1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

Friedrich Engels

Le débat sur la proposition Jacoby


n° 48, 18 juillet 1848

Cologne, 17 juillet

Nous avons eu une fois encore un « grand débat », pour parler comme M. Camphausen, un débat qui dura deux jours entiers.

On connaît les bases de la discussion. D'une part les réserves du gouvernement à l'égard de la validité immédiate des décisions prises par l'Assemblée nationale, d'autre part la proposition Jacoby, visant à reconnaître à l'Assemblée le pouvoir de prendre des décisions ayant force de loi, sans attendre l'assentiment de quiconque, et visant aussi à désapprouver la décision sur le pouvoir central [1].

Qu'un débat sur ce sujet soit possible, paraîtra inconcevable aux autres peuples. Mais nous sommes au pays des chênes et des tilleuls [2] aussi rien n'est fait pour nous surprendre.

Le peuple envoie une Assemblée à Francfort avec le mandat de se déclarer souveraine pour toute l'Allemagne et pour tous ses gouvernements; elle doit, en vertu de sa souveraineté déléguée par le peuple, doter l'Allemagne d'une Constitution.

L'Assemblée, au lieu de se proclamer immédiatement souveraine vis-à-vis de chaque État et de la Diète fédérale, élude timidement, toute question qui s'y rapporte et persiste dans sa position irrésolue et hésitante.

Finalement, elle aborde une question décisive : la nomination d'un pouvoir central provisoire. Apparemment indépendante, mais en fait dirigée par les gouvernements, grâce à l'entremise de Gagern, elle élit elle-même le vicaire d'Empire que lui ont préalablement désigné ces gouvernements.

La Diète fédérale reconnaît l'élection, et manifeste une certaine prétention à ne lui donner force de loi qu'après l'avoir confirmée.

Malgré cela, des réserves se font jour au Hanovre et même en Prusse; et c'est la réserve faite par la Prusse qui constitue le fond du débat du 11 et du 12.

Cette fois, donc, la Chambre de Berlin n'est pas entièrement fautive si les débats se perdent dans le brouillard.

C'est la faute de l'Assemblée nationale de Francfort, irrésolue, molle, apathique, si ses résolutions sont telles qu'il est difficile de faire à leur sujet des commentaires qui ne soient pas de simples bavardages.

Jacoby introduit brièvement sa proposition avec sa précision habituelle. Il rend la tâche plus difficile aux orateurs de la gauche; il dit tout ce qu'on peut dire sur la proposition, si l'on ne veut pas approfondir la genèse du pouvoir central - bien compromettante pour l'Assemblée nationale.

En fait, après lui les députés de la gauche n'ont plus apporté grand chose de nouveau; en revanche pour la droite les débats prirent une tournure beaucoup plus fâcheuse; elle se perdit, ou bien en bavardages ou bien en subtilités juridiques. Des deux côtés on se répéta interminablement.

Le député Schneider a l'honneur de soumettre le premier à l'Assemblée les arguments de la droite.

Il commence par le grand argument, à savoir que la proposition se contredit elle-même. D'une part elle reconnaît la souveraineté de l'Assemblée nationale, d'autre part elle engage la Chambre ententiste à émettre un blâme contre cette souveraineté, et par là, à se placer au-dessus d'elle. Chacun peut individuellement prononcer le blâme, mais pas l'Assemblée.

Ce bon argument, dont visiblement la droite est très fière car il revient dans tous ses discours, établit une théorie toute nouvelle. D'après elle, l'Assemblée a moins de droit vis-à-vis de l'Assemblée nationale qu'un individu isolé.

À ce premier grand argument succède l'argument républicain. L'Allemagne se compose en majorité de monarchies constitutionnelles; elle doit de ce fait avoir un chef constitutionnel irresponsable, et non un chef républicain responsable. Cet argument, M. Stein y a répondu, le deuxième jour. L'Allemagne, d'après sa constitution centrale, a toujours été une république, et il faut bien le dire une république édifiante.

« Nous avons, dit M. Schneider, reçu mandat de nous entendre avec la monarchie constitutionnelle, et les Francfortois ont reçu également mandat de s'entendre avec les gouvernements allemands sur une Constitution pour l'Allemagne. »

La réaction exprime ses désirs, comme s'ils étaient déjà des réalités. Autrefois, lorsque la Diète confédérale, tremblante, convoqua l'Assemblée nationale allemande, sur l'ordre d'une Assemblée sans aucun mandat légal, que l'on a appelé le Parlement préparatoire, il n'était pas question d'entente, l'Assemblée nationale convoquée passait alors pour souveraine. Maintenant il en va autrement. Les journées de juin à Paris ont regonflé les espoirs non seulement de la grande bourgeoisie, mais aussi des partisans du système renversé. Tout nobliau attend la restauration de son ancien régime du knout; et de la résidence impériale d'Innsbruck jusqu'au manoir seigneurial d'Henri LXXII, commence à s'élever l'appel pour « l'entente sur la Constitution allemande ». Voilà évidemment ce que l'Assemblée de Francfort peut mettre à son actif.

