1909

Supplément à « Prolétari » n°47-48, 11 (24) sept. 1909.

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La fraction des partisans de l'otzovisme et de la construction de Dieu

Lénine


3

Les clameurs stupides poussées par Maximov et Cie à propos d'un « parlementarisme à tout prix » chez les bolcheviks semblent bizarres du point de vue de l'histoire réelle de l'otzovisme. Il est curieux que ce soient justement ceux qui ont créé, qui créent une nouvelle tendance exclusivement basée sur la question de leur attitude à l'égard du parlementarisme, que ce soient eux qui crient à l'exagération du parlementarisme ! Comment vous nommez‑vous vous-mêmes, chers Maximov et Cie ? Vous vous dites « otzovistes », « ultimatistes », « boycotteurs ». Maximov jusqu'à maintenant se targue d'être un boycotteur de la III° Douma et il ne manque pas de faire suivre ses rares interventions de membre du parti de cette signature : « le rapporteur des boycotteurs à la Conférence de juillet 1907 [1] ». Il y avait autrefois un écrivain qui signait : « Conseiller d’Etat en activité et Chevalier ». Maximov signe : « Rapporteur des boycotteurs » ‑ un chevalier lui aussi, en quelque sorte !

Dans la conjoncture politique de juin 1907, où Maximov défendait le boycottage, l'erreur n'était encore pas très grave. Mais quand, en juillet 1909, dans un manifeste de son cru, il continue à se targuer de « boycottisme » à l'égard de la III° Douma, c'est complètement stupide. Boycottisme, otzovisme, ultimatisme : à eux seuls ces mots expriment une tendance basée sur une attitude à l'égard du parlementarisme et sur cela seulement. Mais se définir d'après ce critère, continuer à le faire (deux ans après que le parti a porté un jugement de principe sur cette affaire), c'est le signe d'une étroitesse d'esprit incommensurable. Ce sont précisément ceux qui agissent ainsi, c'est‑à‑dire et les « boycotteurs » (de 1909) et les otzovistes, et les ultimatistes, qui montrent, par là même, qu'ils ne raisonnent pas en social-démocrates; ils placent le parlementarisme sur un piédestal; tout comme les anarchistes, ils utilisent des recettes particulières ‑ boycotter une Douma, rappeler leurs membres d'une autre Douma, lancer un ultimatum à telle fraction de la Douma ‑ pour en faire une nouvelle tendance. Agir ainsi, c'est également se conduire en caricature de bolchevik. Chez les bolcheviks, la tendance est déterminée par leur conception générale de la révolution russe et ils ont cent fois souligné (comme pour mettre en garde les béjaunes en matière de politique) qu'identifier bolchevisme et boycottisme ou combatisme est un stupide contresens et une vulgarisation des idées de la social‑démocratie révolutionnaire. Notre point de vue sur l'obligation qu'ont les social‑démocrates de faire partie de la III° Douma, par exemple, découle nécessairement de nos opinions sur le moment présent, sur les tentatives de l'autocratie de faire un pas dans la voie d'une monarchie bourgeoise, sur l'importance de la Douma en tant qu'institution représentative à l'échelle de la nation où sont groupées les classes contre-révolutionnaires. De même que les anarchistes révèlent un crétinisme parlementaire à l'envers, lorsqu'ils dissocient le problème du parlement du problème global de la société bourgeoise en général et qu'ils essaient de créer une tendance basée sur des cris à l'encontre du parlementarisme bourgeois (bien que la critique du parlementarisme bourgeois soit en principe de même nature que la critique de la presse bourgeoise, du syndicalisme bourgeois, etc.), de même nos otzovistes‑ultimatistes‑boycotteurs révèlent un menchevisme à l'envers de la même espèce lorsqu'ils se constituent en tendance à propos de l'attitude à tenir à l'égard de la Douma, à propos des moyens de lutte contre les déviations de la fraction social‑démocrate à la Douma (et non contre les déviations des écrivains bourgeois qui entrent en passant dans la social‑démocratie, etc.).

