1909

Supplément à « Prolétari » n°47-48, 11 (24) sept. 1909.

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La fraction des partisans de l'otzovisme et de la construction de Dieu

Lénine


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Tout en dissimulant sa parenté idéologique et en redoutant de développer sa plate‑forme réelle, la nouvelle fraction s'efforce de combler les insuffisances de son bagage idéologique en empruntant ses mots à celui des vieilles scissions. « Un nouveau Prolétari », « la ligne du Nouveau Prolétari », clament Maximov et Nikolaïev en s'inspirant de la vieille bataille contre la nouvelle Iskra.

Voilà un procédé bien fait pour séduire certains novices de la politique.

Mais même ces vieux mots‑là, vous ne savez pas les employer, messieurs. Le « sel » du slogan « contre la nouvelle Iskra » venait de ce que les mencheviks qui s'emparaient de l'« Iskra » devaient eux‑mêmes adopter une nouvelle ligne, alors que le Congrès (le II° Congrès du P.O.S.D.R. en 1903) avait justement confirmé la ligne de la vieille Iskra. Le « sel » venait de ce que c'était aux mencheviks (par la bouche de Trotski en 1903‑1904) de proclamer : entre la vieille et la nouvelle Iskra, il y a un abîme. Et Potressov et Cie s'efforcent jusqu'à ce jour d'effacer les « traces » de cette époque où la vieille Iskra les menait.

Le Prolétari en est maintenant à son quarante‑septième numéro. Il y a exactement trois ans, en août 1906, paraissait le premier. Dans ce premier numéro, daté du 21 août, nous trouvons un article de la rédaction « A propos du boycottage », et dans cet article, nous lisons noir sur blanc : « Le temps est justement venu, pour les social‑démocrates révolutionnaires, de cesser le boycottage *. » Depuis lors il n'y a pas eu un seul numéro du Prolétari où fût insérée ne serait‑ce qu'une ligne en faveur du « boycottisme » (après 1906), de l'otzovisme et de l'ultimatisme, sans que soit désavouée cette caricature du bolchevisme. Et maintenant, ces caricatures de bolcheviks se dressent sur leurs ergots, tentant de se comparer à ceux qui, d'abord, ont dirigé la campagne menée pendant trois ans par la vieille Iskra, qui ont renforcé sa ligne au II° Congrès du parti, et qui ont ensuite dénoncé le revirement effectué par la nouvelle Iskra !

« Ex‑rédacteur du journal ouvrier populaire Vpériod », signe maintenant le camarade Maximov pour rappeler au lecteur que, comme il dit, « les oies ont sauvé Rome ». Votre attitude à l'égard de la ligne du journal Vpériod [1], lui répondrons‑nous à propos de ce rappel, est exactement celle de Potressov à l'égard de la vieille Iskra. Potressov en était le rédacteur, mais ce n'était pas lui qui dirigeait la vieille Iskra, c'était elle qui le menait. Dès qu'il voulut en changer la ligne, les vieux iskristes lui tournèrent le dos. Et à présent, Potressov lui‑même se met en quatre pour se blanchir de ce « péché de jeunesse », de sa collaboration à la rédaction de la vieille Iskra.

Ce n'est pas Maximov qui dirigeait le journal Vpériod, mais c'est le journal qui le menait. La preuve en est le boycottage de la III° Douma en faveur duquel Vpériod n'a pas dit et ne pouvait dire un seul mot. Maximov se comportait très bien, très intelligemment, lorsqu'il se laissait mener par le journal Vpériod. Maintenant il a entrepris d'inventer (ou, ce qui revient au même, il a aidé les otzovistes à inventer) une ligne où il va immanquablement se laisser fourvoyer, comme Potressov.

