1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

Annexe

Pour la reconstruction de la IV° Internationale


Document adopté par l'Organisation trotskyste (pour la reconstruction de la IV° Internationale)
« La Vérité » n°545 - oct.1969.


II: La fin de l’après-guerre

  Les rapports entre les classes sont actuellement radicalement différents. La crise révolutionnaire, consécutive à la deuxième guerre impérialiste mondiale, a surgi des failles ouvertes de l'impérialisme, notamment celles des vieilles puissances impérialistes d'Europe, que celles‑ci aient fait partie du camp des « vainqueurs » ou du camp des vaincus. Avec le secours de la bureaucratie du Kremlin, organisée et regroupée autour de l'impérialisme américain, la bourgeoisie mondiale est parvenue à contenir cette vague révolutionnaire , non sans avoir subi de durs coups et reculé : Est de l'Europe passé, sous le contrôle de la bureaucratie du Kremlin, victoire de la révolution chinoise, importantes concessions économiques des bourgeoisies d'Europe occidentale aux prolétariats, dislocation des vieux empires coloniaux, développements révolutionnaires dans les pays économiquement arriérés dominés par l'impérialisme. Depuis, aucun coup décisif n’a pu être porté au prolétariat mondial par l'impérialisme.

Le cadre de l'équilibre mondial, établi à la suite de la deuxième guerre impérialiste mondiale était défini par les accords de Yalta et de Potsdam. Les mouvements de classes l'ont constamment remis en cause et ont révélé sa précarité. Il s'est néanmoins, grosso modo maintenu, appuyé sur ses deux fondements : la puissance et les ressources de l'impérialisme américain devenu le tuteur de l'impérialisme mondial, la puissance politique de la bureaucratie du Kremlin. Mais les exigences même du maintien de cet équilibre en préparaient la destruction.

  Les énormes ressources, la puissance de l'impérialisme américain ont fait de lui le pilier de l'impérialisme mondial. La disproportion entre cette puissance d'une part, et la décadence des impérialismes d'Europe (aussi bien « vainqueurs » que vaincus) et le Japon, de l'autre, semblait mettre à l'ordre du jour la réalisation dune sorte de « super‑impérialisme », les bourgeoisies d'Europe et du Japon tombant au niveau de bourgeoisies compradores de l'impérialisme américain. Il n'en a pas été ainsi.

  Si les bourgeoisies d'Europe, en particulier, sont irrémédiablement décadentes, le prolétariat européen lui, constitue une puissante unité organique qui possède une riche tradition de classe et une conscience politique élevée. Ravaler les bourgeoisies d'Europe au rang de bourgeoisies compradores, réduire l'économie européenne à une économie simplement complémentaire de celle de l'impérialisme américain, cela exigeait d'être en mesure, au cours de terribles combats de classes, de détruire la classe ouvrière européenne. Eviter ces luttes de classes, que les bourgeoisies européennes étaient incapables de mener, exigeait, au contraire, que l'impérialisme américain tente de stabiliser les bourgeoisies d'Europe , les aide à reconstituer leur Etat et leur économie, faute pour elles de pouvoir écraser le prolétariat à court terme.

Le puissant impérialisme américain intégra à ses contradictions spécifiques les contradictions du capitalisme européen décadent. L'Etat bourgeois américain nourrit le parasitisme de l'ensemble du capitalisme mondial, afin de le restructurer.

  Les échéances de cette politique, c'est la crise du dollar et du système monétaire international. Derrière la « crise des moyens de paiements », ce sont toutes les contradictions sociales de l'impérialisme qui opèrent. Pour éviter l'effondrement des impérialismes européens et japonais et contenir un gigantesque développement de la lutte des classes dans ces pays, l'impérialisme américain a concentré en son sein les contradictions de l'impérialisme mondial. Les vieilles contradictions du capitalisme en Europe n'ont pas été pour autant résolues. Bien au contraire, elles resurgissent de la reconstitution des impérialismes européens sur leurs bases anciennes, aggravées par la division de l'Europe en deux systèmes sociaux différents et par la perte des débouchés que leur assuraient automatiquement leurs vastes empires coloniaux.

Il existe toujours une « solution » aux crises de l'impérialisme. La crise actuelle peut se résoudre par la liquidation d'une partie du capital fictif accumulé, l'ouverture pour les marchandises et capitaux de l'Europe de l'Est, de la Chine, de l’ U.R.S.S., le passage de l'économie d'armement à l'économie de guerre. Mais cette « solution » ne peut être imposée qu'au moyen de terribles luttes de classe contre les prolétariats des pays économiquement développés, aussi bien ceux des pays capitalistes que ceux de l'Europe de l'Est et de l'U.R.S.S. Elle requiert la guerre la plus exterminatrice qui soit, à plus on moins long terme contre la Chine et l'U.R.S.S., l'anéantissement de peuples entiers dans les pays économiquement arriérés, la mise au pas des impérialismes européens et japonais par l'impérialisme américain, la subordination, dans tous les pays, y compris les Etats‑Unis, de toutes les couches de la bourgeoisie par l'« Etat fort » porteur des intérêts généraux « historiques », du capital.

L'équilibre social et politique actuel est intolérable pour l'impérialisme. Son simple maintien signifie à court terme une crise économique, sociale et politique sans précédent, la dislocation de l'impérialisme mondial. Il est donc impossible de maintenir cet équilibre.