« L'Assemblée nationale a donc agi suivant son mandat en élisant un chef constitutionnel. Mais elle a aussi agi suivant la volonté du peuple; la grande majorité veut la monarchie constitutionnelle. Certes, j'aurais considéré comme un malheur que l'Assemblée nationale en décidât autrement. Non parce que je suis contre la république; en principe je reconnais, et par là je suis tout à fait en accord avec moi-même, la république comme étant la forme de gouvernement la plus parfaite et la plus noble; mais en réalité, il s'en faut de beaucoup que nous en soyons là. Nous ne pouvons pas avoir la forme sans avoir l'esprit. Nous ne pouvons pas vouloir une république, si les républicains nous manquent, c'est-à-dire les nobles caractères qui savent, non seulement dans l'enthousiasme mais en tout temps, avec une calme conscience et une noble abnégation, subordonner leur intérêt à l'intérêt commun. »

Peut-on demander une plus belle preuve des vertus représentées à la Chambre de Berlin que ces paroles nobles et modestes du député Schneider ? Vraiment, si un doute pouvait encore subsister sur l'aptitude des Allemands à la république, il devrait disparaître dans son néant devant ces preuves de l'authentique vertu civique, du noble et très humble dévouement de notre Cincinnatus Schneider ! Puisse Cincinnatus prendre courage et avoir confiance en soi, et en ces innombrables et nobles citoyens de l'Allemagne, qui tiennent aussi la république pour la forme de gouvernement la plus noble, mais se considèrent comme de mauvais républicains : ils sont mûrs pour la république, ils supporteraient la république avec la même héroïque impassibilité que la monarchie absolue. La république des braves gens [3] serait la plus heureuse qui ait jamais existé : une république sans Brutus ni Catilina, sans Marat ni les tempêtes de juin, la république de la vertu rassasiée et de la morale solvable [4].

Comme Cincinnatus-Schneider s'illusionne quand il s'écrie :

« Sous l'absolutisme aucun caractère républicain ne peut se former; l'esprit républicain ne se crée pas en un tournemain; il nous faut d'abord élever nos enfants et les enfants de nos enfants dans cet esprit. Actuellement je considérerais la république comme la plus grande des calamités, car elle serait l'anarchie avec le nom profané de la république, le despotisme sous le masque de la liberté. »

Au contraire les Allemands sont, comme l'a dit M. Vogt (de Giessen) à l'Assemblée nationale, des républicains nés, et Cincinnatus-Schneider pour élever ses enfants en républicains n'a pas de meilleure méthode que l'ancienne discipline allemande, l'ancienne moralité allemande et l'ancienne crainte de Dieu allemande dans lesquelles lui-même a grandi normalement. Au lieu de développer l'anarchie et le despostisme, la république des braves gens serait la première à porter jusqu'à leur plus haute perfection les mêmes cordiales discussions, arrosées à la bière blanche [5], dans lesquelles se distingue si bien Cincinnatus-Schneider. La république des braves gens, loin des atrocités et des crimes qui souillèrent la première République française, n'ayant pas de sang sur les mains et abhorrant le drapeau rouge, pourrait réaliser ce qui n'a pas encore été atteint : la possibilité pour tout honnête citoyen de mener une vie calme et tranquille, en toute piété et toute honorabilité. Qui sait si la république des braves gens n'irait pas jusqu'à nous ramener les corporations avec leur réjouissant cortège de procès contre les malfaçons des mauvais compagnons. Cette république des braves gens n'est pas du domaine éthéré du rêve, elle est réalité, elle existe à Brême, Hambourg, Lubeck et Francfort, et même encore dans quelques parties de la Suisse. Mais dans la tourmente des temps, partout elle est en danger, partout elle est à son déclin. Donc en route, Cincinnatus-Schneider, abandonne charrue, champs de betteraves, bière blanche et entente, enfourche ton cheval et sauve la république menacée, ta république, la république des braves gens !

n° 49, 19 juillet 1848

Cologne, 18 juillet

Après M. Schneider, M. Waldeck monte à la tribune pour parler en faveur de la proposition.

« Vraiment, la situation de l'État prussien est maintenant sans exemple, et au fond, on ne peut pas se dissimuler qu'elle est aussi quelque peu délicate. »

Ce début est également quelque peu délicat. Nous croyons entendre encore le député Schneider.

« La Prusse, nous pouvons le dire, était appelée à exercer l'hégémonie en Allemagne. »

Toujours l'illusion de la vieille Prusse. Toujours le doux rêve de faire s'épanouir l'Allemagne en Prusse, et de promouvoir Berlin au rang d'un Paris allemand ! M. Waldeck voit certes ce doux espoir se dissiper à ses yeux, mais c'est avec chagrin qu'il le suit du regard; il reproche au gouvernement précédent et au gouvernement actuel que la Prusse, par leur faute, ne soit pas à la tête de l'Allemagne.

Malheureusement ils sont finis les beaux jours où l'Union douanière [6] frayait la voie à l'hégémonie prussienne en Allemagne, où le patriotisme provincial pouvait croire que « le peuple de la Marche [7] avait depuis 200 ans décidé des destinées de l'Allemagne », et continuerait à en décider; les beaux jours, où l'Allemagne de la Diète confédérale elle-même, s'écroulant complètement, pouvait voir dans l'usage généralisé de cette camisole de force qu'est la bureaucratie prussienne, un dernier moyen de maintenir la cohésion !