Ce crétinisme parlementaire à l'envers a atteint son summum dans le fameux raisonnement du chef des otzovistes moscovites couvert par Maximov : le rappel de la fraction doit souligner que la révolution n'est pas enterrée ! Et Maximov de déclarer publiquement sans rougir : « Les otzovistes ne se sont jamais (oh ! non, jamais !) prononcés dans le sens de l'antiparlementarisme en général. »

Le patronage accordé aux otzovistes par Maximov et Cie est un des traits marquants de la physionomie de la nouvelle fraction et nous devons nous y arrêter pour l'étudier d'autant plus en détails qu'un public peu averti se laisse prendre bien souvent à l'hameçon de ceux qui se plaignent si amèrement d'avoir été évincés. Ce patronage consiste tout d'abord pour Maximov et Cie à déclarer sans cesse, la main sur le cœur : nous ne sommes pas des otzovistes, nous ne partageons absolument pas leurs opinions ! Ensuite, Maximov et Cie accusent les bolcheviks d'exagérer la lutte contre les otzovistes. C'est exactement l'histoire des relations entre les gens du Rabotchéïé Diélo et ceux de la Rabotchaïa Mysl (1897‑1901). Nous ne sommes pas des « économistes », s'écriaient ceux du Rabotchéïé Diélo en se frappant la poitrine, nous ne partageons pas les idées de la Rabotchaïa Mysl, nous nous disputons avec elle (exactement comme Maximov « se disputait » avec les otzovistes 1), ce sont seulement les méchants iskristes qui ont lancé contre nous de fausses accusations, qui nous ont calomniés, qui ont « gonflé » l'« économisme », etc., etc., etc. C'est pourquoi parmi les « économistes » déclarés et honnêtes, partisans de la Rabotchaïa Mysl, pas mal de gens faisaient fausse route en toute sincérité, sans hésiter à défendre leurs opinions, et on ne pouvait leur refuser son estime; parmi les gens du RabotchéïéDiélo à l'étranger, par contre, ce n'étaient qu'intrigues caractérisées, brouillage de pistes, jeu de cache‑cache, duperie du public. Les mêmes rapports exactement existent entre les otzovistes déclarés et conséquents (dans le genre de Vsev. [2] et Stan [3] bien connus des cercles du parti) et le groupe de Maximov à l'étranger.

Nous ne sommes pas des otzovistes, clame ce groupe. Mais faites dire à n'importe quel d'entre eux deux mots sur la situation politique actuelle et sur les tâches du parti, et vous entendrez la totalité des raisonnements otzovistes, coupés (comme nous l'avons vu chez Maximov) de quelques gouttes de réserves jésuitiques, d'appendices, de réticences, d'atténuations, d'explications embrouillées, etc. Ce jésuitisme ne vous lave pas, ô victimes d'une injuste révocation, de l'accusation de bêtise otzoviste, mais décuple votre faute, car une confusion idéologique dissimulée pervertit cent fois plus le prolétariat et fait cent fois plus de tort au parti *.

Nous ne sommes pas des otzovistes, se récrient Maximov et Cie. Et pendant ce temps, depuis juin 1908, après avoir quitté la rédaction restreinte du Prolétari, Maximov a fondé une opposition officielle à l'intérieur de la direction collégiale, il a demandé et obtenu la liberté de discussion pour cette opposition, demandé et obtenu une représentation spéciale pour elle dans les organes exécutifs les plus importants de l'organisation qui s'occupent de l'expansion du journal. Il va sans dire que depuis cette même époque, c'est‑à‑dire il y a plus d'un an, tous les otzovistes continuent à demeurer dans les rangs de cette opposition, qu'ils ont organisé ensemble un réseau d'agents en Russie, qu'ils ont adapté ensemble l'école à l'étranger (dont nous parlerons plus loin) aux fins de ce réseau, etc., etc.

Nous ne sommes pas des otzovistes, clament Maximov et Cie. Mais pendant ce temps, à la Conférence de Russie du parti, en décembre 1908, lorsque les otzovistes les plus honnêtes faisant partie de cette opposition se constituèrent, devant le parti tout entier, en un groupe à part, en un courant idéologique particulier, et reçurent en cette qualité le droit d'avoir leur propre orateur (à cette Conférence, on avait établi que seules les tendances idéologiques séparées ou les organisations particulières pouvaient désigner un orateur particulier, ceci pour ne pas allonger les séances), ce fut le camarade Maximov qui (par hasard, par pur hasard !) se trouva être l'orateur de la fraction otzoviste...