Rappelez‑vous ceci, camarade Maximov : comme base de comparaison, il faut prendre l'ensemble de la tendance politique et idéologique et non les « mots », non les « slogans » que certains apprennent par cœur sans en comprendre le sens. Pendant trois ans, de 1900 à 1903, le bolchevisme a dirigé la vieille Iskra et, en tant que tendance monolithique, a déclaré la guerre au menchevisme. Les mencheviks se sont longtemps empêtrés dans cette alliance, nouvelle pour eux, avec les anti‑iskristes, avec les partisans du Rabotchéïé Diélo, jusqu'à ce qu'ils aient rendu Potressov à Prokopovitch (et Potressov a‑t‑il bien été le seul ?). Le bolchevisme a dirigé le vieux « Prolétari » (de 1906 à 1909) dans un esprit d'opposition résolue au « boycottisme » et a déclaré la guerre, en tant que tendance monolithique, à ceux qui inventent maintenant l'« otzovisme », l'« ultimatisme », la « construction de Dieu », etc. Les mencheviks voulaient corriger la vieille Iskra dans l'esprit de Martynov et des économistes et s'y sont cassé le cou. Vous voulez corriger le vieux Prolétari dans l'esprit d'« Er », des otzovistes et des constructeurs de Dieu, et vous vous le casserez aussi.

Et le « tournant vers Plekhanov » ? s'écrie triomphalement Maximov. Et la création d'une « nouvelle fraction du centre » ? Et notre ami « bolchevik lui aussi » déclare que c'est « de la diplomatie » que de « nier » qu' « on songe à former un groupe « centriste » !

Ces récriminations de Maximov contre la « diplomatie » et contre « l'union avec Plekhanov » méritent qu'on en rie. Nos bolcheviks de caricature, là aussi, sont fidèles à eux-mêmes ‑ ils ont parfaitement retenu que Plekhanov avait fait en 1906‑1907 une politique archi‑opportuniste. Et ils pensent que le répéter à tout bout de champ sans comprendre les changements qui sont en train de se produire dénote un « esprit révolutionnaire » supérieur.

En fait les « diplomates » du Prolétari, depuis le Congrès de Londres, n'ont cessé d'appliquer ouvertement la politique du parti contre les grotesques exagérations du fractionnisme, la politique visant à défendre le marxisme contre la critique. La cause actuelle des récriminations de Maximov est double : d'un côté, depuis le Congrès de Londres, il y a toujours eu des bolcheviks isolés (exemple Alexinski) pour affirmer qu'on avait substitué à la ligne bolchevique la ligne « conciliatrice », la ligne « letto‑polonaise » ou autre. Les bolcheviks ont rarement pris au sérieux ces propos stupides qui ne trahissent qu'une mentalité racornie. D'un autre côté, ce groupe de littérateurs auquel appartient Maximov et qui n'a jamais adhéré que par un seul côté à la social‑démocratie a longtemps vu en Plekhanov le principal ennemi de ses tendances «construction de Dieu », etc. Rien de plus terrible que Plekhanov pour cette coterie. Rien de plus mortel pour l'espoir qu'elle nourrit d'inoculer ses idées au parti ouvrier qu'une « union avec Plekhanov ».

Et voilà que ces éléments de deux sortes : tenants d'un esprit de fraction encroûté qui ne comprennent pas les problèmes que pose à la fraction bolchevique la création du parti, et éléments des petits cercles littéraires des constructeurs de Dieu et de ceux qui les patronnent, se sont mis maintenant d'accord sur une « plate‑forme » commune : contre « l'alliance avec Plekhanov », contre la ligne « conciliatrice » et « letto­-polonaise » du Prolétari, etc.

Le numéro 9 des Cahiers de Plekhanov, qui est maintenant sorti, nous dispense d'expliquer au lecteur d'une façon spécialement détaillée tout ce que cette « plate‑forme » de caricatures de bolcheviks a de caricatural. Plekhanov a démasqué l'esprit liquidateur du Goloss Sotsial‑Démokrata, la diplomatie de ses rédacteurs, et a déclaré qu'il suivait « un autre chemin » que Potressov qui avait cessé d'être un révolutionnaire. Pour tous les social‑démocrates, il est maintenant clair que les ouvriers mencheviks suivront Plekhanov contre Potressov. Il est clair pour tous que la scission parmi les mencheviks confirme la ligne des bolcheviks. Il est clair pour tous que la proclamation par Plekhanov de l'existence d'une ligne du parti opposée à la dissidence des liquidateurs est une très grande victoire pour le bolchevisme qui occupe maintenant une situation prépondérante dans le parti.

