1906

congrès de la CGT en octobre 1906 où fût adopté, par 830 voix pour, 8 contre et 1 abstention, la charte d'Amiens.


Congrès d'Amiens sur les rapports entre entre les Syndicats et les Partis politiques

C.G.T.

1906


 

SEANCE DU 13 OCTOBRE (matin)

Président : Soulageon
Assesseurs : Braud et Rouiller.

(Suite de la discussion)

Latapie trouve qu'il n'y a pas que des anarchistes et des socialistes au Congrès, il y a les syndicalistes purs. Il faut que nous disions, dit-il, qu'il y a une doctrine nouvelle : le syndicalisme.
Les syndicats ont pour but immédiat : la législation du travail toute entière, accidents du travail, diminution des heures du travail, repos hebdomadaire, etc.

Mais au syndicat, un camarade opportuniste ou réactionnaire qui obtient une augmentation de salaire, doit savoir que le patron lui reprendra cette augmentation à la première occasion. Il faut donc lui montrer que le syndicat a un autre but encore : la suppression du salariat.

La Fédération de la Métallurgie est une Fédération socialiste dans la bonne acception du terme. Nous y affirmons  la  doctrine  réformiste et  la  doctrine révolutionnaire. C'est donc nous qui aurions dû porter la question posée par le Textile. Nous ne l'avons pas voulu. Quand un camarade vient à notre syndicat, il sait à quoi il s'engage, s'il signe notre règlement.

Il donne lecture de quelques passages des statuts :

 " Considérant que par sa seule puissance le travailleur ne peut espérer réduire à merci l'exploitation actuelle dont il est victime ;
Considérant aussi que les travailleurs n'ont à compter sur la Providence-Etat, superfétation sociale dont la raison d'être est de veiller au maintien des privilèges des dirigeants ;

Que, d'autre part, ce serait s'illusionner que d'attendre notre émancipation Ides gouvernants, car – à les supposer animés des meilleurs intentions à notre égard – ils ne peuvent rien de définitif, attendu que l'amélioration de notre sort est en raison directe de la décroissance de la puissance gouvernementale....

Le but de cette Union est de resserrer les liens de solidarité et d'unir, en un seul bloc, tous les travailleurs des métaux sans distinction de profession, d'âge, de sexe, de race ou de nationalité, afin d'arriver à constituer le travail libre, affranchi de toute exploitation capitaliste, par la socialisation des moyens de production au bénéfice exclusif des producteurs et collaborateurs des richesses ; c'est-à-dire de réaliser la devise communiste :
" de chacun selon ses forces et chacun suivant ses besoins. "

D'autre part, l'Union devra se faire un devoir de démontrer, par des faits palpables, à ses adhérents, que leur affranchissement intégral ne saurait avoir sa source, même dans l'augmentation des salaires, le salariat n'étant qu'une forme déguisée de l'esclavage antique, pas plus qu'ils n'ont à compter sur les réformes inappliquées qu'ils ont, de haute lutte, arrachées aux dirigeants ;

Les secrétaires fédéraux ou tous autres fonctionnaires indemnisés par l'Union fédérale, ne peuvent faire acte de candidat à une fonction publique quelconque, sans immédiatement se voir retirer de droit leurs attributions ainsi que leurs indemnités. "

Le syndicat doit lutter contre toutes les puissances : puissance religieuse, puissance de l'Etat, puissance du militarisme, puissance de la magistrature. Les collectivistes qui veulent s'emparer de l'Etat pour le détruire, ne devraient pas se plaindre du syndicalisme, qui veut commencer par cette destruction.

Le syndicat doit donc lutter contre toutes ces puissances oppressives.
Mais nous affirmons pour nos membres le droit de faire individuellement ce qui leur convient.

La journée de dix heures n'a été obtenue que grâce à la puissance des travailleurs. Les législateurs ont enregistré purement et simplement.

En 1903, moi, qu'on a qualifié d'anarchiste, voilà ce que j'écrivais :

" Je sais que vous préféreriez me voir préconiser l'abstention électorale, eh bien ! Sachez que " libertaire ", je ne relève d'aucune chapelle politique, et que, dans ma pensée, j'estime qu'un abstentionniste conscient est un homme de révolution, mais que ceux qui se révèlent abstentionnistes à l'issue d'un meeting, sont des individus sur lesquels nous n'avons pas à compter.

