1903

Le pays le plus développé industriellement montre à ceux qui le suivent sur l'échelle industrielle l'image de leur propre avenir.
K. Marx


Paul Lafargue

Les trusts américains

Chapitre III : Monographies de trusts

avril 1903


Chapitre III : Monographies de trusts

a) Le trust du pétrole.

 
Périodiquement les journaux annoncent que l'on se prépare aux États-Unis à passer les trusts au fil de la loi et que sénateurs, députés, présidents, juges et journalistes aiguisent les sabres parlementaires. Le public européen s'imagine que c'est arrivé : il ne se rend pas compte que les ruines et les faillites que les trusteurs ont semées dans la bourgeoisie industrielle et commerciale ont fait éclore une innombrable plèbe de mécontents, qui trouvent que le monde bourgeois, tel que l'organisent ces ogres capitalistes, n'est plus le meilleur des mondes possibles. Les politiciens yankees, à l'affût des occasions pour capter le confiance populaire, tapagent bruyamment contre les trusts, qu'ils transforment en un tremplin politique, bien supérieur à la Patrie des nationalistes et à la Justice et à l'Idéal Communiste de Jaurès. Battage, que tout ça !

L'histoire, si mouvementée, de la Standard Oil Company – le trust du pétrole – permettra aux lecteurs d'apprécier la valeur du tapage politicien et de se faire une idée de ce que dans la bourgeoise, la démocratique et la libre République de l'Amérique du Nord les capitalistes osent commettre pour organiser les trusts.

H. D. Lloyd, dans son Wealth against Cornmonwealth, si richement documenté, raconte les origines de la Standard Oil Cie, – le " père du trust-system " – ses fraudes, ses crimes, sa guerre impitoyable contre les concurrents et ses luttes contre les pouvoirs judiciaires et politiques. Les faits qu'il cite sont étranges, mais positifs ; ils sont puisés dans des enquêtes officielles [1].

L'âge de l'huile, comme disent les Yankees, commença vers 1860. To strike oil, – taper de l'huile – devint l'idéal de la bourgeoisie américaine. Des bourgeois, par dizaines de mille, se ruèrent dans le bassin pétrolier de la Pennsylvanie, forant des puits, pompant le liquide d'or et le raffinant. Les dollars pleuvaient. Une prospérité inouïe régnait dans ce centre pétrolifère, quand en pleine fièvre de spéculation, éclata la débâcle de 1872. On ordonna une enquête; elle révéla que la déconfiture d'un grand nombre d'entreprises avait été causée par une société, la South Improvement Company, qui florissait au milieu de la désolation générale et s'engraissait des ruines de la débâcle. Elle avait été formée par douze aventuriers, commandés par John Rockefeller, qui n'avaient jamais extrait un litre d'huile et qui ne connaissaient le pétrole que pour en avoir brûlé dans les lampes : l'un avait été marchand de journaux, les autres avocats, commis de banque, courtier en coton, raffineur de sucre, etc. On estimait en 1870 le capital de la société à 5 millions de francs.

Ces forbans bourgeois dont pas "un ne vivait dans la région huilière et ne possédait ni un puits d'huile, ni un pouce de terrain pétrolier " régentaient cependant l'extraction et la raffinerie du pétrole. Ils s'étaient arrogé le monopole de sa vente aux consommateurs et le droit de dicter le prix de vente aux producteurs, qui étaient obligés de subir leurs volontés, car Rockefeller et Cie avaient passé avec le chemin de fer Pennsylvanien un contrat que l'enquête publia, par lequel le railway s'engageait à doubler le prix de transport de l'huile des pétroliers refusant de vendre à la South Improvement Cie, à faire tous les changements de tarifs nécessaires à son succès et espionner les mouvements de ses rivaux. Le commerce étant l'art de rançonner la production, la bande de Rockefeller a fait preuve d'une supérieure habileté commerciale en s'emparant des chemins de fer, des canaux et des lignes de bateaux qui transportent le pétrole; elle s'est ainsi procuré le moyen de prélever sur la production l'impôt qu'il lui plait de fixer. La raffinerie a complété son système de rançonnement. Le pétrole tel qu'il sort des puits ne pouvant être utilisé, les extracteurs doivent où le raffiner ou le vendre à des raffineurs : Rockefeller et ses complices s'étant emparés des raffineries sont devenus les maîtres des extracteurs. Dernièrement on découvre un riche bassin pétrolifère dans le Texas ; au lieu de chercher des puits ou d'acheter des terrains pétrolifères, ils construisent à Beaumont une raffinerie de 20 millions qui distillera le pétrole que d'autres extrairont. Toutes les semaines, la Standard Oil, d'après l'état du marché, fixe le prix du pétrole brut de façon à ne laisser que le minimum de profit aux extracteurs qui, bon gré mal gré, doivent se soumettre puisqu'ils ne savent comment se débarrasser de l'huile brute qu'il est très dangereux d'emmagasiner, La Standard Oil n'entreprend pas la recherche des poches de pétrole, qui présente des dangers et des pertes nombreuses; elle abandonne – généreusement – cette besogne à des entrepreneurs, à qui elle achète le puits, après en avoir constaté le débit, à un prix juste assez rémunérateur pour ne pas les décourager à entreprendre de nouvelles recherches.

Les aventuriers de la South Improvement Cie, " embryon de la Standard Oil ", avaient mené une rude guerre contre les producteurs indépendants. Tous les moyens étaient bons attaques à main armée, explosions par la dynamite des chantiers et des raffineries, incendie des puits. L'enquête établit la complicité de l'administration du chemin de fer Pennsylvanien. Ses tarifs de faveur dépassaient toute mesure. Les indépendants payaient double le transport de l'huile ; la majoration de 50 % étaient remise aux forbans. Un déposant déclara que pour transporter son pétrole à Boston, on exigeait 1 fr. 25 par tonne et par kilomètre ; tandis que le prix moyen des chemins de fer américains est de deux centimes par tonne et par kilomètre. Le railway faisait pis : il refusait de mettre ses wagons-citernes au service des indépendants qui devaient expédier l'huile en barils et il ne leur fournissait pas de wagons pour les transporter.

Les scandaleuses révélations des enquêtes, car il y en eut plusieurs, obligèrent le gouvernement à faire voter " la loi commerciale interfédérale " afin d'empêcher les tarifs de faveur. Ils continuèrent à fleurir après, comme avant. Cette loi, qui frappe d'amendes et de prison les délinquants, n'a jamais été appliquée, dit D. Lloyd, que contre un capitaine de cabotage qui avait eu l'audace de majorer le prix qu'il faisait payer a un chemin de fer.

Ce fut une autre histoire quand on établit la canalisation souterraine pour conduire le pétrole aux wagons-citernes et aux navires-citernes. La Standard Oil s'empara des canaux. Les indépendants se syndiquèrent pour poser d'autres tuyaux. Elle arma des bandes de vauriens avec des revolvers et des fusils Winchester pour chasser les terrassiers creusant les tranchées et avec des crocs pour arracher les tuyaux posés. Elle alla jusqu'à se servir du canon.
La force brute que la pacifique et chrétienne bourgeoisie emploie pour réduire les ouvriers et les nations barbares, le trust du pétrole la tournait contre ses confrères de la bourgeoisie.