Cette façon de tromper le parti en lui dissimulant sa tendance otzoviste est systématiquement pratiquée par le groupe de Maximov à l'étranger. En mai 1908, dans une lutte déclarée, l'otzovisme a subi une défaite : à la Conférence de Moscou‑ville il fut battu par 18 voix contre 14 (dans cette région, en juillet 1907, presque tous les social-démocrates étaient des boycotteurs. Cependant, à la différence de Maximov, ils comprirent vers juin 1908, que s'entêter sur le « boycottage » de la III° Douma serait une impardonnable sottise). Après cela, le camarade Maximov organise à l'étranger une opposition de pure forme au Prolétari et entame une discussion comme il ne s'en était jamais pratiquée jusque‑là dans les pages de l'organe périodique bolchevique. Et‑ voilà qu'à l'automne 1908, aux élections à la Conférence de Russie, lorsque toute l'organisation de Pétersbourg se divise en otzovistes et non‑otzovistes (selon l'expression des ouvriers), que dans toutes les sections et sous‑sections de Pétersbourg ont lieu des discussions sur la plate‑forme non des bolcheviks et des mencheviks, mais des otzovistes et des non‑otzovistes, voilà que la plate‑forme otzoviste disparaît de la vue du public. On ne la publie pas dans le Prolétari. On ne la fait pas paraître dans la presse. A la Conférence de Russie de décembre 1908, on ne la communique pas au parti. Ce n'est qu'après la Conférence, sur l'insistance de la rédaction, que cette plate‑forme nous est envoyée et que nous la publions dans le numéro 44 du Prolétari (« Résolution des otzovistes de Pétersbourg »).

Dans la région de Moscou, le chef des otzovistes bien connu de tous a « corrigé » dans le numéro 5 du Rabotchéïé Znamia [4] l'article d'un ouvrier otzoviste, mais jusqu'à présent nous n'avons pas reçu la plate­forme personnelle de ce chef. Nous savons très bien que dès le printemps 1909, lorsqu'on procédait aux préparatifs de la conférence régionale de la région industrielle du centre, la plate‑forme du chef des otzovistes circulait de mains en mains. Nous savons, par des informations émanant de bolcheviks, que cette plate‑forme contenait, en plus grand nombre encore que celle de Pétersbourg, des perles d'un raisonnement bien peu social‑démocrate. Mais le texte de cette plate‑forme ne nous est toujours pas parvenu, probablement par hasard, par le plus grand des hasards, comme celui qui a fait que Maximov s'est trouvé être le porte‑parole des otzovistes à la conférence.

La question de l'utilisation des possibilités légales a été elle aussi dissimulée par Maximov et Cie sous une phrase « coulante » disant que cela « allait de soi ». Il serait intéressant de savoir si cela « va de soi » maintenant aussi pour les chefs‑praticiens de la fraction maximoviste, les camarades Liadov et Stanislav, qui il y a trois mois, au Bureau de la région industrielle du centre, se trouvant alors entre leurs mains (ce même Bureau qui a entériné la fameuse « école »; sa composition a changé depuis); faisaient adopter une résolution contre la participation des social‑démocrates au Congrès des médecins d'usines [5]. C'était, comme on sait, le premier congrès auquel les social‑démocrates révolutionnaires étaient en majorité. Et tous les otzovistes et ultimatistes les plus en vue avaient fait de la propagande contre la participation à ce Congrès en déclarant qu'y prendre part, c'était « trahir la cause du prolétariat ». Mais Maximov s'occupe de brouiller la piste : « cela va de soi ». « Il va de soi » que les otzovistes et les ultimatistes déclarés sapent ouvertement en Russie le travail pratique, tandis que Maximov et Cie que les lauriers de Kritchevski et de Martynov empêchent de dormir, escamotent l'essentiel : il n'existe aucune divergence, aucune opposition sur la question de l'utilisation des possibilités légales.

Le rétablissement des organes du parti, des groupes de liaison et autres à l'étranger, provoque forcément aussi un retour aux abus du passé qu'il faut combattre avec la plus grande fermeté. C'est l'histoire des « économistes » qui se répète : en Russie, ils faisaient de la propagande contre la lutte politique, tandis qu'à l'étranger, ils se dissimulaient derrière le Rabotchéïé Diélo. C'est l'histoire du « credo » [6] démocrate bourgeois qui fut répandu en Russie par Prokopovitch et Cie et qui fut publié dans la presse par les social‑démocrates révolutionnaires contre le gré de ses auteurs. Il n'y a rien de plus pernicieux pour le parti que ce jeu de cache‑cache, cette spéculation sur les difficiles conditions du travail illégal afin d'éviter la publicité dans le parti, ce jésuitisme de Maximov et Cie qui pour tout et en tout agissent la main dans la main avec les otzovistes et qui dans la presse affirment en se frappant la poitrine que tout cet otzovisme est orchestré à dessein par le Prolétari.

