1916

Kienthal après Zimmerwald : la confirmation de l'existence d'une nouvelle force révolutionnaire et internationaliste combattant la guerre impérialiste.


La conférence de Kienthal

24-30 avril 1916


Le prolétariat et la paix

En conclusion des délibérations, la résolution suivante a été adoptée à l'unanimité en votation finale :

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  1. La guerre actuelle est la conséquence des antagonismes impérialistes, résultant du développement du régime capitaliste. Les forces impérialistes s'emploient à exploiter dans leur intérêt les problèmes de nationalité demeurés sans solution, les aspirations dynastiques et tout ce qui survit du. passé féodal. Le vrai but de la guerre est de provoquer une nouvelle répartition des possessions coloniales et de déterminer la soumission des pays en retard dans leur développement économique.
  2. La guerre ne pouvant supprimer ni le régime capitaliste ni ses manifestations impérialistes, ne peut non plus éliminer les causes de guerres futures. Elle renforce l'oligarchie financière, elle est incapable de résoudre les anciens problèmes de nationalité et de mettre fin à la lutte pour l'hégémonie mondiale. Elle complique au contraire tous ces problèmes et crée de nouveaux antagonismes qui augmentent encore la réaction économique et politique, renferment les germes de guerres futures.
  3. C'est pourquoi, en affirmant que la guerre se propose une paix durable, les gouvernements et leurs agents bourgeois social‑nationalistes ne tiennent pas compte des conditions nécessaires à la réalisation de ce but ou faussent sciemment la vérité. Dans un régime capitaliste, les annexions, les alliances économiques et politiques des États impérialistes, pas plus que les tribunaux d'arbitrage obligatoire, les limitations des armements, et ce qu'on appelle démocratisation de la politique étrangère, ne peuvent assurer une paix durable.
  4. Les annexions réalisées par la violence excitent la haine parmi les peuples, produisent de nouvelles causes de conflits et de heurts. Les alliances politiques et les coalitions des puissances impérialistes, c'est là un moyen propre à prolonger, à étendre la guerre économique en provoquant de conflagrations mondiales toujours plus graves.
  5. Les projets tendant à supprimer les dangers de guerre par la limitation générale des armements, par l'arbitrage obligatoire, supposent l'existence de sanctions efficaces généralement reconnues, l'existence d'une force matérielle capable d'équilibrer les intérêts antagonistes des États ‑ et d'imposer à ceux-ci son autorité. Mais de telles sanctions et une telle autorité n'existent pas et le développement capitaliste qui aggrave encore les antagonismes entre les bourgeoisies des différents pays ou de leurs coalitions, ne nous donne aucun espoir pour l'avènement d'une telle puissance médiatrice. Le véritable contrôle démocratique sur la politique étrangère suppose une démocratisation complète de l’État moderne; le prolétariat trouverait en lui une arme utilisable dans sa lutte contre l'impérialisme mais jamais un moyen décisif susceptible de transformer la diplomatie en un instrument de paix.
  6. C'est pour ces raisons que la classe ouvrière doit repousser les propositions fantaisistes des pacifistes bourgeois et des socialistes nationalistes qui remplacent de vieilles illusions par de nouvelles : ils leurrent ainsi les masses en les détournant du chemin de la lutte de classe et en faisant le jeu de la politique jusqu'auboutiste.

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  7. Si le régime capitaliste est incapable d'assurer une paix durable, seul le socialisme créera des conditions nécessaires à sa réalisation. En effet, en abolissant la propriété privée des moyens de production, le socialisme élimine en même temps que l'exploitation des masses par les classes possédantes, l'oppression des peuples et, par ce fait même, les causes de la guerre. C'est pourquoi la lutte pour une paix durable n'est, en somme, que la lutte pour la réalisation du socialisme.
  8. Chaque fois que la classe ouvrière renonce à la lutte de classe en se solidarisant avec ses exploiteurs, en subordonnant ses aspirations à celles des gouvernements et des classes dirigeantes, elle s'éloigne de son but : la réalisation de la paix durable. En agissant ainsi, la classe ouvrière confie aux classes capitalistes et aux gouvernements bourgeois une tâche qu'elle seule peut mener à bonne fin; pire encore, elle livre à la boucherie de la guerre ses meilleures forces, et voue ainsi à la destruction les éléments les plus sains et les plus capables qui, en temps de guerre comme en temps de paix, devraient être appelés en premier lieu à la lutte pour le socialisme.