Mais après avoir courbé sous son joug la production, il restait à la Standard Oil à s'imposer au commerce de détail : pour forcer les épiciers à ne débiter que son huile, elle la vendait à prix réduit à leurs concurrents, et quand cela ne suffisait pas elle ouvrait boutique à côté du récalcitrant et vendait toutes les denrées de l'épicerie au-dessous du prix, jusqu'à sa ruine complète. Elle a même organisé une police pour surveiller les détaillants, afin qu'ils ne vendent le pétrole ni au-dessus, ni au-dessous du prix qu'elle fixe.

La guerre du pétrole dura trente ans. Les procès succédèrent aux procès devant les cours de justice et les enquêtes aux enquêtes devant des commissions instituées par le Sénat, le Congrès, les législatures. de Pennsylvanie, de New-York, de l'Ohio, etc. Le trust gagna les procès, il achetait les Juges, ainsi que les avocats de la partie adverse ; il se moquait des enquêtes comme de vaines formalités. Rien de plus caractéristique que les réponses des directeurs de la Standard Oil.

 – Quel est le nom de votre société ?

 – Dieu le sait, répond le secrétaire du trust, je l'ignore... C'est une chose indescriptible.

 – Combien a coûté la pose des tuyaux ?

 – Je n'en sais rien, réplique un directeur… je n'ai été qu'une seule fois dans la région pétrolifère. Je ne suis pas un pétrolier pratiquant… Depuis huit ans je n'ai donné aucune attention aux détails de l'affaire.

  – Je ne connais pas les comptes de la Compagnie, répond un autre directeur ; je ne suis qu'un annonceur de dividendes, c'est mon unique fonction.

 – Avez-vous donné de l'argent pour les élections ?

 – Nous subventionnons toujours le parti le plus fort dans la localité; le parti républicain, dans un État, le parti démocrate dans un autre.

 – Où se tiennent les assemblées de la Standard Oil ?

 – Je n'en sais rien.

 – Combien il y a-t-il de directeurs ?

 – Je l'ignore.

Un directeur, à qui on demandait à cent millions près le chiffre des affaires, répond " Il m'est impossible de le dire. Nous ne tenons pas de livres. Notre société est une affaire de bonne foi. On écrit des notes sur des bouts de papier, que personne ne conserve.

Le rapport de la commission d'enquête de la législature de New-York conclut " que les affaires et les opérations de cette mystérieuse organisation sont d'une, nature telle, que ses directeurs refusent de les raconter et de donner sur elles des détails, de peur que leurs témoignages ne servent à les convaincre d'avoir commis des crimes ".

Les législatures de New-York et de l'Ohio prononcèrent la dissolution de la Standard Oil " parce qu'elle est organisée pour un but contraire à l'esprit de nos lois… parce que son but est d'établir un monopole dans le pays, qui lui permettrait à son gré de contrôler la production, de dicter les prix et de supprimer la concurrence. De telles associations sont contraires à l'esprit de nos lois ; par conséquent frappées de nullité ".

La dissolution fut décrétée en 1892. La Standard Oil Company procéda à sa liquidation pour renaître, par un simple jeu d'écritures, Standard Oil Company de New-Jersey. Elle n'eut pour se mettre à l'abri de ces ridicules tracasseries qu'à transporter fictivement son siège dans l'État de New-Jersey, qui est entièrement placé sous le contrôle des trustificateurs.

La liquidation loin d'arrêter le développement du trust l'accéléra ; les dividendes qui étaient de 12 % triplèrent et quadruplèrent. Les dividendes qui en 1897 étaient de 157 millions s'élevèrent à 24o millions en 1901 et à 225 millions en 1902. Un seul des directeurs, Rockefeller toucha, dit-on, en une année, la somme de 120 millions. Le colonel Dracke, qui découvrit le bassin pétrolier de Pennsylvanie, serait mort de faim, si quelques amis ne s'étaient cotisés pour lui servir une pension alimentaire.

La Standard Oil, avant l'organisation du trust de l'acier, était le plus formidable trust des Etats-Unis ;
elle domine le marché du pétrole dans le monde entier; on dit qu'elle a fusionné avec le trust du pétrole de Russie, organisé par les Rothschild, avec le con cours du ministre des finances, M. de Witte ; en tout cas les deux trusts s'entendent pour dicter les prix et se partager la clientèle de l'Europe et de l'Asie [2]. Il vient de se former un nouveau trust au capital de 100 millions agglomérant quinze entreprises pétrolières de l'Ohio, de la Pennsylvanie et de la Virginie Mais il ne s'est pas constitué pour entrer en concurrence avec la Standard Oil, car il déclare qu'il " ne veut pas disputer sa suprématie sur le marché du pétrole ", Il est probable qu'il s'entend. déjà avec elle et que dans un avenir plus ou moins prochain elle l'absorbera.

La Standard Oil possède des raffineries de pétrole dans les principales villes du Nord des États-Unis, à Rouen, à Marseille, etc., des puits d'huile dans la Pennsylvanie, l'Ohio, le Kentucky, la Virginie et le Texas et une canalisation souterraine, de plus de 1.300 kilomètres de tuyaux, qui à tous les 120 kilomètres a de puissantes pompes pour aspirer et refouler le pétrole. Elle produit 65 % de la production pétrolière, soit environ 9 milliards de litres. Sa flotte de navires-citernes transporte s'huile raffinée dans presque toutes les parties de la terre. Elle a annexé à ses raffineries des ateliers pour fabriquer des barils, des bidons, des lampes et des fourneaux à pétrole, et des usines de produits chimiques pour utiliser les sois produits de la distillation, qui dans les raffineries Moins importantes sont perdus p elle utilise tout, les déchets de la distillation dont on ne peut rien tirer, elle s'en sert comme combustible: Une des plus lucratives branches de la Standard Oil est la fabrication de la cire et de l'huile lubrifiante elle passe des contracts avec les chemins de fer pour lubrifier tout le matériel roulant avec ses propres employés.

L'accumulation de la richesse de la Standard Oil suit la marche progressive et automatique, que Marx a décrite. Ses énormes bénéfices, qui ne peuvent être. consommés par les associés, laissent un excédent annuel, que l'on évalue à environ 250 millions ; les directeurs sont obligés de les consacrer à l'achat des valeurs d'autres entreprises, qui concourent à accroître ses bénéfices.

La Standard Oil a mis la main sur les railways qui desservent les régions pétrolifères, et possède des intérêts importants dans tous les autres chemins de fer, ce qui lui permet de prélever des droits de péage sur la circulation des minerais de cuivre, de fer, d'argent, sur celle des charbons, des bois, des résines des pignades, des fruits de la Floride ; de la viande et des céréales de l'ouest et du coton du sud. Elle s'est implantée dans les industries donnant les plus gros bénéfices, dans les télégraphes, le gaz, les tramways, les aciéries, les chantiers de construction navale, les mines de fer des Etats-Unis et du Canada, les terrains à bâtir, les hôtels des villes d'eaux de la Floride, etc. On annonce que la Standard Oil vient d'acheter au général Gaspar Ochoa le volcan Popocatepetl au prix de 25 .millions et qu'elle va établir un chemin de fer funiculaire pour exploiter sur une grande échelle ses dépôts de soufre.