Nous ne sommes pas des chicaneurs ni des formalistes, mais des gens qui font un travail révolutionnaire. Ce qui nous importe, ce ne sont pas les distinctions réthoriques qu'on peut établir entre otzovisme, ultimatisme et « boycottisme » (contre la III° Douma). Ce qui nous importe, c'est le contenu réel de la propagande et de l'agitation social‑démocrate. Et si, sous couvert de bolchevisme, on propage dans les cercles russes clandestins des idées qui n'ont rien à voir ni avec le bolchevisme ni avec la social‑démocratie en général, ceux qui empêchent de faire la lumière sur ces idées, d'expliquer leur fausseté devant le parti tout entier, se conduisent en ennemis du prolétariat.


Notes

* Voici un petit exemple qui illustre à ce propos les protestations de Maximov disant que Prolétari est seul à propager des fables sur le compte des ultimatistes, par pure malignité. En automne 1908, Alexinski se rendit au Congrès des social‑démocrates polonais et y proposa une résolution ultimatiste. L'affaire avait lieu avant l'ouverture dans le Prolétari de la vigoureuse campagne contre la nouvelle fraction. Or que se passa‑t‑il ? Les social‑démocrates polonais se moquèrent d'Alexinski et de sa résolution en lui disant : « Vous n'êtes rien d'autre qu'un otzoviste pusillanime. »


Repères

[1] Conférence de juillet 1907, troisième conférence du P.O.S.D.R.; (Deuxième conférence de Russie); eut lieu du 21 au 23 juillet (3-5 août) 1907, en Finlande (Kotka), 26 délégués y assistaient: 9 bolcheviks, 5 mencheviks, 5 social‑démocrates polonais, 2 social‑démocrates lettons, 5 membres du Bund. Cette conférence avait pour but de définir la tactique de la social‑démocratie vis‑à‑vis du coup d'Etat du 3 juin et de la convocation de la III° Douma d'Etat. A cette conférence, Lénine s'éleva contre le boycottage de la Douma. Le rapporteur des partisans du boycottage était A. Bogdanov (Maximov), qui disposait de la majorité chez les bolchéviks. Lénine vota avec les menchéviks pour assurer la majorité à la résolution prônant la participation à cette Douma.

[2] Vsev, pseudonyme de l'otzoviste V. Dénissov.

[3] Stan (Stanislav), pseudonyme de S. Volski (A. Sokolov), l'un des leaders de l'otzovisme, qui participa à l'organisation et aux activités des écoles fractionnistes de Capri et de Bologne.

[4] « Rabotchéié Znamia » [Le Drapeau ouvrier], journal bolchevique illégal, organe du Bureau régional de la région industrielle du Centre, des Comités du P.O.S.D.R. de Moscou et de l'arrondissement de Moscou; il parut à Moscou de mars à décembre 1908; il en sortit 7 numéros. A partir du numéro 5 s'ouvrit dans les pages du journal une discussion à propos des rapports avec la Douma et avec la fraction social‑démocrate. Dans ce même numéro parut l'article d'un otzoviste, « Lettre d'un ouvrier (A propos d'un plan de travail du parti en liaison avec l'appréciation du moment présent) ». L'auteur de cet article était le leader des otzovistes de Moscou, S. Volski (A. Sokolov), alors membre du Bureau régional de Moscou de la région industrielle du Centre. Cet article souleva de vives protestations de la part des organisations du parti de la Russie du Centre et une riposte dans les colonnes du Prolétari.Lénine fit la critique de cet article dans son ouvrage « A propos de deux lettres » (Œuvres, Paris-Moscou, t. 15, pp. 306‑325).

[5] Le Premier Congrès de Russie des médecins d'usine et des délégués de l'industrie eut lieu à Moscou du 1° au 6 (14 au 19) avril 1909. Au nombre des délégués se trouvaient 52 ouvriers élus par les syndicats, surtout par ceux des gros centres industriels. Les interventions des délégués‑ ouvriers, parmi lesquels se trouvait une majorité de bolcheviks, eurent une grande importance politique et un grand retentissement dans tout le, pays. Deux questions soulevèrent des discussions particulièrement animées pendant ce congrès : celle de l'organisation de l'inspection sanitaire (la résolution présentée par les bolcheviks fut adoptée) et celle des élections des inspecteurs du travail par les ouvriers. Le congrès ne put terminer ses travaux : il fut interdit par la police.

[6] Credo, manifeste des « économistes » composé par E. Kouskova, publié en 1899. On trouve une critique du « Credo » dans la « Protestation des social‑démocrates de Russie » rédigée par Lénine et publiée à l'étranger en décembre 1899, sous forme d'un tiré à part extrait du n° 4‑5 de la revue Rabotchéié Diélo (voir Œuvres Paris‑Moscou, t. 4, pp. 171‑186).


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