1917

La septième conférence de Russie du Parti bolchevik conforte le changement d’orientation vers l’opposition au gouvernement provisoire et la révolution socialiste. Elle se déroule à Petrograd du 24 au 29 avril selon la calendrier russe de l’époque (du 7 au 12 mai au calendrier occidental). 133 délégués avec voix délibérative et 18 délégués avec voix consultative assistent à la conférence, représentant 80 000 membres.
Traduction des éditions du Progrès, Œuvres tome 24, 1974, p. 223-318 ; numérisation par le Groupe marxiste internationaliste .


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Lénine

La septième conférence de Russie du P.O.S.D.(b) R.

(Conférence d'avril), 24-29 avril (7-12 mai) 1917


 

1. Discours d’ouverture de la conférence, 24 avril

Camarades, notre conférence est la première conférence d’un parti prolétarien qui se réunisse à l’époque, non seulement de la révolution russe, mais aussi d’une révolution internationale grandissante. Les jours approchent où se vérifieront partout l’affirmation des fondateurs du socialisme scientifique et la prévision unanime des socialistes réunis au congrès de Bâle, que la guerre mondiale conduit inévitablement à la révolution.

Observant au XIXe siècle le mouvement prolétarien de divers pays et envisageant les possibilités de révolution sociale, Marx et Engels ont dit maintes fois que les rôles de ces pays seraient, d’une façon générale, fonction des particularités historiques, nationales, de chacun d’entre eux. Cette pensée, ils l’exprimèrent brièvement ainsi : L’ouvrier français commencera, l’ouvrier allemand achèvera.

Le grand honneur de commencer est échu au prolétariat russe ; mais il ne doit pas oublier que son mouvement et sa révolution ne sont qu’une partie du mouvement prolétarien révolutionnaire mondial, qui grandit et devient de jour en jour plus puissant, par exemple, en Allemagne. Nous ne pouvons déterminer nos tâches que sous cet angle.

Je déclare ouverte la conférence de Russie et vous prie de procéder à l’élection du bureau.

2. Rapport sur la situation actuelle, 24 avril

Camarades, pour traiter de la situation actuelle et indiquer notre façon de l’apprécier, je dois embrasser un thème extrêmement vaste qui, autant que je puisse en juger, se divise en trois parties : 1. l’appréciation de la situation proprement politique chez nous, en Russie ; l’attitude à l’égard du gouvernement et de la dualité du pouvoir qui s’est créée ; 2. l’attitude envers la guerre, et 3. la situation internationale du mouvement ouvrier, qui le place, à l’échelle internationale immédiatement au seuil de la révolution socialiste.

Je pense que, sur certains points, je ne pourrai m’arrêter que brièvement. D’autre part, j’ai à vous présenter sur toutes ces questions un projet de résolution, mais avec cette réserve qu’en raison de l’extrême insuffisance de nos forces et aussi de la crise politique qui s’est produite ici, à Petrograd, il ne nous a pas été possible d’étudier cette résolution, ni même de la communiquer en temps voulu aux organisations locales. Je répète donc qu’il ne s’agit que de projets préliminaires destinés à faciliter le travail de la commission et permettant de le concentrer sur quelques questions tout à fait essentielles.

Je commence par la première. La conférence de Moscou a, si je ne me trompe, adopté la même résolution que la conférence de Petrograd-ville. (Voix dans la salle : « Avec des amendements ».) Je n’ai pas lu ces amendements et ne puis en juger. Mais comme la résolution de Petrograd a été publiée dans la Pravda, je peux considérer, s’il n’y a pas d’objections, qu’elle est connue de tous les assistants. C’est cette résolution que je soumets, à titre de projet, à la présente conférence de Russie.

La majorité des partis du bloc petit-bourgeois qui règne au Soviet de Petrograd présente notre politique, contrairement à la sienne, comme une politique d’action hâtive. Notre politique a ceci de particulier que nous exigeons avant tout une définition de classe précise des évènements en cours. Le péché fondamental du bloc petit-bourgeois, c’est de masquer au peuple, à l’aide de phrases, la vérité sur le caractère de classe du gouvernement.

Si les camarades de Moscou ont des amendements à présenter, ils pourraient nous en donner connaissance tout de suite.

(L’orateur donne lecture de la résolution de la conférence de Petrograd-ville sur l’attitude envers le gouvernement provisoire.)

Considérant :

1. que le gouvernement provisoire est, de par son caractère de classe, l’organe de la domination des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie ;

2. qu’il est, de même que les classes qu’il représente, indissolublement lié, économiquement et politiquement, à l’impérialisme russe et anglo-français ;

3. qu’il ne réalise même son propre programme qu’incomplètement et uniquement sous la pression du prolétariat révolutionnaire et, dans une certaine mesure, de la petite bourgeoisie ;

4. que les forces contre-révolutionnaires de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers, qui s’organisent en se couvrant du drapeau du gouvernement provisoire et avec la complaisance manifeste de ce dernier, s’attaquent déjà à la démocratie révolutionnaire ;

5. que le gouvernement provisoire tarde à fixer la date des élections à l’Assemblée constituante, fait obstacle à l’armement général du peuple, s’oppose au passage de toute la terre au peuple, cherche à imposer à celui-ci une solution de la question agraire conforme aux intérêts des grands propriétaires fonciers, entrave l’institution de la journée de 8 heures, encourage dans l’armée l’agitation contre-révolutionnaire (de Goutchkov et consorts), organise les cadres supérieurs de l’armée contre les soldats, etc.

Je viens de vous lire la première partie de la résolution, celle qui définit le caractère de classe du gouvernement provisoire. Les divergences avec la résolution de Moscou sont de peu d’importance, autant qu’on puisse en juger par le seul texte de la résolution, mais je serais partisan de considérer comme inexacte la définition d’ensemble que nos camarades moscovites donnent du gouvernement, en le qualifiant de contre-révolutionnaire. D’une façon générale, il faudrait préciser de quelle révolution nous parlons. On ne peut s’exprimer ainsi du point de vue de la révolution bourgeoise, celle-ci étant déjà terminée. Il est prématuré de le faire du point de vue de la révolution prolétarienne et paysanne, car on ne peut pas être assuré que les paysans iront absolument plus loin que la bourgeoisie, et il n’y a pas de raison, à mon avis, d’exprimer une confiance absolue dans les paysans, surtout maintenant qu’ils sont orientés vers l’impérialisme et le jusqu’auboutisme, c’est-à-dire vers le soutien de la guerre. Maintenant encore ils viennent de conclure toute une série d’accords avec les cadets. C’est pourquoi je considère ce point de la résolution des camarades de Moscou comme politiquement erroné. Nous voulons que les paysans aillent plus loin que la bourgeoisie, qu’ils prennent la terre aux propriétaires fonciers, mais actuellement on ne peut encore rien dire de précis sur leur conduite future.

