1909

Supplément à « Prolétari » n°47-48, 11 (24) sept. 1909.

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La fraction des partisans de l'otzovisme et de la construction de Dieu

Lénine


1

Commençons par l'otzovisme. Nos victimes dressent le bilan de l'expérience du parlement ou de la Douma pour les années écoulées, justifient le boycottage de la Douma de Boulyguine et de celle de Witte, de même que la participation à la II° Douma, et continuent en ces termes :

« Face à une réaction intense et renforcée, tout cela est en train de changer à nouveau. Le parti ne peut plus alors mener une vigoureuse et brillante campagne électorale, il ne peut obtenir une représentation parlementaire digne de lui... »

Dès la toute première phrase de ce raisonnement original, non emprunté aux anciennes publications bolcheviques, apparaît l'abîme sans fond de la bêtise politique otzoviste. Réfléchissez un peu, mes bons amis, le parti peut‑il, face à une réaction intense et renforcée, mener à bien la « vigoureuse et brillante » organisation de « groupes et d'écoles d'instructeurs » pour les militants de choc, organisation dont vous parlez à la même page et dans la même colonne de votre rapport ? Réfléchissez donc un peu, mes bons amis, le parti peut‑il obtenir « une représentation digne de lui » dans de telles écoles ? Si vous saviez réfléchir et que vous étiez tant soit peu capables de jugement politique, ô victimes d'une injuste révocation, vous auriez remarqué que vous avez laissé échapper une magnifique absurdité. Au lieu de réfléchir politiquement, vous vous cramponnez à une « brillante » étiquette, vous retrouvant ainsi les gros jeans du parti. Vous parlez d'« écoles d'instructeurs » et d'« intensification (!) de la propagande dans les troupes » (idem), parce que, comme tous les novices politiques du camp otzoviste et ultimatiste, vous considérez que ce genre d'activité est particulièrement « brillant »; quant à réfléchir aux conditions d'utilisation effective (et non théorique) de ces formes d'activité, vous en êtes incapables. Vous avez retenu des bribes de phrases et de mots d'ordre bolcheviques, mais vous n'y avez compris goutte. Face à une réaction intense et renforcée, n'importe quel travail est difficile pour le parti, mais, quelles que soient les difficultés, il est tout de même possible d'obtenir au parlement une représentation honorable. C'est ce que démontre, par exemple, l'expérience de la social‑démocratie allemande à une époque de « réaction intense et renforcée », comme celle où fut introduite la loi d'exception [1]. En niant cette possibilité, Maximov et Cie ne font que trahir leur totale ignorance politique. Recommander les « écoles d'instructeurs » et « l' intensification de la propagande dans les troupes » « en période de réaction intense et renforcée » tout en contestant que le parti ait la possibilité d'avoir une représentation parlementaire honorable, ce sont là, manifestement, des insanités dignes de trouver place dans un sottisier pour lycéens des petites classes. Les écoles d'instructeurs, aussi bien que l'intensification de la propagande dans les troupes, supposent forcément que l'on transgresse les vieilles lois, que l'on y ouvre une brèche, tandis que l'activité parlementaire ne suppose pas obligatoirement, ou du moins bien plus rarement, que la nouvelle force sociale viole l'ancienne législation. Maintenant, chers amis, réfléchissez : à quel moment est‑il le plus facile d'ouvrir une brèche dans les vieilles lois ? En période de réaction intense et renforcée ou en période de progression du mouvement ? Réfléchissez, ô victimes d'une injuste révocation, et rougissez des sottises que vous dites pour défendre vos chers otzovistes.

Continuons. Quel genre d'action suppose un plus grand déploiement d'énergie des masses, une plus grande influence de celles‑ci sur la vie politique directe ? Est‑ce une action parlementaire fondée sur une loi promulguée par l'ancien régime ou une propagande combative s'attaquant violemment et directement à la puissance matérielle du régime ? Réfléchissez, mes bons amis, et vous verrez que l'action parlementaire en pareilles circonstances passe au deuxième plan. Et que faut‑il en conclure ? Il faut en conclure que plus fort est le mouvement de masse direct, plus grande est l'énergie qu'elles déploient, autrement dit, plus on peut parler de poussée révolutionnaire populaire « intense et renforcée » et non de « réaction intense et renforcée », plus la propagande dans les troupes et les actions vigoureuses réellement liées au mouvement de masse et non l'aventurisme de quelques têtes chaudes deviendront possibles, inévitables et fructueux. Voilà justement pourquoi, ô victimes d'une injuste révocation, le bolchevisme a su mener action vigoureuse et propagande dans les troupes avec une force particulière durant une période de poussée révolutionnaire « intense et renforcée », voilà justement pourquoi le bolchevisme a su séparer à partir de 1907 et définitivement vers 1909, sa fraction de ce combatisme qui, « en période de réaction intense et renforcée » s'est ramené inévitablement à l'aventurisme.

