1921

Source : numéro 44-45 du Bulletin communiste (deuxième année), 20 octobre 1921.


Le Congrès de Marseille

Amédée Dunois



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Notre Congrès extraordinaire de la Pentecôte nous a physiquement constitués : je veux dire qu'il nous a donné des statuts, une organisation générale, des cadres. Notre Congrès ordinaire de Noël aura à nous constituer intellectuellement, moralement : il aura à nous donner sinon des principes, que nous possédons déjà, du moins un programme d'action, dont nous manquons encore, comme le reconnaissait naguère Frossard, dans un article retentissant qui fit — on ne sait trop pourquoi — la joie des dissidents.

Le Comité directeur, en sa séance du 27 septembre, a fixé l'ordre du jour de ce Congrès de Marseille où nous devrons nécessairement nous définir. Il a formé les commissions chargées de rédiger les thèses qui seront soumises en son nom aux sections du Parti. Ces thèses paraîtront dans deux ou trois semaines au plus tard, et nos sections, tout aussitôt, seront conviées à procéder à leur étude.

De grandes discussions théoriques vont donc s'instituer dans toutes nos sections locales pour aboutir, en décembre, au Congrès de Marseille, à la suprême controverse, d'où sortira définie, sur toutes les questions débattues, la pensée globale du Parti. De fécondes semaines de travail austère, d'élaboration sérieuse et efficace s'ouvrant ainsi devant nous. Le mal dont nous souffrons, dont souffre le Parti, vient de ce que nos sections et nos fédérations manquent d'activité intellectuelle soutenue, ce qui se manifeste fréquemment par un manque d'activité tout court. Chaque semaine, chaque quinzaine ou chaque mois, on se réunit bien dans la même petite salle enfumée, sur la convocation du « camarade secrétaire » ; mais, réunis, on ne sait pas toujours que dire ni que faire ; et ce sont des heures perdues ; et c'est le découragement qui survient, surtout quand les questions personnelles, avec leur triste cortège de défiances, de suspicions, d'insinuations, voire d'accusations formelles, se mettent de la partie et viennent irrémédiablement gâter ce qui n'était que compromis. C'est pourquoi je me réjouis que l'approche du Congrès national offre au Parti l'occasion de remplacer les débats de personnes qui l'appauvrissent et le débilitent par des débats d'idées dont nous sortirons, j'en ai l'espérance, plus sûrs de notre doctrine et renforcés dans nos désirs d'action.

Ce sont des questions capitales qui figurent à l'ordre du jour du Congrès de Marseille.

Et d'abord la question des syndicats,— des rapports du Parti communiste et des syndicats ouvriers. Voici quelque temps que je la traite — un peu à bâtons rompue, il est vrai — dans ce Bulletin Communiste, qui a la juste ambition de devenir un champ de controverses théoriques et le laboratoire des idées générales du Parti : c'est dire toute l'importance que, personnellement, j'y attache. Elle est absolument au premier plan des préoccupations actuelles du prolétariat français. Elle se pose au Parti avec une sollicitation si forte que s'il ne la résolvait pas à Marseille il reviendrait de là-bas diminué.

Nous voulons être effectivement le parti des masses. Les masses, nous les atteignons d'une double manière : tantôt directement, tantôt par l'intermédiaire des syndicats. Si les syndicats étaient faibles, sans consistance, sans influence, un parti de révolution comme le nôtre pourrait à la rigueur se permettre de les prendre en tutelle, — j'ai failli dire en croupe. Tout change quand les syndicats ont sur la masse inorganisée une autorité dont chaque mouvement de grève apporte la démonstration : et cela, c'est le cas de la France où les organisations professionnelles exercent une influence qui dépasse de loin la force de leurs effectifs.

Qu'on le veuille ou non, nous avons affaire chez nous à des syndicats solidement constitués et, de plus, traditionnellement révolutionnaires. Celui qui professe que les syndicats doivent être organiquement subordonnés au Parti, a peut-être cent fois raison : il n'en risque pas moins de soulever contre lui et contre le Parti la rébellion de ces syndicats, habitués depuis trente ans à l'indépendance et qui s'enorgueillissent de n'en avoir pas fait un si mauvais usage. Au rebours, celui qui prétend que le Parti doit laisser aux syndicats toute licence d'agir et de penser comme ils l'entendent, — fût-ce contre-révolutionnairement, fût-ce contre le communisme, — et qui prétend encore que le rôle du Parti c'est de servir en silence les syndicats — comme l'enfant de chœur sert la messe — sans rien demander en retour ; celui-là, outre qu'il a contre lui toute l'Internationale, autant dire qu'il renonce délibérément à pénétrer d'aucune influence communiste la classe ouvrière organisée, autant dire qu'il abandonne bénévolement aux syndicalistes révolutionnaires et aux anarchistes toute une portion — et justement la portion organisée et consciente — de la classe ouvrière.

