes, 2) les hésitants et 3) ceux qui conservent encore les restes de l’ancien état d'esprit.

Il me semble que la cause qui empêche une partie du corps enseignant de se mettre résolument avec nous, est la même que celle qui en empêchait les intellectuels au début de la Révolution. Il leur arrive de ne pas voir le principal, parce qu’ils s’arrêtent sur les choses non seulement secondaires, mais n’ayant aucune espèce d’importance. Quelques-uns d’entre les instituteurs nous adressent des reproches de la nature suivante : un tel, communiste, est un mauvais sujet; un tel, Jeune communiste, est mal élevé; un tel, a volé; un tel, n’a pas été correct avec une femme ; tel autre a bu ; un tel a organisé une orgie dans l’église, etc. Il se peut que tout cela soit réel ; mais, camarades, il faut s’élever un peu plus haut et voir qu’il n’y a pas que cela ; qu’il y a autre chose de plus important; que tout cela va mourir et disparaître et qu’il ne restera que le grand, que le plus important. Il faut se rendre compte de ceci : Il faut que dans votre propagande, dans votre lutte contre tous les écarts morbides, vous ne perdiez pas de vue l’essentiel de la Révolution ; il faut faire ressortir les lentes, mais sûres conquêtes positives de la classe ouvrière qui, sous la direction du Parti, se dirige inlassablement vers son but. Ceci est très important car aucune propagande verbale et idéologique ne vaut les faits réels qui, pour les arriérés, restent masqués par les petites choses.

IL FAUT EN FINIR AVEC CE QUI SUBSISTE DE L’OUTRECUIDANCE INTELLECTUELLE

Cette outrecuidance pousse très souvent les instituteurs aux fautes par manque de tact. Un instituteur doit-il faire sentir sa supériorité en instruction à un Jeune communiste ignorant ? Non, car c’est un manque de tact et une faute. Et si nous critiquons nos Jeunes communistes en leur disant de ne pas faire des fautes politiques, nous disons aux instituteurs d’avoir plus de tact et de ne pas faire de fautes de pédagogie sociale.

Si un pédagogue désire venir en aide au Jeune communiste afin qu’il devienne plus instruit, il faut qu’il le fasse sans faire ressortir sa supériorité.

D’autre part, il y a des instituteurs qui tremblent devant les Jeunes communistes; c’est un grand défaut, et en tout cas, ce n’est pas une qualité.

Le Jeune communiste et l’instituteur doivent avoir assez de tact pour ne pas se heurter et pour collaborer ensemble dans la grande œuvre commune.

Il faut dire franchement que l’instituteur a quelque chose à apprendre chez le Jeune communiste, c’est la mobilité sociale, l’initiative, le désir ferme de pénétrer dans les plus petits rouages et de travailler dans les œuvres sociales. Il ne faut pas avoir de fausse honte : il faut envisager les choses dans leur réalité et se dire franchement que ce qui vous manque, vous pouvez l’emprunter aux Jeunesses communistes. Bien qu’elles soient composées d’éléments jeunes, le point de départ de leur éducation sociale a été différent du vôtres

DIVISION DE TRAVAIL ENTRE LES JEUNES COMMUNISTES ET L’INSTITUTEUR

Le centre de gravité de l’action de l’instituteur se trouve dans l’école, et le Jeune communiste est son collaborateur. A l’école, c’est l’instituteur qui dirige et applique les instructions du Narcompross. Celui-ci se trouve, par l’intermédiaire du gouvernement, sous la direction du Parti. Le Jeune communiste se trouvant en contact direct avec le Parti, son travail consiste dans l’éducation idéologique.

Mais, c’est au sujet du mouvement d’enfants -— les Pionniers — que les malentendus sont les plus grands et les plus nombreux.

Ici, l’éducation et l’instruction générales passent au second plan et l’éducation sociale a une importance primordiale.

Le Jeune communiste, sous la direction immédiate du Parti, devient le pédagogue principal de cette éducation, et l’instituteur son collaborateur. Si, à l’école, c’est l’instituteur qui dirige et qui administre, ici, c’est le Jeune communiste. Et cette collaboration doit être volontaire et amicale, car autrement elle ne sera pas possible. Il faut que cette éducation se base sur les lois de pédagogie et de médecine sociale pour donner le maximum de résultats et ne pas gaspiller les forces de nos enfants; et la personne qui peut donner ces indications techniques, qui peut doser tout ce travail, c’est l’instituteur.

