1920

Source : numéro 33 du Bulletin communiste (première année), 30 septembre 1920. Le texte y est précédé de l'introduction suivante : « Dans les polémiques actuelles au sein du mouvement syndical, il n'est question que de la désormais fameuse « circulaire Zinoviev ». Au Congrès Confédéral d'Or­léans, qui tient ses assises à l'heure où pa­raît ce numéro du Bulletin Communiste, cette circulaire du Comité exécutif de l'In­ternationale communiste sera vivement discutée. La presse syndicaliste jaune en a publié une version falsifiée. La Vie Ou­vrière a publié le texte exact. A notre tour, nous le publions, car ce document a sa place marquée dans notre Bulletin Communiste, organe français de la 3e Internationale. » Date d'après Jane Degras, The communist International 1919-1943, Documents, volume I.

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Aux syndicats de tous les pays

Comité exécutif de l'Internationale Communiste

Avril 1920



Au lendemain du 2 août 1914, au début de la bou­cherie impérialiste, les syndicats comptaient plus de 10 millions de membres. Ils n'opposèrent pourtant nulle part une résistance tant soit peu sérieuse à la boucherie impérialiste.

Au contraire, les chefs de l'ancien mouvement syn­dical se mirent dans la plupart des cas, eux et leurs organisations, à la disposition des gouvernements bourgeois. Tout l'appareil des anciens syndicats fut mis au service du haut commandement impérialiste. Toutes les lois sur la protection du travail furent abrogées par la bourgeoisie avec l'entier consente­ment des chefs des syndicats. Un travail obligatoire extrêmement lourd, un travail de forçat imposé même à des femmes de 60 ans, fut institué par la bour­geoisie avec l'approbation de ces mêmes chefs.

Mais les leaders des anciens syndicats asservirent aussi dans le domaine intellectuel leurs organisations à la bourgeoisie. Les revues et les journaux édités par les anciens syndicats bénirent les ouvriers allant au devant de la mort ; cette presse ouvrière les bénit au nom du capital, répéta le mensonge bourgeois sur la « défense de la patrie » et se fit partout la prota­goniste des idées bourgeoises, qu'elle s'efforça de ré­pandre dans le cœur même des ouvriers syndiqués. Les anciens syndicats rongés par la gangrène de l'op­portunisme, trahis par leurs chefs, élevés dans l'atmosphère de serre du réformisme pacifique, n'eurent pas la force d'élever la moindre protestation contre la tuerie impérialiste.

Les syndicats qualifiés « libres » dirigés par Legien fusionnèrent en réalité avec les syndicats traîtres, les syndicats jaunes, fournisseurs de renards1.

Mais voilà que la guerre est finie. La paix impé­rialiste conclue aux dépens des peuples, montre aux aveugles mêmes au nom de quoi elle fut menée.

Les armées sont démobilisées, les ouvriers revien­nent à leurs organisations.

Que vont devenir les syndicats ? Dans quelle voie vont-ils entrer ?

Leurs anciens leaders voudraient les pousser de nouveau dans la voie bourgeoise. Les bourreaux de la classe ouvrière, ses pères bourreaux — un Noske en Allemagne, un Seidi en Hongrie — sont sortis des cadres de l'ancien mouvement syndical.

Demain, si les circonstances leur sont favorables, MM. Jouhaux en France, Gompers en Amérique, etc. deviendront à leur tour des Noske, bourreaux de la classe ouvrière, comme il est arrivé à leurs pareils dans plus d'un pays.

L'ancien mouvement

Quels sont les traits caractéristiques de l'ancien mouvement syndical qui l'ont conduit à la capitula­tion devant la bourgeoisie ? Ce sont :