Nous évitons avec soin les mots « démocratie révolutionnaire ». On peut s’en servir quand il s’agit d’une agression du gouvernement ; mais ils dissimulent en ce moment la plus grande tromperie, du fait qu’il est extrêmement difficile de séparer les classes qui se sont confondues dans ce chaos. Notre tâche est de libérer ceux qui se traînent à la remorque du mouvement. L’important pour nous, dans les soviets, ce n’est pas la forme, c’est de savoir quelles classes ils représentent. Aussi un travail persévérant est-il nécessaire pour éclairer la conscience prolétarienne.

(L’orateur reprend la lecture du texte de la résolution)

6. que, d’autre part, ce gouvernement s’appuie, à l’heure actuelle, sur la confiance du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd, et, jusqu’à un certain point, sur une entente directe avec ce dernier, qui, en ce moment, groupe manifestement la majorité des ouvriers et des soldats, c’est-à-dire de la paysannerie ;

7. que chaque mesure prise par le gouvernement provisoire, tant en politique étrangère qu’en politique intérieure, ouvrira les yeux non seulement aux prolétaires de la ville et de la campagne, ainsi qu’aux semi-prolétaires, mais encore aux larges couches de la petite bourgeoisie, sur le caractère véritable de ce gouvernement ;

la Conférence décide :

1. qu’un travail persévérant en vue d’éclairer la conscience de classe du prolétariat et de grouper les prolétaires de la ville et de la campagne, face aux hésitations de la petite bourgeoisie, s’impose pour assurer le passage de tout le pouvoir aux soviets des députés ouvriers et soldats ou à d’autres organismes traduisant directement la volonté du peuple, ce travail étant la seule garantie véritable d’une progression victorieuse du peuple révolutionnaire tout entier ;

2. que ce travail nécessite une activité multiple au sein des soviets des députés ouvriers et soldats, l’augmentation du nombre des soviets, leur consolidation, l’union dans leur sein des groupements internationalistes prolétariens de notre parti ;

3. que l’organisation de nos forces sociales-démocrates doit être intensifiée, afin que la nouvelle vague du mouvement révolutionnaire se déploie sous le drapeau de la sociale-démocratie révolutionnaire.

La clé de voûte de toute notre politique est là. La petite bourgeoisie tout entière hésite en ce moment et masque ses hésitations par des phrases sur la démocratie révolutionnaire ; à ces hésitations nous devons opposer la ligne politique prolétarienne. Les contre-révolutionnaires veulent saboter celle-ci en nous poussant à une action prématurée. Notre tâche est d’accroître le nombre des soviets, d’affermir leurs forces, de nous unir étroitement au sein de notre parti.

Les Moscovites ajoutent au troisième point le contrôle. Ce contrôle est représenté par Tchkhéidzé, Stéklov, Tseretelli et autres dirigeants du bloc petit-bourgeois. Le contrôle sans le pouvoir est la plus creuse des phrases. Comment contrôlerai-je l’Angleterre ? Il faut, pour la contrôler, s’emparer de sa flotte. Je comprends que la masse arriérée des ouvriers et des soldats puisse naïvement et aveuglément croire au contrôle. Mais il suffit de songer aux facteurs essentiels de ce dernier pour comprendre qu’y ajouter foi, c’est répudier les principes fondamentaux de la lutte des classes. Qu’est-ce que le contrôle ? Si je rédige un papier ou une résolution, eux rédigent une contre-résolution. Pour contrôler, il faut détenir le pouvoir. Si la grande masse du bloc petit-bourgeois ne le comprend pas, il faut avoir la patience de le lui expliquer, mais sans lui dire en aucun cas le contraire de la vérité. Si je mets au premier plan le contrôle, en masquant cette condition fondamentale, je dis une contre-vérité et je fais le jeu des capitalistes et des impérialistes, « Contrôle-moi à ton aise, pendant que je garde les canons. Gave-toi de contrôle », voilà ce qu’ils disent. Ils savent qu’on ne peut rien refuser au peuple en ce moment. Sans pouvoir, le contrôle est une phrase petite-bourgeoise qui entrave la marche et le développement de la révolution russe. C’est pourquoi je suis contre le troisième point des camarades de Moscou.

Quant à ce singulier enchevêtrement des deux pouvoirs, où le gouvernement provisoire n’a ni pouvoir, ni canons, ni soldats, ni une masse d’hommes armés et s’appuie sur les soviets qui, comptant pour le moment sur des promesses, font une politique de soutien de ces promesses, si vous tenez à entrer dans ce jeu, vous risquez la faillite. Notre tâche est de ne pas entrer dans ce jeu et de continuer à expliquer au prolétariat tout ce que cette politique a d’inconsistant, la vie réelle montrera à chaque pas combien nous avons raison. Nous sommes actuellement en minorité, les masses ne nous font pas encore confiance. Nous saurons attendre : elles se rangeront de notre côté quand le gouvernement se révélera à elles tel qu’il est. Les hésitations du gouvernement peuvent les repousser et les faire affluer vers nous. Nous dirons alors, en tenant compte du rapport des forces : notre heure est venue.

Je passe maintenant à la question de la guerre, qui nous a pratiquement réunis quand nous nous sommes dressés contre l’emprunt, l’attitude à l’égard de ce dernier ayant aussitôt fait ressortir avec évidence le partage des forces politiques. Comme le disait la Retch (La Parole, organe du PKD, Parti constitutionnel démocrate), tout le monde hésite, excepté l’Edinstvo (Unité, journal des mencheviks sociaux-patriotes autour de Plekhanov) ; toute la masse petite-bourgeoise est pour l’emprunt sous certaines réserves. Les capitalistes font grise mine ; ils mettent en souriant les résolutions dans leur poche et disent : « Parlez tant qu’il vous plaira, mais c’est nous qui agirons ». Dans le monde entier, tous ceux qui votent en ce moment pour des emprunts sont appelés des sociaux-chauvins.