La Standard Oil s'est alliée avec Morgan pour constituer le trust de l'Acier et le trust de l'Océan.
La Standard Oil, avec plus de réalité que le Bon Dieu des chrétiens, est omniprésente partout où l'on vole la classe ouvrière.

Son monopole est un fait établi qu'aucun pourfendeur de trusts ne songe à contester. Et ainsi qu'il arrive toujours en pays capitaliste, Rockefeller et ses complices de la South Improvement Cie pour qui les pétroliers de 1872, ruinés et dépossédés, réclamaient les galères, ayant empilé millions volés sur millions volés, sont devenus les plus honorables et les plus honorés membres de la société bourgeoise, adulés et servilement courtisés par les hommes politiques de tous les partis, les prêtres de tous les christianismes et les intellectuels de toutes les marques.

b) Le trust du tabac.

Les fumeurs d'Allemagne, au commencement de cette année, trouvaient dans leurs paquets de tabac et de cigarettes le passe-partout suivant :

" Cette marque n'est pas achetée par l'argent américain. Votre devoir vous ordonne d'empêcher que l'Allemagne ne devienne sur son propre territoire l'esclave de l'Amérique. Allemands, soyez fidèles au drapeau, N'achetez que des cigarettes faites par des Allemands, si vous ne voulez pas enlever le travail à des milliers d'Allemands. "

L'American Tobacco Corporation, une des Compagnies du trust du tabac – fait des siennes en Allemagne : il y a quelques mois, elle a conquis la fière Albion ; sans perdre une minute, elle entreprend la conquête de l'empire de Guillaume. Elle remet en pratique la tactique qui lui a si bien réussi en Angleterre et aux Etats-Unis, qui consiste à acheter une ou plusieurs des plus importantes manufactures du pays, et à déclarer aux autres une guerre de prix réduits aux débitants et de primes aux acheteurs, qui vont d'un tire-bouchon à un piano et à un automobile.

L'American Tobacco Corporation avait acheté en Angleterre la maison Ogden, afin de s'assurer un pied-à-terre pour commencer la conquête dés îles britanniques. Treize grands fabricants se syndiquèrent pour lui disputer le sol de la patrie. La guerre de bas prix et des primes, qui réjouissait les fumeurs d'Outre-Manche, fut si ruineuse, que les jingoes durent se soumettre et incorporer leurs manufactures dans le trust, qui pour préserver le souvenir de sa victoire et affirmer son caractère international prit le nom d'Anglo-American tobacco corporation: il possède les deux tiers des actions du trust international.

Le trust anglo-américain a établi son quartier général à Dresde, où existent les plus grandes manufacture de tabac d'Allemagne. Il a acheté la maison Jasmatzi ; c'est jusqu'ici la seule qu'il avoue posséder ; il l'a outillé avec les plus récentes machines américaines de cigarettes et de cigares, et il a commencé son jeu de prix réduits et de primes. On ajoute qu'il s'est assuré pour une forte somme le concours de MM. Loeser et Wolf, qui, à Berlin, possèdent plus de cinquante débits de tabacs.

Les fabricants allemands qui déjà éprouvent de la difficulté à se procurer la matière première que le trust accapare, se sont coalisés avec les grands débitants ainsi que l'avaient fait les Anglais, pour former l'Association des manufactures de tabac de l'Allemagne : ils ont commencé par demander aide et secours aux ministres de l'intérieur de Prusse et du commerce de Saxe ; l'un recommande de ne pas vendre les manufactures, et l'autre promet de consacrer ses veilles à l'élaboration d'une loi pour les protéger.

Mais que pourront-ils faire ? Que des bourgeois demandent au gouvernement de les défendre contre les procédés brutaux de la Standard oil ou du trust du whiskey qui recouraient aux coups de fusil, de canon et de dynamite, cela se conçoit. Mais les procédés de guerre de l'Anglo Américan Corporation :
prix réduits, primes et production à meilleur marché grâce à son colossal capital, à son outillage pecfectionné et à la centralisation internationale de son industrie, sont des procédés bourgeois, tout ce qu il y a de plus selon la Liberté et la Concurrence et de.plus selon l'immanente et éternelle Justice de l'idéologie bourgeoise. Les ministres allemands assisteront les bras croisés â la ruine de leurs chers compatriotes et quand tout sera terminé, ils diront Amen, et le Tartarin impérial prononcera sur leurs tombes un discours romantique. A moins que le gouvernement jouant le rôle de troisième larron, ne profite de l'occasion pour réaliser le désir qu'il nourrit depuis des années et ne monopolise au profit de 1'Etat l'industrie et le commerce des tabacs. Le sort des manufacturiers allemands est réglé, mais pas gai :  ils seront mangés ou par leur ennemi ou par leur protecteur.

Herr Moeller, le ministre du commerce de Prusse, afin de manifester l'intérêt qu'il leur porte, dans un discours prononcé en février à Brême, exhorte les commerçants d'Allemagne à s'organiser afin d'acquérir, ainsi que les agrariens, une action politique et parlementaire. " L'Allemagne, dit il, doit mettre en pratique les méthodes de son grand rival, les Etats Unis, si elle veut conserver sa supériorité commerciale et industrielle. Syndicats, Trusts, en un mot, Centralisation sont aujourd'hui les secrets du succès commercial. Il appartient à l'Allemagne de développer un système de syndicats, dont les inconvénients inévitables devront être corrigés moins par des lois, que par la force d'une opinion publique éclairée exerçant son action salutaire sur les chefs de ces gigantesques organisations industrielles."

Le ministre prussien sachant qu'il n'y a que le diamant qui taille le diamant, conseille d'organiser des trusts allemands pour résister aux trusts américains, qui avant même de débarquer en Allemagne battent en brèche son industrie et son commerce sur le marché international. L'industrie électrique allemande a compris cette nécessité. Il vient de se former à Berlin un trust qui fusionne la Société Siemens et Halske avec la maison Schuckert et deux autres compagnies d'électricité qui s'étaient déjà réunies en décembre dernier. Organisons des trusts ! sera bientôt le mot d'ordre de la production Européenne ; il l'est déjà en Angleterre et en Allemagne. Le Wall Street Journal dit qu'en gros, il existait déjà en Allemagne 380 trusts.

Cela n'empêche que les Economistes continuent à annoncer imperturbablement la fin prochaine des trusts, qui en centralisant les industries, font entrevoir leur réglementation par la société, c'est-à-dire le proportionnement des moyens de production et des produits aux besoins sociaux, ainsi que le préconise le socialisme. La science des Économistes, qui ne peut nier l'existence des trusts, est forcée de nier la possibilité de leur durée, sous peine de proclamer sa propre déchéance. Mais les trusts en se çonsolidant et en se généralisant exposent la futilité de la science des Economistes. Quelle science ! Les sciences physiques étudient les phénomènes et le jeu des forces de la nature afin de les soumettre au service de l'homme. .La science des Economistes au contraire pose en principe qu'on doit laisser absolument libres les forces économiques, qu'on ne doit jamais espérer pouvoir les contrôler, les diriger. Donc l'homme qui dompte et domestique les terribles et aveugles forces de la nature doit se laisser broyer par les forces économiques dont il est cependant le créateur. Il est vrai que la domestication des forces naturelles concourt à créer la richesse des capitalistes et que la domestication des forces économiques les dépouillerait de leurs moyens d'exploitation du travail salarié et que les économistes sont les serviteurs intellectuels de la classe capitaliste.

