1965

"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)


7

Le pablisme et le «  mouvement réel des masses  »

C'est la grève ! ... Et quelle grève  ! ...

« L'essence du mouvement actuel réside précisément dans le fait qu'il brise les cadres professionnels, corporatifs et locaux, en élevant au-dessus d'eux les revendications, les espoirs, la volonté de TOUT le prolétariat. Le mouvement prend le caractère d'une épidémie. La contagion s'étend d'usine en usine, de corporation en corporation. Toutes les couches de la classe ouvrière se répondent, pour ainsi dire, l'une à l'autre... C'est la GREVE. C'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs. C'est le début classique des révolutions. »
(L. Trotsky, « Où va la France ? » . Ecrits, tome II, p. 142.)

Ce qu'écrivait Trotsky à propos de juin 1936, il aurait pu le répéter en août 1953. C'est la grève ! Et quelle grève ! Les gros bataillons sont constitués par les couches de travailleurs qui sont directement soumises à l'autorité de l'état.

Pour la sauvegarde du mode de production capitaliste, l'état a dû prendre en mains toute une série d'industries de base, énergie et transports. S'ajoutant aux travailleurs des services administra­tifs et des P.T.T., ce sont les travailleurs de ces industries qui se dressent contre l'état bourgeois. En prenant directement sous son contrôle une grande partie de la classe ouvrière, l'état bourgeois a perdu du même coup son apparence d'arbitre. «  A bas Laniel !  » (le chef du gouvernement de l'époque) signifie « A bas le patron, à bas l'état ! » réunis sous le même bonnet. L'état bourgeois voit, en quelque sorte, une partie de ses propres organes se dresser contre lui. Peut-on imaginer plus éclatante démonstration de la concentration au niveau de l'état des contradictions économiques et sociales du mode de production capitaliste ? Partout elles débouchent directement sur le plan politique.

Ce ne fut pas l'avis des Frank-Pablo-Germain, eux qui pourtant, l'année précédente, voyaient la révolution française commencée sous la direction du P.C.F. Dans une « Note politique n° 2 » de leur groupe français, datée du 12 septembre 1953, donc après la grève, les pablistes (c'est-à-dire Frank, Privas, etc.) écrivaient :

« Il n'y a pas de doute que le mouvement de grève a souffert d'un manque terrible de politisation sur le problème précis des perspectives gouvernementales et de la généralisation des luttes comme moyen d'imposer un changement de régime et l'instauration d'un gouvernement au service des travailleurs. »

Fort bien ! Mais précisément les trotskystes français, eux, un mois plus tôt, combattaient sur la ligne que définit par exemple un de leurs tracts, daté du 11 août 1953 :

«  Il faut que les directions syndicales C.G.T. et F.O., et politiques P.S. et P.C.F. de la classe ouvrière réalisent un COMITE NATIONAL D'ACTION pour impulser, développer la grève générale illimitée de la fonction publique et des travailleurs des services publics qui chassera le gouvernement Laniel.
Tout atermoiement, toute hésitation dans cette voie porteraient atteinte aux besoins des travailleurs et compromettrait les possibilités de victoire que recèle le mouvement des masses.
CHASSER LE GOUVERNEMENT LANIEL, c'est porter le coup décisif contre la politique du grand capital, de ses représentants, qu'il s'appellent Pinay, Raynaud, E. Faure ou Mendès-France, unanimes pour les décrets-lois.
CHASSER LE GOUVERNEMENT LANIEL par l'action des masses, c'est ouvrir la voie à un gouvernement représentatif des travailleurs, au service des tra­vailleurs, émanation du Comité National d'Action des Partis ouvriers et des Syndicats, QUI DENONCERAIT LE PACTE ATLANTIQUE, ARRETERAIT LA GUERRE D'INDOCHINE, ACCORDERAIT L'INDEPENDANCE AUX PEUPLES COLONIAUX OPPRI­MES.
Vive la grève générale illimitée de la fonction des services publics  !
Vive le Front Unique Ouvrier  !
Pour un gouvernement d'union des organisations syndicales et politiques des travailleurs  !  »

Cette ligne politique était définie dès le 11 août, au moment où la grève s'était généralisée à tous les services publics et à toute la fonction publique. Au sein même de la grève, du « mou­vement réel des masses » cher à Pablo, les trotskystes luttaient :
• pour que les bureaux confédéraux donnent l'ordre de grève générale à tous les travailleurs des services publics et de la fonction publique), comme à ceux de l'industrie privée ;
• pour le Front unique des centrales syndicales à tous les échelons ;
• pour la formation de comités de grève à tous les échelons ;
• pour la formation d'un Comité national de la Grève géné­rale regroupant les représentants des comités de grève des corporations, des régions, et des bureaux confédéraux ;
• pour une manifestation centrale des grévistes, à Paris et dans toutes les villes de France.

Ils ne se contentaient pas de défendre cette orientation par écrit. Dans les usines, ils luttaient pour un débrayage immédiat, pour la formation de Comités de grève, et pour impulser toute initiative allant dans le sens de la réalisation, par les travailleurs eux-mêmes, de la grève générale, de son organisation, de manifestations, etc… Là où leur influence s'exprimait au niveau régional, elle se traduisait par des initiatives prises par les comités de grève et qui leur donnaient le caractère d'organismes embryonnaires du pouvoir ouvrier, à Nantes par exemple.

Le contenu politique de la grève ne pouvait être affirmé seulement sur un plan propagandiste. Ce procédé peut, en certains cas, n'être que la couverture d'une politique fausse. Surtout lorsque la classe combat, le test d'une politique correcte, c'est beaucoup moins la propagande générale prise en soi, ou même l'agitation par tracts, que leur utilisation pour l'intervention et l'action «  au sein du mouvement réel des masses » ; cette intervention et cette action donnent, à leur tour, toute leur valeur aux perspectives les plus générales, elles leur confèrent une signification concrète, parce que liée directement à l'action.

Il n'y a pas deux plans différents sur lesquels se déroulerait une politique révolutionnaire : celui de la propagande générale où l'on «  politise  » , et celui de l'activité au sein même du mouvement. Et surtout lorsque la classe ouvrière toute entière s'engage dans le combat, il ne peut être toléré aucune solution de continuité entre ces deux domaines.


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