Je passe directement à la lecture de la résolution sur la guerre. Elle se divise en trois parties :

  1. définition de la guerre quant à sa signification de classe,

  2. jusqu’auboutisme révolutionnaire des masses, qui n’existe dans aucun autre pays,

  3. moyens de terminer la guerre.

Nombre d’entre nous ont eu, comme moi, à prendre la parole, surtout devant des soldats, et je pense que, si l’on explique tout d’un point de vue de classe, ce qu’il y a de moins clair à leurs yeux dans notre attitude, c’est la façon exacte dont nous entendons terminer la guerre, dont nous croyons possible de la terminer. Il y a, dans l’esprit de la grande masse, quantité de malentendus, une incompréhension absolue de notre attitude, et c’est pourquoi notre langage ici doit être le plus accessible au grand public.

(L’orateur donne lecture du projet de la résolution sur la guerre)

La guerre actuelle est, de la part des deux groupes de puissances belligérantes, une guerre impérialiste, c’est-à-dire faite par les capitalistes pour la domination du monde, pour le partage du butin capitaliste, pour la conquête de marchés avantageux au capital financier, bancaire, pour l’étranglement des nations faibles.

Le passage du pouvoir en Russie de Nicolas II au gouvernement de Goutchkov, Lvov et consorts, gouvernement de grands propriétaires fonciers et de capitalistes, n’a pas modifié et ne pouvait pas modifier ce caractère et cette signification de classe de la guerre du côté russe.

Le fait que le nouveau gouvernement poursuit la même guerre impérialiste, c’est-à-dire une guerre de conquête et de brigandage, est devenu particulièrement évident lorsque, loin de publier les traités secrets conclus par l’ex-tsar Nicolas II avec les gouvernements capitalistes d’Angleterre, de France, etc., il les a formellement ratifiés. Il l’a fait sans consulter le peuple et dans l’intention manifeste de le tromper, car nul n’ignore que ces traités secrets de l’ex-tsar sont, de la première à la dernière ligne, des traités de brigandage qui promettent aux capitalistes russes le pillage de la Chine, de la Perse, de la Turquie, de l’Autriche, etc.

Aussi un parti prolétarien ne peut-il soutenir ni la guerre actuelle, ni le gouvernement actuel, ni ses emprunts, quels que soient les grands mots dont on baptise ces derniers, sans rompre complètement avec l’internationalisme, c’est-à-dire avec la solidarité fraternelle des ouvriers de tous les pays dans la lutte contre le joug du capital.

La promesse du gouvernement actuel de renoncer aux annexions, c’est-à-dire à la conquête de pays étrangers ou au maintien par la force d’autres nations dans le cadre de la Russie, ne mérite, elle non plus, aucune créance. Car, tout d’abord, les capitalistes, attachés par des milliers de liens au capital bancaire russe et anglo-français et défendant les intérêts du capital, ne peuvent renoncer aux annexions dans la guerre actuelle sans cesser d’être des capitalistes, sans renoncer aux bénéfices que leur procurent les milliards investis dans les emprunts, les concessions, les entreprises de guerre, etc. Ensuite, le nouveau gouvernement, après avoir renoncé aux annexions pour tromper le peuple, a déclaré par la voix de Milioukov, le 9 avril 1917, à Moscou, qu’il n’y renonçait pas. En troisième lieu, ainsi que l’a révélé le « Diélo Naroda », journal auquel collabore le ministre Kerensky, Milioukov n’a même pas communiqué à l’étranger la déclaration où il disait renoncer aux annexions.

Mettant le peuple en garde contre les promesses creuses des capitalistes, la conférence déclare donc qu’il faut établir une distinction rigoureuse entre la renonciation verbale aux annexions et la renonciation effective qui consiste à publier immédiatement tous les traités secrets de brigandage, tous les documents de politique étrangère, ainsi qu’à procéder sans-retard à l’affranchissement total de toutes les nationalités opprimées, ou rattachées contre leur gré à la Russie, ou lésées dans leurs droits par la classe des capitalistes, continuatrice de la politique, déshonorante pour notre peuple, de l’ex-tsar Nicolas II.

La deuxième moitié de cette partie de la résolution traite des promesses du gouvernement. Peut-être cette partie serait-elle superflue pour des marxistes, mais elle est importante pour le peuple. Aussi devons-nous ajouter pourquoi nous ne croyons pas à ces promesses, pourquoi nous ne devons pas nous fier au gouvernement. Le gouvernement actuel ne mérite aucune créance quand il promet de renoncer à la politique impérialiste. Notre ligne politique ne doit pas consister ici à dire que nous exigeons du gouvernement la publication des traités. Ce serait illusoire. Exiger cela d’un gouvernement capitaliste équivaudrait à exiger la divulgation des filouteries commerciales. Si nous disons qu’il faut renoncer aux annexions et aux contributions, nous devons indiquer comment le faire ; et si l’on nous demande qui le fera, nous dirons qu’il s’agit au fond d’un acte révolutionnaire, qui ne peut être accompli que par le prolétariat révolutionnaire. Autrement, on n’aura que les vaines promesses et les vœux pieux avec lesquels les capitalistes conduisent le peuple par le bout du nez.

(L’orateur reprend la lecture du projet de résolution)

Ce qu’on appelle le « jusqu’au-boutisme révolutionnaire », qui a gagné à l’heure actuelle en Russie presque tous les partis populistes (socialistes populaires, troudoviks, socialistes-révolutionnaires) et le parti opportuniste des sociaux-démocrates mencheviks (le Comité d’Organisation, Tchkhéidzé, Tseretelli, etc.), ainsi que la plupart des révolutionnaires sans-parti traduit, quant à sa signification de classe, d’une part les intérêts et le point de vue de la petite bourgeoisie, des petits patrons, des paysans riches qui, comme les capitalistes, tirent profit de la contrainte exercée sur les peuples faibles ; d’autre part, il est le résultat de la duperie des masses populaires par les capitalistes, qui se gardent de publier les traités secrets et s’en tirent avec des promesses et de beaux discours.

De très larges masses de « jusqu’au-boutistes révolutionnaires » sont manifestement sincères, c’est-à-dire réellement hostiles à toute annexion, conquête ou contrainte exercée sur les peuples faibles, réellement désireuses d’une paix démocratique, non imposée par la violence, entre tous les pays belligérants. Il est Indispensable de le reconnaître, car la situation de classe des prolétaires et des semi-prolétaires de la ville et de la campagne (c’est-à-dire des gens qui vivent en totalité ou en partie de la vente de leur force de travail aux capitalistes) est telle que ces classes ne sont pas intéressées aux bénéfices des capitalistes.