Malheureusement pour eux, les cigariers allemands ne peuvent mettre en pratique les bons conseils du ministre prussien; beaucoup d'entre eus prévoyant la lamentable fin qui les attend, offrent aux anglo-américains leurs manufactures soit contre de l'argent comptant, soit contre des actions du trust. Mais ceux-ci font la sourde oreille et attendent qu'un accord intervienne avec quelques grands fabricants, pour juger s'il vaut mieux acheter à prix réduit ou écraser les fabriques de deuxième ordre.

L'Anglo-Américan Tobacco Corporation, l'Allemagne conquise, s'occupera probablement de conquérir la Hollande, la Belgique et les autres pays d'Europe où les tabacs ne sont pas monopole d'Etat. Un télégramme de Constantinople à Londres du 25 janvier annonçait, qu'elle avait pris des arrangements avec La Porte pour l'achat de la presque totalité de la production de tabac de la Turquie. Il y a quelque temps on disait qu'elle se préparait a incorporer la Compagnie des Tabacs des Philippines, qui en dehors de la culture, de l'achat, de la fabrication et de la vente des tabacs, fait des opérations agricoles, industrielles et immobilières, ainsi que des opérations de transport, de banque et de recouvrement d'impôts. Elle est un trust de 75 millions de pesetas, fondé en 1881.

La conquête des nations européennes n'absorbe pas l'énergie du trust au point de lui faire négliger son pays natal il s'étend et s'arrondit aux Etats-Unis ; les journaux annoncaient continuellement qu'il vient d'incorporer de nouvelles manufactures soit de tabac à priser ou a chiquer, soit de cigarettes ou de cigares.

Le trust pèse d'une main lourde sur les planteurs ; ils se plaignent que depuis sa fondation le prix du tabac en feuilles baisse au point de n'être plus rémunérateur. Ils se coalisent en sociétés de résistance pour la relève des prix : ce qui vient d'arriver aux fermiers des environs de Shelby n'est pas encourageant. Ils s'entendirent pour ne pas vendre au prix dicté par le trust et pour ouvrir un marché public à Shelby, comme à Louisville, où ils porteraient leur récolte et où les agents du trust et les fabricants indépendants viendraient faire leurs achats de tabac qui serait livré au dernier et plus fort enchérisseur. Au jour dit, les fabricants indépendants et les agents du trust arrivèrent ; mais ces derniers firent grève et refusèrent de faire aucune offre. Il y avait moins de demandes d'achat que d'offres de vente. Le trust est un si gros acheteur, que sa seule abstention fît baisser les prix, Les indépendants, profitant de l'occasion, proposèrent des prix si ridicules, que les planteurs refusèrent de vendre et portèrent leurs récoltes aux magasins du trust, qui les paya au prix qu'il avait fixé.

Les planteurs se préparent de tous les côtés à combattre le trust, " qui dans un avenir prochain les réduira à une situation telle qu'ils seront obligés d'accepter le prix qu'on offrira pour leurs récoltes, que:que bas qu'il sera, " déclare Herbert Myrick, le promoteur de l'organisation des planteurs du Connecticut : ils ont fondé une société au capital de 250,000 francs pour construire des magasins où l'on classera et vendra leurs tabacs ; ils espèrent grouper des propriétaires possédant 6o.000 hectares et produisant une récolte annuelle de plus de 25 millions.

Tandis que les fermiers de toutes les régions où l'on produit du tabac, s'agitent, le trust accapare le marché du monde ; il vient de se rendre maître de la Havana Commercial Tobacco Cie, de la maison Henry Clay et Bock et d'autres maisons, qui représentent 85 % de la capacité productive de l'île de Cuba.

Les débitants n'ont pas la laisse longue : le trust les traite plutôt despotiquement ; il leur impose la quantité et la qualité des marchandises qu'ils doivent vendre ainsi que le prix qu'ils doivent demander. Il ne leur délivre leurs commandes qu'à la condition qu'ils acceptent d'autres marchandises qu'il a intérêt à écouler. Un des riches marchands de New-York, dont la boutique est des mieux achalandées, ayant voulu regimber, le trust lui ordonna de retourner dans les vingt-quatre heures les cigarettes qu'il lui avait achetées. Il obéit. Le trust, afin de tenir en bride les débitants, se sert des épiceries : le Potin de New-York et ses succursales vendent les produits du trust.

L'Anglo-Américan tobacco corporation asservit le commerce ; elle arrivera à distribuer les bureaux de tabac, comme le fait l'Etat français. Elle établit déjà des boutiques ; on prétend que les débitants qui forment la société dite des Indépendants, ne sont que ses agents.

Les fabricants, les planteurs et les débitants espérant par leur union, constituer une force à opposer au trust, viennent de former à Chicago une association nationale. Son premier acte a été de demander au gouvernement de ne pas abaisser le tarif de douane sur le tabac de la Havane, parce que le trust est acheteur de 85 % des tabacs importés de l'île de Cuba, que les Etats-Unis se sont annexés. Que penser des dires des économistes et des politiciens, qui affirment que le libre-échange tuerait les trusts ? Certes les tarifs protecteurs ont grandement facilité leur naissance et développement ; mais maintenant qu'ils sont organisés et consolidés, la suppression des tarifs douaniers les aiderait à écraser leurs concurrents moins bien outillés en capitaux et en machines.

Le trust opère des miracles : mieux que le christianisme à l'aimez votre prochain comme vous même, il est en train de développer, cher les bourgeois qu'il ruine, l'amour pour les ouvriers. La grande organisation des fermiers américains, qui, il y a quelques années, échoua dans le mouvement populiste et bi-métalliste, était aussi bien dirigée contre les chemins de fer et les capitalistes, qui transportaient et achetaient leurs récoltes, que contre les salariés qui concouraient â les produire. Mais l'Association nationale des fermiers, des fabricants et des débitants de tabac, qui a réuni un capital de cinq millions, un pistolet de paille à opposer au canon d'un milliard du trust, â décidé de l'employer à établir des manufactures où ne seraient embauchés que des syndiqués et où la journée de huit heures serait appliquée. L'Association américaine, ainsi que' le syndicat allemand adresse aux ouvriers, au nom du travail, des appels désespérés pour qu'ils se refusent à fumer et à chiquer le tabac du trust ; elle dénonce même la manière dont il exploite ses ouvrières.

Les trusts, qui révolutionnent la production et l'échange bourgeois, bouleversent les sentiments des bourgeois ; bientôt on ne les reconnaîtra plus.

Quelle multitude de bourgeois ont dû, pendant ces années de pullulement de trusts, être lésés dans leurs intérêts, puisqu'on estime que le seul trust du tabac, sans parler des planteurs, porte tort à 27.000 manufacturiers de cigares, à 3.000 manufacturiers de tabac à fumer et à chiquer, à 400 manufacturiers de cigarettes, à 2.000 importateurs de tabacs étrangers et 60.000 détaillants, qu'une création du trust, l'Union des boutiques de cigares, (United Cigares Stores Cie) travaille à déplacer.

Le rapport annuel du trust du tabac, publié dans le courant de mars, montre les progrès de la trustification dans cette branche d'industrie et laisse bien peu d'espoir aux manufacturiers qui essayent de s'unir pour lui faire concurrence.