L'esprit étroitement corporatif. L'éparpillement dans l'organisation. Le respect de la légalité bour­geoise. L'habitude de faire fond sur l'aristocratie ouvrière et de méconnaître les manœuvres et les ouvriers non qualifiés. Les cotisations trop élevées, inaccessibles à l'ouvrier ordinaire. La concentration de toute la direction des syndicats entre les mains de personnes se trouvant en haut de l'échelle ouvrière, fonctionnaires qui tendaient de plus en plus à consti­tuer une caste bureaucratique syndicale. La propa­gande de la neutralité en présence des questions poli­tiques posées devant le prolétariat équivalait en réa­lité au soutien de la politique bourgeoise. Le sabo­tage des contrats collectifs, qui, en fait, aboutissait à la conclusion de ces contrats par la bureaucratie syndicale et à l'asservissement par les capitalistes des ouvriers d'une profession donnée pour toute une suite d'années. La surestimation d'améliorations insi­gnifiantes (par exemple, de l'augmentation purement nominale des salaires) que les syndicats réussissaient à obtenir des patrons, à l'aide d'une entente pacifique. La mise au premier plan des questions de secours et de mutualité au préjudice des caisses de grèves et de la combativité des syndicats. L'habitude de considérer les syndicats comme des organisations dont toute la mission est d'améliorer les conditions du travail dans les cadres du régime capitaliste et qui ne se donnent nullement pour but le renversement révolutionnaire du système capitaliste.

Tel fut l'ancien mouvement professionnel « libre», l'ancien trade-unionisme. Une pareille ambiance per­mettait à Gompers, en Amérique, de vendre les vo­tes des syndicats pendant les élections présidentielles, et aux Legien de tous les pays de faire des syndicats les instruments de la bourgeoisie.

Les syndicats vont-ils suivre l'ancienne voie du réformisme, c'est-à-dire, en réalité, de la bourgeoisie ? Telle est la question la plus importante qui se pose devant le mouvement ouvrier international.

Le nouveau mouvement

Nous sommes profondément persuadés qu'il n'en sera rien. Un vent nouveau a soufflé maintenant sur les édi­fices des anciens syndicats. Les « comités des fabri­ques et usines » créés en Angleterre, les « conseils d'exploitation » de l'Allemagne, les nouveaux points de cristallisation dans les syndicats français, les grandes unions telles que « la Triple Alliance » en An­gleterre, les nouveaux courants dans le mouvement professionnel américain — autant de symptômes mon­trant qu'une transmutation de valeurs commence dans le mouvement syndical du monde entier.

Un nouveau mouvement syndical se forme sous nos yeux.

Quels devront être ses traits caractéristiques ?

Il faut qu'il renonce à toutes les survivances de l'étroitesse corporative. Il faut qu'il mette à l'ordre du jour la lutte immédiate — d'accord avec le Parti Communiste — pour la dictature du prolétariat et pour le régime des Soviets, il faut qu'il refuse de repriser à la mode réformiste les anciennes défroques du capitalisme. Le nouveau mouvement syndical doit mettre au premier plan la grève générale et préparer la combinaison de cette grève avec l'insurrection à main armée. Les nouveaux syndicats doivent embras­ser la masse ouvrière et non plus l'aristocratie ou­vrière Ils doivent appliquer le principe d'une stricte centralisation et de l'organisation par industrie et non par métiers. Ils doivent tendre à obtenir un contrôle ouvrier réel sur la production, et participer ensuite énergiquement à l'organisation de l'industrie par la classe ouvrière victorieuse de la bourgeoisie. Ils doivent entreprendre une lutte révolutionnaire pour la socialisation immédiate des principales branches de l'économie, sans oublier que nulle organisation sé­rieuse n'est possible avant la conquête du pouvoir soviétiste par le prolétariat. Ils doivent expulser systématiquement de leur milieu les bureaucrates, infec­tés d'opinions bourgeoises et incapables de diriger la lutte révolutionnaire des masses prolétariennes. Ils doivent procéder chez eux au nettoyage effectué voilà quelques années par les syndicats russes et que les syndicats de l'Allemagne et des autres pays commencent maintenant.

La leçon donnée par la guerre n'est pas perdue. Les masses prolétariennes diront leur mot. Les syn­dicats ne peuvent plus réduire le travail à la lutte pour de dérisoires augmentations de salaires. La cherté incroyable des objets de première nécessité, cherté croissante dans le monde entier, rend plus illu­soires que jamais les « conquêtes » dont les trade-unionistes, ancienne manière, étaient si fiers. Ou les syndicats doivent se transformer en véritables orga­nisations militantes de la classe ouvrière ou ils dis­paraîtront.

