1965

"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)


1

Le stalinisme et la IV° Internationale

La crise de la IV° Internationale

Il n'existe cependant, dans la lutte de classes, aucun automatisme. Si, à la longue, la nouvelle disposition des forces de classes devait s'exprimer et déterminer de profondes modifications à l'intérieur de la classe ouvrière, cela n'apparut pas immédiatement à l'issue de la guerre.

Au contraire, les appareils bureaucratiques, contrôlant le mouvement des masses à travers ses organisations traditionnelles, canalisèrent à leur profit la montée révolutionnaire dans son premier stade. Les conditions mêmes de la guerre contribuèrent à renforcer ce contrôle. Le caractère complexe de la seconde guerre mondiale, guerre impérialiste, comme celle de 1914-1918 aussi bien du côté des puissances de l'Axe que du côté des « grandes démocraties », mais dans laquelle l'U.R.S.S. ne poursuivait pas de buts impérialistes fut source de confusion. La lutte héroïque des peuples de l'U.R.S.S., qui se battaient pour la défense des conquêtes d'Octobre et l'existence même de millions de prolétaires, pour qui une victoire allemande et la destruction des bases économiques de l’U.R.S.S. qui en aurait résulté, auraient signifié une condamnation à mort, fut. pour nombre de travailleurs, portée au crédit de la bureaucratie parasitaire du Kremlin, ce qui facilita la pénétration de la politique des appareils contrôlés par elle au sein de la classe ouvrière. De plus, l'occupation par l'impérialisme allemand de l'ensemble de l'Europe contribuait à donner un semblant de justification à la politique de « Fronts nationaux » menée par les partis ouvriers, staliniens et sociaux-démocrates.

D'autant plus important était-il de maintenir les principes de la lutte des classes et de l'internationalisme prolétarien ; et cela n'était possible qu'en restant fidèle au programme de la IV° Internationale, dont la « proclamation » en 1938 trouvait ici sa justification. Mais d'autant plus difficile aussi était l'indispensable définition d'une politique concrète, qui tint compte des divers facteurs de la guerre et qui permit de s'enraciner dans les masses. Ce ne fut pas fait sans erreurs sectaires ou opportunistes; la direction de Trotsky manquait ; le rôle des individus n'est pas sans importance dans la construction d'une organisation révolutionnaire. Staline savait ce qu'il faisait en faisant assassiner Trotsky en août 1940. Il répétait, dans d'autres circonstances historiques, mais pour des raisons identiques au fond, le crime des dirigeants sociaux-démocrates allemands faisant assassiner, en janvier 1919, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. L'inexpérience pesa lourdement sur les jeunes militants et cadres de la IV° Internationale. La formation de dirigeants révolutionnaires, d'une organisation politiquement homogène, sans bureaucratisme, ne peut être le résultat d'une génération spontanée.

La IV° Internationale sortit de la guerre sans avoir résolu sa contradiction fondamentale : fondée sur la base du programme de transition, programme de mobilisation de la classe ouvrière pour la révolution prolétarienne, programme où s'exprime l'analyse scientifique d'une première période de guerres et de révolutions, elle est née, non d'une puissante révolution comme la III° Internationale, mais du recul ouvrier mondial; elle est née en réaction contre la dégénérescence théorique et politique du mouvement ouvrier. Son programme l'arme comme aucune organisation ouvrière ne le fut jamais. Mais sa composition sociale, essentiellement petite-­bourgeoise, et les faibles liens qui l'unissent à la classe ouvrière la rendent extrêmement sensible aux pressions émanant des forces sociales hostiles au socialisme. Seule, l'élaboration théorique et politique en liaison avec sa participation à la lutte des classes et sa construction dans le cours même des processus de la lutte des classes peuvent surmonter cette contradiction. Mais la solution n'est pas donnée à l'avance. Elle ne peut être que le produit d'une lutte vivante. L'Internationale, décapitée par l'assassinat de Trotsky, affaiblie politiquement dans ses cadres au cours de la guerre, n'a pas résolu ce problème. Elle a cédé sous la pression des forces hostiles. Ses dirigeants petits-bourgeois, dont Pablo fut la figure de proue, ont capitulé devant les appareils.

Cette direction petite-bourgeoise a cédé précisément au moment où la puissance des appareils, principalement de l'appareil stalinien, avait atteint en Europe son point culminant, cependant que la nouvelle disposition des forces de classe à l'échelle internationale n'ayant pas encore porté tous ses fruits, l'approfondissement de la crise du stalinisme, bien que la rupture entre Staline et Tito l'annonçât, était encore à venir; au moment où culminait la guerre froide, où l'impérialisme était parvenu à une relative stabilisation, à la vérité fort précaire, en Europe occidentale, et où la bureaucratie du Kremlin avait renforcé son contrôle sur l'Europe orientale, au moment où la guerre de Corée enfin semblait donner à Staline le moyen de contrôler la révolution chinoise.

Cette situation ne dura que quelques années. Bientôt, de nouvelles luttes ouvrières de grande ampleur, débordant les directions traditionnelles, se produisirent en France, là où précisément s'exprimait avec le plus de force la crise fondamentale de l'impérialisme; puis, ce furent les grandes luttes révolutionnaires de Tchécoslovaquie, puis de l'Allemagne de l'Est, qui s'étendirent à presque toute l'Europe orientale, et culminèrent avec l'Octobre polonais et la révolution hongroise; en même temps, en Asie, l'influence de la révolution chinoise donnait à la politique du Viet-Minh un nouveau cours qui aboutit à Dien Bien Phû; enfin, la dénonciation du «  culte de la personnalité  » et le nouveau cours de la politique de la bureaucratie exprimèrent en U.R.S.S. la lutte de forces sociales opposées.

Ainsi s'ouvrait la possibilité de résoudre le problème-clé de la direction révolutionnaire de la classe ouvrière, par la jonction, dans l'action, des organisations de la IV° Internationale s'enracinant dans les masses, du programme de la révolution socialiste, et de l'action révolutionnaire du prolétariat. Mais la capitulation a sa logique : ayant cédé à la pression des forces sociales ennemies, de capitularde, la direction petite-bourgeoise devint liquidatrice. Elle s'était déjà engagée dans un cours de destruction de la IV° Internationale : «  l'entrisme sui generis  ». Le maintien de phrases appartenant à la tradition du trotskysme, de « Congrès mondiaux », d'un « Comité exécutif international » et d'un pseudo «  Secrétariat international  », demeurait pour elle une obligation, mais seulement dans le but de bloquer la possibilité d'un redressement de l'Internationale. La direction petite-bourgeoise était devenue l'agent, conscient ou non, des forces sociales ennemies, la bourgeoisie et la bureaucratie du Kremlin, au cœur même de la IV° Internationale, et elle devait poursuivre jusqu'au bout sa tâche de désagrégation.


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