La théorie de l'abstention préconisée en réunions publiques est une vaste blague, car une opinion semblable ne peut s'inculquer que dans des cerveaux libérés de tous préjugés.

Pour nous, et nous l'avons dit maintes fois, que les syndicats n'ont pas plus à faire de la politique anarchiste que de la politique socialiste.
Et maintenant, que les camarades sachent bien que dans le sein de notre Fédération, il ne saurait y avoir des opportunistes, des radicaux, des socialistes de diverses écoles ou des anarchistes, pas plus que des croyants ou des athées ; nous considérons qu'il n'y a que des exploités, quelles que soient leurs convictions. "

Peut-on faire un reproche aux révolutionnaires de dire que le travailleur ne doit pas compter seulement et spécialement sur le bulletin de vote ?
Une autre besogne plus importante lui reste à faire et le syndicat est seul capable de la lui faciliter.

Il faut que pour la première fois les congressistes se prononcent sur la doctrine nouvelle. Il faut que le syndicalisme soit une théorie entre les théories anarchistes et socialistes. Cette doctrine, d'ailleurs, se suffit à elle-même. Niel a eu tort de prendre à partie les socialistes et les libertaires ; s'il y en a qui ne font pas leur devoir, il y en a qui le font.

Je conclus au rejet de la proposition de la Fédération du Textile.

Coupat – Mon intervention a expressément pour but de demander au Comité confédéral d'observer, sur le terrain syndical, la plus stricte neutralité entre anarchistes et socialistes.
Conservé pendant longtemps, jusqu'au Congrès de Lyon, même, cet esprit de neutralité a permis le développement considérable de  la Confédération générale du Travail, c'est un événement d'ordre politique qui a fait dévier l'attitude de l'organisme confédéral sur un autre terrain ; je veux dire la constitution d'un certain ministère et l'entrée d'une personnalité politique au gouvernement ; socialistes révolutionnaires et anarchistes coalisés, pendant trois ans, ont mené au sein de l'organisme confédéral et dans le journal confédéral la voix du Peuple, la lutte contre ce ministère.

 Les libertaires, insensiblement, ont pénétré l'organisme central de la Confédération et en ont pris la direction. Un excès de prosélytisme politique de leur part, a créé, dans les syndicats, des dissensions et des divisions regrettables.
On a voulu créer de toutes pièces une méthode d'action officielle de la Confédération. Sans considérer que l'immense variété des conditions professionnelles,  cause une variété identique' dans la méthode et dans les procédés, on a voulu obliger tous les syndicats à adhérer à la méthode libertaire préconisée par la Confédération.
Nombreux sont les délégués qui, ici, sont venus nous signaler des violations du principe de neutralité syndicale, par des délégués en mission de la C. G. T. J'estime que libertaire en délégation pour son organisation syndicale, ou socialiste agissant dans les mêmes conditions, doivent s'abstenir de tout prosélytisme anti-parlementaire ou   électoral.

Les militants qui sont à la tête de la Confédération, observent-ils cette neutralité ? Beaucoup d'entre nous sont allés dans les bureaux de la Voix du Peuple, qu'ont-ils vu en entrant ? Une affiche du Père Peinard, représentant un élu qui, son pantalon déboulonné, montre vous savez quoi, au corps électoral.

Je trouve dans un numéro récent de la Voix du Peuple, numéro du 23 au 30 septembre, sous le titre : Cabotinage en France, à la suite de quelques lignes que j'approuve d'ailleurs pleinement, l'affirmation suivante :

"....Bientôt, après les cabotins du boulevard, vont entrer en fonctions les cabotins du Palais-Bourbon ; on peut dire ce que les premiers rapportent, mais on ne saurait dire ce que coûtent les seconds. "

Je demande si le Congrès couvrira ces violations formelles de la neutralité.
Si vous estimez qu'ils sont légitimes, approuvez-les par un ordre du jour. Vous affirmerez par là, que le prosélytisme libertaire peut, sans inconvénient, s'exercer dans nos syndicats.

Vous contribuerez à rendre l'organisme confédéral impossible pour les militants syndicalistes, qui, en immense majorité, ont foi en leur bulletin de vole, ont foi en l'action politique.

