1904

Écrit le 29 novembre (12 décembre) 1904. Publié sous forme de tract en décembre 1904
V. Lénine, Œuvres, 4e éd. russe. t. 7, pp. 487-492


Lénine

Lettre aux camarades

à l'occasion de la parution de l'organe de la majorité du parti


Chers camarades, aujourd'hui a été définitivement tranchée, à une réunion restreinte des bolchéviks à l'étranger la question depuis longtemps déjà décidée en principe, celle de la fondation d'un organe périodique du parti consacré à la défense et au développement des principes de la majorité dans la lutte contre la confusion que la minorité sème au sein du parti en matière d'organisation et de tactique ; il est mis au service du travail effectif des organisations de Russie, contre lesquelles les agents de la minorité livrent aujourd'hui à peu près partout, dans toute la Russie, une lutte si acharnée, une lutte qui désorganise terriblement le parti en ce moment historique si important, une lutte entièrement menée par les moyens les plus impudents et les procédés scissionnistes tout en déplorant hypocritement la scission dans le soi-disant Organe central du parti. Nous avons tout fait pour mener la lutte par les moyens que le parti met à notre disposition ; depuis le mois de janvier, nous luttons pour le congrès, le considérant comme l'unique issue digne du parti å une situation devenue intenable, Il est dès maintenant clair comme le jour que presque toute l'activité du Comité central passé à la minorité est consacrée à une lutte furieuse contre le Congrès ; que le Conseil va jusqu'à se livrer aux manœuvres les plus intolérables et les plus invraisemblables pour retarder le Congrès. Congrès. Le Conseil sabote tout bonnement le congrès ; qui ne s'en est pas encore convaincu en lisant ses dernières décisions dans le supplément aux numéros 73-74 de l’Iskra, le constatera en prenant connaissance de la brochure (parue ces jours-ci) d'Orlovski : Le Conseil contre le Parti. Il est maintenant clair comme le jour que sans l'union et la riposte à nos soi-disant organismes centraux, la majorité peut défendre ses positions, défendre l'esprit de parti dans sa lutte contre l'esprit de cercle. Il y a longtemps déjà que les bolchéviks de Russie ont inscrit leur unification à l'ordre du jour. Rappelez-vous l'immense sympathie qui a accueilli la résolution-programme des 220 (programme de notre lutte au sein du parti, s'entend) ; rappelez-vous la proclamation des 19 éditée par le Comité de Moscou (octobre 1904) : enfin, presque tous les comités du parti savent que ces tout derniers temps des comités de la majorité ont tenu plusieurs conférences privées, et qu’elles ont encore partiellement lieu ; que les tentatives les plus énergiques et les plus manifestes sont faites en vue d'unir fortement entre eux les comités de la majorité pour riposter aux bonapartistes déchaînés du Conseil, de l'Organe central et du Comité central.