Entre ces deux points de vue extrêmes, n'y a-t-il point de place pour tune opinion intermédiaire, qui tienne compte à la fois et de l'expérience française d'un syndicalisme révolutionnaire indépendant de tout parti et des résolutions de l'internationale communiste tendant à rapprocher le plus intimement possible les syndicats et le Parti ?

Cette opinion moyenne existe-t-elle ? Elle existe. Je la défends ici depuis plusieurs mois déjà et compte la préciser encore au cours des semaines à venir. Elle admet que les syndicats se suffisent administrativement à eux-mêmes ; elle nie qu'ils suffisent à tout. Elle repousse leur subordination au Parti ; elle n'a même que faire de la liaison organique. Elle tient syndicats et Parti pour également nécessaires : les rôles sont différents, mais le but est le même, et la Révolution prolétarienne exige le concours à la fois et des syndicats, qui donneront le signal de la grève générale, et du Parti Communiste, qui déclenchera l'insurrection armée. Cette opinion enfin considère que c'est le droit du Parti, son droit et son devoir, de faire pénétrer dans les syndicats les idées marxistes et communistes de lutte de classes, de dictature prolétarienne et de propriété sociale.

Il ne s'agit plus, dans cette opinion, de subordonner les syndicats au Parti communiste, mais de les gagner au communisme. Il s'agit de faire en sorte que le syndicalisme se confonde peu à peu, par le moyen d'une discussion libre et fraternelle, avec le communisme, car il est évident que deux doctrines révolutionnaires différentes et rivales ne peuvent sans péril continuer à se disputer le prolétariat. Evident aussi que l'unité matérielle du front prolétarien a pour condition et pour garantie l'unité intellectuelle, l'unité de pensée, de sentiment, d'idéal.

Il n'y a pour ainsi dire pas de communiste qui ne soit très résolument syndicaliste révolutionnaire : faire un communiste conscient, faire un marxiste de tout syndicaliste révolutionnaire, c'est selon moi le mot d'ordre de notre politique syndicale de demain.

* * *

La question de la tactique électorale ne vient qu'au second plan au Congrès de Marseille. Elle donnera lieu elle aussi à de vives polémiques. Quelle tactique le Parti communiste doit-il pratiquer en cas de second tour de scrutin ? Se retirer purement et simplement, si la victoire est impossible, est chose évidemment tentante. Mais est-il possible de se retirer à tout coup ? L'intérêt du Parti — unique arbitre en la matière — ne commande-t-il pas de reporter les voix communistes sur le nom du candidat socialiste le plus favorisé, quitte à exiger de lui la réciprocité ? Ne commande-t-il pas même de faire battre au second tour l'homme du Bloc National par celui du Bloc des Gauches ? A noter qu'il suffirait d'une réforme électorale abolissant le second tour pour que cette question de tactique perdît — heureusement — tout intérêt à nos yeux.

La question du militarisme et de la défense nationale sera facile à résoudre. La vieille formule : Pas un homme, pas un sou, est plus que jamais de saison ; nous la compléterons par cette autre : Pas de défense nationale en régime capitaliste, — où se ramasse notre expérience de la guerre.

Restent la question des coopératives et la question de la femme. Il y a bien des chances pour que la première ne soit qu'effleurée et pour que nous soyons tous d'accord sur la seconde, encore qu'elle se heurte chez nous à trop de préjugés masculinistes. Mais la 3e Internationale combat les préjugés au même titre que les institutions. « La révolution communiste, ont dit Marx et Engels, sera la rupture radicale avec le régime traditionnel de la propriété. Quoi d'étonnant que, dans sa marche, elle entraîne une rupture radicale avec les idées traditionnelles ? »1

Seulement, communistes, mes frères, n'attendons pas, s'il vous plaît, la révolution communiste pour « rompre radicalement avec les idées traditionnelles ?

Note

1 Marx et Engels, Manifeste du Parti Communiste (1847).


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