D'un autre côté, je dis aux socialistes du Textile que, membre du Parti, il m'est impossible de voter leur proposition, dans l'intérêt même de la classe ouvrière. Les travailleurs groupés sur le terrain syndical, sont souvent obligés de compter avec une majorité parlementaire qui n'est pas socialiste.
Concevez-vous, nos camarades de la guerre et de la marine, qui ont besoin de tous les concours politiques pour obtenir satisfaction à leurs légitimes revendications, s'adressant au seul Parti socialiste ?
Cela serait désastreux pour leur cause. Etes-vous bien certains, d'autre part, que les élus du Parti socialiste peuvent tous efficacement défendre les intérêts ouvriers ? Sont-ils tous choisis suffisamment dignes ?
Vous en citerais-je un, député d'une circonscription de la Seine, qui, médecin et journaliste, a cru nécessaire d'ajouter à ses 25 francs de député, les ressources qui lui ont été fournies par les compagnies d'assurances qu'il a servi longtemps contre les ouvriers victimes d'accidents et qu'il sert encore dans les expertises légales qui lui sont confiées.

La Confédération ne doit pas plus être libertaire que socialiste ou radicale.
I1 y a dans son sein des travailleurs appartenant à ces diverses tendances, il y en a même qui sont catholiques. Voulez-vous les en chasser ?

Pour nous, qui ne croyons pas à l'obtention de résultats durables par les soubresauts impulsifs de ce que les anarchistes appellent les minorités conscientes, le syndicat doit grouper le maximum de travailleurs de la même corporation, et fatalement, ceux-ci du fait qu'ils seront syndiqués en vue de la défense d'intérêts immédiats, arriveront à l'idéal social de tous les ouvriers conscients : la suppression du salariat. Mais pour cela, il ne faut pas que par une politique quelconque, qui froisse leurs convictions personnelles, on les éloigne à priori du syndicat.

La Confédération,  pour  être  puissante et remplir le rôle d'émancipation ouvrière qu'elle s'est dévolue, doit être ouverte à tous. C'est seulement ainsi qu'elle pourra, non seulement conquérir les améliorations au sort du prolétariat, mais conserver les avantages obtenus par les luttes antérieures, et les efforts des prolétaires luttant sur tous les terrains.

C'est le sens de notre ordre du jour.

Renard. – Notre proposition avait surtout pour but de donner lieu à un vaste débat, afin que les différentes tendances qui se manifestent ici sur le rôle de la Confédération, puissent être largement développées.
Quel que soit le rôle réservé à notre proposition, ce résultat a été obtenu.

Je répondrai tout d'abord au reproche que m'a fait Merrheim d'avoir compté les syndicats jaunes dans le chiffre d'effectif syndical dans la région du Nord que j'ai donné hier.

Cela est exact, mais n'enlève aucune force à mon argumentation ; le chiffre que j'ai donné n'a pas été utilisé dans l'ordre de mes arguments pour sa valeur propre, mais bien comme terme de comparaison. Quand j'ai dit que le département du Nord, avec ses 76,000 syndiqués était, pour la force de nos organisation, le second de notre pays, j'ai compté également, dans tous les autres départements, le chiffre global de syndiqués, sans faire de distinction, ni défalquer l'effectif des syndicats jaunes.
J'estime également que si, à Roubaix et dans d'autres localités, comme nous l'a reproché Merrheim, le syndicat textile groupe des camarades d'autres professions, travaillant dans la même usine que les tisseurs, ils n'en sont pas moins syndiqués, et qu'on est mal venu d'attribuer à l'action socialiste, la faiblesse de l'organisation syndicale dans certaines régions du Nord, alors qu'ici, tout près, il y a une région soumise à l'influence libertaire qui, sur 25,000 ouvriers du Textile, groupe 50 syndiqués.

D'ailleurs, comme l'a dit Coupat, il n'y a pas si longtemps que les libertaires sont syndiqués, il n'y a pas si longtemps qu'ils proclamaient, qu'il " leur suffisait de poignard, de faux, de piques, de revolver et de flingots, pour, watriner toute la clique des exploiteurs et des sergots, "  il n'y a pas si longtemps encore que le Père Peinard cognait de son tire-pied sur les prolos assez poires pour s'avachir dans les syndicats.

