1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

2

L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


L'impérialisme allemand tente “ d'unifier ” l'Europe

Dès le début du siècle, l'impérialisme allemand apparaissait comme la seule puissance européenne en mesure, par son histoire, sa position géographique, sa puissance économique et militaire, de réaliser sous sa botte l'unité de l'Europe. Sans doute les ambitions navales, les exigences coloniales, l'extension de sa puissance économique et militaire, de son commerce mondial, inquiétèrent les impérialismes anglais et français qui nouèrent “ l'entente cordiale ”, mais le rôle mondial de l'impérialisme allemand dépendait finalement de sa capacité à se soumettre le continent européen. Les combinaisons d'alliances inter‑impérialistes au cours de la première guerre mondiale se réalisèrent en vue d'un nouveau partage du monde. Il est d'autant plus significatif que contre l'Allemagne s'allièrent la France, l'Angleterre, la Russie, les U.S.A., l'Italie et jusqu'au Japon, par crainte que la victoire militaire de l'impérialisme allemand lui donnât l'hégémonie en Europe et bouleversât les rapports de forces dans le monde. La défaite de l'impérialisme allemand de 1918 affirma la position dominante de I'impérialisme américain au sein du système impérialiste mondial.

Même “ victorieux ”, les impérialismes anglais et français étaient hors d'état d'unifier l'Europe. Ils tentèrent de dominer l'Europe par d'autres moyens, d'autant que victorieux la veille, ils se déchiraient mutuellement le lendemain, que les U.S.A. faisaient leur première incursion en Europe, que grondaient les échos de la Révolution russe.

Malgré leur “ victoire ”, malgré leurs empires coloniaux, leur impuissance à unifier l'Europe signifiait déjà qu'ils roulaient vers la décadence. Ils ne surent que se livrer à un jeu subtil de division et de manœuvre en Europe. Ils donnèrent le feu vert à la création de multiples états nationaux ‑ Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie ‑ utilisant et mutilant à la fois les aspirations nationales. Les découpages se réalisèrent en bonne partie artificiellement, selon des dosages, des jeux d'équilibre entre les grandes puissances impérialistes victorieuses, et les rapports de “ clients ” de celles‑ci avec les états nouvellement créés ou modifiés. L'Europe du Traité de Versailles et des traités annexes fut l'image même de l'impasse du capitalisme français et anglais. A l'intérieur des nouveaux états subsistaient des minorités qui restaient opprimées. Les états multinationaux ‑ Tchécoslovaquie, Yougoslavie privilégiaient une bourgeoisie qui opprimait les autres peuples de ces états : Tchèque en Tchécoslovaquie qui opprimait les allemands des Sudètes, les slovaques, les polonais ; Serbe en Yougoslavie qui opprimait croates, slovènes, bosniaques, monténégrins etc. La création de la “ Grande France ”, intégrant la Ruhr et la Rhénanie, s'était heurtée au veto de l'Angleterre et des U.S.A. Il restait à l'impérialisme français la méthode des petits Etats liés à lui comme ses “ clients ”, constituant un barrage contre le bolchevisme et dont il espérait maintenir l'équilibre et devenir l'arbitre. Quant à lui, il contiendrait l'Allemagne. Les résultats ne furent pas conformes aux espérances. Les U.S.A. et l'Angleterre firent pièce à l'impérialisme français et l'obligèrent à desserrer son étreinte sur l'Allemagne.

La “ perfide Albion ” intervint dans le système mis debout par l'impérialisme français en Europe, y joua son propre jeu. La crise économique et financière des années 30, la nouvelle course aux armements confirma l'épuisement de l'impérialisme français. Elle accentua les contradictions de l'Europe née du Traité de Versailles et sa désagrégation. Plus tard, sa puissance renaissant, l'impérialisme allemand utilisa à son tour les aspirations nationales des Allemands d'Autriche et des Sudètes, qu'il intégra à la “ Grande Allemagne ”, il disloqua la Tchécoslovaquie et bouleversa à nouveau l'équilibre européen. Il apparut comme un “ protecteur ” autrement efficace aux régimes fascisants de Hongrie, de Bulgarie que le décadent impérialisme français. Il n'est pas jusqu'au régime fasciste fondé par Pilsudski sous la haute protection de l'état‑major français qui ne coopéra avec Hitler en 1938 dans le dépeçage de la Tchécoslovaquie... un an avant que la Pologne ne soit à son tour dépecée.