« La Diète confédérale, jugée depuis longtemps par l'opinion publique, disparaît et soudain devant les yeux du monde étonné, se dresse l'Assemblée nationale constituante de Francfort ! »

Le « monde » dut en effet « être étonné » en voyant cette Assemblée nationale constituante. Que l'on compare sur ce point, les feuilles françaises, anglaises et italiennes.

M. Waldeck se prononce encore longuement contre un empereur allemand, et cède la place à M. Reichensperger II.

M. Reichensperger II traite les partisans de la proposition Jacoby de républicains, et souhaite qu'ils manifestent leurs intentions au moins aussi ouvertement que les républicains de Francfort. Puis il assure, lui aussi, que l'Allemagne ne possède pas encore sa « pleine mesure de vertu civique et politique, qu'un grand maître ès sciences politiques définit comme la condition essentielle de la république ». L'Allemagne doit être en bien mauvaise posture si le patriote Reichensperger parle ainsi !

Le gouvernement, poursuit-il, n'a fait aucunes réserves s'est contenté d'émettre de simples vœux. Il y avait pourtant lieu d'en faire; j'espère, moi aussi, que les gouvernements ne seront pas toujours tenus à l'écart quand l'Assemblée nationale prendra des décisions. Établir la compétence de l'Assemblée nationale de Francfort est hors de notre compétence; l'Assemblée nationale elle-même, s'est déjà expressément opposée à ce que l'on échafaude des théories sur sa compétence; pratiquement elle a agit là où la nécessité commandait d'agir.

C'est-à-dire que l'Assemblée de Francfort, à l'époque de l'agitation révolutionnaire où elle était toute puissante, n'a pas mis fin par un coup décisif à la lutte inévitable contre les gouvernements allemands; elle a préféré reculer la décision, à chacun de ses décrets se heurter en petites escarmouches, à tel ou tel gouvernement; ces escarmouches l'ont d'autant plus affaiblie qu'elle s'éloigne de la période révolutionnaire, et que par son attitude apathique elle se compromet aux yeux du peuple. Et dans une certaine mesure M. Reichensperger a raison : inutile pour nous de venir au secours d'une Assemblée, qui ne se défend pas elle-même !

Mais c'est avec émotion qu'on entend M. Reichensperger dire « Disserter sur ces questions de compétence ce n'est donc pas de la grande politique; il importe seulement de résoudre chaque fois les questions pratiques qui se présentent. »

Bien sûr, « ce n'est pas de la grande politique », d'écarter ces « questions pratiques », une fois pour toutes, par une décision énergique. « Ce n'est pas de la grande politique » de faire valoir, face aux tentatives de la réaction pour arrêter le mouvement, le mandat révolutionnaire que possède toute l'Assemblée issue des barricades; sans doute Cromwell, Mirabeau, Danton, Napoléon, toute la révolution anglaise et française étaient-ils fort loin de faire de la grande politique, mais Bassermann, Biedermann, Eisenmann, Wiedenmann, Dahlmann agissent « en grands politiques ». En tout état de cause les « grands politiques » cessent d'exister quand la révolution fait son entrée, et la révolution doit s'être endormie pour l'instant, si les « grands politiques » réapparaissent ! Et qui plus est, des politiques de la force de M. Reichensperger II, député de l'arrondissement de Kempen !

« Si vous vous écartez de ce système, il sera difficile d'éviter des conflits avec l'Assemblée nationale allemande, ou avec les gouvernements des différents États; dans tous les cas vous sèmerez une discorde regrettable; à la suite de la discorde, l'anarchie fera son apparition et alors personne ne nous protègera de la guerre civile. Mais la guerre civile est le début d'un malheur plus grand encore.... je ne crois pas impossible qu'on dise alors de nous : l'ordre est rétabli en Allemagne - par nos amis de l'Est et de l'Ouest ! »

M. Reichensperger a peut-être raison. Si l'Assemblée s'engage dans des discussions sur des questions de compétence il se peut que des heurts se produisent qui nous amènent la guerre civile, les Français et les Russes. Mais si elle ne le fait pas, comme en réalité elle ne l'a pas fait, alors nous sommes doublement sûrs d'avoir la guerre civile. Les conflits, relativement simples au début de la révolution, se compliquent chaque jour un peu plus, et plus la décision sera reculée, plus la solution sera difficile et plus elle sera sanglante.

Un pays comme l'Allemagne, contraint de faire un effort pour sortir du morcellement le plus indescriptible, et parvenir à l'unité; un pays qui a besoin sous peine de périr, d'une centralisation révolutionnaire d'autant plus stricte qu'il était jusque là plus disloqué; un pays qui abrite dans son sein une vingtaine de Vendées, pris en tenaille par les deux États continentaux les plus puissants et les plus centralisés, entouré d'innombrables petits voisins avec lesquels il est dans une situation tendue, quand ce n'est pas en guerre - un tel pays, à l'époque actuelle de la révolution générale, ne peut échapper ni à la guerre civile, ni à la guerre étrangère. Et ces guerres qui sans aucun doute sont imminentes, seront d'autant plus dangereuses, d'autant plus dévastatrices que l'attitude du peuple et de ses dirigeants sera plus irrésolue, que la décision sera reculée plus longtemps. Si les « grands politiques » de M. Reichensperger restent au gouvernail, nous pourrons vivre une deuxième guerre de Trente ans. Mais heureusement, la force des événements, le peuple allemand, l'empereur de Russie et le peuple français ont encore leur mot à dire.

n° 53, 23 juillet 1848

Cologne, 22 juillet

Enfin les événements, les projets de loi, les projets d'armistice, etc. nous permettent de revenir à nos chers débats ententistes. Nous trouvons le député de Jülich, M. von Berg à la tribune, un homme qui nous intéresse à double titre : premièrement parce qu'il est rhénan, deuxièmement parce que c'est un ministrable de très fraîche date.

