1902

Source : Le Socialisme, 7-14 septembre 1902.

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Action parlementaire

A. Helphand (Parvus)


Le rapport de notre fraction au Reichstag (paru en vue du prochain Congrès de Munich) montre une activité très étendue et très abondante. D’ailleurs, les rapports de la fraction sont un bon étalon pour mesurer le travail parlementaire du Parti. Si l’on compare les rapports pour une période déterminée, les dix dernières années par exemple, on voit avant tout avec quelle diligence d’abeilles la fraction s’est initiée à la besogne sur les matières les plus diverses, dans les plus petits détails. La fraction est à présent « compétente » dans toutes les questions de législation parlementaire. Si elle était un parti bourgeois, il ne lui manquerait plus qu’une augmentation de mandats pour devenir le parti dirigeant au Parlement. Au point de vue parlementaire pur, il est donc très compréhensible que, même dans nos rangs, s’élèvent des voix plus ou moins timides, faisant entendre que nous pourrions, après tout, aussi bien fournir des ministres à l’Empire que les autres partis.

Oui, si nous étions un parti bourgeois ! Alors notre accroissement de forces n'indiquerait qu’une modification dans la composition des classes possédantes – quelque chose comme la prédominance croissante des villes et de l’industrie – et le gouvernement devrait tenir compte de cette modification. Si nous étions uniquement un parti antiagrarien ou même antihobereau, nous serions près du but. Si un parti de l’industrie capitaliste avait derrière lui les millions de suffrages que nous avons groupés autour de notre drapeau, quelle résolution dans sa marche et quelle vigueur dans sa puissance politique ! Ce sont nos opinions socialistes qui entravent notre influence parlementaire.

Oui, en ce sens, ils ont parfaitement raison, ceux qui voient dans notre programme un poids mort pour le « travail positif ». Seulement, le « travail positif » sans programme socialiste ne serait pas du travail socialiste ; seulement, nous devrions d’abord apprendre à concilier les intérêts ouvriers avec les intérêts capitalistes ; seulement, il nous faudrait cesser d’être un parti ouvrier et nous transformer en parti bourgeois ; seulement, nous devrions alors renier toute l’histoire de notre parti, et maudire l’heure où Ferdinand Lassalle a détaché les ouvriers allemands de la libre-pensée progressiste !

Mais voilà ! Comme nous gardons nos opinions, le rapport de notre fraction montre d’autre part combien peu de chose nous obtenons par toute notre action étendue et compétente au Parlement. Rien de plus injuste que le reproche que nous font les adversaires, de redouter le « travail positif ». Si quelque chose au contraire est surprenant, c’est qu’avec tout le zèle et l’application que nous mettons à faire du positif, nous ne faisons absolument rien. Quels résultats « positifs » de notre action parlementaire démontre par exemple le rapport en question ? Le plus important des projets de loi – sur la limitation du travail des enfants – est resté en suspens. C’est déjà par lui-même une demi-mesure, un projet bâtard ; mais ce qui en sortira, nous ne le verrons que lorsqu’il sera sorti des débats de la commission. Le projet de règlement maritime a été bouleversé. La réforme des règlements maritimes est un travail positif de notre parti – de personne autre que nous. Avec une patience inébranlable, le Parti a combattu pour cette cause plusieurs années. D’abord on en riait et on s’en moquait. Mais il n’y a pas renoncé ; il entassait faits sur faits et ne laissait passer aucune occasion de leur donner la parole. A la fin, on s’est vu dans la nécessité de tenter une réforme. Et puis, la besogne de notre parti dans la commission : quelle peine, quelle ardeur, quel art de persuader il a déployés pour établir ce petit nombre d’améliorations, insuffisantes en elles-mêmes, misérables en comparaison de ce qui serait nécessaire ! Le projet vient alors en deuxième lecture ; et impudemment, brutalement, la majorité renverse tout ce nous avions fait de positif ; les améliorations se changent en aggravations, si bien que finalement, nous nous voyons forcés de voter contre la loi ! Exemple tout à fait typique du résultat négatif de notre action positive !

Après tout, le règlement maritime contient certains avantages réels pour les travailleurs. Mais déjà l’établissement d’une division de statistique ouvrière dans le Bureau officiel de statistique n’a qu’une signification de pure forme – car tout dépend de la manière dont on le fera. Du reste, ce pas en avant ne ferait que compenser le pas en arrière qui avait été fait par la suppression de la Commission de statistique ouvrière. Et l’on laisse subsister les entraves mises à la rédaction des rapports des inspecteurs de fabriques qui, si on leur avait laissé libre jeu, auraient sûrement plus fait pour l’éducation socialiste que des calculs statistiques officiels.

D’ailleurs, nous sommes au but du résultat positif de cette action si étendue. Les propositions dont nous avons pris l’initiative ne sont même pas venues à l’ordre du jour.

D’une autre côté, les neufs dixièmes de notre action au Reichstag sont absorbés par la lutte contre des projets de loi qui aboutissent, économiquement ou politiquement, à une préjudice pour la classe ouvrière. Nous en avons plein les mains à combattre les armements de la guerre et de la marine, la politique coloniale, les impôts indirects, etc. ; et néanmoins les armements ont lieu et les impôts sont votés.

Tout cela ne pourrait causer de déception qu’à celui qui s’imagine pouvoir édifier un Etat ouvrier au sein de l’Etat capitaliste. Celui-ci, petit à petit, devra se convaincre qu’il se livre à un travail des Danaïdes. Pour nous qui voyons l’importance capitale de l’action parlementaire dans l’organisation d’un parti ouvrier distinct, la preuve de l’impossibilité de greffer une politique prolétarienne sur la politique capitaliste ne peut qu’être la bienvenue. Par l’action parlementaire de notre Parti, les ouvriers verront :

Tout ce qui est à changer, tout ce qui est nécessaire, combien peu de tout cela peut être obtenu aussi longtemps que le capital constitue la puissance prépondérante dans l’Etat. D’où résulte naturellement cette conclusion, qui forme le point capital de notre programme : la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

Nous ne travaillons pas à la réorganisation du capital, mais à l’organisation du prolétariat. Si l’on garde les yeux fixés sur ce point, on ne trouvera dans le résultat négatif de notre action parlementaire qu’un stimulant à renforcer notre critique et notre agitation. Ceci m’amène au point où l’action de la fraction ne me satisfait pas.

La conjonction des astres parlementaires au Reichstag n’est pas favorable à la discussion d’une loi sur la journée de huit heures. Mais, d’autre part, il n’y a pas de question de politique socialiste qui ait un intérêt aussi vital pour les travailleurs que la journée de huit heures, il n’y a en a pas qui aurait dans ce moment une importance aussi actuelle. Si l’on s’inspire des tendances du Reichstag, on rejettera par la question préalable la question de la journée de huit heures, si l’on s’inspire des intérêts des ouvriers de l’industrie, on la mettra au premier plan précisément aujourd’hui. C’est ce que nous devons faire.

Malheureusement, le rapport de la fraction ne parle même pas d’une agitation pour la journée de huit heures. Elle aurait dû, en présence de la crise commerciale, demander l’urgence pour sa proposition sur les huit heures ; elle aurait dû rédiger un projet de loi, etc. Elle ne l’a pas fait, et ainsi le moyen d’agitation le plus important, à l’époque d’un chômage terrible, est resté inutilisé.

PARVUS


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