Aussi la conférence considère-t-elle comme absolument inadmissible et signifiant en fait une rupture complète avec l’internationalisme et le socialisme toute concession, quelle qu’elle soit, faite au « jusqu’au-boutisme révolutionnaire », en même temps qu’elle déclare : tant que les capitalistes russes et leur gouvernement provisoire se borneront à menacer le peuple d’user de la violence (par exemple, le décret tristement célèbre de Goutchkov menaçant de sanctions les soldats qui, de leur propre chef, révoqueraient des officiers), tant que les capitalistes n’ auront pas recours à la violence contre les soviets des députés ouvriers, soldats, paysans, salariés agricoles, etc., librement organisés et qui révoquent et élisent librement toutes les autorités, tant qu’on en restera là, notre parti préconisera le renoncement à la violence et combattra l’erreur profonde, l’erreur fatale du « jusqu’auboutisme révolutionnaire » par la seule persuasion fraternelle et la démonstration de cette vérité que l’aveugle crédulité des larges masses envers le gouvernement des capitalistes, ces pires ennemis de la paix et du socialisme, est actuellement en Russie le principal obstacle à l’achèvement rapide de la guerre.

Une partie de la petite bourgeoisie est intéressée à cette politique des capitalistes, on ne peut en douter, et c’est pourquoi il n’est pas permis au parti du prolétariat de fonder maintenant des espérances sur la communauté de ses intérêts avec ceux des paysans. Nous luttons pour que les paysans se rallient à nous, mais ils restent, jusqu’à un certain point, consciemment du côté des capitalistes.

Nul doute que le prolétariat et le semi-prolétariat ne sont pas, en tant que classe, intéressés à la guerre. Ils sont sous l’empire des traditions et des duperies. Ils n’ont pas encore d’expérience politique. D’où notre tâche, qui est de les éclairer avec persévérance. Nous ne leur faisons pas la moindre concession sur les principes, mais nous ne pouvons pas les aborder comme nous aborderions des sociaux-chauvins. Ces éléments de la population n’ont jamais été socialistes, ils n’ont pas la moindre idée du socialisme ils ne font que s’éveiller à la vie politique. Mais, leur conscience grandit et se développe avec une rapidité extraordinaire. Il faut savoir leur présenter nos explications, et c’est la tâche la plus difficile, surtout pour un parti qui était hier encore clandestin.

Certains camarades en arrivent à se demander si nous ne nous somme pas reniés : nous prêchions la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, et voilà que nous parlons contre nous-mêmes. Mais la première guerre civile est finie en Russie, nous passons maintenant à la seconde, entre l’impérialisme et le peuple en armes ; et dans cette période de transition, tant que la force des armes est entre les mains des soldats, tant que Milioukov et Goutchkov n’ont pas encore eu recours à la violence, cette guerre civile se transforme pour nous en une propagande de classe pacifique, longue et patiente. Si nous parlons de la guerre civile avant que les gens en aient compris la nécessité, nous versons sans aucun doute dans le blanquisme. Nous sommes pour la guerre civile, mais seulement lorsqu’elle est conduite par une classe consciente. On peut renverser un oppresseur, connu comme tel par le peuple. Mais à présent il n’y a pas d’oppresseurs, les canons et les fusils sont entre les mains des soldats, et non des capitalistes ; ceux-ci l’emportent maintenant non par la violence, mais par la tromperie, et l’on ne peut plus crier à la violence, ce serait absurde. Sachons considérer les choses du point de vue du marxisme, qui dit que cette transformation de la guerre impérialiste en guerre civile se fonde sur des conditions objectives et non sur des conditions subjectives. Nous renonçons pour le moment à ce mot d’ordre, mais rien que pour le moment. Les armes sont maintenant entre les mains des soldats et des ouvriers, et non des capitalistes. Tant que le gouvernement n’a pas ouvert les hostilités, nous faisons notre propagande pacifiquement.

Le gouvernement aurait intérêt à ce que le premier pas imprudent vers l’offensive soit fait par nous ; ce serait à son avantage. Il est furieux que notre parti ait donné le mot d’ordre d’une manifestation pacifique. Nous ne devons pas transiger avec la petite bourgeoisie, actuellement dans l’attente, sur la moindre syllabe de nos principes. Il n’y a pas d’erreur plus dangereuse pour un parti prolétarien que de fonder sa tactique sur des désirs subjectifs là où il faut de l’organisation. On ne peut pas dire que la majorité est avec nous, ce qu’il nous faut, en l’occurrence, c’est : pas d’illusions, surtout pas d’illusions. Fonder une tactique prolétarienne sur des désirs, c’est la tuer.

Le troisième point concerne la question de savoir comment terminer la guerre. On sait ce qu’en pensent les marxistes. Mais la difficulté est de faire connaître notre point de vue aux masses sous la forme la plus claire possible. Nous ne sommes pas des pacifistes, nous ne pouvons pas renier la guerre révolutionnaire. En quoi celle-ci diffère-t-elle de la guerre capitaliste ? D’abord, par la classe qui y est intéressée et par la politique qu’elle fait au cours de cette guerre. Il faut, quand nous prenons la parole devant les masses, leur donner des réponses bien nettes. Ainsi, première question : comment distinguer une guerre révolutionnaire d’une guerre capitaliste ? Les masses ne comprennent pas qu’il s’agit d’une différence de classe. Nous ne devons pas seulement parler en théoriciens. Nous devons aussi montrer pratiquement que nous ferons une guerre vraiment révolutionnaire lorsque le prolétariat détiendra le pouvoir. Il me semble que cette façon de poser le problème répond d’une manière plus frappante à la question : quel est le caractère de cette guerre et qui la fait ?

