1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme ou nouvelle époque historique ?


« Néo-capitalisme » et « capitalisme monopolistique d'état »

Le révisionnisme du Secrétariat Unifié, destructeur de la IV° Internationale, autorise toutes les formes de révisionnisme lesquelles sont d'ailleurs parentes les unes des autres. Pour le S.U. et ses représentants « le long boom de l'impérialisme » correspond à l'avènement du « néo-capitalisme ». L'appareil du stalinisme en France rejette ce terme. Il en préfère un autre : « le capitalisme monopolistique d'État ».

Louis Perceval, après mai-juin 68 écrit un article dans le numéro de juillet de la revue du P.C.F. « Economie et Politique » qui réaffirme la définition du « capitalisme monopolistique d'État » :

« Le capitalisme monopolistique d'Etat est la phase ultime du capitalisme au stade de l'impérialisme auquel est parvenu le capitalisme dans les pays capitalistes économiquement avancés. Cette phase nouvelle, destinée à sauver le régime capitaliste, s'est généralisée après la deuxième guerre mondiale, à un certain niveau de concentration du capital et de la production. Cette nouvelle forme de capitalisme, née de ses contradictions, réunit la puissance des monopoles et celle de l'Etat en un mécanisme unique permettant d'augmenter au maximum les profits de l'oligarchie financière par l'exploitation de la classe ouvrière et le pillage des larges couches de la population. Il s'efforce d'apporter une solution provisoire aux formes récentes de la crise générale du capitalisme, au rétrécissement brutal de la domination impérialiste, au poids spécifique déterminant des pays socialistes, à l'extension des mouvements de libération nationale, à l'intensification des luttes ouvrières et démocratiques et aux contradictions de plus en plus aigües entre pays impérialistes. Il s'efforce, tout en conservant l'appropriation privée des moyens de production, c'est-à-dire des rapports de production capitalistes, d'assurer une certaine progression des forces productives, de la base matérielle de la société, malgré l'aiguisement des luttes de classes à l'échelle nationale et internationale ».

Et naturellement, il y parvient : « Sous l'influence de la révolution scientifique et technique de notre temps et du développement rapide des forces productives qui en résulte en partie, sous la pression de la concurrence entre monopoles et entre pays impérialistes, le capital et la production se concentrent et se centralisent fortement, les dimensions réelles ou nécessaires des entreprises et des monopoles s'accroissent à la dimension de l'Etat et au-delà, rejoignant le mouvement objectif de socialisation et internationalisation des forces productives ».

Toute la « perspective » de la « démocratie véritable » ou « de la démocratie avancée » est objectivement fondée sur la « double nature de l'Etat » :

« La contradiction antagoniste entre le caractère social de la production et sa forme capitaliste, privée, de l'appropriation du travail s'accuse et apparaît ainsi au niveau de l'État entre son rôle économique, objectivement fondé à notre époque, même s'il est dévoyé au profit des monopoles, et son rôle permanent, renforcé, de force oppressive au service de l'oligarchie financière ».

Il suffit de libérer l'Etat de l'emprise des monopoles pour que se dégage son rôle « socialiste » facteur du développement des forces productives « de la base matérielle de la Société ».

L'impérialisme reste l'impérialisme, cela va de soi. Quel « marxiste » qui, pour remplir sa fonction politique, a besoin de se réclamer de la tradition de la révolution russe oserait prétendre le contraire ? Mais, disent Germain-Mandel et le S.U., il s'est produit depuis la guerre un nouveau développement tumultueux des forces productives... dû au « néo-capitalisme ». Mais, disent les « théoriciens » du stalinisme, il v a une « nouvelle phase »... « destinée à sauver le régime capitaliste, elle s'est généralisée après la deuxième guerre mondiale », qui renforce « la base objective de la société » ... « le développement rapide des forces productives » : « le capitalisme monopolistique d'Etat ». A « la 3° révolution industrielle » de Germain-Mandel, correspond « la révolution scientifique et technique de notre temps et le développement rapide des forces productives qui en résulte » des « théoriciens » du stalinisme. Nous sommes loin de « l'impérialisme » défini par Lénine comme « la réaction sur toute la ligne ».

