1921

Source : numéro 50 et 51 du Bulletin communiste (deuxième année), 10 et 17 novembre 1921.


Aux lecteurs du « Bulletin Communiste »

Amédée Dunois



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A partir de ce numéro, le Bulletin Communiste cesse d'être l'organe du Comité de la IIIe Internationale, lequel a cessé d'exister le 31 octobre. Le Comité n'est plus, tandis que le Bulletin poursuit gaillardement sa carrière. Le Comité n'est plus, parce qu'il avait, depuis Tours, perdu sa raison d'être, qui était d'amener le Parti socialiste à l'Internationale communiste, — non pas, certes, à l'Internationale communiste telle que l'imaginait Jean Longuet au temps qu'il filait le parfait amour bolcheviste, non pas à une Internationale communiste qui n'eût été que la copie dérisoire de la IIe Internationale banqueroutière, mais à l'Internationale communiste telle qu'elle est : une et indivisible, avec commandement unique, doctrine et tactique communes, discipline pour tous.

Le Comité n'est plus, parce qu'il avait atteint son but, mais le Bulletin demeure, parce que son but, à lui, n'est pas atteint. Il ne le sera pas de sitôt ! C'est que son but n'est pas immédiat, mais lointain, n'est pas matériel, mais doctrinal. C'est qu'il ne s'agit pas, pour le Bulletin, d'amener le Parti socialiste à rompre — le fait est aujourd'hui accompli — avec des hommes finis, des formules surannées, une politique désuète ; il s'agit d'amener les masses, par l'intermédiaire du Parti d'abord, des syndicats ensuite, aux idées communistes, telles que Marx et Engels, étayant l'utopie par le fait, confirmant l'intuition par la science, les ont si solidement formulées qu'elles résistent victorieusement, depuis trois quarts de siècle, à tous les assauts des pouvoirs temporels et spirituels du vieux monde ; il s'agit de faire, en un mot, que le communisme ne soit pas seulement un « mouvement vaste » — comme eût dit Jaurès — mais un mouvement profond, qui pénètre les cerveaux et imprègne la conscience des militants et des masses.

Avec ce numéro, le Bulletin Communiste devient l'organe hebdomadaire, le journal-revue de notre Parti, cependant que la Bibliothèque communiste s'en va grossir de ses volumes et de ses brochures le fonds de la Librairie de l'Humanité. Le comité directeur a bien voulu, en l'absence de Boris Souvarine, actuellement à Moscou, me confier la direction de son hebdomadaire. Mes camarades A. Ker et Fernand Loriot m'assisteront dans cette tâche évidemment difficile. Nous aurons à déterminer ensemble, dès cette semaine (faute de l'avoir pu faire plus tôt) les modifications qu'il serait désirable d'introduire dans la confection du Bulletin. Modifications n'affectant, ne pouvant affecter, au surplus, que la présentation extérieure, car, en ce qui concerne le fond, la doctrine, le Bulletin Communiste restera consacré à la propagande et à la défense des idées communistes, à la discussion des problèmes que soulève à tout instant la tactique du prolétariat révolutionnaire, à l'étude des grands faits de la Révolution russe et de la Révolution universelle.

J'ai sous les yeux une collection complète du Bulletin Communiste. Le premier numéro est daté du 1er mars 1920. C'était au lendemain du Congrès de Strasbourg, qui avait soudainement révélé combien, l'adhésion du Parti à la IIIe Internationale était une idée sympathique aux masses socialistes françaises. Nous n'étions séparés alors, nous, les reconstructeurs de gauche, des partisans de la IIIe Internationale que par de faibles divergences dans la fixation du moment le plus favorable à l'adhésion. Ils disaient : Tout de suite ! Nous répondions : Attendons un peu !... Il y avait en nous de vieux restes du fétichisme unitaire, c'est entendu. Mais, franchement ! peut-on nous reprocher d'avoir fait le propos d'amener à Moscou non un tronçon de parti, mais le Parti tout entier, ou du moins presque tout entier ? Ainsi s'explique notre « manœuvre » de Strasbourg, qui consista, on s'en souvient, à effectuer l'adhésion en trois temps, — premier temps : rupture avec l'Internationale banqueroutière et ministérialiste de Bruxelles ; deuxième temps, reconnaissance publique des principes de la IIIe Internationale, et notamment de la dictature du prolétariat ; troisième temps (différé jusqu'au congrès suivant), adhésion du Parti à la IIIe Internationale.