Aujourd'hui, les temps sont changés, les libertaires sont rentrés au syndicat et y font prédominer leur esprit. Nous ne demandons pas que le nôtre y domine, quoi qu'en aient dit nos contradicteurs; nous ne demandons pas la fusion. Ce que nous voulons, c'est qu'on ne se serve pas de l'organisme syndical comme d'un instrument de combat contre le Parti socialiste, et que les deux modes d'action du prolétariat, action politique ou action syndicale, convergent au même but sans dissensions fratricides. Je ne suis pas le seul à défendre cette manière de voir. On a dit dans la discussion d'hier, qu'on voulait établir des syndicats suivant la méthode de Kropotkine, eh bien ! j'ai ici un numéro des Temps nouveaux, où Kropotkine, au sujet du Congrès de Mannheim, préconise l'entente que nous demandons.
Niel a dit que l'ouvrier était travailleur d'abord, citoyen ensuite, c'est exact, mais il est l'un et l'autre.
Il nous a encore dit : " Vous demandez l'entente! l'alliance intermittente, pourquoi pas la fusion ? " Je pourrais à mon tour lui demander : " Puisque vous êtes pour l'affranchissement total du prolétariat – comme nous du reste ! – pourquoi ces congrès et pourquoi pas la révolution libératrice de suite ? " Ce que nous demandons d'abord, c'est ce qu'ont bien compris les travailleurs de Belgique, d'Allemagne, des Pays Scandinaves, et môme, ces dernières années, nos camarades anglais.

Ce que nous voulons, c'est, en un mot, que les rapports officieux et clandestins actuels, entre les militants syndicalistes et le Parti socialiste, s'étalent au grand jour. Notre proposition est une proposition de loyauté.

Vous direz si le syndicat doit être en même temps un groupe politique ou s'il doit se borner à l'étude des questions de travail, entretenant avec le parti politique, le minimum de relations indispensables.

Qu'on ne parle pas ici de tentative d'intrusion politique de notre part. Relisez notre journal, relisez l'Ouvrier Mécanicien, la Typographie, jamais un mot de politique, dites-nous s'il en est de même de la Voix du Peuple ; dites-nous si ce n'est pas faire œuvre de politique néfaste, qu'insérer dans l'organe confédéral, le factum divisionniste dont Dooghe a donné lecture hier. Je termine, camarades, en priant nos camarades de l'Isère de ne pas prendre en mauvais art, l'expression que j'ai employée hier, au sujet de l'évolution des travailleurs de Grenoble vis-à-vis du renégat Zévaès. Ce n'est certes pas pour les militants conscients que j'ai parlé, mais bien pour la masse inéduquée.

David (de Grenoble). – Les délégués de Grenoble prennent acte des paroles que vient de prononcer le camarade Renard, au sujet du prolétariat organisé de Grenoble et de l'Isère.

Griffuelhes. – Les reproches formulés, dit-il, portent sur la méthode et l'esprit de la C. G. T. Il faut donc insister sur le caractère de son mouvement.

Et d'abord, constatons que Merrheim a détruit par des chiffres, la base de l'exposé de Renard ; il a prouvé que la méthode qu'il préconise n'a pas donné de grands résultats, attendu l'inexactitude des chiffres produits. Et qu'on ne nous dise pas que les syndicats jaunes sont peu importants et ne rentrent pas pour une grosse part dans les chiffres que vous avez donnés. Il y a plusieurs syndicats jaunes en dehors de Roubaix qui comprennent chacun plus d'un millier de membres ; à Lille, il y en a deux, à Armentières, etc. En outre, dans le Nord, il faut distinguer plusieurs régions : Lille, Roubaix, Tourcoing, le Cambrésis, d'un côté.

Mais Dunkerque et Valenciennes échappent à l'influence des amis de Renard. Donc, de ce fait, les chiffres avancés diminuent encore de valeur.

