1983

Stéphane Just avait comme projet l’écriture d’une histoire des crises impérialistes sous forme de brochures dont seules les deux premières seront publiées.
Source : « Documents du PCI », 1983

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Aperçus sur les crises à l’époque impérialiste (I)

Stéphane Just


Le mouvement dialectique de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.

Il faut revenir sur la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Se fondant sur la tendance à l'augmentation de la composition organique du capital, certains, qui se réclament du marxisme, tirent une conclusion qui n'est pas incluse dans la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Par le développement logique de la composition organique du capital, le taux de profit s'abaisserait mécaniquement jusqu'à devenir nul. Ce serait, alors, la fin du mode de production capitaliste. Ce raisonnement, qui veut se présenter comme radical, n'est pas conforme au développement de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit que Marx a formulée, et finalement, il laisse au régime capitaliste de longs et beaux jours devant lui.

Quelle est la limite du taux de profit qui rend impossible la production capitaliste? Personne ne le saura jamais. Et surtout, c'est oublier que cette loi est une loi tendancielle, et non pas un absolu. Marx écrivait dans « Le Capital », il y a déjà plus d'un siècle :

« A considérer l'immense développement de la productivité du travail social, ne serait-ce que dans les trente dernières années, par comparaison avec les périodes précédentes; à considérer, en particulier, l'énorme masse de capital fixe qui, outre les machines proprement dites, entre dans l'ensemble du procès social de production, la difficulté qui a, jusqu'ici, arrêté les économistes : comment expliquer que cette baisse n'ait pas été plus importante ou plus rapide ? Il a fallu que jouent les influences contraires, qui contrecarrent et suppriment l'effet de la loi générale et lui confèrent le caractère d'une tendance. C'est pourquoi nous avons qualifié la baisse du taux de profit général de baisse tendancielle. » (« Le Capital », livre III, tome I, Editions sociales, page 245.)
« Parmi ces causes, les plus générales sont les suivantes. »

Marx énumère :

"I - augmentation du degré d'exploitation du travail ...
II - réduction du salaire au-dessous de sa valeur…
III - baisse de prix des éléments du capital constant …
IV - la surpopulation relative...
V - le commerce extérieur...
VI - augmentation du capital par actions. »

Le taux de la plus-value, rapport entre travail payé et travail non payé (PL/V) augmente si le temps de travail augmente, V n'augmentant pas, ou si V diminue pour un même temps de travail ou un temps de travail plus long. S'il y a augmentation du taux de la plus-value sans augmentation de composition organique du capital, l'augmentation du taux de la plus-value contribuera à l'augmentation du taux de profit général. S'il y a augmentation de la composition organique du capital, l'augmentation du taux de la plus-value va à l'encontre de la baisse du taux de profit général. Marx explique que, même si la composition organique du capital augmente, lorsque augmente le taux de plus-value et que toute la population est occupée, « la masse de la plus-value s'accroîtra bien que la population reste la même. A plus forte raison si la population augmente; et, quoique ce fait s'allie à une diminution relative du nombre des ouvriers par rapport à la grandeur du capital total, cette diminution (du taux de profit) sera atténuée ou arrêtée par l'accroissement du taux de la plus-value » . En outre, plus la masse du capital constant augmente, plus sa mise en mouvement permanente, travail par équipes, permet d'utiliser vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours par semaine la force de travail et de réduire ainsi la composition organique du capital. L'accélération de la vitesse de rotation du capital due à la vitesse de transformation du capital marchandise en capital argent et ensuite en capital constant et variable joue également dans ce sens.

La valeur du capital variable ne cesse de diminuer du fait de la baisse de la valeur, c'est-à-dire du temps de travail socialement nécessaire, des marchandises nécessaires à son entretien, même lorsque celle-ci augmente en nombre et en qualité. Et, écrit Marx :

« La même évolution qui fait s'accroître la masse du capital constant par rapport au capital variable fait baisser la valeur de ces éléments par suite de l'accroissement de la productivité du travail et empêche ainsi que la valeur du capital constant, qui pourtant s'accroît sans cesse, n'augmente dans la même proportion que son volume matériel, c'est-à-dire que le volume matériel des moyens de production mis en œuvre par la même quantité de force de travail. Dans de tels cas, la masse des éléments du capital constant peut même augmenter tandis que sa valeur reste inchangée ou même baisse. » La surpopulation relative peut contribuer à contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit, indique Marx, en ce qu'elle incite à la création de branches de production, de luxe en particulier, dont le capital a une faible composition organique.