M. Berg est, pour plusieurs raisons, contre la proposition Jacoby. La première est la suivante :

« La première partie de la proposition qui exige de nous le désaveu d'un décret du Parlement allemand n'est rien d'autre qu'une protestation, au nom d'une minorité, contre une majorité légale. Ce n'est rien d'autre que la tentative d'un parti minoritaire, à l'intérieur d'un corps législatif, pour se renforcer de l'extérieur, tentative qui, par ses conséquences, doit conduire à la guerre civile ! »

De 1840 à 1845, M. Cobden, lorsqu'il proposa la suppression des lois sur le blé, se trouvait être dans la minorité de la Chambre basse. Il appartenait à « un parti qui à l'intérieur d'un corps législatif était minoritaire ». Que fit-il ? Il chercha à « se renforcer de l'extérieur ». Il ne se contenta pas de désavouer les décrets du Parlement; il alla beaucoup plus loin; contre les lois sur le blé il fonda et organisa une Ligue, une presse, bref, toute une énorme agitation. Suivant l'opinion de M. Berg, c'était là une tentative qui « devait conduire à la guerre civile ».

La minorité de feu la Diète unifiée chercha également « à se renforcer de l'extérieur ». Sous ce rapport, M. Camphausen, M. Hansemann, M. Milde, n'eurent aucun scrupule. Et les preuves sont de notoriété publique. Il est clair, suivant M. Berg, que les conséquences du comportement de cette minorité « devaient conduire à la guerre civile ». Or elles ne conduisirent pas à la guerre civile, mais au ministère.

Et nous pouvons citer encore cent autres exemples.

Donc la minorité d'un corps législatif doit, sous peine de conduire à la guerre civile, ne pas chercher à se renforcer de l'extérieur. Mais qu'est-ce donc que « l'extérieur » ? Les électeurs, c'est-à-dire les gens qui font les corps législatifs. Et si on ne doit plus se « renforcer » en agissant sur ces électeurs, comment doit-on se renforcer ?

Les discours de MM. Hansemann, Reichensperger, von Berg, etc. sont-ils prononcés seulement pour l'Assemblée, ou le sont-ils aussi pour le public à qui ils sont communiqués par des comptes-rendus sténographiques ? Ces discours ne sont-ils pas, eux aussi, des moyens grâce auxquels ce « parti à l'intérieur d'un corps législatif, cherche à se renforcer de l'extérieur », ou du moins l'espère ?

En un mot : le principe de M. Berg conduirait à la suppression de toute agitation politique. L'agitation n'est rien d'autre que l'application de l'immunité des représentants, de la liberté de la presse, du droit d'association - c'est-à-dire des libertés existant de plein droit en Prusse. La question de savoir si ces libertés conduisent à la guerre civile ou non, ne nous regarde absolument pas; elles existent, cela suffit, et nous verrons où cela « conduira », si l'on continue à y toucher.

« Messieurs, ces tentatives de la minorité pour acquérir force et autorité en dehors du pouvoir législatif, ne sont ni d'aujourd'hui, ni d'hier, elles datent du premier jour du soulèvement allemand. Au Parlement préparatoire la minorité se retira en protestant, ce qui eut pour conséquence une guerre civile ».

Premièrement, il n'est nullement question ici, au sujet de la proposition Jacoby, que « la minorité se retire en signe de protestation ».

Deuxièmement, « les tentatives de la minorité pour acquérir de l'autorité en dehors du pouvoir législatif » ne sont bien entendu « ni d'aujourd'hui, ni d'hier », car elles datent du jour où il y eut des pouvoirs législatifs et des minorités.

Troisièmement, ce n'est pas la minorité du Parlement préparatoire qui conduisit à la guerre civile, lorsqu'elle se retira en signe de protestation, mais c'est la « conviction morale » de M. Mittermayer, que Hecker, Fickler et consorts étaient des traîtres au pays, et ce sont les mesures que prit en conséquence le gouvernement badois et qui étaient dictées par une peur panique [8].

À l'argument de la guerre civile, bien fait, naturellement, pour inspirer au bourgeois allemand une peur intense, succède l'argument de l'insuffisance du mandat. « Nous sommes élus par nos électeurs afin d'établir une Constitution pour la Prusse; les mêmes électeurs ont envoyé certains autres de leurs concitoyens à Francfort afin d'y établir le pouvoir central. On ne peut nier qu'il appartient assurément à l'électeur qui donne le mandat, d'approuver ou de désapprouver ce que fait son mandataire; mais les électeurs ne nous ont pas chargés d'être en cela leur porte-parole. »

Cet argument pertinent a provoqué une grande admiration chez les juristes de l'Assemblée et chez les députés qui se piquent de droit. Nous n'avons pas de mandat ! Et pourtant le même M. Berg prétend deux minutes plus tard, que l'Assemblée de Francfort a « été convoquée pour édifier la future Constitution de l'Allemagne », en accord avec les gouvernements allemands, et dans ce cas il espère que le gouvernement prussien n'accordera pas sa ratification sans consulter l'Assemblée ententiste ou la Chambre élue selon la nouvelle Constitution ? Et pourtant, le ministère a aussitôt informé l'Assemblée de la reconnaissance du vicaire d'Empire, et des réserves que cette reconnaissance suscitait, invitant ainsi l'Assemblée à se prononcer !