Si encore vous aviez apporté la preuve d'immenses résultats. Mais non ! Grâce à vos chiffres faux, on serait en droit de conclure que votre œuvre s'évanouit presque,
Et puis, vous citez les Anglais, nous disant qu'après 50 ans d'action directe, ils viennent au Parlementarisme. Vous ajoutez qu'ils ont les plus hauts salaires et les plus courtes journées. Cela, c'est le résultat de leur action directe. Quant aux effets du parlementarisme chez eux, le moins est d'attendre pour les enregistrer. Il y a donc là une contradiction qui se retourne contre vous,
Vous prétendez que ce que vous demandez existe déjà, sous forme de rapports occultes entre la C. G. T. et les parlementaires, C'est inexact ! En deux circonstances, j'ai eu des rapports personnels avec deux députés, Sembat et Wilm. Ils m'avaient demandé de les documenter pour interpeller. Je l'ai fait et chaque fois qu'un député, répondant à la mission qu'il s'est donné, voudra se renseigner, je le documenterai avec plaisir.

Mais, en ces circonstances, ces députés ne faisaient que leur devoir et il n'y a pas à leur en avoir gratitude.
Au delà de la proposition de Renard, qui pose une question de fait, il en est une plus importante, celle de Keufer, qui, parlant d'unité morale, reproche à la C. G. T. de l'avoir détruite.
Cette unité morale ne peut exister. Dans tout groupement il y a lutte et non division. L'acceptation de son ordre du jour constituerait une négation de la vie, qui est faite du choc des idées.
De plus, Keufer insiste trop sur la présence des libertaires au sein du Comité confédéral; ils n'y sont pas aussi nombreux que le veut la légende.

Mais, c'est une tactique pour faire surgir un péril libertaire, afin de constituer un bloc pour annihiler ce péril. Au lieu de vagues affirmations, il fallait produire des faits, des résolutions, des documents émanant de la C. G. T. et inspirés par l'unique objectif anarchiste. Il n'y en a pas! Qu'il y ait chez certains d'entre nous des idées libertaires, oui ! Mais qu'il en naisse des résolutions anarchistes, non !

Coupât a dit qu'avant 1900, la C. G. T. n'avait pas prêté le flanc aux critiques.
Oui, parce qu'elle n'existait pas. Il a ajouté que l'entrée de Millerand au ministère a donné naissance à cet esprit. Rappelons des fait peu connus :
A peine Millerand ministre, parut une déclaration signée de Keufer, Baume Moreau, en faisant suivre leur nom de leur qualité de secrétaire d'organisation, etc., approuvant son acte. Est-ce que pareille déclaration ne constituait pas un acte politique ?
Et quel pouvait en être le résultat ? Puis, à l'Union des Syndicats de la Seine, on vint proposer un banquet à Millerand. N'était-ce pas encore un acte politique pour un but bien défini ? Seul, je m'y opposai. On manœuvrait alors pour introduire l'influence du gouvernement au sein de la Bourse du Travail, et c'est en réaction à cette tendance qu'est venu l'essor de la C. G. T.

Au lendemain de Chalon, les membres de la Commission de la Bourse du Travail reçurent, pour eux et leurs familles, une invitation à une soirée du ministre du commerce ; deux jours après, nouvelle invitation, – de Galliffet celle-là ! – pour un carrousel.

Que voulait-on ? Nous domestiquer ! Nous fûmes deux à protester et à propagander contre. Nous dévoilâmes ces manoeuvres et, petit à petit, nous animes par faire voir clair aux camarades.

L'explosion de vitalité de la C. G. T. résulte de ces événements. Il y eut une coalition d'anarchistes, de guesdistes, de blanquistes, d'allemanistes et d'éléments divers pour isoler du pouvoir les syndicats.
Cette coalition s'est maintenue, elle a été la vie de la Confédération. Or, le danger existe encore. Il y a toujours des tentatives pour attirer au pouvoir les syndicats, et c'est cela qui empêchera l'unité morale.
Où l'unité morale peut se faire, c'est si on cherche à la réaliser contre le pouvoir et en dehors de lui. Or, comme il en est qui sont pour ces contacts, ceux qui s'opposent à ces relations empêcheront l'unité morale dont parle Keufer.

Ce qu'il faut voir, c'est que ce n'est pas l'influence anarchiste, mais bien l'influence du pouvoir, qui entraîne à la division ouvrière.
Exemple, les mineurs. La désunion ouvrière fut la conséquence de la pénétration du pouvoir. En 1901, on s'opposa à la grève pour ne pas le gêner et pour ne pas contrarier l'oeuvre " socialiste " de Millerand-Waldeck-Rousseau.