Le rapport officiel publié par la Commission du gouvernement des Etats-Unis estimait que les bénéfices réalisés dans toutes les branches de l'industrie des tabacs (cigares, cigarettes, tabac à priser, à chiquer et à fumer) s'élevaient à la somme de 233 millions pour l'année de 1901. On peut, en tenant compte du taux d'accroissement des années précédentes, porter à 250 millions la somme des bénéfices pour l'année 1902.

Le rapport de la Consolidated Tobacco Company, qui englobe l'Anglo-Américan Tobacco Corporation et plusieurs autres sociétés, établit que son bénéfice pour 1902 a été de 162 millions et demi, ne laissant par conséquent, pour tous les autres manufacturiers réunis à peine 88 millions. Ainsi donc le trust du tabac, qui date de 1901 et qui a sacrifié une partie de ses bénéfices pour assurer sa suprématie aux Etats-Unis et en Angleterre, a cependant empoché 65 % des bénéfices réalisés par toute l'industrie des tabacs.

c) Le trust de l'acier.

Les trusts, parce qu'ils révolutionnent le monde économique, bouleversent le monde idéologique : ils ébranlent et renversent les idées les mieux assises et proclamées vérités éternelles, parce que jusqu'ici l'expérience de la bourgeoisie les avait trouvées d'accord avec les phénomènes du milieu social, dans lequel elle se développait. Une classe régnante croit de bonne foi que les idées qui poussent dans son milieu et qui servent à sa domination sont immuables et immortelles.

Il était admis, comme vérité irréfutable, que pour prospérer une industrie devait se tenir dans certaines limites de grandeur, qui franchies, amenaient fatalement la ruine de l'industriel mégalomane ; cette vérité était et est encore, l'argument irrésistible des Prud'hommes de l'Économie politique contre l'organisation nationale de l'industrie que demandent les socialistes ; aussi quand la renommée des trusts américains traversa l'Atlantique, les économistes européens et les hommes de savoir et de prudence haussèrent les épaules et traitèrent d'erreurs économiques ces gigantesques entreprises industrielles : ils prophétisèrent qu'elles ne dureraient qu'un temps, qu'elles s'écrouleraient sous leur propre masse et que leurs édificateurs apprendraient ce que coûte la violation des lois de l'économie orthodoxe. Mais les trustificateurs yankees, sans se soucier des dogmes de l'église économique et des prédictions de ses pontifes, continuèrent à organiser des trusts et à élargir leur envergure. Les capitalistes américains qui dans la pratique des affaires ne tiennent nul compte des vérités éternelles de l'Économie politique, ont la naïveté de croire qu'elles seront de quelque utilité contre le socialisme. Des hommes d'affaires et des politiciens du Massachussets viennent de fonder sous la direction de Marc Hanna, le boss du parti républicain, une société pour organiser des conférences et publier des brochures afin de répandre les saines doctrines de l'économie politique et de réfuter les erreurs du socialisme dont le développement dans les " villes éclairées" devient un danger. Ces capitalistes estiment donc que, comme la Religion chrétienne, la Science des Economistes n'est bonne que pour duper les imbéciles et les ouvriers.

Il y a dix ans, un trust de 50 millions était de première grandeur ; l'année dernière quand le statisticien financier, J. Moody, dressa la liste des trusts enregistrés depuis septembre 1899, il ne daigna y faire figurer que ceux dont le capital était au moins de 5o millions. Dans la décade qui vient de s'écouler, il s'est constitué des trusts de plus e'1rs centaines de millions; ils donnent des preuves si surprenantes de vitalité et de prospérité que les économistes, si cela était possible, devraient commencer à douter de leur science. Leurs capitaux sont si énormes qu'ils font entrer dans la numération courante des chiffres mystérieux, dont on ne se servait que pour supputer les budgets et les dettes publiques d'une demi-douzaine de grandes nations [3].

L'United States Steel Corporation – le trust de l'acier – nous lance dans la valse vertigineuse des centaines de millions et des milliards : elle est la plus formidable centralisation de capitaux et de travailleurs que le monde bourgeois ait vue. Elle exploite une armée de 168.327 salariés, d'après le dernier rapport, rien que dans ses ateliers et dans ses mines, qui, avec ses autres propriétés, représentent une capitalisation de 7 milliards 220 millions, dont 5 milliards 665 millions forment le capital-actions et 1 milliard 555 millions le capital-obligations. La maison P. Morgan a émis cette année pour la Steel Corporation un emprunt de 1 milliard 25o millions d'obligations à 5 % – remboursables dans 60 ans ; mais le trust se réserve le droit de les rembourser dans dix ans a 110 %.

La Steel Corporation, est un trust de trusts ; elle est l'unification de dix trusts colossaux ; Federal Steel Company, 499 millions ; American Bridge Cie 305 millions ; American Steel and wire Cie 450 millions ; American tin plate Cie, 231 millions ; American Steel hoop Cie, 165 millions ; American Steel Sheet Cie, 245 millions ; National Steel Cie, 95 millions ; National tube Cie, 400 millions ; Lake Superior Consolidaled Iron mines, 141 millions ; Carnegie Cie, 1 milliard 584 millions.

Les dix compagnies unifiées avaient déjà unifié sous leur administration des hauts-fourneaux et des ateliers éparpillés dans onze États : Massachussets, Illinois, Californie, Ohio, Michigan, Indiana, Kansas, Pennsylvania, New-York, Washington et Minnesota. Quelques-unes possédaient des mines de fer, de charbon et d'étain situées dans plusieurs États.

Ces compagnies, formées en trusts, après la crise du fer de 1898, avaient agglomérées chacune les principales usines d'une même spécialité, de manière  à ne laisser en dehors que des pygmées pour rivaux, dont elles n'auraient pas à redouter la concurrence : elles espéraient n'avoir pas occasion d'entrer en lutte, des unes contre les autres. Mais l'usine Carnegie s'étant mise à fabriquer des tubes et des tuyaux d'acier et de fonte, comme la Nationale tube Cie ; celle-ci se préparait à lui répondre, et à empiéter sur son domaine. C'était la guerre déclarée entre colosses ; les dommages auraient été irréparables. Alors apparut Morgan, un milliard a la main, pour mettre la paix :
secondé par Rockefeller et Schwab, il réussit à les fédérer en un gigantesque trust de l'acier, qui fut enregistré dans l'État de New-Jersey, le 25 février 1901. Les dix compagnies reçurent pour la valeur de leur propriété des actions du nouveau trust, à l'exception de la maison Carnegie, qui voulut être payé en obligations, ce qui fut remarqué et commenté dans les milieux financiers. La propriété des compagnies, qui avait été majorée lors de leur première trustification, fut de nouveau majoré de 72 %, Le capital de la Steel corporation est donc énormément mouillé.

La Steel Corporation, qui provient de l'unification de ces dix compagnies, dès le premier jour de sa constitution, devenait maîtresse de 149 aciéries, d'une capacité annuelle de 9 millions de tonnes de produits fabriqués et prêts à être.livrés à la consommation, sans besoin d'aucune nouvelle transformation ; de 78 hauts fourneaux, d'une capacité de 6 millions et demi de tonnes de fer et de fonte; de 17.000 fourneaux .4 coke; de 36,000 hectares de terrains houillers, de 12,000 hectares d'autres terres; de plus de 7o o/o. du minerai de fer de la région du Lac Supérieur; d'une flotte de 125 navires sur le Lac Supérieur et de 800 kilomètres de railway pour transporter le charbon et le minerai a ses usines et d'autres propriétés.