A nouveau, l'impérialisme allemand tentait de résoudre la crise européenne et la crise mondiale à sa manière, en unifiant sous sa botte l'Europe ‑ le nouvel ordre européen ‑ préalable à son affirmation de puissance dominante dans le monde, par la destruction des conquêtes révolutionnaires de l'U.R.S.S., et face à l'impérialisme américain. Au cours de la deuxième guerre mondiale, les alliances qui se nouèrent furent quelque peu différentes de celles de la première guerre impérialiste mondiale. Dans l'immédiat avant‑guerre, les impérialismes français et anglais s'efforcèrent d'orienter l'impérialisme allemand en direction d'une guerre contre l'U.R.S.S., quitte à intervenir ultérieurement et à tirer les marrons du feu. Les accords de Munich avaient ce sens de la part des gouvernements anglais et français. L'impérialisme japonais tenta de profiter de l'effondrement des impérialismes français, belge, hollandais, et de l'affaiblissement de l'impérialisme anglais pour contrôler l'Asie. Il spécula sur la victoire allemande en Europe en tentant d'en profiter afin d'éliminer d'Asie l'impérialisme américain ; sans s'engager dans la guerre .contre l'U.R.S.S., il guetta sa défaite. L'impérialisme italien, “ lésé ” par ses alliés en 1918, se rangea aux côtés de l'Allemagne. Mais l'impérieuse logique qui domine les rapports inter-impérialistes en Europe et dans le monde s'imposa : l'impérialisme allemand, avant de se ruer contre l'U.R.S.S., de jouer son rôle mondial face aux Etats‑Unis, s'efforça de contrôler l'ensemble de l'Europe. Malgré l'écrasement de la France, la capitulation ou l'étranglement des petites puissances, il n'y parvint pas totalement , l'Angleterre ayant échappé à l'écrasement rapide et, soutenue par les U.S.A., poursuivant la guerre. La ruée sur la France, la mainmise sur la presque totalité de l'Europe avant que de se précipiter contre l'U.R.S.S., obéissaient sans doute à des considérations militaires et politiques. Le pacte germano‑soviétique donnait les moyens à Hitler de se débarrasser de la menace militaire française, d'engager la guerre à l'Ouest, en ayant les garanties de ne pas être pris à revers par l'armée russe et de recevoir blé, pétrole, matières premières d'U.R.S.S. Il reste que la façon dont l'impérialisme allemand engagea la guerre correspond, dans les conditions de la guerre, sous la forme impérialiste, à la nécessité de surmonter économiquement et politiquement la division de l'Europe. L'échec de l'entreprise implique l'immédiate décadence de l'impérialisme allemand lancée sur la même pente descendante que les impérialismes anglais et français.

La destruction des conquêtes révolutionnaires d'Octobre intéresse l'impérialisme mondial dans sa totalité : les impérialismes américain et anglais au premier chef. Pourtant l'Angleterre résista jusqu'au bout plutôt que de voir la défaite de l'U.R.S.S. assurer l'hégémonie de l'impérialisme allemand sur l'Europe. L'impérialisme américain jeta sa puissance dans la balance afin d'éviter cette éventualité, non bien sûr sans l'arrière calcul que l'U.R.S.S., épuisée, céderait à la pression de l'impérialisme américain à l'issue de la guerre. Cependant, les impérialismes américain et anglais préféraient à l'hégémonie de l'impérialisme allemand en Europe sa défaite devant l'U.R.S.S. La “ démocratie ”, la “ liberté ”, les “ valeurs humaines ”, n'ont rien à y voir : l'hégémonie mondiale, tel était l'enjeu.

Depuis 60 années, les classes dominantes en Europe ont été poussées par la logique irrépressible des contradictions du mode de production capitaliste. Elles ont essayé de surmonter les contradictions entre le développement des forces productives, la propriété privée des moyens de production, les cadres historiques dans lesquels il s'est développé et qu'il a forgé lui‑même : liaison organique contradictoire de l'économie étouffant dans les limites nationales. L'étroitesse nationale particulièrement intolérable en Europe en raison de l'unité organique de l'économie européenne, du poids mondial de l'économie européenne, du rôle mondial que les impérialismes européens ont joué et jouent du fait que l'Europe est le berceau du mode de production capitaliste, exigeait d'elles qu'elles unifient l'Europe, qu'elles rompent ses barrières nationales, qu'elles organisent l'économie européenne.

Les impérialismes anglais et français ont démontré qu'ils en étaient foncièrement incapables. Bien au contraire, la courte période où ils eurent la prééminence en Europe à la suite de la première guerre mondiale fut celle du puzzle européen, du saucissonnage de l'Europe, découpée, redécoupée arbitrairement. L'impérialisme allemand a également finalement échoué. Mais ses tentatives sont particulièrement illustratives de ce que signifie l'unification de l'Europe par l'impérialisme. Les moyens de la barbarie, les plus dévastatrices des guerres, la destruction gigantesque de richesses, de vie humaine, de forces productives, sont les seules méthodes à la disposition du capital au stade impérialiste lorsqu'il tente, poussé par la nécessité, de surmonter ses contradictions. La brève période d'hégémonie allemande sur l'Europe de 1940 à 1944 illustre comment l'Europe s'unifierait sous l'égide d'un impérialisme dominant. Le résultat s'est inscrit en lettres de feu et de sang dans l'histoire : aux destructions de vie et de biens s'ajoutent les pillages, l'appropriation par les groupes capitalistes allemands de secteurs entiers de l'économie capitalistes des autres pays, la subordination de l'économie des autres pays aux besoins du capital allemand, la destruction des forces productives qui ne correspondent pas à ces besoins , l'oppression nationale et l'oppression de classe allant jusqu'à l'extermination physique de peuples entiers. C'était la guerre ? Sans doute. Mais qu'est‑ce que la guerre impérialiste ? Tout comme le fascisme, l'émergence des tendances profondes de l'impérialisme. La guerre impérialiste, le fascisme, font apparaître dans toute leur cruauté, leur brutalité, leur force destructive, les exigences de l'impérialisme, ses besoins profonds.


Archives Trotsky Archives S. Just
Début Précédent Haut de la page Sommaire S. Just Suite Fin