Joucaviel, qui avait tout fait pour s'opposer à la grève, a reconnu, après quatre ans, que le pouvoir n'avait pas tenu les promesses faites, que le gouvernement avait roulé les mineurs.

Est-ce les anarchistes de la C. G. T. qui ont créé ce conflit ? Non ! Pas plus qu'ils n'ont créé celui des Travailleurs municipaux.
En ce qui concerne ceux-ci, le conflit a son origine entre ceux qui voulaient que l'organisation marche à la remorque de l'administration et ceux qui s'y opposaient.

En réalité, d'un côté, il y a ceux qui regardent vers le pouvoir et, de l'autre, ceux qui veulent l'autonomie complète contre le patronat et contre le pouvoir.' C'est en ce sens que s'est manifestée l'action de
la C. G. T., et le développement considérable qui en a été la conséquence infirme la thèse du Textile : l'accroissement de la Confédération a été parallèle à l'accentuation de sa lutte. Il n'y a donc pas nécessité de modifier un organisme qui a fait ses preuves ; mais au contraire, de déclarer que la C. G. T. doit rester telle que ces dernières années.

Admettons que la proposition du Textile soit votée ! Elle créerait des rapports entre la C. G. T. et le Parti. Or, qui dit rapport, dit entente ; qui dit entente, dit accord ! Comment s'établirait cet accord fait de concessions mutuelles, entre un Parti qui compte avec le pouvoir, car il en subit la pénétration, et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir. Nos considérations ne seraient pas toujours celles du Parti, d'où impossibilité matérielle d'établir les rapports demandés.
De même qu'il faut repousser l'ordre du jour du Textile, de même il faut repousser celui du Livre qui voudrait limiter l'action au rayon purement corporatif et nous ramener au trade-unionisme anglais.
Ce serait rétrécir le cadre de l'action syndicale et lui enlever toute affirmation de transformation sociale.
Le Congrès ne voudra pas cela Ce serait méconnaître le processus historique de notre mouvement. Ce serait une reculade et ce n'est pas au moment où il y a accentuation d'action qu'il pourrait y avoir reculade de principe.

Guérard. – II y a une affirmation de neutralité.

Griffuelhes. – Oui, mais en outre, il y a, dans cet ordre du jour, les considérants qui ont une autre portée. D'ailleurs, en voici le texte.
Le premier paragraphe parle de bannir toutes discussions et préoccupations politiques, philosophiques, etc... Classez-vous dans les préoccupations politiques et philosophiques, l'affirmation de la suppression du salariat.

Coupat dit que, dans leur esprit, cela est entendu.

Griffuelhes. – Pourquoi ne pas le dire clairement ? Et parlant de l'affiche rappelée par Coupat, Griffuelhes observe que cela remonte à 1901, – époque ou Guérard était secrétaire de la C. G. T,

Guérard  - Cette affiche était tellement drôle, qu'elle prêtait à rire.

Coupat dit qu'il ne va pas au Comité confédéral sans y voir des choses qui le blessent.

Griffuelhes. – Sur les critiques relatives à l'antimilitarisme, si la Confédération a publié des journaux sur ce sujet, c'est parce qu'elle en a reçu le mandat en 1900, sur la proposition de Fribourg, aujourd'hui conseiller municipal de Paris. Depuis, nul Congrès n'est revenu sur cette décision, et j'ose espérer que celui-ci ne reviendra pas sur elle.

Il demande en terminant que le Congrès vote sur la proposition du Textile, puisqu'on s'affirme sur un ordre du jour catégorique résumant ses déclarations.