C'est justement le point de vue de M. Berg, son propre discours et la communication de M. Auerswald, qui impliquent que l'Assemblée a bien pour mandat de s'occuper des décrets de Francfort !

Nous n'avons pas de mandat ! Donc, si l'Assemblée de Francfort rétablit la censure, si, lors d'un conflit entre la Chambre et la Couronne, elle envoie des troupes bavaroises et autrichiennes en Prusse pour soutenir la Couronne, alors M. Berg n'a « pas de mandat » !

Quel mandat a M. Berg ? Il a, à la lettre, uniquement pour mandat « de s'entendre avec la Couronne sur une Constitution ». Il n'a donc nullement pour mandat d'interpeller, d'arriver à une entente sur des lois concernant l'immunité, la garde nationale, le rachat et autres lois ne figurant pas dans la Constitution. C'est aussi ce que la réaction prétend quotidiennement. Il le dit lui-même : « Outrepasser ce mandat si peu que ce soit, c'est commettre une iniquité, c'est renoncer à l'exercer, ou même le trahir ! »

Pourtant à chaque instant M. Berg, et toute l'Assemblée, contraints par la nécessité, renoncent à exercer leur mandat. L'assemblée ne peut faire autrement, étant donné la situation provisoire révolutionnaire, ou plutôt actuellement réactionnaire. Mais par suite de cette situation provisoire, tout ce qui sert à garantir les conquêtes de la révolution de mars est de la compétence de l'Assemblée, et si cela peut être obtenu en exerçant une influence morale sur l'Assemblée de Francfort, alors la Chambre ententiste y est non seulement habilitée, elle en a même l'obligation.

Vient ensuite l'argument des Prussiens de Rhénanie qui, pour nous, Rhénans, est d'une importance particulière, parce qu'il montre comment nous sommes représentés à Berlin.

« Nous, Rhénans, tout comme la Westphalie et d'autres provinces, nous n'avons avec la Prusse absolument aucun lien sinon celui de nous être joints à la Couronne de Prusse. Si nous dénouons ce lien, l'État s'effondre. Je ne vois pas du tout, pas plus, je crois, que la plupart des députés de ma province, ce que nous ferions d'une République de Berlin. Nous pourrions alors, lui préférer une République de Cologne. »

Nous ne nous laisserons entraîner ni dans des discussions verbeuses sur ce que nous « pourrions préférer », si la Prusse se transformait en une « République de Berlin », ni à discuter la nouvelle théorie sur les conditions d'existence de l'État prussien, etc... Nous protestons seulement, nous Rhénans, contre l'affirmation selon laquelle « nous nous sommes joints à la Couronne de Prusse ». Au contraire, c'est la « Couronne de Prusse » qui s'est jointe à nous.

L'orateur qui prend ensuite la parole contre la proposition est M. Simons d'Eberfeld. Il répète tout ce qu'a dit M. Berg.

Un orateur de la gauche lui succède, puis M. Zachariä. Il répète tout ce qu'a dit M. Simons.

Le député Duncker répète tout ce qu'a dit M. Zachariä. Mais ajoute quelques autres choses, ou bien il reprend tout ce qui a déjà été dit en employant des formules si frappantes qu'il est bon de nous arrêter un peu sur son discours.

« Si nous, Assemblée constituante pour 16 millions d'Allemands, nous adressons un tel blâme à l'Assemblée constituante de tous les Allemands, renforcerons-nous dans la conscience du peuple l'autorité du pouvoir central allemand, l'autorité du Parlement allemand ? N'allons-nous pas miner ainsi la joyeuse obéissance que les différents groupes ethniques doivent consentir à cette autorité, si son rôle est d'œuvrer à l'unité de l'Allemagne ? »

D'après M. Duncker l'autorité du pouvoir central et de l'Assemblée nationale, la « joyeuse obéissance » signifient pour le peuple : soumission aveugle à cette autorité, mais pour les différents gouvernements : faire des réserves et, à l'occasion, refuser l'obéissance.

« À quoi bon à notre époque où le pouvoir des faits est immense, à quoi bon des déclarations théoriques ? »

La reconnaissance de la souveraineté de l'Assemblée de Francfort par les représentants « de 16 millions d'Allemands » est donc une simple « déclaration théorique » !?

« Si à l'avenir, le gouvernement et la représentation populaire de la Prusse estimaient impossible, inapplicable un décret pris à Francfort, existerait-il alors la possibilité d'appliquer un tel décret ? »

La simple opinion, le simple « nous estimons que » du gouvernement et de la représentation populaire de Prusse seraient donc en mesure de rendre impossibles des décrets de l'Assemblée nationale.

