1939

Première partie de La Bureaucratisation du Monde, 1939.

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Le collectivisme bureaucratique

Bruno Rizzi

 


9

Le règne de la petite bourgeoisie

C'est ainsi que nous le définissons, car ce phénomène est général et non seulement russe. En U.R.S.S. ce phénomène est surtout bureaucratique, parce qu'il est né de la bureaucratie; mais dans les pays totalitaires il se nourrit naturellement parmi les techniciens, les spécialistes, les fonctionnaires syndicaux du parti de toutes espèces et couleurs. Sa matière première est tirée de la grande armée de la bureaucratie étatique et para-étatique, des administrateurs des sociétés anonymes, de l'Armée, de ceux qui exercent une profession libre et de l'aristocratie ouvrière même.

Les soi-disant partis subversifs, en faisant preuve de l'art politique le plus imbécile, ont repoussé la classe moyenne dans les bras du capitalisme. L'heure est arrivée pour que cette classe puisse donner libre essor à sa rancune envers les anciens maîtres, et envers ceux qui n'ont pas su fermer les yeux sur ses faiblesses inévitables et organiques. Au lieu de se la concilier et d'exploiter ses talents, tout en laissant quelque satisfaction à sa mentalité petite-bourgeoise, le prolétariat la voit dressée contre lui en classe dirigeante. Tout le monde politique, moral et spectaculaire reflète la mentalité de cette classe moyenne.

La nationalisation est limitée aux grandes entreprises et, en Russie, elle y arrive dans un sens contraire. La propriété des moyens de consommation devient sacrée et en Russie, on l'a rétablie. On ne procède pas à l'accumulation des capitaux, mais bien à la conquête de la vie heureuse, cela, bien entendu, à l'échelle bureaucratique. On nivelle en haut, mais on différencie à mi-chemin, et afin de stabiliser la situation, l'Etat est envahi, et sa possession est tenue d'une main ferme. Son culte commence à paraître, on le rend, cet Etat, tout-présent, tout-voyant et tout-puissant. L'économie se hiérarchise d'une impulsion procédant de haut en bas, ainsi qu'il arrive à toutes les échelles bureaucratiques.

Politiquement, les partis sont réduits à un seul qui n'est même pas un parti, mais un organe de l'Etat. La petite bourgeoisie, en opposition à la démocratie capitaliste et socialiste, est intransigeante et absolue car elle n'a pas un programme bien défini. Les concepts nationalistes d'héroïsme, de dévouement au chef, etc., ont été exaspérés ou bien ont été remis en vogue en Russie aussi.

La morale de la famille petite-bourgeoise revient avec son idole, son Dieu ; ainsi que revient l'autorité du père et de l'homme sur la femme, la pratique de l'avortement à l'intention de celui qui peut le payer, etc. Le bureaucrate russe se sent son chef et maître, son mépris intime pour le travailleur en est la conséquence logique. « Tu es né pour travailler », voilà ce qu'il se dit.

Le phénomène ne nous étonne pas trop. Qu'est-ce que la grande majorité de tous les mandarins syndicaux et du parti, si ce n'est des petits-bourgeois qui, dans leur boutique, flattaient le client prolétaire dont le dossier était mis à dormir sous l'encrier ? Aussi bien, lorsque leurs collègues, à ces mandarins, arrivèrent au pouvoir, ils se sont tout de suite mis à leur disposition, heureux d'avoir trouvé une caisse solide ne subissant pas les fluctuations du marché capitaliste ; une caisse bien pourvue et ouverte à la seule condition d'une précise obéissance bureaucratique. Ce ne fut pas difficile de s'entendre, mais peut-on savoir où était et où est le prolétariat ? Son malheur, il le mérite un tantinet, puisque dans l'histoire, une classe, voulant devenir dominante, ne doit pas se montrer faible au point de se faire subjuguer par sa propre bureaucratie, même dans la période prérévolutionnaire.

Au lieu d'un Etat qui se dissout en une administration économique procédant d'en bas, on a un Etat qu'on a gonflé en bureaucratisant l'économie, laquelle a une direction qui va de haut en bas.

La Maison des Soviets, haute de 360 mètres demeurera un emblème de cette période et la « Bastille » du monde bureaucratique.


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