1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

2

L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


L'étau des forces de classes

L'impérialisme dut abandonner l'Europe de l'Est au contrôle de la bureaucratie du Kremlin. Menacé par la lutte de classe intensive du prolétariat européen, malgré le plan Marschall, le Pacte atlantique, la pression économique, politique, militaire, sur l'U.R.S.S. et les pays de l'Europe de l'Est, il ne put empêcher la bureaucratie du Kremlin d'étendre les rapports sociaux de production nés d'Octobre aux pays qu'elle contrôlait, d'autant que les états bourgeois et les bourgeoisies locales y étaient démantelées. Mais ceux‑ci sont encore plus déformés en Europe de l'Est qu'en U.R.S.S. Le pillage de la bureaucratie du Kremlin, conjugué à la construction de “ petit socialisme dans chaque petit pays ”, a rendu plus sensible encore leur coupure du marché mondial et de la division internationale du travail. Les rapports sociaux de production ont néanmoins permis, par la mobilisation de toutes les ressources, le développement jusqu'à un certain point des forces productives, comme ils ont permis à l'U.R.S.S. de reconstruire son économie dévastée par la guerre et de poursuivre sa croissance. Malgré les gaspillages, les distorsions, il s'agit bien dans ce cas de la croissance des forces productives, car au contraire du développement des moyens de production dans les pays capitalistes, le volant d'entraînement de l'économie dans son ensemble n'est pas l'économie d'armement, mais la satisfaction des besoins sociaux.

Les besoins sociaux qui prévalent sont, naturellement, ceux de la bureaucratie parasitaire. Elle doit néanmoins tenir compte des besoins sociaux de la classe ouvrière au moins dans une certaine mesure, même si elle les interprète et les sélectionne.

La puissance politique de la bureaucratie du Kremlin est parvenue à enfermer la croissance des forces productives dans les limites des états nationaux d'Europe de l'Est et de l'U.R.S.S., à les couper arbitrairement de leur lien nécessaire avec celles du reste de l'Europe, jusqu'à trancher dans la chair vive du prolétariat allemand, ainsi que l'impérialisme y parvenait sur d'autres bases en raison de la puissance du capitalisme américain et avec l'appui des bureaucraties ouvrières, celles des P.C. occidentaux jouant un rôle déterminant. L'économie des pays de l'Europe de l'Est et de l'U.R.S.S. est vraiment le produit de la révolution prolétarienne contenue, limitée, tronqués et défigurée. Les délais peuvent être plus ou moins longs, elle ne peut se maintenir en l'état. Il lui faut aller en avant vers le socialisme ou en arrière vers le capitalisme : la croissance des forces productives, leurs distorsions, posent concrètement ce dilemme. Au même instant, la nécessité de forcer les barrages de l'économie planifiée, du monopole d'état du commerce extérieur, se fait plus impérieux pour l'impérialisme. La bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties parasitaires sont prises comme dans un étau entre ces exigences contradictoires. En U.R.S.S., dans les pays de l'Europe de l'Est, la crise de la planification traduit le besoin urgent de la réorganisation des forces productives : harmonisation du développement des différents secteurs de la production, de la division du travail entre les différents pays à économie planifiée à partir des mêmes rapports sociaux de production, de la propriété étatique des principaux moyens de production et d'échange, et, englobant et ordonnant le tout, la nécessité d'étendre les rapports sociaux nés de la révolution d'Octobre au reste de l'Europe et du monde, afin d'organiser sur de nouvelles bases la division mondiale du travail. La bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites, foncièrement opposées à l'élaboration par les travailleurs de la planification, à la réorganisation de la division du travail entre les pays d'économie planifiée, à la révolution prolétarienne dans les pays capitalistes économiquement développés, défendent empiriquement le statu‑quo en Europe et dans le monde... sans y parvenir.

En dernière analyse, elles réfractent en U.R.S.S. et dans les pays de l'Europe de l'Est la pression de l'impérialisme, se lancent dans la concurrence internationale, réajustent la gestion de l'économie selon les exigences de cette concurrence, font le lit de la pénétration impérialiste et disloquent la planification. Les échanges dans leur forme, leur structure actuelles entre l'U.R.S.S., les pays de l'Europe de l'Est et les pays capitalistes ne sont pas neutres. Ils contraignent la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites à laisser opérer automatiquement la loi de la valeur, ils disloquent la planification. Au travers des échanges Est‑Ouest, la lutte de classe se manifeste à l'avantage de l'impérialisme dans ce domaine, parce que c'est la bureaucratie parasitaire qui gère la planification de l'économie.