Niel dépose l'ordre du jour suivant :

" Considérant que le syndicalisme a pour but l'amélioration quotidienne du sort de la classe ouvrière, et la suppression du patronat et du salariat ;

Considérant que pour donner à son action son maximum d'effet, le syndicalisme doit pouvoir recueillir dans son sein tous les travailleurs sans distinctions politiques ou confessionnelles ; que, pour cela, il lui est impossible de s'inféoder à aucun parti politique ;

Considérant que malgré la diversité d'opinions qu'il renferme, le syndicalisme exerce, sur le terrain économique, une action sociale dont l'utilité et l'efficacité ne sont plus discutables ;
 
Considérant qu'en dehors des organisations syndicales il peut y avoir des organisations de différentes natures qui, sous une autre forme et sur un autre terrain, poursuivent aussi comme but la suppression du patronat et du salariat;

Considérant que de nombreux ouvriers syndiqués exercent leur action sociale simultanément sur le terrain économique des syndicats et sur le terrain politique de groupes différents ;

Considérant qu'il serait contraire aux statuts de la C. G. T. et préjudiciable à l'organisation ouvrière que le syndicalisme fût systématiquement associé ou opposé à l'un quelconque de ces groupements politiques ;

Le Congrès repousse toute espèce d'alliance avec tout parti ou secte politique que ce soit ;
II déclare, en outre, que le syndicalisme se suffit à lui-même pour réaliser son œuvre de lutte de classe en exerçant son action directement contre le patronat et contre toute force capitaliste d'oppression physique ou morale " des travailleurs. "
L Niel.

Coupat et plusieurs délégués. – Nous déclarons accepter l'ordre du jour Niel.

Le Président donne lecture de divers ordres du jour :

" Bourse du Travail d'Angoulême (Charente), est hostile à la campagne commencée (Textile du Nord), sur les rapports à établir entre
la C. G. T. et les partis politiques. La question économique étant la seule qui nous semble intéressante et utile à discuter, et à poursuivre, dans nos syndicats.

Ne répugne pas à voir des syndiqués investis de fonctions politiques, par lesquelles ils peuvent aider à la conquête de plus de largeur de vue dans la résolution des lois ouvrières ;
Elle serait désolée de voir nos syndicats dégénérés en comités électoraux.  "
Pour la Bourse du Travail d'Angoulême :
Le délégué : Etard

  " Les syndicats adhérents à la Bourse du Travail d'Angers :
Considérant que les syndicats ne pouvant et ne devant être qu'un moyen transitoire pour arriver à la suppression du salariat, ne doivent lutter, pour leur affranchissement intégral, que sur le terrain économique ;

Considérant que l'immixtion de la politique dans les syndicats ne peut être qu'une cause de discorde ; l'expérience nous l'ayant démontré ;
Pour ces raisons, repoussent toute idée de rapports des syndicats avec les partis politiques. "
Pour les syndicats :
 Les délégués : Bahonneau, Karcher, Guimaudeau.

Addition à l'ordre du jour repoussant la proposition du Textile.
" Considérant que l'intervention des élus dans les grèves ou dans les mouvements ouvriers est toujours funeste ;

Considérant que toujours le prolétariat fut dupé dans ses grèves par l'intrusion, sur le champ de lutte de politiciens trompeurs ;
Le Congrès engage les syndicats et organisations ouvrières à repousser tout concours des élus dans les mouvements du prolétariat. "

Charpentier, Bourse du Travail de Marseille ; Teyssandier, Bourse du Travail de Périgueux ; Chazeaud, Union des Syndicats Lyonnais ; Legouhy, Tapissiers de Lyon ; E. Laval, Epiciers de Paris ; Bécirard, Chaussure de Lyon ; Cheytion, Cultivateurs de Coursan ; Cousteau, Bourse du Travail de Narbonne.

" La Bourse du Travail de Narbonne :
Considérant que la politique dans les syndicats est néfaste à la bonne marche vers l'émancipation intégrale que les prolétaires réclament ;
Le Congrès rejette purement et simplement le vœu porté à l'ordre du jour par le Textile et réclame le statu quo sur cette importante question. "
M. Cousteau, Bourse du Travail de Narbonne.

