1915

« Le Social‑Démocrate » n° 41, 1° mai 1915. Conforme au texte du « Social‑Démocrate »

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Les philantropes bourgeois et la social-démocratie révolutionnaire

Lénine


La revue des millionnaires anglais, The Economist, suit une ligne fort édifiante à l'égard de la guerre. Les représentants du capital avancé du plus vieux et du plus riche pays capitaliste versent des larmes amères sur la guerre et ne cessent de former des vœux pour la paix. Ceux des social‑démocrates qui pensent, avec les opportunistes et Kautsky, que le programme socialiste consiste à prêcher la paix, peuvent se convaincre en toute évidence de leur erreur en lisant l'Economist britannique. Leur programme n'est pas socialiste, mais pacifiste bourgeois. Sans la propagande en faveur de l'action révolutionnaire, les rêves de paix ne font qu'exprimer l'effroi inspiré par la guerre et n'ont rien de commun avec le socialisme.

Bien plus. L'Economist britannique est pour la paix précisément parce qu'il craint la révolution. Ainsi, dans son numéro du 13 février 1915, nous lisons :

« Les philanthropes espèrent que la paix apportera ne limitation internationale des armements... Mais les gens bien informés des forces qui dirigent en fait la diplomatie européenne ne se laissent aller à aucune utopie. La perspective ouverte par la guerre nous promet des révolutions sanglantes, des batailles acharnées entre le travail et le capital, ou bien entre les masses populaires et les classes dominantes de l'Europe continentale. »

Un autre article, dans le numéro du 27 mars 1915, souhaite aussi la paix, une paix qui garantirait la liberté des nationalités, promise par Edouard Grey, etc... Si cet espoir n'est pas réalisé... « la guerre entraînera un chaos révolutionnaire. Personne ne saurait dire où commencera ce chaos ni à quoi il aboutira ... »

Les millionnaires pacifistes anglais comprennent la politique contemporaine bien mieux que les opportunistes, les adeptes de Kautsky et autres socialistes qui soupirent après la paix. MM. les bourgeois savent, premièrement, que les phrases sur la paix démocratique sont une utopie creuse et ridiculement naïve tant que les anciennes « forces dirigent en fait la diplomatie », c'est‑à‑dire tant que la classe des capitalistes n'est pas expropriée ; deuxièmement, MM. les bourgeois se font de la perspective une notion très lucide : « révolutions sanglantes », « chaos révolutionnaire ». La révolution socialiste se présente toujours à la bourgeoisie sous l'aspect d'un « chaos révolutionnaire ».

Dans la politique concrète des pays capitalistes, nous voyons que la paix est considérée avec sympathie sous trois formes différentes.

  1. Les millionnaires clairvoyants désirent hâter la paix, car ils ont peur de la révolution. Se plaçant à un point de vue lucide et judicieux, ils déclarent qu'une paix « démocratique » (sans annexions, avec limitation des armements, etc.) est une utopie en régime capitaliste.
    Cette utopie petite‑bourgeoise est prêchée par les opportunistes, les partisans de Kautsky, etc.
  2. En souhaitant la paix, les masses populaires peu conscientes (les petits bourgeois, les semi‑prolétaires, une partie des ouvriers, etc.) expriment sous une forme des plus vagues une protestation croissante contre la guerre, un état d'esprit révolutionnaire encore confus mais qui va en progressant.
  3. L'avant‑garde consciente du prolétariat, les social-démocrates révolutionnaires, suivent attentivement l'état d'esprit des masses, et tirent parti de leur désir grandissant de paix non pour soutenir les plates utopies d'une paix « démocratique » en régime capitaliste, non pour stimuler les espoirs qu'elles mettent dans les philanthropes, les chefs, la bourgeoisie, mais pour rendre claire une aspiration révolutionnaire encore confuse, pour démontrer méthodiquement, avec persévérance et sans relâche, en s'appuyant sur l'expérience des masses et sur leur disposition d'esprit, en les éduquant à l'aide de milliers de faits empruntés à la politique d'avant‑guerre, qu'il est nécessaire d'engager des actions révolutionnaires de masse contre la bourgeoisie et le gouvernement de leur propre pays, et que c'est là l'unique chemin conduisant à la démocratie et au socialisme.

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