C'est à nous, les reconstructeurs (quel fichu nom nous avions là !) que le Congrès donna raison, — à nous et non pas à Loriot. Mais nous ne fûmes pas sans remarquer (je parle de ceux d'entre nous qui étaient fermement à gauche) que notre majorité de Strasbourg était étrangement composite, puisqu'elle allait de Blum — et même de Renaudel — à Daniel Renoult et à Cachin, — à Cachin qui, depuis pas mal de temps déjà (je précise : depuis Lucerne) penchait vers l'adhésion immédiate à Moscou. De quelle politique résolue pouvait bien être capable une majorité pareille, qui n'avait d'une majorité que le nom ? Et, d'autre part, nous n'étions pas tous sans angoisse à la pensée que notre manœuvre de Strasbourg, tout en ralliant à nous tous ceux qui détestaient le bolchevisme, nous avait brusquement coupés d'avec nos alliés naturels, les partisans de la IIIe Internationale... Ces derniers cependant, indifférents au trouble de nos pauvres consciences, suivaient inflexiblement leur voie droite. Ils nous choquaient parfois un peu, il faut bien l'avouer, par ce qu'il y avait chez un certain nombre d'entre eux, d'insurrectionnel et de néo-hervéïste ; mais nous les admirions quand même parce que, s'ils n'étaient pas toujours très sûrs de leurs moyens, ils avaient du moins un but, invariable, irrésistible et clair : le ralliement au communisme révolutionnaire, l'adhésion sans réserves à l'Internationale de la Révolution russe.

La fortune finit toujours par donner raison à ceux qui savent nettement ce qu'ils veulent — et qui ne le savent nettement, disons-le bien, que parce qu'il ont raison. Dans l'œuvre du Congrès de Tours, Comité de la IIIe Internationale et Bulletin Communiste auront fait à eux seuls les deux tiers de la besogne. Il y a bien eu sans doute l'action personnelle de Cachin et de Frossard, retour de Moscou : et elle ne saurait être cotée trop bas. Mais c'est le Comité et le Bulletin qui nous ont exercés à regarder la scission en face, à la considérer comme inévitable, et qui nous ont déshabitués de ce fantôme indésirable qu'était l'unité à tout prix.

Une ère nouvelle s'ouvre aujourd'hui devant le Bulletin Communiste. Notre Parti a à sa disposition plusieurs grands quotidiens, dont deux à Paris, de nombreux journaux hebdomadaires, alimentés de Paris par l'excellent Bulletin de la Presse de province, sorte de correspondance départementale communiste. Le Bulletin Communiste voudrait s'efforcer d'être pour le Parti ce que fut l'ancienne Social-Démocratie allemande, la Neue Zeit de Kautsky. Il voudrait rappeler aussi le Mouvement socialiste au temps où il participait activement aux luttes prolétariennes. Il contiendra des articles instructifs et documentés sur toutes les questions inscrites à notre ordre du jour. Il reflétera aussi exactement que possible la vie et les préoccupations du Parti, la vie et les préoccupations de l'Internationale. Il recueillera tous les faits, tous les chiffres qui permettront au militant d'alimenter et de féconder sa propagande. Il publiera des documents historiques aujourd'hui quelque peu oubliés, tels que l'Adresse inaugurale de la Ire Internationale déjà exhumée par lui, et des fragments toujours actuels des fondateurs de l'idée socialiste. Il sera le supplément hebdomadaire de l'Humanité et de l'Internationale1, dont il prolongera l'influence et renforcera l'action.

Le Bulletin Communiste sera l'organe attitré des militants, de ceux de plus en plus nombreux parmi nous qu'on pourrait appeler les techniciens du communisme. Une arme de plus est, à dater de ce jour, à la disposition du Parti. L'arme est bonne ; il nous manque peut-être encore de la savoir manier avec adresse et exactitude. Qu'on nous fasse crédit, à Ker, à Loriot et à moi. Qu'on fasse confiance au Parti communiste, dont nous ne sommes ici comme ailleurs que les fondés de pouvoir et les chargés d'affaires. — Individuellement, un homme n'est que peu de chose. Assurés de l'appui du Parti, du concours matériel et moral de tous ses militants, il ne nous est pas défendu d'espérer que nous saurons nous hausser au-dessus de nous-mêmes. Mais qu'on nous aide ! La réussite est à ce prix.

Note

1 L'Internationale, « journal communiste du soir » français, dirigé par Daniel Renoult. Cesse de paraître en 1924.


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