1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

2

L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


Mandel pulvérise l'unité mondiale de la lutte de classe

S'il en était ainsi, parler d'unité mondiale de la lutte des classes serait une rêverie, la bureaucratisation du mouvement ouvrier serait inéluctable et irréversible, non seulement dans les pays capitalistes économiquement développés, mais encore en U.R.S.S., en Chine, dans les pays de l'Europe de l'Est. En vérité, en suivant Mandel on ne saurait parler même de lutte de classes. La classe ouvrière des pays capitalistes économiquement développés, gorgée, repue, feraient corps avec l'impérialisme. Seuls les peuples du “ Tiers‑Monde ” seraient révolutionnaires. Germain‑Mandel et les renégats de la IV° Internationale pétrissent la “ théorie ” qui fournira la pâte des conclusions de Lin Piao. Par exemple : les “ campagnes encerclent les villes ”, “ les peuples opprimés encerclent l'impérialisme ”, les pays arriérés économiquement forment la “ zone des tempêtes ”. Il ne s'agit plus de lutte de classes, mais de la lutte des “ peuples opprimés ” contre les “ peuples oppresseurs ”. Dès lors toutes les acrobaties, pantalonnades, reniements et trahisons trouvent leur justification “ théorique ”. Ainsi Pierre Frank, autre secrétaire du S.U. des renégats de la IV° Internationale, signait‑il une affiche commune avec Léo Hamon, David Rousset et autres notables et députés gaullistes qui appelait à souscrire un milliard pour le soutien au Vietnam (alors que dans les profondeurs de la classe ouvrière se préparait Mai‑juin 68).

Quelle importance ? La classe ouvrière française, comme toutes les classes ouvrières des pays capitalistes économiquement développés, n'était‑elle pas liée au régime capitaliste, ses salaires ne sont‑ils pas “ dix fois supérieurs ” à ceux des travailleurs des pays économiquement arriérés ? L'important n'est‑il pas, dans ces conditions, “ d'utiliser les contradictions internes de l'impérialisme ”, “ d'aider ” le peuple vietnamien en jouant De Gaulle contre Johnson ? Traîtres au contraire, selon les pablistes, sont ceux qui, comme l'Organisation Communiste Internationaliste de cette époque, affirmaient : l'aide aux ouvriers et paysans vietnamiens c'est d'abord la lutte contre notre propre bourgeoisie, “ l'ennemi est dans notre propre pays ”. De même, cette “ théorie ” justifiait‑elle de manifester à Berlin‑Ouest aux côtés de l'organisation de jeunesse stalinienne, alors que la répression s'appesantissait contre la jeunesse et la classe ouvrière de Pologne, de Tchécoslovaquie, sans ‑ “ afin de ne pas diviser ” ‑ intégrer aux mots d'ordre contre l'impérialisme américain des mots d'ordre contre la répression bureaucratique en Europe de l'Est et en U.R.S.S., des mots d'ordre pour l'unité du prolétariat allemand et européen.

Mais la portée des “ théories ” mandéliennes et des renégats de la IV° Internationale ne se limite pas là. Elles “ justifient ” l'existence des bureaucraties ouvrières et de leurs politiques.

De ces théories il résulte que les bureaucraties d'origine ouvrière procèdent des nécessités objectives, qu'elles correspondent aux besoins, aux aspirations de la classe ouvrière des pays capitalistes économiquement développés. Au cours de la discussion préparatoire au congrès de fondation de la “ Ligue Communiste ”, “ la tendance majoritaire ” ira jusqu'à écrire :

“ Toute attitude révolutionnaire doit s'affirmer contre un milieu hostile consciemment ou inconsciemment, elle ne peut se développer intellectuellement car, de même que la classe ouvrière russe était spontanément trade‑unioniste, de même spontanément la classe ouvrière française est stalinienne. ” (Cahiers Rouges N° 6‑7, page 42).

Notons au passage, que cette évocation du texte de Lénine “ Que Faire ? ” est une double falsification : la première consiste à faire couvrir par Lénine, en utilisant la juxtaposition trade‑unionisme‑stalinisme, l'affirmation “ la classe ouvrière est spontanément stalinienne ” ; la deuxième consiste à taire les rectifications que Lénine lui‑même apporta à son appréciation “ la classe ouvrière est spontanément trade‑unioniste ” dans la préface qu'il rédigea à l'édition de 1919 de “ Que faire ? ”.