« Si tout le peuple prussien, si deux cinquièmes de l'Allemagne ne voulaient pas se soumettre aux décrets de Francfort, ceux-ci seraient inapplicables, quoi que nous puissions dire aujourd'hui. »

Voilà bien tout le vieil orgueil prussien, le nationalisme de Berlin, nimbé de toute son ancienne auréole, avec la perruque et la canne du vieux Fritz. Nous sommes certes la minorité, nous ne sommes que deux cinquièmes (même pas) mais nous montrerons bien à la majorité que nous sommes les maîtres en Allemagne, que nous sommes les Prussiens !

Nous ne conseillons pas à ces Messieurs de la droite de provoquer un conflit de ce genre entre les « Deux cinquièmes » et les « Trois cinquièmes ». Le rapport numérique serait alors bien différent, et plus d'une province pourrait se rappeler que si elle est allemande depuis des temps immémoriaux, elle n'est prussienne que depuis trente ans.

Mais M. Duncker a une échappatoire. Les Francfortois tout comme nous doivent « prendre des décrets tels qu'ils expriment la volonté raisonnable de tout le pays, une véritable opinion publique, et qu'ils puissent affronter le jugement de la conscience morale de la nation », c'est-à-dire des décrets selon le cœur du député Duncker. « Si nous, si ceux de Francfort, prennent de tels décrets, alors nous sommes, alors ils sont souverains, sinon, nous ne le sommes pas, quand bien même nous le décréterions dix fois. »

Après avoir donné cette définition profonde de la souveraineté, reflet de sa conscience morale, M. Duncker pousse un soupir : « En tout cas cela appartient à l'avenir » - et c'est ainsi qu'il conclut son discours.

Le manque de place et de temps exclut toute étude détaillée des discours de la gauche prononcés le même jour. Cependant, par les discours de la droite que nous avons rapportés, nos lecteurs ont déjà vu que M. Parrisius n'avait pas tout à fait tort de proposer l'ajournement en donnant comme motif : « la chaleur est devenue si forte dans la salle, que l'on ne peut pas avoir les idées tout à fait claires ».

n° 55, 25 juillet 1848

Cologne, 24 juillet

Il y a quelques jours, nous avons été contraints par la poussée des événements internationaux d'interrompre le compte-rendu de ce débat; un publiciste voisin [9] eut alors la complaisance de s'en charger à notre place [2]. Il a attiré l'attention du public sur « l'abondance d'idées pertinentes et de vues limpides » sur « la bonne et saine notion de la vraie liberté », que « les orateurs de la majorité et notamment notre incomparable Baumstark ont exprimées au cours de ce grand débat de deux jours ».

Malgré notre hâte de mener le débat à son terme nous ne pouvous nous empêcher d'extraire quelques exemples de cette « abondance » d'idées pertinentes et de vues limpides de la droite.

Le député Abbegg inaugure le deuxième jour de débats par une menace à l'Assemblée : Si l'on veut voir clair dans cette proposition, il faut recommencer complètement tous les débats de Francfort - et la haute Assemblée n'y est manifestement pas habilitée ! Messieurs ses commettants, « étant donné le tact et le sens pratique qu'ils possèdent », ne pourront jamais y consentir ! D'ailleurs, qu'adviendrait-il de l'unité allemande (voici une idée tout particulièrement « pertinente »), si l'on ne se « bornait pas à des réserves et si l'on allait jusqu'à une approbation ou une désapprobation résolues des décrets de Francfort » ! Alors il ne resterait somme toute rien d'autre à faire que s'y « conformer de façon purement formelle » !

Naturellement, on peut bien refuser de « s'y conformer de façon purement formelle » soit par des « réserves », soit même directement en cas de nécessité - cela ne causera pas grand préjudice à l'unité allemande; mais approuver ou désapprouver ces décrets, porter un jugement d'un point de vue stylistique, logique ou utilitaire : c'est la fin de tout !

Pour conclure, M. Abbegg remarque que c'est l'Assemblée de Francfort et non celle de Berlin, qui doit se prononcer sur les réserves présentées à l'Assemblée de Berlin et non à celle de Francfort. Il ne faut pas empiéter sur les attributions des Francfortois; ils en seraient, certes, offensés !

Ces Messieurs de Berlin sont incompétents quand il s'agit de juger les déclarations de leurs propres ministres.

Et maintenant passons sur les « dieux des petites gens », les Baltzer, Kämpff, Gräff, hâtons-nous d'entendre le héros du jour, l'incomparable Baumstark.

Le député Baumstark déclare qu'il ne se déclarera jamais incompétent, du moment qu'on ne l'oblige pas à reconnaître qu'il ne comprend rien à la question - et après un débat de huit semaines pourrait-on ne rien comprendre à la question ?