Chez nos héros qui ont retenu des bribes de phrases bolcheviques tout marche à l'envers : les formes de lutte supérieures, qui n'ont jamais réussi nulle part au monde sans une attaque directe des masses, sont recommandées au premier chef comme « possibles » en période de réaction intense, les formes inférieures, qui supposent moins une transgression directe de la loi par les masses en lutte que l'utilisation de la loi pour une propagande et une agitation qui formeront la conscience des masses pour la lutte, sont décrétées « impossibles » !!

Les otzovistes et leurs sous‑fifres « évincés » ont entendu dire et ont retenu que le bolchevisme considère comme une forme d'action supérieure la lutte directe des masses, qui entraîne même l'armée (c'est‑à‑dire, la partie de la population la plus encroûtée, la moins remuante, la mieux défendue contre la propagande, etc.) et qui transforme les escarmouches en un véritable début d'insurrection, ‑ alors que ce même bolchevisme tient pour inférieure l'action parlementaire en dehors d'un mouvement de masse direct. Les otzovistes et leurs sous‑fifres du genre de Maximov ont entendu et retenu cela sans le comprendre et c'est pourquoi ils se sont couverts de ridicule. Supérieur veut dire « brillant », pense notre otzoviste et camarade Maximov, eh bien alors, je vais pousser des clameurs « éclatantes », pour sûr, ça sonnera plus révolutionnaire, mais bien malin qui s'y retrouvera !

Ecoutez encore le raisonnement de Maximov (nous reprenons la citation là où nous l'avions laissée) :

... « La force mécanique de la réaction brise les liens entre la fraction du parti déjà constituée et les masses et contrarie terriblement l'influence du parti sur celle‑ci, ce qui rend cette représentation incapable de faire, dans l'intérêt du parti, un travail de propagande et d'organisation suffisamment vaste et profond. Mais quand le parti lui‑même est affaibli, le danger subsiste de voir la fraction dégénérer et s'écarter de la voie de la social‑démocratie »...

N'est‑ce pas admirable ? Lorsqu'il est question des formes de combat inférieures, légales, on commence à nous faire peur : « force mécanique de la réaction », « incapacité de faire un travail suffisamment vaste », « danger de dégénérescence ». Et quand il s'agit de formes supérieures de la lutte des classes qui ouvrent une brèche dans les vieilles lois, « la force mécanique de la réaction » disparaît, il n'y a plus aucune « incapacité » de faire un travail « suffisamment vaste » dans les troupes, il ne saurait même être question, veuillez le noter, d'aucun « danger de dégénérescence » des groupes et écoles d'instructeurs !

Voilà la meilleure preuve que la rédaction du Prolétari a eu raison d'évincer des hommes politiques qui introduisent de telles idées dans les masses.

Mettez‑vous bien cela dans la tête, ô malheureuses victimes : quand on se trouve réellement en présence d'une réaction intense et renforcée, quand la force mécanique de cette réaction brise réellement les liens avec les masses, empêche de faire un travail suffisamment vaste et affaiblit le parti, c'est justement là qu'utiliser l'arme parlementaire pour la lutte devient l'objectif spécifique du parti; et cela, malheureuses victimes, non que la lutte parlementaire est une forme de combat supérieure aux autres, mais bien au contraire, parce qu'elle leur est inférieure, qu'elle est inférieure, par exemple, à une forme de lutte qui entraînerait même l'armée dans le mouvement de masses, inférieure à celle qui suscite grèves massives, émeutes, etc. Et pourquoi donc l'utilisation de cette forme inférieure de lutte peut‑elle devenir l'objectif spécifique du parti (c'est-­à‑dire, l'objectif d'un moment donné, distinct de celui des autres moments) ? Mais parce que plus la force mécanique de la réaction est vigoureuse, plus les liens avec les masses sont relâchés, et plus la tâche de former la conscience des masses (et non l'action directe) prend de l'importance, plus l'utilisation des moyens de propagande et d'agitation créés par l'ancien régime se place au premier plan (et non l'attaque directe par les masses de l'ancien régime lui‑même).


Repères

[1] La loi d'exception contre les socialistes fut décrétée en Allemagne en 1878. Elle interdisait toutes les organisations ouvrières et social‑démocrates de masse, la presse ouvrière, la littérature socialiste. Elle fut abolie en 1890.


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