La Steel Corporation, à peine née, se mit à avaler – to gobble up – d'autres trusts : la Shelby tube Company de 68 millions, l'Union Steel de 250 millions, qui avait avalé la Sharon Steel Cie et la Lackawanna Steel Cie de 200 millions ; elle a, de la sorte, augmenté le nombre de ses hauts-fourneaux, de ses fours à coke, de ses laminoirs, etc., et agrandi ses champs de houille et de minerai. Mais son appétit croît en mangeant ; elle se propose d'avaler cette année de nouvelles usines pour transformer en produits achevés tout son acier Bessemer et tous les autres produits, qu'elle vendait comme matière première à d'autres Compagnies qui les soumettaient à des préparations industrielles pour en faire des marchandises prêtes pour la consommation. En attendant qu'elle parvienne à ce résultat, elle mène une rude guerre contre deux de ses rivales, la Republic Iron and Steel Cie, qui est un trust de plusieurs aciéries et la Jones and Laughlin Cie, un des plus dangereux concurrents de Carnegie. Les procédés qu'elle emploie pour les forcer à se soumettre sont caractéristiques et prouvent son extraordinaire puissance; elle a empêché l'accès de Pittsburg à un chemin de fer rival de la Pensylvania Railway où domine Rockefeller, afin, de gêner l'écoulement de leurs produits ; d'un autre côté elle a accaparé toute la production de coke de la H. C. Frick Company, qui leur fournissait le combustible. On dit que la Jones and Laughlin Cie est prête à se laisser acheter et on prédit que la Republic Iron and Steel Cie ne pourra tenir un an.

Les Compagnies métallurgiques que, pour une raison ou une autre, la Steel Corporation n'a pas encore absorbées, elle cherche à les contrôler, en plaçant dans leurs conseils de direction et d'administration ses hommes de confiance. La Chicago pneumatic tool Cie, enregistrée il y a un an avec une capitalisation de 37 millions, a dans son comité exécutif Max Pam et Charles M. Schwab, tous deux membres de l'exécutif de la Steel Corporation, Charles M. Schwab, l'ex-directeur de la Compagnie Carnegie, incorporée dans le trust, est, avec P. Morgan et Rockefeller, le promoteur du trust de l'acier. L'Allis Chalmers Cie, enregistrée en mai 1901, avec une capitalisation de 121 millions, est présidée par E. H. Gary, qui est le président de séance du comité exécutif de la Steel Corporation. Joseph E. Schwab, le frère du fameux Charles Schwab, est le président de l'American Steel Foundries, enregistrée en juin 1902, avec une capitalisation de 200 millions. Il est difficile de connaître toutes les Compagnies que la Steel Corporation tient de cette façon sous son contrôle.

La Steel Corporation ne borne pas son ambition à vouloir consommer comme matière première Son énorme production d'acier, de fonte et de fer brut ; elle entend se fournir à elle-même tout le minerai de fer et d'étain et tout le charbon dont elle a besoin, pour alimenter et chauffer ses hauts-fourneaux et ses fours à coke. Elle est déjà parvenue à accaparer suffisamment de mines métalliques pour extraire le minerai qui lui est nécessaire et avoir un surplus qu'elle vend à d'autres fabricants : mais comme ses besoins grandissent à mesure qu'elle incorpore de nouvelles usines métallurgiques, elle achète constamment d'autres mines : elle vient d'acquérir, au prix de 50 millions, la mine Champion, la seule qui, dans la région des lacs, ne possédait pas de hauts-fourneaux et d'ateliers métallurgiques. P. Morgan négocie l'achat, dans le Minnesota, pour 60 millions de terrains à minerai de fer et dans le Mexico pour une somme analogue, 2.400 hectares de terrain où l'on vient de découvrir des dépôts de minerai d'une extrême richesse. On prête à la Steel Corporation l'intention de s'emparer de suffisamment de mines métalliques pour forcer les Compagnies rivales â s'adresser à elle afin de se procurer du minerai. L'accaparement des mines de charbon n'est pas aussi avancé : P. Morgan travaille ferme à l'armer de compagnies houillères : on dit qu'en ce moment il est occupé à se rendre maître des mines de charbon bitumineux du Kentucky et à incorporer avec ses mines de charbon la H. C Frick Cie qui fournit le coke a un grand nombre d'aciéries de Pennsylvanie. Elle vend une si grande quantité de minerai et de coke, que c'est elle qui fixe les prix du marché.

La production de la Steel Corporation est aussi colossale que son capital : en 1901, le minerai extrait de ses mines représentait les 44 % de la production totale des États-Unis ; sa production de fonte de fer les 43 %, elle était de 6.803.398 tonnes, deux fois plus forte que celle de la France, qui n'est que d'environ trois millions de tonnés et presque égale à celle de l'Allemagne dont la moyenne de ces dix dernières années est de sept millions de tonnes; elle a considérablement augmenté, puisque le trust a incorporé de nouvelles usines métallurgiques et a construit un grand nombre de hauts-fourneaux. Sa production d'acier Bessemer représentait les 66 %, celle de fils de fer pour clous les 65 %, celle des rails d'acier, d'acier laminé et de charpentes de fer les 50 % de toute la production de la République américaine.

Cette monstrueuse production a été entièrement absorbée il est vrai que durant ces quatre dernières années la prospérité industrielle des États-Unis a été si phénoménale, que sa production métallurgique, qui ; en 1902, dépassait le chiffre de 17 millions de tonnes, n'a pu suffire aux besoins de l'industrie et qu'il a fallu réduire les exportations et recourir â l'importation de fonte et d'acier pour plus, d'un million de tonnes. Les usines indépendantes ont profité de ces années grasses pour se multiplier et s'agrandir; " comment résisteront les petites compagnies quand viendront les années maigres est une question pleine d'intérêt ", dit le Journal de Wall Street, le centre financier de New-York [4].

La Steel Corporation n'a pu donner libre carrière à sa boulimie de mines et d'usines, que parce que ses directeurs se démènent fiévreusement pour assurer des débouchés â ses innombrables produits et pour consommer, dans des entreprises alliées ou incorporées, ses rails ; ses charpentes de fer et ses plaques pour navires.

Le bâtiment ayant aux États-Unis participé à l'activité générale, les compagnies de constructions se sont multipliées et agrandies : un trust qui a fusionné dix de ces compagnies, avec une capitalisation de 330 millions, s'occupe spécialement de construction à charpentes d'acier et, comme il fallait s'y attendre, à sa tête, en qualité de président, se trouve l'homme qui est un peu partout, Charles Schwab. Le trust de constructions de navires en acier, enregistré en juin 1902, avec une capitalisation de 100 millions, a incorporé la Bethleem Steel Company que le susdit Schwab avait achetée.