" Le Congrès confédéral d'Amiens,
Considérant que les organisations syndicales poursuivent l'établissement  d'une législation qui améliore les conditions de travail et qui perfectionne les moyens de lutte du prolétariat ;

Considérant, d'autre part, que si la pression, l'action directe, exercées par les syndicats sur les pouvoirs publics ont une valeur indiscutable, il est au moins aussi vrai qu'elles ne sauraient être suffisantes et que l'action menée au sein même des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est un complément nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir ;

Considérant que le Parti socialiste – organisation politique du prolétariat-  poursuit la réalisation des revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu'elle soutient contre le patronat ; qu'il est donc le " parti " qui mène cette action complémentaire ;

Le Congrès se prononce en faveur d'un rapprochement entre la Confédération générale du Travail et le Parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d'accord sur le but à atteindre, l'action des syndicats pourra se combiner temporairement, par voie de délégation avec celle du Parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre ;

Le Congrès, malgré son désir d'entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations, par la création d'un organisme quelconque, et préfère s'en remettre aux événements du soin de préparer celui qui sera le meilleur, parce qu'il sortira des faits eux-mêmes ;
D'ailleurs, le Congrès constatant que dans maintes circonstances et dans de nombreux centres l'entente existe, ou est en voie de réalisation, enregistre avec plaisir cette tendance vers l'harmonie des efforts ; fait des vœux pour qu'elle s'accomplisse et décide d'attendre, pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du Travail avec le Parti socialiste, le moment où l'entente entrée définitivement dans les mœurs se sera imposée à tous comme une nécessité évidente ;

En attendant et dans l'espoir que le Parti socialiste usera de réciprocité, le Congrès demande aux militants de mettre fin à des polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du régime capitaliste. "
J. Tillet, Fédération de la Céramique.

Renard demande la division pour le vote sur l'ordre du jour qu'il a déposé. Cette division mise aux voix à mains levées n'est pas votée. Devant cette décision,  Renard déclare, que les camarades partisans de la proposition du Textile, ne prendront pas part au vote.

Résultats du vote
Contre...................................      724
Pour ....................................        34
Blancs...................................        37

Griffuelhes lit l'ordre du jour suivant :

" Le Congrès confédéral d'Amiens confirme l'article 2, constitutif de
la C. G. T.
La C. G. T. groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat... ;
Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la utte de classe qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière ;

Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique :
Dans l'œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d'améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l'augmentation des salaires, etc. ;

Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'œuvre du syndicalisme ; il prépare l'émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d'action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance sera, dans l'avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ;

Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d'avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait de tous les travailleurs quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat ;

Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme l'entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe au dehors ;

En ce qui concerne les organisations, le Congrès décide qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté, la transformation sociale. "

Marie ; Cousteau ; Menard ; Chazeaui ; Bruon ; Ferrier ; E David, B. d.T. Grenoble ; Latapie ; Médard ; Merrheim ; Delesalle ; Bled; Pouget ; E. Tabard ; A. Bousquet ; Monclard ; Mazau ; Braun ; Garnery ; Luquet ; Dret ; Merzet ; Lévy ; G. Thil ; Ader ; Yvetot ; Delzant ; H. Galantus ; H. Turpin ; J. Samay, Bourse de Paris ; Robert ; Bornet ; P. Hervier, Bourse du Travail de Bourges ; Dhooghe, Textile de Reims; Rouiller, Bourse du Travail de Brest ; Richer, Bourse du Travail du Mans ; Laurent, Bourse du Travail de Cherbourg ; Devilar, Courtiers de Paris; Bastion, Textile d'Amiens; Henriot, Allumettiers; L. Morel, de Nice ; Sauvage ; Gauthiee.

Niel. – L'ordre du jour présenté par le bureau confédéral étant, dans son esprit, absolument conforme au mien, je retire celui que j'ai présenté et je me rallie à celui de Griffuelhes. Je demande simplement pour le mien, qu'il soit inséré dans la brochure du Congrès.

Jusserand fait la déclaration suivante au nom du Livre :
Nous voterons la proposition Griffuelhes en faisant toutes nos réserves sur la grève générale, étant donné que le Livre y est momentanément hostile, parce qu'elle condamne l'intrusion de toute politique dans les syndicats et au sein de la C. G. T.

Tonatte. – Après la déclaration de Jusserand, au nom de la Fédération du Livre, disant que les délégués du Livre voteront la proposition Griffuelhes, mais en faisant des réserves, je tiens ; au nom de mon syndicat, celui des correcteurs d'imprimerie, adhérent à la Fédération du Livre, à déclarer que je voterai la proposition Griffuelhes sans faire aucune réserve.

Résultats du vote
Contre................................... 830
Pour .................................... 8
Blanc.................................... 1

 


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