1891


Source : Le Socialiste du 10 octobre 1891.

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Appel aux électeurs de la première circonscription de Lille

Paul Lafargue

10 octobre 1891


Citoyens,

De par le décret qui vous convoque, vous êtes, dès aujourd’hui, constitués en jury national.

Vous aurez, le 25 octobre, à juger le massacre de Fourmies et à répondre au ministre de la Justice, M. Fallières, déclarant, après le verdict de Douai, que "le jury du Nord a dit le dernier mot dans cette malheureuse affaire ".

Vous aurez à établir, par votre vote, si après avoir inauguré le fusil Lebel contre des femmes et des enfants, il suffit, pour se laver du sang versé, de faire condamner à des années de prison, des socialistes, par une douzaine de fabricants et de capitalistes fonciers élevés à la dignité de jurés.

C’est dans cet esprit que j’ai accepté la candidature de protestation qui m'était offerte comme l’unique moyen de traduire devant le tribunal populaire, le seul que je reconnaisse, les patrons provocateurs qui ont appelé la troupe à Fourmies, les autorités civiles et militaires qui ont présidé à la fusillade et les magistrats qui ont couvert de leur jugement complice cette réédition aggravée d’Aubin et de La Ricamarie sous un gouvernement qui se réclame de la République.

Mais vous n’aurez pas à juger seulement le guet-apens du 1er Mai et ses auteurs ; vous aurez à condamner l’emploi qui se généralise de l'armée dite nationale contre la nation ouvrière et ses revendications les plus légales et les plus pacifiques. Vous aurez à dire si, pères et mères de famille à qui on prend vos enfants sous prétexte de patrie à défendre, vous entendez les laisser transformer en mercenaires du patronat, en policiers du capital, et en assassins du peuple ouvrier dont ils sont la chair et le sang.

Vous aurez à juger cette République bourgeoise qui, fondée grâce à vous, au prix d’efforts et de sacrifices sans nombre, n’a su, depuis vingt années de patience et de misère, mises généreusement à son service, qu’augmenter les charges budgétaires, encourager les tripotages financiers, et frapper le pain et la viande de droits d’affameurs.

A vous de dire si cette République de l’Union Générale, du Panama, et autres Kracks à la Rothschild, est la République de vos vœux, ou si, au contraire, elle n’est pas la continuation et l’aggravation des divers régimes monarchiques dont vous croyiez avoir définitivement fait justice en jetant bas l’Empire.

Vous aurez enfin à juger cette société capitaliste qui, concentrant de plus en plus dans des mains fainéantes les moyens de production industriels et agricoles, multiplie le nombre des prolétaires sans propriété, les transforme en machines à profits, eux, leurs femmes et leurs enfants, et prétend payer sa dette aux producteurs, ainsi dépouillés de leurs produits, avec le Bureau de bienfaisance et l'Hôpital.

Vous aurez à dire, s’il vous convient de continuer à aller de salaires de famine en chômages, produisant et manquant de tout, plus épuisés dans vos muscles de travailleurs libres que les esclaves d’autrefois ; ou si, au contraire, comprenant que la science a tellement multiplié les moyens de consommation qu’il y a place aujourd’hui pour le bien-être de tous, et qu’il ne s’agit pour cela, que de socialiser les forces productives, vous êtes décidés à faire un premier pas dans cette voie libératrice, en affirmant, par le triomphe du Parti Ouvrier, le prochain avènement de l’ordre nouveau.

Vive les Travailleurs de Lille !

Vive le Socialisme !

 

 

Paul Lafargue.

 

 

 


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