La Pravda a publié un projet d’appel aux soldats de tous les pays belligérants. Nous sommes informés que des cas de fraternisation se produisent sur le front, mais de façon encore à demi spontanée. Ce qui manque à la fraternisation, c’est une claire perspective politique. Les soldats ont senti d’instinct qu’il faut agir par en bas ; leur instinct de classe d’hommes animés d’un esprit révolutionnaire leur a montré que c’était là le seul bon chemin. Mais cela ne suffit pas à la révolution. Nous voulons formuler une réponse politique claire. Pour que la guerre puisse être terminée, le pouvoir doit passer à la classe révolutionnaire. Je proposerais de rédiger au nom de la conférence une adresse aux soldats de tous les pays belligérants et de la publier dans toutes les langues. Si, au lieu de toutes ces phrases courantes sur des conférences de paix, où la moitié des participants sont des agents secrets ou avérés de gouvernements impérialistes, nous diffusions partout cet appel, il nous amènera au but mille fois plus promptement que toutes les conférences de paix. Nous ne voulons pas avoir affaire aux Plekhanov allemands. Quand nous avons traversé l’Allemagne en wagon, ces messieurs les sociaux-chauvins, les Plekhanov allemands, tentèrent de se faufiler auprès de nous ; mais nous leur répondîmes que pas un socialiste de leur acabit ne mettrait les pieds dans notre wagon et que s’ils le faisaient, nous ne les relâcherions pas sans un grand scandale. Si l’on avait laissé, par exemple, Karl Liebknecht venir nous voir, nous aurions conversé avec lui. Quand nous aurons publié notre appel aux travailleurs de tous les pays, en y donnant notre réponse à la question de savoir comment terminer la guerre, et quand les soldats liront notre réponse indiquant l’issue politique que nous proposons, la fraternisation fera d’immenses progrès. Cela est nécessaire pour que la fraternisation dépasse l’étape de l’horreur instinctive de la guerre et accède au niveau d’une claire conscience politique de ce qu’il faut faire pour en sortir.

Je passe à la troisième question : l’appréciation de l’état de choses actuel du point de vue de la situation du mouvement ouvrier international et de celle du capitalisme international. Au point de vue marxiste, il est absurde, quand on parle de l’impérialisme, de considérer la situation d’un seul pays, alors que les pays capitalistes sont si étroitement liés les uns aux autres. La guerre n’a fait que resserrer au plus haut point ces liens réciproques. L’humanité est prise dans un réseau sanglant, et il ne peut y avoir d’issue individuelle à cette situation. Il y a des pays plus ou moins développés, mais la guerre actuelle les a tous attachés les uns aux autres par de tels liens qu’il est impossible et absurde d’imaginer qu’un pays quelconque puisse s’en sortir isolément.

Nous convenons tous que le pouvoir doit appartenir aux soviets des députés ouvriers et soldats. Mais que peuvent- ils et que doivent-ils faire si le pouvoir leur échoit, c’est-à-dire s’il passe aux prolétaires et aux semi-prolétaires ? La situation se complique, devient difficile. En parlant du changement de pouvoir, nous voyons apparaître un danger qui joua également un grand rôle dans les révolutions antérieures : la classe révolutionnaire, ayant pris en mains le pouvoir, risque de ne savoir qu’en faire. Il y a dans l’histoire des exemples de révolutions qui achoppèrent précisément là-dessus. Les soviets des députés ouvriers et soldats, qui couvrent maintenant toute la Russie de leur réseau, sont actuellement au centre de toute la révolution ; il me semble cependant que nous n’avons pas assez compris et étudié ce qu’ils représentent. S’ils prennent le pouvoir, ce ne sera plus un État au sens ordinaire du mot. Il n’y a jamais eu de pouvoir de cette sorte qui ait tenu longtemps ; pourtant, le mouvement ouvrier du monde entier y aspire. Ce sera très exactement un État du type de la Commune de Paris. Un tel pouvoir est une dictature, c’est-à-dire qu’il s’appuie non sur la loi, non sur la volonté formelle de la majorité, mais directement sur la violence. La violence est l’instrument du pouvoir. Comment donc les soviets exerceront-ils ce pouvoir ? Reviendront-ils à l’ancienne administration par la police, administreront-ils à l’aide des anciens organes du pouvoir. Mon avis est qu’ils ne le peuvent pas, et que leur tâche immédiate est, de toute façon, d’organiser un État qui ne soit pas bourgeois. J’ai usé parmi les bolcheviks d’une comparaison de cet État avec la Commune de Paris en ce sens que celle-ci brisa les anciens organes d’administration et les remplaça par des organes ouvriers entièrement nouveaux, d’administration directe. On me reproche de m’être servi du mot qui effraie actuellement le plus les capitalistes, ce qui leur a permis de le présenter comme une preuve de notre désir d’introduire immédiatement le socialisme. Mais je ne m’en suis servi qu’au sens de la substitution d’organes nouveaux, prolétariens, aux anciens. Marx disait que c’était là le plus grand pas en avant du mouvement prolétarien mondial. La question des tâches sociales du prolétariat a pour nous une immense signification pratique ; d’une part, parce que nous sommes attachés en ce moment à tous les autres pays et qu’on ne peut s’arracher à ce réseau : ou le prolétariat s’en arrachera tout entier ou il sera écrasé ; d’autre part, parce que les soviets des députés ouvriers et soldats existent. Il ne fait de doute pour personne qu’ils couvrent toute la Russie, qu’ils sont le pouvoir et qu’il ne peut y en avoir d’autre. Mais s’il en est ainsi, nous devons nous représenter clairement comment ils peuvent user de ce pouvoir. On dit que ce pouvoir est le même qu’en France et en Amérique, mais il n’y a rien de semblable dans ces pays, où ce pouvoir direct n’existe pas.

La résolution sur la situation actuelle se divise en trois parties. La première définit la situation objective due à la guerre impérialiste, la situation où se trouve le capitalisme mondial ; la seconde, les conditions du mouvement prolétarien international, et la troisième - les tâches de la classe ouvrière russe lors du passage du pouvoir entre ses mains. Je formule dans la première partie cette conclusion que le capitalisme s’est développé pendant la guerre plus encore qu’avant la guerre. Son emprise s’est étendue à des branches entières de la production. Dès 1891, il y a 27 ans, quand les Allemands adoptaient leur programme d’Erfurt, Engels disait qu’on ne pouvait continuer à considérer le capitalisme comme impliquant l’absence d’une organisation rationnelle. Ce stade était dépassé : du moment qu’il existait des trusts, il n’y avait plus absence d’organisation rationnelle. Au XXe siècle en particulier, le développement du capitalisme a progressé à pas de géant, et la guerre a réalisé ce qui n’avait pas été fait en 25 ans. L’étatisation de l’industrie a progressé non seulement en Allemagne, mais aussi en Angleterre. On est passé des monopoles en général aux monopoles d’État. La situation objective montre que la guerre a hâté le développement du capitalisme, qui est allé de l’avant, du capitalisme à l’impérialisme, des monopoles à l’étatisation. Tout cela a rapproché la révolution socialiste et lui a créé des conditions objectives favorables. Ainsi, la révolution socialiste a été rapprochée par le cours de la guerre.