Le député Baumstark, est donc compétent. Et voici comment : « Étant donné la sagesse dont nous avons fait preuve jusqu'à présent, je demande si nous ne sommes pas parfaitement habilités (c'est-à-dire compétents), pour faire face à une Assemblée, qui a attiré sur elle l'intérêt général de l'Allemagne, l'admiration de toute l'Europe, par l'excellence de ses opinions, par l'élévation de son intelligence, par la moralité de sa conception politique, je dis : par tout ce qui dans l'histoire a rendu grand le nom de l'Allemagne et l'a glorifié. Je m'y soumets (c'est-à-dire je me déclare incompétent) et je souhaite que l'Assemblée, sensible à la vérité (!) veuille également se soumettre (c'est-à-dire se déclarer incompétente) ! »

« Messieurs », continue le député « compétent » Baumstark, « on a déclaré à la séance d'hier que la république, etc., à ce qui se dit, serait de nature non philosophique. Mais dire que la responsabilité d'un chef d'État est une caractéristique de la république au sens démocratique, c'est là forcément une affirmation philosophique. Messieurs, il est établi que tous les philosophes théoriciens de l'État, à commencer par Platon pour descendre jusqu'à Dahlmann, (le député Baumstark ne pouvait certes pas descendre plus « bas »), ont exprimé cette opinion, et nous n'avons pas le droit de contredire cette vérité (!) plus que millénaire et ce fait historique sans des raisons toutes particulières qui restent encore à donner. »

Ainsi M. Baumstark pense qu'il est possible d'avoir parfois des « raisons toutes particulières » de contredire même « des faits historiques ». À cet égard ces Messieurs de la droite n'ont pas l'habitude de se gêner.

M. Baumstark se déclare une fois de plus incompétent : il se décharge de la compétence sur les épaules de « tous les philosophes théoriciens de l'État, en commençant par Platon, pour descendre jusqu'à Dahlmann », ces philosophes théoriciens de l'État dont naturellement M. Baumstark ne fait pas partie.

« Que l'on imagine ce système politique ! Une Chambre unique et un vicaire d'empire responsable, et sur la base de l'actuelle loi électorale ! Avec un peu de réflexion, on trouverait cela en contradiction avec la saine raison. »

Alors M. Baumstark énonce la sentence suivante puisée aux sources profondes et qui, même avec la réflexion la plus intense, ne sera pas en contradiction avec « la saine raison » :

« Messieurs ! Il faut à la république deux éléments : l'opinion populaire et les personnalités dirigeantes. Si nous examinons de plus près notre opinion populaire allemande, nous y trouverons peu de cette république (à savoir celle ci-dessus mentionnée, avec un vicaire d'empire) ! »

M. Baumstark se déclare donc une fois de plus, incompétent et cette fois c'est l'opinion populaire qui est compétente à sa place quand il s'agit de la république. L'opinion populaire en « comprend » donc plus sur ce chapitre que le député Baumstark.

Mais finalement l'orateur démontre qu'il y a aussi des questions auxquelles il « comprend » quelque chose, et au nombre de ces questions il y a, avant tout, la souveraineté populaire :

« Messieurs ! L'histoire, il me faut y revenir, apporte la preuve que de tout temps nous avons connu la souveraineté populaire, mais elle s'est présentée différemment sous des formes différentes. »

Et maintenant suit une série « d'idées les plus pertinentes et de vues les plus limpides » sur l'histoire de la Prusse et du Brandebourg, et sur la souveraineté populaire, qui fait oublier aux publicistes voisins tous les maux terrestres dans un débordement de délices constitutionnelles et de félicité doctrinale.

« Lorsque dans la structure sociale par ordres le grand Prince électeur ne prit pas en considération les éléments caducs, infectés par le poison de la dépravation française, (le droit de cuissage a été, c'est vrai, peu à peu enterré par la civilisation « française dépravée », mieux (!), lorsqu'il les écrasa, (« écraser » est certes la meilleure manière de ne pas prendre en considération), le peuple partout lui fit ovation avec son sens profond de la moralité et le sentiment que l'État allemand et surtout prussien était renforcé. »

Que l'on admire le « sens profond de la moralité » des petits bourgeois du Brandebourg au XVII° siècle qui, profondément pénétrés du sens de leurs profits, firent ovation au Prince électeur quand il attaqua leurs ennemis, les seigneurs féodaux, et vendit à ces petits bourgeois des concessions, - mais que l'on admire encore plus la « saine raison », et la « vue limpide » de M. Baumstark qui perçoit dans cette ovation la « souveraineté populaire » !

« À cette époque, il n'y avait personne qui ne fût pour la monarchie absolue (autrement il aurait reçu des coups de trique), et le Grand Frédéric n'aurait jamais pris une telle importance s'il n'avait été porté par la vraie souveraineté populaire. »

La souveraineté populaire des coups de trique, du servage et des corvées, - voilà pour M. Baumstark la vraie souveraineté populaire. Aveu naïf !

M. Baumstark passe de la vraie souveraineté populaire aux fausses souverainetés populaires.

« Mais vint une autre époque, celle de la monarchie constitutionnelle ». Ce qui est démontré par une longue « litanie constitutionnelle », dont la courte pensée est qu'en Prusse, de 1811 à 1847, le peuple a toujours réclamé la constitution, jamais la république (!), à quoi se rattache spontanément la remarque que « le peuple s'est détourné avec indignation » de la dernière levée de boucliers républicaine en Allemagne du Sud.

Il s'ensuit alors tout naturellement, que la deuxième sorte de souveraineté populaire (certes, ce n'est plus la « vraie »), est la souveraineté populaire « proprement constitutionnelle ». « C'est celle qui partage l'autorité publique entre le roi et le peuple, c'est une souveraineté populaire partagée (puissent les « philosophes théoriciens de l'État, à commencer par Platon pour descendre jusqu'à Dahlmann » nous dire ce que cela signifie), qui doit devenir pour le peuple, intégrale et absolue (!!), mais sans que le roi perde de son pouvoir légal (par quelles lois celui-ci est-il déterminé en Prusse depuis le 19 mars ?), - voilà qui est clair notamment dans la tête du député Baumstark); cette notion est établie par l'histoire du système constitutionnel et personne ne peut plus avoir de doutes sur ce point. » (Les « doutes » reviennent malheureusement à la lecture du discours du député Baumstark).