Le commerce extérieur, en ce qu'il élargit la dimension du marché en correspondance avec la production de masse, concourt à lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit. L'augmentation de la composition organique du capital est déterminante quant à l'augmentation de la production sociale. Chaque marchandise singulière cristallise un temps de travail moindre, une proportion de travail mort croissante, une proportion de travail vivant moindre, une quantité et même une proportion moindre de plus-value. La production en masse permet d'accroître la masse de la plus-value et de lutter contre la baisse du taux de profit. Mais la dimension du marché doit s'élargir.

Mais le commerce extérieur concourt d'autres façons encore à lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit. Marx écrit :

« Des capitaux investis dans le commerce extérieur sont en mesure de donner un taux de profit plus élevé parce que d'abord on entre ici en concurrence avec des pays dont les facilités de production marchandes sont moindres, de sorte que le pays le plus avancé vendra ses marchandises au-dessus de leur valeur, bien qu'il les cède à meilleur compte que les pays concurrents. Dans la mesure où le travail du pays le plus évolué est mis en valeur en tant que travail d'un poids spécifique plus élevé, le taux de profit augmente, le travail qui n'est pas payé comme un travail de qualité supérieure étant vendu comme tel. On peut avoir la même situation vis-à-vis du pays où l'on expédie et d'où l'on reçoit des marchandises; celui-ci fournissant plus de travail matérialisé in natura (en nature) qu'il n'en reçoit et malgré tout obtenant la marchandise à meilleur marché qu'il ne pourrait le produire lui-même. Tout comme le fabricant qui, utilisant une invention nouvelle avant sa généralisation, vend à meilleur marché que ses concurrents et néanmoins au-dessus de la valeur individuelle de sa marchandise, c'est-à-dire met en valeur comme surtravail la productivité spécifiquement supérieure du travail qu'il emploie (souligné par S. Just). Il réalise de la sorte un surprofit. Quant aux capitaux investis dans les colonies, etc., ils sont d'autre part en mesure de rendre des taux de profit qui sont d'une façon plus générale plus élevés et plus élevés aussi, grâce à l'emploi d'esclaves, de coolies, etc., l'exploitation du travail. Or on ne voit pas pourquoi ces taux de profit plus élevés que rendent les capitaux investis dans certaines branches et qu'ils transfèrent dans leur pays d'origine n'entreraient pas alors, si par ailleurs des monopoles n'y font pas obstacle, dans le système de péréquation du taux de profit général et ne l'augmenteraient pas pro tanto (proportionnellement). On ne voit pas pourquoi il n'en serait pas ainsi surtout si ces secteurs d'investissements de capitaux sont soumis aux lois de la libre concurrence. »

Enfin, Marx souligne le rôle que joue le capital par actions :

« A mesure que progresse la production capitaliste, ce qui va de pair avec une accumulation plus rapide, une partie du capital n'est plus comptée et employée que comme capital productif d'intérêt. »

Marx en fait découler les conclusions suivantes :

« Ces capitaux, bien que placés dans de grandes entreprises productives, ne fournissent, déduction faite de tous les frais, que des intérêts plus ou moins grands qu'on appelle dividendes : dans les chemins de fer par exemple. Ils n'entrent donc pas dans le système de péréquation du taux de profit général, étant donné qu'ils rendent un taux de profit inférieur au taux moyen. S'ils y entraient, celui-ci tomberait beaucoup plus bas. D'un point de vue théorique, on peut y inclure et on obtient alors un taux de profit inférieur à celui qui semble exister et qui détermine réellement les capitalistes, car c'est justement dans ces entreprises que le capital constant est le plus élevé relativement au capital variable. »

Bien entendu, comme le souligne à chaque moment Marx, toutes les causes qui permettent que soit contrecarrée la baisse tendancielle du taux de profit vont devenir des facteurs incitant à investir de nouveaux capitaux, à accroître la productivité, pour obtenir profits et surprofits, donc à augmenter la composition organique du capital. Les profits et surprofits, d'autant plus qu'ils sont élevés, vont accroître la masse des capitaux, l'ampleur de l'investissement, par conséquent engager et précipiter la tendance à la chute du taux de profit. C'est le mouvement d'ensemble du mode de production capitaliste, de ses cycles, de ses crises, de ses booms et à nouveau de ses crises.

Cependant, dans la mesure où fonctionne librement le jeu des lois immanentes du mode de production capitaliste, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit ne fixe pas de limite absolue au mode de production capitaliste. Elle implique une succession de cycles classiques, de booms et de catastrophes économiques.


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