Nous espérons que dans un très proche avenir, ces tentatives (ou plutôt ces démarches) seront portées à la connaissance de tous, lorsque leurs conséquences permettront de parler concrètement des résultats acquis. Sans une entreprise d'éditions à elle, il va sans dire que la majorité serait dans l'impossibilité absolue de se défendre. Le nouveau Comité central, comme vous le savez peut-être déjà par la presse de parti, a expressément banni nos brochures (et même les couvertures destinées aux brochures déjà composées) de l'imprimerie du parti, dont il a fait ainsi l'imprimerie d'un cercle, et il a repoussé les propositions expresses de la majorité à l'étranger et des comités de Russie ; par exemple, celle du comité de Riga relative à l'envoi en Russie des publications de la majorité. La falsification de l'opinion du parti est nettement apparue comme la tactique systématiquement adoptée par le nouveau Comité central. La nécessité d'élargir nos entreprises d’éditions, d’organiser nos propres moyens de transport s'imposait de plus en plus. Les comités qui avaient camarades à camarades (voir l'aveu de Dan dans son compte rompu avec la rédaction de l’Organe central tout rapport de rendu de la réunion tenue à Genève le 2.IX.1904 - la brochure est intéressante) ne pouvaient, et ne peuvent se passer d'un organe périodique. Un parti sans organe, un organe sans parti ! Ce triste mot d'ordre, lancé dès le mois d'août par la majorité conduisait inéluctablement à l'unique issue possible : la création d'un organe à soi. Les jeunes écrivains venus à l'étranger afin d'appuyer une cause qui tient profondément à cœur à la majorité des militants de Russie, demandent å se rendre utiles. En Russie également, certains écrivains, membres du parti, réclament instamment un organe périodique. En fondant cet organe, qui portera vraisemblablement le titre de Vpériod (En Avant !). Nous agissons en parfait accord avec la masse des bolchéviks de Russie, en parfait accord avec notre position dans la lutte au sein du parti. Nous avons pris cette arme après avoir essayé au cours de l'année tous les moyens plus simples, oui, absolument tous, moins coûteux pour le parti, plus conformes aux intérêts du mouvement ouvrier. Nous n'abandonnons nullement la lutte pour le congrès : bien au contraire, nous voulons élargir, généraliser, épauler cette lutte ; nous voulons aider les comités à résoudre la question nouvelle qui se pose devant eux, celle de la convocation du congrès sans l'approbation du Conseil et du Comité central, contre la volonté du Conseil et du Comité central, question qui demande à être examinée sérieusement sous tous ses aspects. Nous agissons ouvertement au nom de conceptions et de tâches depuis longtemps déjà exposées devant l'ensemble du parti dans toute une série de brochures. Nous luttons et nous lutterons pour une ferme orientation révolutionnaire, dirigée contre la confusion et les flottements en matière d'organisation et de tactique (voir la lettre monstrueusement embrouillée de la nouvelle Iskra aux organisations du parti, imprimée uniquement pour les membres du parti et dissimulée aux yeux du monde). La parution du nouvel organe sera annoncée vraisemblablement dans une semaine ou à peu près. Son premier numéro entre le 1er et le 10 janvier. Tous les auteurs ralliés à la majorité qui se sont distingués jusqu'à présent (Riadovoi, Galerka, Lénine, Orlovski qui a régulièrement collaboré à l'Iskra du numéro 46 au numéro 51, alors qu'elle était dirigée par Lénine et Plékhanov, ainsi que de jeunes cadres littéraires très précieux) feront partie du comité de rédaction. Le comité chargé d'assurer la direction et l'organisation pratiques de la tâche complexe de la diffusion des agents, etc., etc., sera constitué (et l'est déjà en partie) en vertu du mandat explicite délivré à certains camarades, pour l'exercice de certaines fonctions, par plusieurs comités de Russie (Odessa, Ekatérinoslav, Nikolaiev, 4 comités du Caucase, et quelques Comités du Nord, dont vous serez bientôt informés en détail). Nous prions aujourd'hui tous les camarades de nous soutenir par tous les moyens. Nous ferons paraitre cet organe à la condition qu’il soit celui du mouvement en Russie, mais en aucune façon celui d'un cercle à l'étranger. Pour cela, il faut avant tout et surtout le soutien littéraire ou plutôt une participation littéraire des plus énergiques, venant de Russie. Je souligne et place entre guillemets le mot littéraire afin d'attirer d'emblée l'attention sur le sens particulier de ce mot, et mettre en garde contre un malentendu très fréquent et terriblement nuisible à la cause. Ce malentendu, c'est de prétendre que les écrivains (au sens professionnel du mot) et eux seuls, sont capables de participer utilement à un périodique ; bien au contraire, un organe sera vivant et viable lorsque pour cinq publicistes responsables qui écrivent régulièrement, il y aura cinq cents, cinq mille collaborateurs qui ne seront point des écrivains. Un des défauts de l'ancienne Iskra, et que je me suis toujours efforcé d'éliminer (qui a pris des proportions monstrueuses dans la nouvelle Iskra), c'est le peu de correspondances qu'elle recevait de Russie. Presque toujours, nous imprimions absolument tout ce qu'on nous envoyait de Russie. Un organe réellement vivant doit publier la dixième partie de ce qu'on lui envoie, utilisant le reste pour informer et documenter les collaborateurs. II faut que le plus grand nombre possible de militants du parti corresponde avec nous : je dis bien : corresponde, dans le sens habituel et non littéraire du mot.