L’Angleterre était, avant la guerre, comme l’indiquent toujours les politiciens du type cadet, le pays jouissant du maximum de liberté. La liberté y régnait parce que le mouvement révolutionnaire y était inexistant. La guerre a tout changé d’un seul coup. Un pays où l’on ne se souvient pas qu’un seul attentat à la liberté de la presse socialiste ait été commis en des dizaines d’années, a adopté d’emblée des méthodes purement tsaristes de censure, et toutes les prisons y regorgent maintenant de socialistes. Les capitalistes avaient appris là-bas, au cours des siècles, à gouverner le peuple sans user de la violence et, s’ils y ont eu recours, c’est qu’ils ont senti monter le mouvement révolutionnaire, et qu’ils ne pouvaient pas agir autrement. Quand nous indiquions que Liebknecht représentait la masse, bien qu’il fût seul et qu’il eût contre lui cent Plekhanov allemands, on nous traitait d’utopistes, de visionnaires. Cependant, quiconque a assisté à l’étranger, ne serait-ce qu’une fois, à des réunions ouvrières sait que la sympathie des masses pour Liebknecht est un fait indéniable. Ses adversaires les plus acharnés ont dû ruser avec la masse ; s’ils n’ont pas feint de partager ses vues, personne en tout cas n’avait osé s’élever contre lui. Les choses sont maintenant beaucoup plus avancées. Nous sommes en présence de grèves de masse et de la fraternisation sur le front. Se lancer à cet égard dans les prédictions serait commettre l’erreur la plus grande ; mais que la sympathie pour l’Internationale grandisse et qu’une effervescence révolutionnaire ait commencé dans l’armée allemande, ce sont là des faits attestant que la révolution mûrit en Allemagne.

Voyons maintenant quelles sont les tâches du prolétariat révolutionnaire. Le défaut principal, l’erreur principale de tous les raisonnements socialistes consiste à poser la question en termes trop généraux, à parler du passage au socialisme. Or, il faut parler d’actes et de mesures pratiques. Certaines mesures sont mûres, d’autres ne le sont pas. Nous traversons en ce moment une phase transitoire. Nous avons manifestement créé des institutions qui ne ressemblent pas à celles des États bourgeois : les soviets des députés ouvriers et soldats, forme d’État qui n’a existé et n’existe dans aucun autre pays. Cette forme est un premier pas vers le socialisme, elle est inévitable au début de la société socialiste. Ce fait est décisif. La révolution russe a créé les soviets. Il n’y a et il ne peut y avoir dans aucun pays bourgeois du monde d’institution gouvernementale de ce genre, et aucune révolution socialiste ne peut opérer avec aucun autre pouvoir que celui-là. Les soviets des députés ouvriers et soldats doivent prendre le pouvoir, mais non pour créer une république bourgeoise du type habituel ou pour passer directement au socialisme. C’est impossible. Alors, pourquoi faire ? Ils doivent s’emparer du pouvoir pour prendre les premières mesures pratiques tendant à préparer ce passage que l’on peut et que l’on doit effectuer. La peur est à cet égard l’ennemi principal. Il faut persuader les masses que ces mesures doivent être prises dès maintenant, faute de quoi le pouvoir des soviets des députés ouvriers et soldats n’aurait pas de sens et ne donnerait rien au peuple.

Je m’efforce de répondre à la question concernant les mesures concrètes que nous pouvons proposer au peuple sans entrer en contradiction avec nos convictions marxistes.

À quelles fins voulons-nous que le pouvoir passe aux soviets des députés ouvriers et soldats ?

La nationalisation du sol est la première mesure que doivent appliquer les soviets. Tout le monde en parle. On dit que cette mesure est des plus utopiques, et pourtant tout le monde y vient, précisément parce que le régime de la propriété des terres est si compliqué en Russie qu’il n’y a pas d’autre solution que d’abattre toutes les barrières et de faire du sol la propriété de l’État. Il faut abolir la propriété privée du sol. Cette tâche se pose à nous parce que telle est la volonté de la majorité du peuple. Pour cela, il nous faut des soviets. Car on ne peut pas appliquer cette mesure avec l’ancien corps de fonctionnaires de l’État.

Deuxième mesure. Nous ne pouvons pas être partisans d’ « introduire » le socialisme, ce serait la pire des absurdités. Nous devons préconiser le socialisme. La majorité de la population est formée en Russie de paysans, de petits propriétaires qui ne peuvent en aucune façon désirer le socialisme. Mais que pourraient-ils objecter à la création dans chaque village d’une banque, qui leur permettrait d’améliorer leur exploitation ? Ils ne peuvent rien dire là contre. Nous devons préconiser ces mesures pratiques parmi les paysans et affermir en eux la conscience de cette nécessité.

Autre chose le syndicat des raffineurs ; c’est là un fait. Ici notre proposition doit être d’une portée pratique immédiate : les syndicats patronaux de cette sorte, déjà constitués, doivent devenir la propriété de l’État. Si les soviets veulent prendre le pouvoir, c’est uniquement à ces fins. Ils n’ont pas d’autres raisons de le prendre. La question se pose ainsi : ou ces soviets continueront à se développer, ou ils périront d’une mort sans gloire, comme au temps de la Commune de paris. S’i1 faut une république bourgeoise, les cadets peuvent la faire tout aussi bien.

Je terminerai en me référant à un discours qui a produit sur moi l’impression la plus profonde. C’est le discours remarquable d’un mineur qui raconta, sans user d’un seul mot livresque, comment ses camarades et lui avaient fait la révolution. La question qu’ils se posaient n’était pas de savoir s’ils auraient un président, mais de s’organiser pour protéger les câbles après qu’ils se furent emparés des puits de mine, afin que la production ne s’arrête pas. Puis il y eut la question du pain, qui leur manquait, et ils s’entendirent aussi pour en trouver. Voilà le vrai programme de la révolution, un programme qui n’est pas tiré des bouquins. Voilà la vraie conquête du pouvoir sur place.