P. Morgan rivalise avec Schwab : il est en pourparlers pour morganiser les tramways de Chicago et des alentours et pour établir des voies ferrées souterraines dans la ville. Il est en train de construire 15.000 kilomètres de railways dans les États du Sud ; il vient de faire un voyage à la Havane pour conférer avec William Van Horn, président du Canadian Pacific railway, et administrateur du syndicat des lignes cubaines ; il se propose de développer les lignes ferrées de Cuba et d'établir une nouvelle ligne de paquebots entre New-York et la Havane ; son groupe de financiers administre déjà 89.000 kilomètres de chemins de fer, près du tiers du réseau ferré des États-Unis, qui est de 321.000 kilomètres, celui de la France n'est que de 40.000 kilomètres. Rockefeller, qui, avec Morgan et Schwab, est un des principaux promoteurs du trust de 1'acier, contrôle avec son groupe de financiers l'administration d'un considérable réseau ferré. Morgan est à la tête du trust des constructions maritimes ; il vient de faire capituler après douze mois de lutte la maison W. Cramps and Sons, qui possède les chantiers les plus étendus des États-Unis cette victoire lui assure le monopole des constructions maritimes. La Steel Corporation possède donc d'importants et de permanents débouchés pour ses fers et ses aciers dans les chemins de fer, les constructions urbaines et maritimes que contrôlent directement ou indirectement ses directeurs.

Le trust de l'Océan, où l'on retrouve Morgan, Rockefeller, Schwab et les hommes de la Steel Corporation, qui sera complété par la Morganisation, déjà commencée, des chantiers de constructions maritimes en Amérique et en Europe, lui procure pour ses fers et ses aciers un débouché qui ira s'élargissait et un moyen de les disséminer aux quatre coins du monde. Quand les années maigres viendront pour l'industrie américaine, la Steel Corporation, qui jusqu'ici a trouvé aux Etats-Unis même le placement de ses produits, en inondera le marché international. Comment l'industrie métallurgique d'Europe résistera à cette concurrence, est une autre question pleine d'intérêt.

Morgan, l'entreprenant et infatigable metteur en mouvement d'entreprises aussi hardies que colossales, est en ce moment à la tête d'un syndicat de spéculateurs – pool – disposant d'un capital de 250 millions pour contrôler la récolte du coton des États du Sud, afin d'en diriger l'exportation pour l'Europe vers New-York, le principal port d'embarquement du trust de l'Océan. Peut-être a-t-il d'autres projets de derrière la tête ?

La Steel Corporation n'entend pas s'emprisonner dans les limites de la patrie américaine, déjà trop étroite pour épuiser sa dévorante activité là où il y a des mines et des usines à accaparer, là est sa patrie. Un de ses directeurs, Philipps, est en ce moment à Calcutta pour étudier l'exploitation des mines de fer des Indes anglaises et l'établissement d'usines métallurgiques ; la Steel Corporation ne pouvant s'emparer des chemins de fer de la Russie, qui sont propriété de l'État, a voulu mettre la main sur leur matériel roulant, Schwab offrit de prendre les 60.000 actions de l'International sleeping Car Company du chemin de fer de Moscou à Port-Arthur : le Directeur, pris d'inquiétude, ne consentit à lui en céder qu'une partie; mais Morgan, lors de son voyage en Europe, en a emporté un autre paquet. Il est partout ou se construit des chemins de fer, il est membre du groupe financier anglais du chemin de fer de Bagdad ;  il a disputé à son rival Yerkes la construction du métropolitain électrique de Londres.

Les trusts, ces colosses industriels, qui agglomèrent sous une même direction des industries jusque-là autonomes, bien que dépendantes les unes des autres, obligent les directeurs confondre et à souder ensemble les intérêts les plus divers et les plus opposés et à posséder un pied-à-terre un peu partout, même dans les entreprises n'ayant aucun rapport avec celle qu'ils administrent, Morgan, Rockefeller, Schwab et les hommes de la Steel corporation, qui ont pour domaine les mines métalliques, les charbonnages, les raffineries de pétrole, les railways, les compagnies de navigations et de constructions urbaines et maritimes, s'implantent dans les sociétés d'assurances, afin de se procurer des fonds et le placement des actions de leurs entreprises. Le président du Comité des finances de la New-York life insurance Company, G. P. Perkins, qui lui a fait placer 109 millions de ses fonds dans l'achat d'actions des dernières entreprises de Morgan, est associé de la maison Morgan, où il reçoit un salaire de 1.250.000 francs par an, en plus de son tantième dans les bénéfices des affaires.

La nécessité d'avoir toujours disponibles des capitaux considérables pour leurs vastes entreprises a obligé P. Morgan à nouer d'étroites relations avec trois des sept groupes de banques de New-York et Rockefeller avec deux. Ces sept groupes de banques. avaient avancé le 14 février à des sociétés de toute nature une somme de plus de 5 milliards.

Au fruit, on connaît l'arbre. Les profits, la seule chose qui intéresse et passionne les capitalistes sont les fruits de toute entreprise industrielle et commerciale en période de production marchande. Qu'importe que les salariés, surmenés de travail, ne connaissent aucune des douceurs de la vie et consument leur force vitale dans des ateliers, pires que des bagnes ; qu'usés avant l'âge, ils engendrent une race maladive et dégénérée; qu'importe que les produits sabotés vivent ce que vit la camelote, que les détaillants des marchandises dorment sur l'oreiller de la faillite, que les consommateurs floués paient horriblement cher le prétendu bon marché ! Que les profits abondent et la Philanthropie, l'Altruisme, la Justice, la Morale et le Christianisme du Capitalisme sont satisfaits. La Steel corporation réalise l'idéal capitaliste, elle donne de juteux profits.

La United States Steel Corporation vient de publier son premier rapport annuel sur l'exercice de 1902 ; elle l'a fait reproduire dans les journaux d'Europe pour rassurer les industriels et les économistes qui avaient des inquiétudes sur son sort. " Ce compte rendu est stupéfiant par l'immensité des chiffres qui se déroulent devant nos yeux " dit un journal financier de Paris.

Tout payé et déduction faite des dépenses pour les réparations et l'usure de l'outillage, les profits de la Steel Corporation, pour l'exercice de 1902 se sont élevés à 686.540.118 francs. Les soldes disponibles ont été affectés comme suit :

 Fonds pour amortissement du capital et perfectionnement de l'outillage   143.244.088 
 Intérêt du capital-obligations   78.217.427 
 Dividende du capital-actions   288.672.265 
 Reliquat   176.406.388 

La production de la Steel Corporation pour l'exercice 1902 se décompose comme suit :

 Minerai de fer extrait   16.063.179 tonnes 
 Coke fabriqué   9.521.567 tonnes 
 Charbon extrait   709.367 tonnes 
 Produit des hauts-fourneaux   7.975.530 tonnes 
 Production d'acier   9.743.918 tonnes 
 Laminés et autres produits finis   8.197.233 tonnes 
 Zinc en plaques   23.982 tonnes 
 Sulfate de cuivre   14.224 tonnes 
 Ciment   486.357 barils   

Le chiffre d'affaires résultant de la vente de ces divers produits, y compris les recettes brutes du chef des transports et celles des entreprises diverses, s'est élevé à 2.886.628.966 francs ; les dépenses de fabrication et d'exploitation à 2 milliards 118 millions ; les frais généraux d'administration à 68 millions.