Nouvelle génération

La puissante vague de grèves qui ébranle tout le continent européen, ainsi que l'Amérique et les autres parties du monde, est la meilleure preuve que les syn­dicats ne pourriront pas sur place, mais se régénére­ront vite. Ils ne se tiendront pas à l'écart des gran­dioses problèmes qui concentrent l'attention du monde entier, qui divisent l'humanité entière en deux camps, celui des Blancs et celui des Rouges. Chaque syndicat est maintenant contraint de s'intéresser aux questions des impôts directs ou indirects, au problème du paie­ment, des emprunts de guerre, à la nationalisation des chemins de fer, des mines, des principales bran­ches de l'industrie, etc.

Chaque syndiqué doit comprendre chaque jour plus clairement que la neutralité prêchée dans les syndicats par la bourgeoisie et par les opportunistes n'est qu'une duperie bourgeoise, qu'on ne peut rester ni tiède ni froid dans la lutte décisive engagée entre les deux classes.

Un mouvement de désagrégation est commencé dans les syndicats. Nous ne les reconnaîtrons plus dans quelques années. Les anciens bureaucrates du mouvement syndical seront des généraux sans armées. La nouvelle époque fera surgir une nouvelle généra­tion de leaders prolétariens du mouvement syndical régénéré.

Amsterdam et Washington

Mais la bourgeoisie prévoyante veille. Par l'entre­mise de ses serviteurs éprouvés, par l'entremise des anciens leaders, elle s'efforce de nouveau à conquérir le mouvement. Un congrès s'est réuni à Amsterdam. « Congrès international des Syndicats ». Legien, Jouhaux, Gompers et d'autres agents de la bourgeoi­sie ont voulu remettre le mouvement professionnel dans l'ancienne voie. La Ligue des Nations, qui n'est en réalité qu'une association de malfaiteurs impérialistes, a convoqué à Washington et ensuite à Paris une ridicule conférence sur la « protection internatio­nale du travail » où les deux tiers des voix apparte­naient à la bourgeoisie et un tiers à ses agents (MM. Legien, Jouhaux et Cie) qui ont encore l'outrecui­dance de se qualifier « représentants ouvriers ». Ces conférences de représentants triés par la bourgeoisie ont essayé de mettre une camisole de force au mou­vement ouvrier en voie de régénération. Les forces réunies des ministres bourgeois et de la bureaucratie syndicale veulent l'étendre sur le lit de Procuste du réformisme petit-bourgeois.

L'Internationale communiste en appelle aux prolétaires syndiqués du monde entier2. Mettez un terme, camarades, à ces railleries bourgeoises, démas­quez l'infâme comédie que jouent à vos dépens les ploutocrates ; dites au monde que vous n'avez rien de commun avec les créatures de Clemenceau et de Wilson.

Le rôle des syndicats

Les meilleurs éléments du prolétariat mondial exi­gent partout la création du pouvoir soviétiste. Le temps n'est pas loin où l'humanité entière conquerra la forme du gouvernement soviétiste, c'est-à-dire pro­létarien. Les syndicats continueront alors à jouer un rôle d'une importance énorme dans l'œuvre de trans­formation de l'économie capitaliste sur les bases du communisme. Ils auront leur place d'honneur à côté des Soviets comme nous le voyons maintenant dans la Russie sioviétiste.

L'Internationale communiste tient pour erronées les opinions de la minorité des communistes allemands qui se prononce contre la nécessité des syndicats en général. Les Soviets industriels des entreprises (les comités des fabriques et des usines) qui se créent dans plusieurs pays non seulement ne rendent pas les syndicats inutiles, mais tout au contraire doivent être eux-mêmes, comme en Russie soviétiste, les prin­cipaux centres des syndicats industriels.

L'Internationale communiste estime que l'heure est venue où les syndicats, libérés des influences bour­geoises et des influences social-chauvinistes, doivent créer sans tarder leur organisation internationale par industries et à l'échelle mondiale.

L'Internationale jaune et l'Internationale rouge

Nous devons opposer à l'Internationale jaune des syndicats, à l'Internationale que les agents de la bourgeoisie s'efforcent de recréer à Amsterdam, à Washington et à Paris, l'Internationale rouge des syndicat, réellement prolétariens, l'Internationale syndicale qui œuvrera d'accord avec la 3e Internatio­nale communiste.

