1979

« En fait, les idées de base du marxisme sont extrêmement simples. Elles permettent de comprendre, comme aucune autre théorie, la société dans laquelle nous vivons. Elles expliquent les crises économiques, pourquoi il y a tant de pauvreté au milieu de l’abondance, les coups d’États et les dictatures militaires, pourquoi les merveilleuses innovations technologiques envoient des millions de personnes au chômage, pourquoi les « démocraties » soutiennent les tortionnaires. »

Chris Harman

Qu'est-ce que le marxisme ?

12 - Marxisme et féminisme

1979

Il y a deux approches différentes pour aborder la question de la libération des femmes : le féminisme et le socialisme révolutionnaire. Le féminisme était l’influence dominante des mouvements de femmes qui apparurent dans les pays capitalistes avancés durant les années 1960 et 1970. Il se basait sur l’idée que les hommes oppriment toujours les femmes, qu’il y a quelque chose de biologique ou psychologique qui fait que les hommes traitent les femmes comme inférieures. Cela conduisit à l’idée que la libération des femmes n’était possible que par leur séparation des hommes ; soit la séparation totale des féministes qui parlaient de «  style de vie libéré », soit la séparation partielle des comités de femmes ou des réunions non-mixtes.

Beaucoup de celles qui soutenaient cette séparation partielle se donnèrent le nom de féministes socialistes. Mais plus tard, les idées féministes radicales de la séparation totale firent leur apparition au sein des mouvements de femmes. Ces idées, avec le temps, eurent de moins en moins d’écho, pour n’être finalement défendus que par une petite minorité. Ces échecs conduisirent beaucoup de féministes dans une autre direction : le Parti Travailliste. Elles croyaient que mettre des femmes à des postes tels que députés, permanentes syndicales ou conseillère municipale ou régionale, permettrait d’aider toutes les femmes à obtenir l’égalité.

La tradition du socialisme révolutionnaire part d’un point de vue différent. Marx et Engels, dans des écrits remontant à 1848, montrèrent que l’oppression des femmes ne provient pas d’idées dans la tête des hommes mais du développement de la propriété privée et avec elle l’émergence de la société de classes. Selon eux, le combat pour l’émancipation des femmes est inséparable du combat pour la fin de la société de classes c’est à dire le combat pour le socialisme.

Marx et Engels firent en outre remarquer que le développement du capitalisme, basé sur les usines, amena de profonds changements dans la vie des gens et tout particulièrement dans celle des femmes. Elles furent réintroduites dans la production d’où elles avaient été progressivement exclues avec le développement de la société de classes.

Cela leur donnait un potentiel de lutte qu’elles n’avaient jamais eu auparavant. Organisées collectivement, les femmes en tant que travailleuses eurent une plus grande capacité et indépendance pour se battre pour leurs droits. Il y avait un énorme contraste avec leurs positions précédentes où leur rôle principal dans la production les rendait, par la famille, complètement dépendantes de leurs maris ou pères.

De cela Marx et Engels conclurent que les bases matérielles de la famille - et par la même de l’oppression des femmes - n’existaient plus. Ce qui empêchait les femmes d’en bénéficier, était que la propriété restait dans les mains d’un petit nombre de personnes. Ce qui fait que les femmes sont toujours opprimées de nos jours, c’est la façon dont est organisé le capitalisme - en particulier la façon dont le capitalisme utilise la famille pour s’assurer que les travailleurs élèvent une nouvelle génération de travailleurs. Du point de vue de la classe dirigeante il est très avantageux de payer les hommes (et de plus en plus de femmes) pour leur travail, tandis que les femmes continuent, gratuitement, à travailler pour que les hommes soient capables d’aller au travail et que leurs enfants grandissent pour en faire autant.

La société socialiste, par contraste, prendra en charge beaucoup de tâches familiales qui pèsent si lourdement sur les femmes.

Cela ne signifie pas que Marx, Engels et leurs successeurs en arrivèrent à souhaiter « l’abolition de la famille ». Les partisans de la famille ont toujours été capables de mobiliser une importante partie des femmes les plus opprimées qui peuvent voir dans « l’abolition de la famille » une possibilité pour leurs maris de leur abandonner la responsabilité des enfants. Les socialistes révolutionnaires ont plutôt toujours essayé de montrer comment, dans une société socialiste, les femmes ne seraient pas contraintes à la vie misérable que leur procure la famille actuelle.

Les féministes ont toujours rejeté ce genre d’analyse. Loin de s’adresser aux femmes là où elles ont le pouvoir de changer la société et d’en finir avec leur oppression - là où elles sont collectivement fortes, au travail - elles s’adressent à elles en tant que victimes. Les campagnes des années 1980, par exemple, avaient pour thèmes la prostitution, le viol ou les menaces de l’arme nucléaire sur les femmes et les familles. Ce sont toutes des positions où les femmes sont faibles.

Le féminisme suppose que l’oppression dépasse la division de la société en classes. Cela conduit à des conclusions qui laissent le système intact tout en améliorant la situation de certaines femmes - une minorité. Les mouvements de libération des femmes furent souvent dominés par des femmes venant de« la nouvelle classe moyenne » - journalistes, écrivains, professeurs et cadres. Les secrétaires et les ouvrières furent laissées de côté.

C’est seulement lors de périodes de changement radical et de poussées révolutionnaires que la question de la libération des femmes est une réalité, pas juste pour une minorité, mais aussi pour toutes les travailleuses. La révolution bolchevique de 1917 permit une plus grande égalité pour les femmes comme jamais auparavant. Le divorce, l’avortement et la contraception étaient possibles en toute liberté. Les crèches et le ménage devenaient la responsabilité de la société. Il y eut des débuts de restaurants communautaires, laveries et garderies qui donnaient aux femmes beaucoup plus de choix et de contrôle sur leur vie. Bien entendu, le destin de ces avancées ne pouvait pas être séparé de celui de la révolution elle-même. La famine, la guerre civile, la décimation de la classe ouvrière et la défaite de la révolution à l’échelle internationale signifièrent la fin du socialisme en Russie. Les avancées furent renversées.

Mais les premières années de la république des soviets montrèrent ce que la révolution pouvait accomplir même dans les pires conditions. De nos jours, les possibilités d’une émancipation des femmes sont encore meilleures. En Grande-Bretagne, et c’est à peu près la même chose dans les autres pays développés - plus de deux travailleurs sur cinq sont des femmes. L’émancipation des femmes ne pourra survenir qu’à travers le pouvoir collectif de la classe ouvrière. Cela signifie qu’il faut rejeter l’idée féministe d’organisation séparée des femmes. Seuls les travailleurs, hommes et femmes, agissant ensemble dans un mouvement révolutionnaire pourront détruire la société de classes et avec elle l’oppression des femmes.

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