1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Dialectique de la révolution, de la contre-révolution, de la IV° Internationale

L'absence en des thèses sur « la révolution mondiale » de référence et d'analyse de la nouvelle Sainte-Alliance contre-­révolutionnaire leur est préjudiciable. La nouvelle Sainte‑Alliance est le versus de la nouvelle période de la révolution mondiale qui s'est ouverte en 1968. Washington en est le centre et la force motrice. Moscou et Pékin constituent les ailes. Les intérêts de l'impérialisme américain en particulier, et de l'impérialisme en général prévalent au sein de la nouvelle Sainte‑Alliance. Toutes les forces sociales et politiques dans le monde qui redoutent la révolution prolétarienne tendent à s'aligner sur elle : les puissances impérialistes d'Europe, mais aussi les bureaucraties vietnamienne, de Corée, de Yougoslavie, Castro, les bourgeoisies des pays économiquement arriérés, les organisations et partis bourgeois et petits-bourgeois de ces pays. Il n'en résulte pas que la nouvelle Sainte‑Alliance forme un tout homogène. Au contraire, elle est déchirée d'antagonismes. La lutte contre la révolution prolétarienne la cimente. Les contradictions internes peuvent la disloquer : par exemple, une crise économique qui disloque le marché mondial. A un certain point de son développement, la révolution la disloquera.

L'absence de référence à la Sainte‑Alliance contre-révolutionnaire fait pendant aux insuffisances et faiblesses de l'analyse du cheminement, de la progression contradictoire de la révolution prolétarienne mondiale depuis 1917, et aussi depuis 1943. Il devient alors impossible de rendre compte à quel point de concentration la crise conjointe de l'impérialisme et des bureaucraties parasitaires, et avant tout celle du Kremlin est parvenue. La concentration de l'unité de la lutte des classes n'apparaît pas. La fusion de la révolution sociale et de la révolution politique est niée. La lutte des classes mondiale est réduite au mieux à une sorte de puzzle, dont les divers morceaux seraient séparés.

La révolution mondiale se développe de façon inégale. Mais cette inégalité est la forme que revêt son unité organique et historique. La marche à la révolution ne se développe pas à la même vitesse, la révolution n'est pas au même point de maturité dans es différents pays d'Europe, mais elle est une. La lutte des classes aux USA retarde sur celle qui se déroule en Europe. Mais la marche à la révolution inclut l’impasse actuelle de l'impérialisme américain, qui tente de faire supporter au prolétariat US les conséquences de son pourrissement ; l'exigence qui le conforte d'avoir à bouleverser les rapports entre les classes et à l’intérieur des classes, de liquider un système politique de domination de classe hérité du passé, et qui est devenu inadéquat à l'exercice de son rôle mondial ; le besoin de mettre sur pied un système politique concentrant les pouvoirs entre les mains de l'État fort et centralisé, et lui donnant les moyens de mobiliser toutes les ressources de l'impérialisme US. C'est‑à‑dire toute une période de gigantesques luttes des classes et de bouleversements politiques aux USA qui subira l'influence du développement mondial de la lutte des classes. La nouvelle période de la révolution mondiale comprend le développement d'une nouvelle phase de lutte et de révolutions contre la domination impérialiste, qui mettra fin aux jeux d'équilibre entre les classes et les forces politiques nationales et internationales de la « bourgeoisie nationale » et des organisations petites‑bourgeoises, et ressortir l'hégémonie du prolétariat dans la lutte contre l'impérialisme. Même si, ce qui est très possible, se concrétise à nouveau la fameuse hypothèse théorique du Programme de transition, citée plus haut, elle ne sera vraiment « qu'un court épisode vers la véritable dictature du prolétariat. »

Au cours de la nouvelle période de la révolution mondiale qui est déjà ouverte, la marche à la révolution et son développement ne seront certainement pas d'une rigoureuse ordonnance. A certains moments, l'Europe, le monde pourront sembler être des kaléidoscopes. Ils pourront apparaître comme complètement chaotiques. La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. Cela ne résulte pas de l'insuffisance de maturité des conditions objectives : au contraire, elles sont ultra‑mûres, la puissance sociale et politique du prolétariat mondial, en conséquence du renversement en 1943 du cours de la lutte mondiale des classes, n'a jamais été aussi grande. C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui « se réduit à celle de la direction révolutionnaire ». Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme. Pour y parvenir, encore faut‑il qu'elles appréhendent la profonde unité de ce qui aujourd'hui est différencié et demain peut sembler chaotique.

Ainsi que l'écrit le camarade Ernest Mandel, il faut saisir « de façon adéquate la dialectique des facteurs objectifs et subjectifs »(Thèse 6). La nouvelle période qui vient de s'ouvrir met et va mettre à nu le rôle contre‑révolutionnaire des bureaucraties parasitaires, au centre desquelles se situe celle du Kremlin, celui des PC, rouages de l'appareil international du Kremlin, des partis social‑démocrates, des appareils des organisations syndicales, des directions petites-bourgeoises dans les pays dépendant de l'impérialisme. Elle va faire de cette phrase du Programme de transition : « Les lois de l'histoire sont plus fortes que les appareils bureaucratiques », une réalité concrète de tous les jours. Mais les lois de l'histoire enseignent la nécessité des partis révolutionnaires et de l'Internationale qui les traduisent concrètement au cours de leur action politique. Cela fait partie des lois de l'histoire. Encore faut‑il les appréhender et les comprendre. Au fond de cette discussion, il y a une question à laquelle il est indispensable de répondre : le Programme de transition, « l'agonie du capitalisme et les tâches de la IV° Internationale », programme sur lequel la IV° Internationale est fondée, est‑il toujours d'actualité ?

Jamais il ne l'a été plus que maintenant, selon nous : il synthétise, sous forme de programme, c'est‑à-dire de ligne stratégique de combat politique pour la révolution, l'expression consciente de toute la première période de la révolution prolétarienne qui s'étend de 1914 à 1938, où tous les problèmes de la révolution prolétarienne mondiale ont été soulevés ; la nouvelle période de la révolution qui s'est ouverte en 1968 concentre justement tous ces problèmes. Encore faut‑il, pour affirmer sa validité, respecter son fondement, l'unité organique de la lutte des classes mondiale, de la révolution prolétarienne mondiale.

Nous en arrivons à l'aspect déterminant de l'activité des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de son programme, dont l'origine remonte à sa fondation : celui de l'activité pour la IV° Internationale, et de ses partis. Sur quelle base, à partir de quelle politique, de quel programme, faut‑il les construire ou les reconstruire ? N'est‑ce pas la seule façon de saisir « de façon adéquate la dialectique des facteurs objectifs et subjectifs », et surtout d'assumer activement et consciemment cette dialectique ?


Les 25 Thèses du camarade Ernest Mandel sur la « révolution mondiale » ont l'intérêt certain d'exiger une discussion approfondie de tous les problèmes de la révolution mondiale.


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