Les 288 millions de dividendes font ressortir à plus de 5 % l'intérêt des 5.665 millions du capital-actions mais il faut tenir compte de ce fait que le capital des trusts est toujours mouillé, c'est-à-dire majoré, parfois de 50 et de 100 %. On ne peut connaître ce taux de majoration. Or, le capital-actions de la Steel Corporation est deux fois majoré, puisqu'elle est un trust de trusts, l'unification de Corporations dont le capital a été déjà majoré lors de la première trustification : on ignore le taux du premier mouillage, celui du second est de 72 %. Mettant à 100 % le taux de majoration du trust de l'acier, ce qui certainement est au-dessous de la vérité, le dividende du capital-actions serait donc de 20 %.

Le bénéfice net pour le premier trimestre de 1903 en cours, marque une diminution de 10.603.85o fr. due à l'encombrement du trafic des chemins de fer, qui a entravé les livraisons, mais il sera comblé et au delà, car pour bien des catégories des produits les plus lourds rails, matériaux de constructions, etc. la totalité de la pleine production des usines, jusque fin 1903, est vendue d'avance.

Ces chiffres étonnent même les capitalistes habitués à jongler avec des millions.

Le Globe de Londres, que les sept milliards de la Steel Corporation troublent et inquiètent, faisait remarqeer qu'il y a cent ans, en 1801, toute la fortune des Etats-Unis était évaluée à cette somme. Mais le Wall Street Journal, transporté de jubilation, calcule que les intérêts servis par toutes les compagnies de chemins de fer de la République américaine ne se totalisent pas en une somme aussi forte que celle des profits de la United States Steel corporation et ajoute : " cette gigantesque concentration de capital, d'énergie humaine et de profits se reflète sur les prêts des banques de New-York et prolonge son action sur le marché monétaire international ", le centre, toujours grossissant, où convergent les vols commis sur le travail salarié et d'où partent les nerfs des entreprises capitalistes.

 


Notes

[1] L'ouvrage de H. D. Lloyd, publié à New-York en 1894, est une mine de documents pour l'historien des mœurs économiques qui, dans la démocratique République, favorisèrent l'éclosion des trusts : il est malheureusement déparé par un style sentimental et impressionniste à la Carlyle et à la Michelet.

[2] Production du pétrole en 1901, en barils de 42 gallons, soit de 190 litres :

 Etats-Unis   69.389.194   41,95 % du total 
 Russie   85.168.556   51,50 % du total 
 Autres pays   10.827.983   6,55 % du total 

Depuis 1898, la Russie l'emporte sur les États-Unis ; auparavant c'était le contraire ; en 1897, la production américaine était de  60 millions de barils, celle de Russie de 54 millions. Il se pourrait que les nouveaux champs d'huile du Texas rendissent le premier rang aux Etats-Unis.

[3] Platon, qui, dans le Timée, fait dialoguer un astronome,attribue l'origine de la numération à l'observation de la succession du jour et de la nuit et de celle des mois lunaires et des années. L'homme, avant de connaître le cours des astres et de diviser l'année en quatre et même trois saisons, a su. compter. "Le nombre, disait le pythagoricien Philolaus, réside dans tout ce qui est, et sans lui il est impossible de rien penser et de rien connaître ". En effet, la qualité des objets qui tout d'abord frappe 1'intelligence de l'animal et de l'homme, est qu'ils sont distincts les uns des autres par la forme et la position qu'ils occupent dans l'espace, c'est 1à le point de départ de la numération. La capacité de compter a été lentement acquise par l'esprit humain on a trouvé des sauvages dont la numération s'arrêtait à trois, d'autres plus développés comptaient qu'à 20 sur leurs doigts et leurs orteils et pour tout nombre qui dépassait 20, ils disaient beaucoup. Vico remarque que pour les Romains le nombre 60, puis 100, puis 1.000 sont des quantités innombrables. Les Hovas de Madagascar disent pour 1.000 le soir ; pour 10.000 la nuit et le mot tapitrisa dont ils se servent pour million signifie littéralement fini de compter. Le mot milliard était pour nous un nombre innombrable : lorsque l'indemnité de la guerre de 1870-71 le rendit populaire, on dut recourir à toutes sortes d'images et de comparaisons pour en donner une idée ; les trusts l'implantent dans l'imagination populaire ; on compte par milliards, comme autrefois par millions.

[4] Quelques chiffres caractériseront l'étonnante activité industrielle de ces trois dernières années de trustification.
Il y a trois ans, les États-Unis produisaient moins de charbons que l'Angleterre : ils la laissent aujourd'hui de 50 millions el arrière. La production de charbon était en 1901 de 266 millions de tonnes, en 1902 de 268 millions, malgré la grève des mineurs de Pennsylvanie.
Il y a dix ans, les États-Unis produisaient moins de fonte que l'Angleterre, à peine 9 millions de tonnes ; en 1902, ils produisent autant que l'Angleterre, l'Allemagne et la Belgique réunis.

 Production de fonte en 1901.   15.878.000 tonnes. 
 Production de fonte en 1902.   17.821.000 tonnes. 

L'énorme production de 1902 a été insuffisante ; il a fallu importer 1.313,000 tonnes de fonte et d'acier; tandis que l'exportation tombait à 372.0oo tonnes, elle était en 1900 de 1.154.000 tonnes. La consommation a donc absorbé 18.762.000 tonnes.
La demande ayant dépassé l'offre, les prix ont monté.

 Prix de la tonne. 

 1902 

 1901 

 1900 

 Fonte Bessemer.   103,35 fr.   79,65 fr.   97,45 fr. 
 Rail d'acier.   140,00 fr.   136,66 fr.   161,29 fr. 
 Billes d'acier.   152,57 fr.   120,65 fr.   125,30 fr. 

Les prix de 1902, à l'exception de ceux des rails d'acier en 1900, étaient très élevés, n'ont pas été dépassés depuis dix ans. Dans ces six dernières années ont a construit 40.225 kilomètres de chemin de fer, autant que tout le réseau français. Les États-Unis possèdent 321,000 kilométres de voies ferrées.
Le trafic sur les chemins de fer était si considérable en 1902, qu'il y eut une railway congestion ; les wagons et les locomotives faisaient défaut pour le transport des marchandises. Le bénéfice net pour l'année finissant en juin 1902 augmentait de 2.042 francs par kilomètre et la dépense de 1.254 francs.

Le nombre de maisons de commerce et d'industrie particulières et de sociétés publiques par actions, était :

 En 1893.   1.193.000 fr. 
 1901.   1.198.901 fr. 
 1902.   1.238.553 fr. 

Le nombre des maisons particulières et de sociétés
publiques n'augmentait que de 3,6 % pendant cette décade de prospérité ; mais si elles croissaient peu en nombre, elles croissaient considérablement en importance,
indiquant ainsi l'intense concentration de capitaux qui s'est accomplie pendant la décade.

Clearing house de New-York et du reste du pays

   New-York (Milliards de francs).    Reste du pays (Milliards de francs)
 1892.   310  " "
 1900.   430   167 
 1901.   593   196 
 1902.   590   209 

Le chiffre de 1892 n'avait jamais été atteint. Les clearings de New-York sont démesurément gonflés par les opérations auxquelles donnent lieu les spéculations de la Bourse. Les clearings du reste du pays, où ces spéculations ne jouent qu'un rôle secondaire, sont une meilleure expression de la marche des affaires. De 1900 à 1902 les clearings de New-York ont augmenté de 27 % , ceux du reste du pays de 20 %.
 

 


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