La bourgeoisie n’est nulle part aussi fortement constituée qu’à Petrograd, et les capitalistes y détiennent le pouvoir, tandis qu’en province, les paysans prennent des mesures purement pratiques, sans se lancer dans de projets socialistes d’aucune sorte. J’estime que ce programme du mouvement révolutionnaire indique seul avec justesse le vrai chemin de la révolution. Nous sommes d’avis qu’on doit aborder ces mesures avec la plus grande circonspection et la plus grande prudence, mais que ce sont elles qu’il faut appliquer, que c’est seulement de ce côté qu’il faut voir l’avenir, autrement la situation est sans issue. Autrement, les soviets des députés ouvriers et soldats seront dissous et périront d’une mort sans gloire. Si le pouvoir échoit réellement au prolétariat révolutionnaire, ce doit être uniquement pour aller de l’avant. Or, aller de l’avant veut dire prendre des mesures concrètes, et non pas se borner à des mots pour assurer la fin de la guerre. Le succès complet de ces mesures n’est possible que si la révolution mondiale a lieu, si la révolution tue la guerre et si elle est soutenue par les ouvriers de tous les pays. Aussi la prise du pouvoir est-elle la seule mesure concrète, la seule issue.

3. Discours de conclusion après la discussion du rapport sur la situation actuelle, 24 avril

Le camarade Kamenev a prestement enfourché son dada, l’esprit d’aventure. Il importe de s’arrêter sur ce point. Le camarade Kamenev est convaincu et affirme que nous avons, en nous élevant contre le mot d’ordre : « À bas le gouvernement provisoire », manifesté un flottement. Je suis d’accord avec lui : il y a eu évidemment quelques flottements par rapport à la ligne politique révolutionnaire et ces flottements doivent être évités. Je pense que nos divergences avec le camarade Kamenev ne sont pas très grandes, puisque, s’accordant avec nous, il adopte une nouvelle position. En quoi a consisté notre aventurisme ? Dans une tentative de recourir à la force. Nous ne savions pas si les masses penchaient fortement vers nous à ce moment trouble, et la question se serait posée tout autrement si ç’avait été le cas. Nous avons lancé comme mot d’ordre l’organisation de manifestations pacifiques, mais certains camarades du Comité de Petrograd en donnèrent un autre que nous avons annulé sans toutefois avoir eu le temps d’en empêcher la diffusion, de sorte que la masse suivit le mot d’ordre du Comité de Petrograd. Nous disons que le mot d’ordre : « À bas le gouvernement provisoire » est teinté d’aventurisme, qu’on ne peut pas renverser le gouvernement en ce moment, et c’est pourquoi nous avons lancé comme mot d’ordre l’organisation de manifestations pacifiques. Nous ne voulions que procéder à une reconnaissance pacifique des forces ennemies, sans livrer bataille ; le Comité de Petrograd, lui, a pris un peu plus à gauche, ce qui est naturellement, en l’occurrence, un crime d’une gravité extrême. L’appareil d’organisation s’est révélé débile : il n’y a pas d’unanimité dans l’application de nos décisions. En même temps que le mot d’ordre juste : « Vivent les soviets des députés ouvriers et soldats ! », on a lancé le mot d’ordre erroné : « À bas le gouvernement provisoire ». Prendre un peu plus à gauche au moment de l’action était inopportun. Nous considérons que c’est là un crime des plus graves, que c’est de la désorganisation. Nous ne serions pas demeurés une minute de plus au Comité central si l’on avait sciemment toléré cette initiative. Elle s’est produite par suite de l’imperfection de l’appareil d’organisation. Oui, notre organisation s’est montrée en défaut. La question de son amélioration est posée.

Mencheviks et consorts tripotent le mot d’ « aventurisme ».Mais chez eux, il n’y a eu en fait ni organisation ni ligne politique d’aucune sorte. Nous avons, quant à nous, une organisation et une ligne politique.

À ce moment, la bourgeoisie a mobilisé toutes ses forces, le centre s’est caché, et nous avons organisé une manifestation pacifique. Nous étions les seuls à avoir une ligne politique. Des fautes furent-elles commises ? Oui, mais, qui ne fait rien est seul à ne pas se tromper. Et bien s’organiser est chose difficile.

Maintenant, à propos du contrôle.

Nous sommes d’accord avec le camarade Kamenev, excepté dans la question du contrôle. Il y voit un acte politique. Mais, subjectivement, il donne à ce mot un sens plus complet Tchkhéidzé et les autres. Nous ne marcherons pas pour le contrôle. On nous dit : « Vous vous êtes isolés. Vous avez dit des mots terribles au sujet du communisme, vous avez effrayé le bourgeois jusqu’à lui donner des convulsions... ». Soit !

Mais notre isolement ne vient pas de là. C’est la question de l’emprunt qui nous a isolés, voilà à quoi est dû notre isolement. Voilà sur quelle question nous nous sommes trouvés en minorité. Oui, nous sommes en minorité. Et alors ? En ce moment d’exaltation chauvine, être socialiste, c’est être en minorité, être en majorité veut dire être chauvin. En ce moment, le paysan et Milioukov portent atteinte au socialisme avec l’emprunt. Le paysan suit Milioukov et Goutchkov. C’est un fait. La dictature démocratique bourgeoise de la paysannerie est une vieille formule.

Il faut, pour pousser les paysans à la révolution, en séparer le prolétariat, en dissocier le parti prolétarien, car les paysans sont chauvins. Vouloir attirer le moujik en ce moment, c’est se livrer à la merci de Milioukov.

Il faut renverser le gouvernement provisoire, mais pas tout de suite et pas par les moyens habituels. Nous sommes d’accord avec le camarade Kamenev. Mais il faut éclairer les gens. C’est à ce mot que s’accroche le camarade Kamenev. C’est pourtant la seule chose que nous puissions faire.

Le camarade Rykov dit que le socialisme doit venir des autres pays pourvus d’une industrie plus développée. Mais ce n’est pas exact. On ne peut dire qui commencera et qui finira. Ce n’est pas du marxisme, c’est une caricature du marxisme.

Marx a dit que le Français commencerait et que l’Allemand achèverait. Mais le prolétariat russe a plus de succès que quiconque à son actif.

Si, par exemple, nous disions : « Pas de tsar, dictature du prolétariat », eh bien, ce serait un bond par-dessus la petite bourgeoisie. Nous disons : « Aide à la révolution par l’organe du Soviet des députés ouvriers et soldats ». Il ne faut pas verser dans le réformisme. Nous ne combattons pas pour être vaincus, mais pour sortir vainqueurs de la lutte, en escomptant, à la rigueur, un succès partiel. Si nous sommes vaincus, nous obtiendrons un succès partiel, des réformes. Les réformes sont un moyen auxiliaire de la lutte de classe.