Dans plusieurs pays les syndicats traversent une crise marquée. L'ivraie est séparée du froment. L'Al­lemagne qui fut le rempart du mouvement bourgeois professionnel jaune dont le mouvement fut dirigé par les Legien et les Noske, voit toute une série de syn­dicats se détourner des social-démocrates jaunes et passer à la révolution prolétarienne. Plusieurs syndi­cats ont déjà chassé les anciens chefs qui livrèrent naguère le mouvement professionnel aux capitalistes. Les syndicats italiens adoptent presque entièrement la plate-forme du pouvoir soviétiste. Le mouvement prolétarien révolutionnaire s'accuse de plus en plus énergiquement dans les syndicats scandinaves. Les masses ouvrières des syndicats français, anglais, amé­ricains, néerlandais, espagnols renient l'ancienne tactique bourgeoise et exigent de nouvelles méthodes ré­volutionnaires En Russie trois millions et demi de syndiqués soutiennent sans réserve et avec un entier dévouement la dictature prolétarienne. Dans les pays balkaniques, la plupart des syndicats nouent des rela­tions étroites avec les partis communistes et se pla­cent eux-mêmes sous le glorieux drapeau communiste.

Ce que veut l'Internationale rouge

La 1re Internationale, l'Association Internationale des Travailleurs dirigée par Marx et Engels, tendait à embrasser toutes les organisations ouvrières et, en­tre autres, les syndicats.

La 2e Internationale (actuellement dissoute) invi­tait les syndicats à ses congrès, mais n'avait avec eux aucun lien d'organisation solide.

La 3e Internationale a l'intention de suivre sous ce rapport la voie de la 1re Internationale. Tout vrai syn­dicat prolétarien militant qui se posera les problèmes esquissés ci-dessus tendra lui-même à une étroite union avec l'avant-garde du prolétariat international organisé dans l'Internationale communiste.

L'œuvre d'émancipation de la classe ouvrière exige la concentration de toutes les forces organisées du prolétariat. Nous avons besoin d'armes de toutes espè­ces pour monter avec succès à l'assaut du capitalisme. L'Internationale communiste doit faire face sur tous les fronts à la lutte libératrice du prolétariat interna­tional. A cet effet, elle tend à la plus étroite union avec les syndicats révolutionnaires qui comprennent les problèmes de notre époque.

L'Internationale communiste veut unifier non seule­ment les organisations politiques des travailleurs, mais aussi toutes les organisations ouvrières recon­naissant non en paroles, mais en action la lutte révo­lutionnaire et tendant à la conquête de la dictature prolétarienne. Le Comité exécutif de l'Internationale communiste estime que ce ne sont pas seulement les partis politiques communistes qui doivent prendre part aux congrès de l'Internationale communiste, mais aussi les syndicats adoptant la plate-forme révolution­naire. Les syndicats rouges doivent s'unir internatio­nalement et devenir partie intégrante (section) de l'Internationale communiste.

Nous le proposons aux ouvriers syndiqués du monde enlier. L'évolution, la désagrégation qui se sont pro­duites dans les partis politiques du prolétariat se pro­duiront immanquablement dans le mouvement syndi­cal. Tous les grands partis ouvriers ont quitté la 2e internationale ; et de même tous les syndicats hon­nêtes devront rompre avec l'Internationale jaune des syndicats.

Nous proposons aux travailleurs syndiqués du monde entier de discuter cet appel dans leurs assem­blées générales et nous sommes profondément convaincus que les prolétaires honnêtes de tous les pays viendront serrer énergiquement la main que leur tend l'Internationale communiste.

Vive le nouveau mouvement syndical purifié de la contagion opportuniste !

Vive l'Internationale des syndicats rouges !

Le Président du Comité exécutif de l'Internationale communiste : G. ZINOVIEV.

Notes

1 Briseurs de grève.

2 Dans le texte du Bulletin communiste la phrase est « L'Internationale communiste tient pour erronées les prolétaires syndiqués du monde entier » (sic). Nous l'avons modifiée d'après la version anglaise du texte qui figure dans Jane Degras, The communist International 1919-1943, Documents, volume I, p. 89.


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