La discussion, en dehors de l'ensemble de ces rapports, des “ réformes économiques ”, des vertus ou des méfaits réciproques du marché, de la loi de la valeur, de la planification, des échanges commerciaux Est‑Ouest, est une mystification. La planification en U.R.S.S., dans les pays de l'Europe de l'Est, ainsi qu'en Chine, ne peut envoyer au diable la loi de la valeur, les catégories marchandes, le marché. Elle ne peut se dispenser d'être insérée dans la division mondiale du travail. La vraie question est de savoir ; qui gère et à partir de quelle politique ? La classe ouvrière gèrera l'Etat ouvrier régénéré, en utilisant le marché, la loi de la valeur. Elle ne pourra faire autrement, car le développement des forces productives est insuffisant à assurer l'automatisme de développement de l'économie sur la base des rapports sociaux de production issus de la révolution d'Octobre, pour une raison évidente : la loi de la valeur et les catégories marchandes ne peut disparaître que lorsque le mode de production social fondé sur la propriété collective des moyens de production englobe et dépasse les acquis du mode de production capitaliste, dont la division mondiale du travail débarrassée de ses contradictions. Mais utilisant les lois du marché, elle renforcera la planification parce qu'elle sera capable d'opérer en connaissance de cause les transferts de valeur d'une branche de production à l'autre, de déterminer les objectifs sociaux à atteindre, en raison de la participation active des producteurs, de la classe ouvrière, à l'élaboration et à la réalisation du plan. Conjointement à la question : qui, à l'Est de l'Europe, et en U.R.S.S., gère la planification et au profit de qui, se pose cette autre question : qui brisera la division de l'Europe et du monde en deux modes de production social ? Est‑ce l'impérialisme, est‑ce le prolétariat ? Dans le premier cas, ce serait “ la réaction sur toute la ligne ” : le plus puissant impérialisme imposant sa loi à ses concurrents et détruisant les conquêtes de la révolution d'Octobre, réduisant la classe ouvrière de l'Ouest et de l'Est de l'Europe à la décrépitude, sinon à la destruction. Dans le second cas, le prolétariat doit renverser la bourgeoisie dans chaque pays, exproprier la bourgeoisie à l'Ouest de l'Europe ; il doit balayer la bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites, réaliser la révolution politique là oÙ la bourgeoisie a été expropriée, régénérer les états ouvriers. Aussi bien à l'Ouest qu'à l'Est de l'Europe, le mot d'ordre et la perspective des Etats‑Unis socialistes d'Europe ordonnent et unifient la lutte du prolétariat. Le combat a commencé avec la révolution d'Octobre, la vague révolutionnaire, même limitée et contenue de la fin et de l'après seconde guerre mondiale, renforça les positions conquises par la classe ouvrière européenne, sous l'apparence de la division du monde en “ blocs ”. Appuyé sur les positions acquises, la classe ouvrière d'Europe fait face à la réaction impérialiste. Elle se dresse contre les bureaucraties parasitaires et spoliatrices qui, en dernière analyse, sont à l'Est de l'Europe, en U.R.S.S., les meilleurs atouts dont dispose l'impérialisme, tout comme l'appareil international du stalinisme est passé du côté du maintien de l'ordre bourgeois dans le monde.

Après un moment de recul, la classe ouvrière européenne repart à l'assaut. Telle est la signification de Mai‑juin 68 en France, du combat engagé par le prolétariat tchécoslovaque.

Révolution sociale et révolution politique sont étroitement imbriquées. Elles forment une totalité. L'Europe de demain sera un ramassis de décombres, ou elle sera celle des Etats‑Unis socialistes d'Europe. Prise dans un étau, la bureaucratie parasitaire sera inéluctablement broyée. Mais qui vaincra : l'impérialisme ou le prolétariat ?

Finalemement, les Janus‑Germain‑Mandel, les renégats à la IV° Internationale, se rangent également du côté du maintien de l'ordre bourgeois. Au fond, là est le secret de leurs “ théories ” sur la passivité et ensuite la défaite du prolétariat européen, la classe ouvrière européenne “ aristocrate ” dans son ensemble, “ l'interpénétration des capitaux ”, “ la société socialiste isolée disposant des forces productives les plus développées ”. Aujourd'hui comme hier, ce sont les flanc‑gardes de la bourgeoisie et des appareils bureaucratiques. Aucun étonnement qu'au nom de la “ IV° Internationale ”, ils alimentent les révisionnistes de toutes sortes, les “ théoriciens ” bourgeois et petits‑bourgeois de tous calibres, en “ théories ” aussi nombreuses, diverses, que variables. Le pablisme ne se définit pas par une théorie mais par une continuité politique : celle de la capitulation constante devant la bourgeoisie et les appareils bureaucratiques.


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