Trotsky écrivait (Programme de fondation de la IV° Internationale):

“ Les lois de l'histoire sont plus fortes que les appareils bureaucratiques ”.

Trotsky affirme donc que loin de correspondre à la nécessité historique, les appareils bureaucratiques sont à contre‑sens des exigences historiques. Ils ont une importance politique considérable, mais ils procèdent de circonstances conjoncturelles.

Déjà Pablo expliquait vers 1950‑51 la nécessité historique de la bureaucratie par la théorie “ des siècles de transition ”. Le passage du capitalisme au socialisme ne durerait pas moins que plusieurs siècles. au cours desquels les déformations bureaucratiques subsisteraient, écrivait‑il. Autrement dit, les bureaucraties parasitaires ne l'étaient plus, puisqu'elles correspondaient à une exigence de l'histoire. Mandel et les renégats de la IV° Internationale “ enrichissent ” la “ théorie ” pabliste à leur façon. Ils font de la bureaucratie en général, y compris celle des pays capitalistes avancés, la légitime représentante des aspirations et besoins de la classe ouvrière. Rien d'étonnant après cela que, selon les temps et les circonstances, ils s'inclinent devant elles et l'adorent, ou que leur réprobation morale les conduise à la recherche de “ solutions ” miracles, de “ nouvelles forces sociales ”

Mais il devient évident que les rapports entre le prolétariat des pays capitalistes avancés et l'impérialisme, que supposent les renégats de la IV° internationale, légitimisent du même coup la bureaucratie stalinienne et les bureaucraties de l'Est de l'Europe, sous un autre angle que Pablo lui‑même ne le faisait. S'il est vrai que le prolétariat des pays impérialistes est soudé par “ ses privilèges ” à la bourgeoisie, l'isolement de l'U.R.S.S., des pays de l'Est de l'Europe, de la Chine est inévitable. La compétition entre les “ états ouvriers ” et l'impérialisme ne peut que se situer sur les plans économiques et militaires. Les manœuvres de la “ coexistence pacifique ” sont parfaitement normales. Et même si, par un reste de pudeur, il n'est pas possible d'identifier au socialisme le régime actuel de l'U.R.S.S., de la Chine, des pays de l'Europe de l'Est, la construction d'un système social fermé sur lui‑même (sinon la construction du socialisme dans un seul pays) est une tentative qui s'explique. Quelques soient ses exactions, la bureaucratie du Kremlin (et les bureaucraties satellites) est un mal nécessaire, indispensable. Elle surgit de l'isolement de l'U.R.S.S., dont sont responsables les prolétariats des pays capitalistes économiquement développés : seule sa politique est réaliste.

La division du monde en zones reçoit par la grâce de Janus‑Germain-Mandel sa consécration théorique : la zone des pays capitalistes avancés ; la zone des “ tempêtes ” ; les zone des “ états ouvriers ”. La fameuse “  interdépendance ” qui, dans le langage des pablistes de toutes variétés, se substitue à l'unité de la lutte des classes mondiale, est un étrange ballet que dansent les différentes “ zones dans leurs relations réciproques ”.

Il y a plus : les conflits intérieurs au sein des trois zones seraient du genre “ non‑antagoniste ”, pour utiliser la formule de Mao. Les prolétariats des pays capitalistes ne mettant pas en cause le système social capitaliste, seul un programme réformiste, les “ réformes de structures ” chères à la C.F.D.T. et au P.S.U., est concevable. Les prolétariats de l'U.R.S.S., de l'Europe de l'Est, de la Chine, ne peuvent évidemment mettre en œuvre une politique fondamentalement différente de celle de la bureaucratie. Il leur reste à espérer la “ démocratisation progressive ” de la bureaucratie. Quant “ aux peuples ” des pays économiques arriérés, chez eux, mais chez eux seuls, s'applique la théorie de la révolution permanente, quelque peu dénaturée toutefois : la situation est si révolutionnaire dans ces pays que les directions bourgeoises et petites bourgeoises, à part quelques “ collaborateurs ”, sont fondamentalement anti‑impérialistes et s'engagent dans la “ transcroissance ” de la révolution nationale en révolution socialiste.

Toutes les tendances révisionnistes y retrouvent leurs petits : “ la croissance tumultueuse des forces productives ” progresse au même rythme que progresse le révisionnisme joyeux des renégats de la IV° Internationale.


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