Naturellement, subsistent, et pour Germain-Mandel, et pour les « théoriciens » du stalinisme les contradictions entre le caractère social de la production et les rapports bourgeois de production... Mais, disent les théoriciens du stalinisme, grâce à son nouveau rôle économique, même si c'est au profit des monopoles, par son intervention, l'Etat surmonte ces contradictions et permet le développement des forces productives. Mais, disent Germain-Mandel et les « théoriciens » du S.U., grâce à la socialisation existante des coûts de développement » fonction assumée par l'Etat, ces contradictions ont été surmontées ; Germain-Mandel et les théoriciens du S.U. (qui se prétendent « trotskystes ») ajoutent grâce à « l'apparition des sociétés multinationales ».

Pour les uns et les autres, la « révolution » est d'une nouvelle « nature ». Mandel-Germain et consorts affirment : « Mai-juin 68 a, pour... la première fois etc, en raison du rôle nouveau des intellectuels, des étudiants, de la qualification et de la culture des travailleurs qui se développeront à l'avenir ». Les « théoriciens » du stalinisme affirment de leur côté :

« Le progrès technique et scientifique qui s'est poursuivi malgré le frein du profit monopoliste, en raison de cette intervention publique, conduit actuellement à une véritable révolution technologique et scientifique. D'où la croissance de nouvelles couches salariées non ouvrières exploitées par l'impôt et l'inflation, les conditions du salaire et du travail, qui entrent dans la bataille de classe. A côté de la masse considérable des employés, ce sont les ingénieurs, techniciens et cadres, les chercheurs et enseignants de tous les ordres, les salariés intellectuels de toutes sortes. D'où aussi la croissance rapide du nombre des étudiants et leurs difficultés. Ces couches sont aliénées aux besoins des monopoles. Leur rôle est réduit à celui de rouage de la grande machine capitaliste, leur travail subordonné aux objectifs du profit privé et non aux besoins du progrès humain.
« Ces couches salariées, privées de la propriété des moyens de production comme le prolétariat ouvrier, se développent avec les forces productives modernes, tendent à être concentrées en masses plus ou moins grandes, d'où leur poids grandissant dans la lutte de classe. Toutefois, en ce qui concerne surtout les couches de type intellectuel, elles apprécient l'exploitation capitaliste à un niveau plus élevé de salaires, de conditions de vie et de travail que les ouvriers qui sont au cœur de l'exploitation capitaliste, et n'ont à perdre que leurs chaînes. D'où une critique mettant l'accent sur l'aliénation dans le travail et dans la vie quotidienne, sur la société dite de consommation, sur le caractère technocratique de la vie sociale et l'absence de participation, et moins sur les revendications immédiates et surtout sur les fondements de la société actuelle constitués par la propriété capitaliste privée, plus spécialement la propriété des grands monopoles privés. (souligné par moi), Mais ces salariés prennent de plus en plus conscience de leur communauté de sort avec le prolétariat ouvrier » (Paul Boccara dans Economie et Politique - juillet-août 1968 - pages 100 et 101).

Son confrère Louis Perceval, déjà cité, conditionne le passage au socialisme à la prise de conscience de « toutes les couches exploitées et aliénées » (aliénés et prolétaires unissez-vous !).

Tous les ingrédients des « théories » Mandéliennes sont présents. Le rôle social et politique des « intellectuels et étudiants » devient déterminant puisqu'au contraire des ouvriers qui limitent leurs revendications au niveau matériel des salaires, des conditions de vie et de salaire, intellectuels et étudiants ressentent comme insupportable « l'aliénation du travail ». Il est évident que ces couches pour qui « l'aliénation du travail » est quotidiennement insupportable, qui ne peuvent limiter leurs revendications aux questions de salaires, mettent elles aussi, elles surtout, en cause les « fondements de la société ».

Mais s'agit-il bien encore de la révolution ? Les « théoriciens » du stalinisme sont, sur ce point, plus clairs que Germain-Mandel et les dirigeants du S.U., tout en se situant sur la même ligne : celle de « la contestation », « de la mise en cause des structures », car « l'Etat du capitalisme monopolistique d'état, dialectiquement contradictoire, est donc qualitativement différent de l'Etat prémonopoliste et même monopoliste » écrit encore Perceval. Donc il n'est plus « l'Etat bourgeois » mais un Etat organisateur du développement des forces productives qu'il suffit de débarrasser de ses liens avec les monopoles pour qu'il fonctionne comme l'Etat des travailleurs. L'Etat bourgeois est devenu curieusement un « Etat ouvrier, sans ouvriers » géré par des monopoles. Des réformes de structures apportées par la « démocratie avancée » pourvoieront à le transformer en un « Etat du peuple entier ».


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