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  9. Conformément aux décisions des congrès internationaux de Stuttgart, de Copenhague et de Bâle, l'attitude du prolétariat à l'égard de la guerre ne saurait être déterminée par la situation militaire ou stratégique des pays belligérants. Le devoir vital du prolétariat est donc de demander dès maintenant l'armistice immédiat pour entamer les pourparlers de Paix.
  10. Selon que cet appel trouvera un écho dans les rangs du prolétariat international, suscitant une action vigoureuse dont le but est le renversement de la domination capitaliste, la classe ouvrière réussira à bâter la fin de la guerre et à influer sur les conditions de la paix. Si la classe ouvrière ne répond pas à cet appel, les conditions de la paix future seront fixées par les gouvernements, les diplomaties, les classes dirigeantes, sans aucun égard aux intérêts et aux aspirations des peuples.
  11. Dans la lutte révolutionnaire des masses pour les aspirations socialistes et pour la libération de l'humanité du fléau capitaliste militariste, le prolétariat doit, en même temps, s'opposer à toutes les velléités annexionnistes. Le prolétariat ne considère pas la configuration politique du monde telle qu'elle était avant la guerre comme répondant aux intérêts des peuples, mais il s'oppose à tout remaniement arbitraire des frontières, même dans le cas où, sous le prétexte de libérer les peuples, on voudrait constituer des États mutilés, pourvus d'une indépendance fictive et soumis à un véritable vasselage. Le socialisme lui-même tend à supprimer toute oppression nationale par l'union politique et économique des peuples sur des bases démocratiques ‑ union irréalisable dans le cadre de la société capitaliste. Mais ce sont précisément les annexions ‑ quelle qu'en soit la forme ‑ qui rendent cette tâche difficile, lorsqu'en démembrant les peuples, en les écartelant, et en les incorporant aux grands États capitalistes, on rend plus pénibles les conditions de la lutte prolétarienne.
  12. Aussi longtemps que le socialisme n'apporte pas la liberté et l'égalité des droits de tous les peuples, le constant devoir du prolétariat est de lutter résolument contre toute oppression nationale, contre toute violence à l'égard des peuples plus faibles, pour obtenir par la lutte de classe leur autonomie sur une base entièrement démocratique, ainsi que la protection des minorités nationales.
  13. Les indemnités de guerre exigées par les puissances impérialistes ne sont pas conciliables avec les intérêts du prolétariat. De même que les classes dominantes de chaque pays cherchent à faire peser les dépenses de guerre sur les épaules de leur propre classe ouvrière, elles tenteront aussi de rejeter le poids des indemnités de guerre sur le prolétariat des pays vaincus. Cet état de choses nuirait aussi bien aux travailleurs du pays vainqueur, car l'aggravation des charges économiques et sociales de la classe ouvrière d'un pays donné aurait sa répercussion inévitable sur celle des autres ays et rendrait plus difficiles les conditions de la lutte de classe internationale. L'action du prolétariat d'une nation ne consiste pas à rejeter les charges économiques et financières de la guerre sur les ouvriers d'une autre nation, mais à les faire peser sur les possédants de tous les pays par l'abolition de la Dette publique.
  14. La lutte contre la guerre et l'impérialisme s'intensifiera de plus en plus par suite des souffrances et des ruines causées par les fléaux de l'époque  impérialiste. Le socialisme développera et dirigera le mouvement des masses contre la cherté de la vie, pour les revendications des travailleurs agricoles, contre le chômage, les nouveaux impôts et contre la réaction politique jusqu'à ce qu'il aboutisse à la lutte internationale pour le triomphe final du prolétariat.

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