Enfin, « il y a une troisième souveraineté populaire, la souveraineté populaire démocratique et républicaine, qui doit reposer sur ce qu'on appelle les bases les plus larges. Voilà bien une expression malheureuse, cette base la plus large ! »

Contre cette base la plus large, M. Baumstark « élève un mot de protestation ». Cette base conduit à la décadence des États, à la barbarie! Nous n'avons pas de Catons qui puissent donner à la république un substrat moral. Et maintenant, à la manière de Montesquieu, M. Baumstark se met à souffler si puissamment dans le vieux cor depuis longtemps faussé et bosselé de la vertu républicaine, que le publiciste voisin transporté d'admiration, y mêle sa voix et, à l'étonnement de toute l'Europe, il apporte la preuve éclatante que « la vertu républicaine... conduit justement au constitutionnalisme ! » Mais au même moment, M. Baumstark adopte un autre ton, et l'absence de vertu républicaine, le conduit également au constitutionnalisme. Que le lecteur imagine le brillant effet de ce duo où, après une série de dissonances déchirantes, les deux voix s'unissent finalement dans l'accord conciliateur du constitutionnalisme.

Après de longues explications, M. Bausmtark en vient donc, à la conclusion que les ministres n'auraient fait en réalité « aucune réserve réelle », mais seulement « une légère réserve quant à l'avenir »; il en arrive finalement lui-même à la base la plus large, car il ne voit le salut de l'Allemagne que dans un État ayant une constitution démocratique; il se trouve ainsi tellement « écrasé par cette pensée de l'avenir de l'Allemagne », qu'il soulage son cœur en criant : « Vivat, triple vivat pour la royauté allemande héréditaire populaire et constitutionnelle ! »

En effet, il avait bien raison de dire : Cette malheureuse base la plus large !

Plusieurs orateurs des deux bords parlent encore, mais après le député Baumstark, nous n'osons plus les présenter à nos lecteurs. Nous mentionnerons encore un seul point : le député Wachsmuth déclare qu'en tête de sa profession de foi, se trouve la phrase du noble Stein : La volonté des hommes libres est l'inébranlable pilier des trônes.

« Voilà, s'écrie le publiciste voisin, pâmé de ravissement, voilà qui va au cœur de la question ! Nulle part la volonté d'hommes libres ne prospère mieux qu'à l'ombre du trône inébranlable, nulle part le trône n'a de bases aussi inébranlables que l'amour intelligent d'hommes libres ! »

En fait, il s'en faut de beaucoup que « l'abondance d'idées pertinentes et de vues limpides », que la « saine notion de la vraie liberté », développées par la majorité au cours de ce débat, n'atteignent à la densité de pensées substantielles du publiciste voisin.


Notes

[1] Le 28 juin 1848, l'Assemblée nationale de Francfort décida la création d'un pouvoir central qui devait comprendre le Vicaire d'Empire (l'archiduc Jean d'Autriche avait été élu à cette charge) et le ministère d'Empire. Le pouvoir central ne disposait ni d'un budget, ni d'une armée qui lui soient propres; il n'avait donc aucun pouvoir réel. Il soutenait la politique contre-révolutionnaire des princes allemands.

[2] Expression tirée du poème d'actualité de Heine : « Zur Beruhigung ».

[3] Le terme allemand signifie aussi petit-bourgeois et Marx joue évidemment sur les deux sens du mot.

[4] Expression tirée de la romance de Heine : « Anna 1829 ».

[5] La bière blanche est une bière sucrée, qu'on boit presque exclusivement à Berlin.

[6] Il s'agit du Zollverein, union économique de divers États allemands, sous la direction de la Prusse, à l'exclusion de l'Autriche et de quelques États du sud de l'Allemagne. Le Zollverein se proposait de supprimer les douanes intérieures. Constitué peu à peu depuis 1818 il fut définitivement formé le I° juin 1834 et comprenait 18 États allemands et plus de 23 millions de gens.

[7] Les Marches : Le Brandebourg, berceau de la Prusse, était entouré de quatre Marches : Mittelmark, Uckermark, Prignitz et Neumark.

[8] Le 2 avril 1848, la minorité républicaine, conduite par Hecker et Struve, quitta le Parlement préparatoire pour protester contre la politique de la majorité libérale. Effrayé par les proportions prises par le mouvement républicain, le gouvernement du Bade décida d'augmenter le contingent, demanda une aide militaire aux États allemands voisins et arrêta le républicain Fickler sur la dénonciation de Mathy, libéral. Ces mesures prises par le gouvernement du Bade déclenchèrent une insurrection républicaine le 12 avril, sous la direction de Hecker et Struve. L'insurrection, mal préparée et mal organisée, fut écrasée à la fin d'avril.

[9] C'est la rédaction de la Kölnische Zeitung qui est visée ici.

[10] Cf. numéro 203 du 21 juillet 1848 de la Kölnische Zeitung.


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