Le bolchevisme a remporté cette importante victoire parce qu'il a mené sa politique de parti malgré les clameurs des novices de la « gauche » et des littérateurs de la construction de Dieu. Il n'y a que ces gens‑là pour craindre un rapprochement avec le Plekhanov qui démasque les Potressov et les chasse du parti ouvrier. Ce n'est que dans le marais croupi des constructeurs de Dieu ou chez les chevaliers de la phrase apprise par cœur que peut avoir quelque succès la « plate‑forme » : « contre l'alliance avec Plekhanov », c'est‑à‑dire contre le rapprochement avec les mencheviks du parti pour combattre le liquidationnisme, contre le rapprochement avec les marxistes orthodoxes (peu avantageux pour la compagnie Eroguine des écrivains), contre la conquête continue des masses du parti à une politique et une tactique social­-démocrate révolutionnaire.

Nous autres, bolcheviks, pouvons témoigner de grands succès dans ce dernier domaine. Rosa Luxembourg et Karl Kautsky, social‑démocrates qui ont souvent écrit pour les Russes et qui, à ce titre, adhèrent à notre parti, ont fini par être conquis par notre idéologie, alors qu'au début de la scission (1903), toutes leurs sympathies allaient aux mencheviks. Ce qui les a conquis, c'est le fait que les bolcheviks ne faisaient pas de concessions à la « critique » du marxisme, qu'ils ne défendaient‑pas la lettre de leur théorie de fraction à eux, mais l'esprit général et le sens de la tactique social‑démocrate révolutionnaire. Nous suivrons dans l'avenir aussi cette voie‑là; nous combattrons avec plus d'acharnement encore la bêtise sentencieuse et les vains jeux de mots appris par cœur et le révisionnisme théorique du cercle des écrivains constructeurs de Dieu.

Deux courants liquidateurs se dessinent aujourd'hui très clairement chez les social‑démocrates russes : celui de Potressov et celui de Maximov. Potressov est bien forcé de redouter le parti social‑démocrate, car il n'y a désormais aucun espoir qu'il adopte sa ligne. Maximov est bien forcé de redouter le parti social‑démocrate, car il n'y a aucun espoir aujourd'hui qu'il adopte sa ligne. Et l'un et l'autre soutiendront et couvriront, par tous les moyens, bons et mauvais, les subterfuges de certains cercles littéraires avec leurs conceptions personnelles de révision du marxisme. Et l'un comme l'autre se raccrocheront, comme à une dernière lueur d'espoir, au maintien de l'esprit de cénacle contre l'esprit de parti, car Potressov peut encore parfois l'emporter dans une société choisie de mencheviks encroûtés, Maximov peut encore parfois être couronné de lauriers par des cercles de bolcheviks particulièrement encroûtés mais ni l'un ni l'autre n'occupera jamais de place stable ni chez les marxistes ni dans un parti ouvrier réellement social-démocrate. Et l'un et l'autre représentent dans la social‑démocratie deux tendances opposées, également bornées et petites‑bourgeoises, mais qui se complètent l'une l'autre.


Notes

* Voir V. Lénine, Œuvres, Paris‑Moscou, t. XI, p. 143. (N.R.)


Notes

[1] « Vpériod » [En avant], journal bolchevique ouvrier de masse, dirigé par Lénine. Il fut publié illégalement à Vyborg par la rédaction du Prolétari, entre le 10 (23) septembre 1906 et le 19 janvier (I° février) 1908; il en sortit 20 numéros.

Le journal Vpériod, faisait de la propagande pour le programme du P.O.S.D.R. dans une langue populaire et accessible, expliquait la tactique des social-­démocrates révolutionnaires, montrait en même temps tous les méfaits causés par la tactique opportuniste des mencheviks et des s.‑r., dévoilait le caractère des cadets et des autres partis bourgeois et démasquait l'aristocratie.

Une grande place était tenue dans le journal par les questions de la vie du parti: on y publiait les décisions du V° Congrès (congrès de Londres) du P.O.S.D.R., celles des conférences du P.O.S.D.R. de Russie, des villes et des districts. Vpériod entretenait des rapports étroits avec ses lecteurs ouvriers.

Plusieurs articles de Lénine furent publiés dans Vpériod. .


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