L'éloignement de la Russie, l'ambiance étouffante de ce maudit marais de l'étranger nous oppressent ici à ce point, que l'unique salut, c’est un contact vivant avec le pays. Qu'ils ne l'oublient pas ceux qui non seulement en paroles, mais aussi en fait, veulent voir en notre organe (et en faire) celui de toute la majorité, l'organe de la masse des militants de Russie. Que tous ceux qui le considèrent comme le leur, et qui ont conscience de leur devoir de social-démocrates membres du parti, renoncent une fois pour toutes å cette habitude bourgeoise de raisonner et d'agir comme on a coutume de le faire, quand il s'agit des journaux légaux, en se disant : à eux d'écrire, à nous de lire. Le journal social-démocrate doit être l'œuvre de tous les social-démocrates. A tous, et surtout aux ouvriers nous demandons de correspondre. Donnons aux ouvriers la plus large possibilité d'écrire dans notre journal, de nous parler d'absolument tout, d'écrire le plus possible au sujet de leur vie quotidienne, de leurs intérêts et de leur travail ; sans cette documentation-là un organe social-démocrate ne vaudra pas un rouge liard et il ne méritera pas d'être appelé social-démocrate. Nous demandons aussi de correspondre avec nous, étant bien entendu qu'il ne s'agit pas de correspondance journalistique, c'est-à-dire pour la presse, mais afin d'entretenir avec la rédaction des relations de camarades et pour la renseigner, non seulement sur les faits, les événements, mais encore sur l'état d'esprit et sur le côté quotidien dépourvu d'intérêt, habituel, routinier, du mouvement. Qui n'a pas séjourné à l'étranger, ne peut s'imaginer à quel point ces lettres nous sont nécessaires (elles ne contiennent absolument rien de clandestin, et écrire une fois, deux fois par semaine, une lettre non chiffrée est, ma foi, chose parfaitement possible, même quand on est fort occupé). Écrivez-nous donc au sujet des causeries dans les cercles ouvriers, du caractère de ces causeries, des thèmes mis à l’étude, des desiderata des ouvriers, dites-nous comment sont organisées la propagande et l'agitation, vos liaisons dans la société, l'armée et la jeunesse ; dites-nous surtout en quoi les ouvriers sont mécontents de nous, social-démocrates : parlez-nous de leurs embarras, besoins, protestations, etc. Les questions relatives à l'organisation pratique sont intéressantes, maintenant surtout, et il n'est d'autre moyen de les faire connaitre à la rédaction qu'une correspondance animée nullement journalistique. une correspondance entre camarades, tout simplement ; certes, chacun ne possède pas l'art ou l'envie d'écrire : pourtant... ne dis pas : je ne puis pas: plutôt dis je ne veux pas ; toujours, pourvu qu’on le veuille, dans tout cercle, dans chaque groupe, fût-il le plus infime, le plus secondaire (les groupes secondaires présentent souvent un intérêt particulier, car ils accomplissent parfois la partie du travail la plus importante, bien qu'elle passe inaperçue), on peut trouver un ou deux camarades capables d'écrire. Ici, nous avons d'emblée nanti le secrétariat de larges attributions, mettant à profit l'expérience de l'ancienne Iskra ; et nous vous demandons de ne pas oublier que chacun, chacun sans exception, s'il se met patiemment et énergiquement à l'œuvre, obtiendra sans peine que toutes ses lettres, ou les neuf dixièmes d'entre elles, parviennent à destination. Je me fonde, pour l'affirmer, sur les trois années d'expérience de l'ancienne Iskra qui avait plus d'un de ces correspondants amis (qui souvent ne connaissait aucun membre de la rédaction), lui écrivant d’une manière très suivie. Il y a longtemps déjà que la police est absolument hors d'état d'intercepter les lettres destinées a l'étranger (elle ne s'en saisit qu’accidentellement, par la faute d'une négligence extraordinaire de l'expéditeur), et une énorme partie de la documentation de l'ancienne Iskra lui parvenait toujours par la voie la plus ordinaire, dans des simples lettres à nos adresses. Nous voudrions tout particulièrement mettre en garde contre le procédé qui consiste à concentrer toute la correspondance au seul comité, et seulement entre les mains des secrétaires. Rien de plus néfaste qu'un tel monopole. Autant l'unité est obligatoire dans l'action, dans toute décision, autant elle est erronée quand il s'agit de l'information en général, de la correspondance. il arrive souvent, très souvent, que des lettres particulièrement intéressantes nous viennent de personnes relativement "étrangères" (éloignées des comités), qui sont plus spontanées dans leurs réactions à bien des choses devenues trop habituelles, et que perd de vue un vieux militant expérimenté, Donnez plus de possibilité de nous écrire à nos jeunes militants : et à la jeunesse, et aux militants, et aux "centralistes", et aux organisateurs, et aux simples participants des réunions volantes et des meetings.

Alors seulement, et à la seule condition qu'une vaste correspondance de ce genre s'établisse, nous pourrons tous ensemble faire de notre journal l'organe effectif du mouvement ouvrier en Russie. Nous vous prions instamment de donner lecture de cette lettre à toutes les réunions, dans tous les cercles, sous-groupes, etc., etc., quels qu'ils soient, le plus largement possible, et de nous écrire comment les ouvriers ont accueilli cet appel. Nous sommes très sceptiques quant à l'idée d'un organe ouvrier (populaire) distinct de l'organe commun, intellectuel et dirigeant : nous voudrions que le journal social-démocrate soit l''organe de l'ensemble du mouvement, que le journal ouvrier et le journal social-démocrate fusionnent en un seul organe. On n'y peut parvenir qu'avec l'appui le plus actif de la classe ouvrière.

Salutations fraternelles,

V. Lénine.


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