Les Jeunes communistes n’ayant pas de préparation technique voulue et nécessaire, ont fait beaucoup de fautes au point de vue pédagogique et physiologique ; ceci est inadmissible et il faut que les forces vives de la corporation que vous représentez se mettent à corriger ces fautes; mais, je répète, avec beaucoup de tact et de savoir faire. Il faut que l’instituteur devienne le camarade aîné qui, en travailleur qualifié, peut donner des conseils utiles.

IL FAUT QUE NOTRE TRAVAIL SOIT RATIONNEL

L’organisation n’est qu’à ses débuts; le travail de l'instituteur ainsi que celui des Jeunes communistes est encore chaotique ; il faut que cela cesse ; il faut l’organiser ; il faut passer du bavardage (cela existe dans toutes les branches) au travail réel.

Très souvent, on occupe trop de fonctions et on passe son temps à courir d’un bureau à un autre tout en pensant qu’on fait du travail utile; c’est faux. C’est un gaspillage de forces qui est dû au manque d’organisation, d’un plan de travail et surtout à l’énorme quantité de besogne. Ceci se passe aussi bien chez les instituteurs que chez les Jeunes communistes. Il y en a qui ne font rien ; il y en a d’autres qui sont submergés par le travail et au bout d’un certain temps tombent exténués. Ceci doit cesser et il faut régulariser le travail, car autrement nous n’irons pas loin.

NOUS AVONS LA DIRECTION & NOUS LA CONSERVERONS TELLE QU’OCTOBRE NOUS L’A CONFIEE

C’est tout ce que j’avais à vous dire. Vous basant sur les quelques idées que j’ai émises ici, il faudra travailler avec les Jeunes communistes pour transformer la psychologie de nos masses.

Très souvent, ne prenant en considération que le fait brutal que nos écoles sont en ruines, que le réseau scolaire végète, que la situation de notre instituteur est pénible, on nous dit que nous n’avons pas fait grand’ chose pendant les sept ans de notre pouvoir. C’est un fait brutal et vrai; mais ce n'est qu’un côté de la question; l’autre qui est beaucoup plus important et qui corrigera tout ce qui est mauvais, c’est l’amélioration de 1’instruction de nos masses. Les événements de la Révolution et leur explication ont été apportés à la campagne par les soldats rouges qui ont parcouru l’U.R.S.S. du Nord au Sud et de l’Orient à l’Occident. Ils ont enrichi et élargi la psychologie paysanne. Ils ont transformé toute une série de leurs coutumes et de leurs traditions. Ils ont apporté dans ce milieu une fermentation inconnue jusqu’à présent de l’histoire humaine; ils ont élevé le pouvoir ouvrier à une hauteur qu’il n’avait jamais encore atteint. Et malgré tout cela, nous disons qu’il a été fait trop peu, que nous ne faisons que les premiers pas. Notre propagande, notre agitation, notre armée rouge; nos maisons de lecture, nos clubs où le langage est encore loin d’être académique, tout cela constitue une série de secousses qui placent notre peuple, de quelques marches seulement, il est vrai — mais solides, — au-dessus de ce qu’il a été.

Comparez le langage de notre paysan actuel à celui de l’avant-guerre et vous serez étonné du changement prouvant ainsi la transformation de sa psychologie, nécessaire aux nouvelles conditions.

Notre problème consiste dans la conservation, à tout prix, du pouvoir entre nos mains, de sa consolidation et, malgré tous les obstacles, toutes les difficultés, dans la marche en avant sur notre chemin, en améliorant la situation économique générale, en organisant toutes les forces productives du pays sous la direction du Parti, au nom duquel je m’adresse à vous en vous demandant d’entrer dans notre grande famille, sans crainte, sans arrière-pensée, pour que, tous unis, nous puissions réaliser l’idée maîtresse de l’Octobre Rouge.

Vive notre Parti !

Vivent la classe ouvrière et la paysannerie!

Vive notre corps enseignant — ce pont entre la ville et le village -— qui nous poussera encore plus vers le communisme !


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