  La crise de l'impérialisme est intimement liée à celle de la bureaucratie du Kremlin, dont la puissance politique, qui avait atteint son sommet au moment de Yalta et de Postdam, n'a cessé, depuis, de se détériorer et est maintenant profondément minée. Les deux crises se conjuguent. La puissance politique de la bureaucratie du Kremlin procédait de rapports déterminés qui s'étaient constitués avant la deuxième guerre mondiale et s'étaient développés par suite de la victoire prestigieuse de l'U.R.S.S. sur l'impérialisme allemand, payée néanmoins de 20 millions de morts, véritable saignée du prolétariat soviétique : rapports entre la bureaucratie du Kremlin et le prolétariat de l'U.R.S.S entre celle‑ci et le prolétariat mondial par l'intermédiaire de son appareil international, rapports, enfin, entre la bureaucratie et la coalition impérialiste victorieuse, aux prises avec la poussée révolutionnaire qui a suivi la guerre impérialiste.

  La victoire de la révolution chinoise, menée à bien à l'encontre des accords de Postdam et de Yalta, à l'encontre de la volonté de la bureaucratie du Kremlin, par le Parti communiste chinois, la rupture avec le parti communiste yougoslave, le développement de la guerre froide, signifiaient déjà que ces rapports étaient mouvants et se détérioraient au détriment de la bureaucratie du Kremlin. Les épurations dans les pays de l'Europe de l'Est et en U.R.S.S. au cours des années 1948‑1953 démontraient que la crise de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites s'amplifiait. Elle devint virulente à la mort de Staline, avec les explosions révolutionnaires de juin 1953 en Allemagne de l'Est, les mouvements révolutionnaires de l'automne 1956 en Pologne, la révolution politique des conseils ouvriers hongrois en novembre 1956, la dénonciation de Staline par la bureaucratie du Kremlin elle‑même. Elle atteignit un niveau plus élevé encore avec la rupture entre le Kremlin et la bureaucratie chinoise. Depuis, tout l'appareil international du stalinisme se fissure et la crise fait rage jusqu'au sein des plus hautes sphères de la bureaucratie du Kremlin, quelle tend à dissocier en ses composantes.

L'origine de la crise de la bureaucratie du Kremlin et de son appareil international réside dans l'impossibilité de conserver l'équilibre que traduisaient les accords de Postdam et Yalta et qu'ils tentaient du point de vue de la bureaucratie de perpétuer. L'impérialisme n'a cessé d'accroître sa pression économique, militaire, politique, sur l’U.R.S.S. Et les pays d'Europe de l'Est. Le prolétariat d'Europe occidentale est en conflit latent avec la politique des P.C. subordonnés à la bureaucratie du Kremlin et celle des bureaucraties réformistes, ce qui se traduit par des débordements des appareils de ces organisations. Les exigences de défense de la révolution chinoise contredisent les intérêts de la bureaucratie chinoise et, plus directement encore, ceux de la bureaucratie du Kremlin. L'extension de la structure sociale, née de la révolution d'Octobre 1917, aux pays de l'Europe de l'Est, la croissance et le renforcement du prolétariat de ces pays et de celui de l'U.R.S.S. s'opposent au joug politique et aux privilèges de la bureaucratie du Kremlin et des bureaucraties satellites. Le développement des forces productives en U.R.S.S. et dans les pays de l'Europe de l'Est devient incompatible avec la gestion bureaucratique de la planification avec les « normes » de « la construction du socialisme dans un seul pays ». Il exige que le plan, pour développer harmonieusement les multiples secteurs d'une économie chaque jour plus complexe et diversifiée soit élaboré, contrôlé, appliqué par l'ensemble des producteurs, ce qui ne peut être que si la classe ouvrière chasse la bureaucratie parasitaire du pouvoir politique et régénère l'Etat ouvrier. Il exige l'intégration de l'économie de l’U.R.S.S. et des pays de l'Europe de l'Est à la division internationale du travail, non dans sa structure actuelle, qui est conditionnée par le mode de production capitaliste, par les exigences de l'impérialisme, lequel domine toujours l'économie mondiale, mais refondue, à la suite de la saisie par le prolétariat mondial des principales forces productives, en un ensemble harmonieux en évolution constante selon les nécessités de la croissance rationnelle de l'économie mondiale en fonction de la satisfaction des besoins des hommes. La bureaucratie du Kremlin et les bureaucraties satellites de l'Europe de l'Est sont attachées aux cadres et aux Etats nationaux dont dépend leur existence. Elles sont violemment opposées à la révolution prolétarienne partout, et avant tout dans les pays économiquement développés, car cette révolution romprait tous les anciens rapports sociaux et politiques qui ont donné naissance à la bureaucratie parasitaire ; elle retentirait immédiatement sur les prolétariats de l'U.R.S.S. et d'Europe orientale qui chasseraient l'usurpatrice.

L'équilibre entre l'impérialisme mondial et le prolétariat mondial, entre l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin, entre la classe ouvrière, la bureaucratie du Kremlin et son appareil international, entre les différents impérialismes, tel qu'il est résulté de la deuxième guerre mondiale, est devenu tout simplement impossible. C'est la fin de l'après‑guerre. Le prolétariat, pas plus que l'impérialisme, ne peut désormais s'accommoder de cet équilibre relatif. Il leur faut, à chacun, selon ses intérêts de classe antagonistes, le rompre de façon décisive. La bureaucratie du Kremlin et son appareil international sont pris entre les pressions opposées des forces sociales fondamentales et ils craquent. Toutes les bureaucraties réformistes, syndicales et autres, sont prises dans le même étau et craquent également, Il n'est pas jusqu'à la bureaucratie chinoise qui ne se déchire en ses composantes, la « révolution culturelle » exprime ce phénomène. Les directions petites‑bourgeoises bonapartistes Castro, Boumedienne, Nasser, etc., n'échappent pas à la tourmente. Révolution et contre‑révolution vont s'affronter brutalement sur tous les terrains. Les luttes de classes de ces dernières années sont les prémisses de ces affrontements.


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