Le camarade Rykov dit ensuite qu’il n’y a pas de période de transition entre capitalisme et socialisme. Ce n’est pas exact. Parler ainsi, c’est rompre avec le marxisme.

La ligne politique que nous avons tracée est juste, et nous prendrons à l’avenir toutes mesures utiles pour avoir une organisation dans laquelle il n’y aura pas de membres du Comité de Petrograd désobéissant au Comité central. Nous nous développons comme doit se développer un vrai parti.

4. Discours sur le projet de convocation d’une conférence socialiste internationale, 25 avril

Je ne puis être de l’avis du camarade Noguine. Nous nous trouvons, je pense, devant un fait politique d’une importance exceptionnelle qui nous impose l’obligation d’entamer une campagne énergique contre les chauvins russes et anglo-français, qui ont décliné l’invitation de ce Borgbjerg à participer à la conférence. Il ne faut pas oublier le fond et les dessous de toute cette histoire. Je vais vous donner lecture de la proposition de Borgbjerg, textuellement reproduite dans la Rabotchaïa Gazéta (La Gazette ouvrière, quotidien menchevik) et je noterai que toute cette comédie d’un prétendu congrès socialiste cache un geste politique extrêmement concret de l’impérialisme allemand. Par l’intermédiaire des sociaux-chauvins allemands, les capitalistes allemands invitent les sociaux-chauvins de tous les pays à se réunir en conférence. Voilà pourquoi il nous faut lancer une large campagne.

Pourquoi agissent-ils par l’intermédiaire de socialistes ? Parce qu’ils veulent mener en bateau la masse ouvrière.MM. les diplomates sont des gens subtils : on ne peut pas dire la chose tout net, il faut le truchement d’un Plekhanov danois. Nous avons eu à l’étranger des centaines de rencontres avec des chauvins allemands, nous devons les démasquer.

(L’orateur donne lecture d’un extrait de la Rabotchaïa Gazéta du 25 avril 1917)

Borgbjerg, rédacteur en chef du « Social-Demokraten », organe central de la sociale-démocratie danoise, a transmis au nom du Comité unifié des trois partis ouvriers scandinaves (danois, norvégien, suédois) au Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers et soldats une invitation adressée à tous les partis socialistes de Russie, les conviant à une conférence socialiste internationale. Ayant eu, grâce à la situation de voisinage du Danemark et de l’Allemagne, la possibilité d’entrer en contact avec les sociaux-démocrates allemands, notamment avec ceux de la « majorité », le camarade Borgbjerg a fait connaître à l’assemblée les conditions auxquelles la sociale-démocratie officielle d’Allemagne croit la paix possible, conditions que les représentants de ce parti apporteront à la conférence.

Ces conditions, les voici :

Les sociaux-démocrates allemands marquent tout d’abord leur accord avec les principes formulés par les socialistes scandinaves et hollandais à la conférence de 1915, c’est-à-dire avec la reconnaissance du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, l’arbitrage international obligatoire et la revendication d’un désarmement progressif. Ils ajoutent en outre, pour leur part, que la sociale-démocratie allemande insistera pour :

1. que tous les territoires conquis par l’Allemagne et ses alliés soient rendue à leurs possesseurs ;

2. que la liberté entière soit accordée à la Pologne russe de se proclamer indépendante ou de se joindre à la Russie ;

3. que la Belgique soit rétablie comme un État entièrement indépendant ;

4. que la Serbie, le Monténégro et la Roumanie soient de-même rétablis en qualité d’États indépendants ;

5. que la Bulgarie reçoive les régions bulgares de la Macédoine, et la Serbie un libre débouché dans l’Adriatique.

Pour ce qui est de l’Alsace-Lorraine, un accord pacifique pourrait être réalisé sur une rectification de la frontière lorraine ; les Allemands exigeront l’autonomie culturelle-nationale pour les Polonais, de Posnanie.

Il ne peut y avoir l’ombre d’un doute que cette proposition émane du gouvernement allemand, qui ne fait pas ces démarches au grand jour, mais a besoin des services des Plekhanov danois, les agents allemands ne convenant pas à cet usage. Les sociaux-chauvins sont précisément faits pour se charger de ces services. Ces dessous qu’ils dissimulent, notre tâche est de les dévoiler devant le monde entier au nom des 70 000 ouvriers, membres du parti prolétarien, réunis à cette conférence. Nous devons publier une résolution détaillée, la traduire dans les langues étrangères et donner une digne réponse à ces messieurs afin de leur ôter l’envie de se fourrer dans un parti socialiste.

(L’orateur donne lecture du projet de résolution).

Les journaux socialistes se taisent ce matin. Ils savent parfaitement où gît le lièvre. Ils savent que le silence est d’or. La Rabotchaïa Gazéta est seule à publier un article, qui ne contient d’appréciation d’aucune sorte : d’une part, on ne peut disconvenir que... d’autre part, on doit bien convenir...

Le gouvernement russe a moins de raisons que quiconque de douter qu’il s’agit vraiment d’un agent du gouvernement allemand.

Puisqu’on nous assourdit de clameurs sur la libération de l’Alsace-Lorraine, il faut rappeler à ces messieurs que c’est tout simplement une question de gros sous, car cette région renferme d’énormes richesses, et que les capitalistes allemands se battent avec les capitalistes français à qui pillera davantage. Il leur est avantageux que les Plekhanov fassent de la libération de l’Alsace-Lorraine une cause sacrée. Aussi, quand les sociaux-chauvins allemands parlent d’une rectification pacifique des frontières de l’Alsace-Lorraine, il faut lire : partage pacifique du butin entre les impérialistes français et allemands.

Je dois ajouter une chose : j’ai oublié de dire que les représentants du « centre » allemand - Kautsky, Haase, Ledebour - ont donné leur accord à cette conférence c’est là pour eux un geste des plus déshonorants. Les socialistes anglo-français ne participent pas à cette conférence. Cela montre que les chauvins anglo-français, soi-disant socialistes, sont en réalité des agents de la bourgeoisie ; ils contribuent en effet, à la prolongation de la guerre impérialiste, en dépit des immenses efforts que fait, par l’intermédiaire de Borgbjerg, la majorité socialiste allemande, car le gouvernement allemand déclare sans nul doute par la voix de Borgbjerg : la situation est telle que je dois vous abandonner votre butin (les colonies allemandes d’Afrique). Cela nous est confirmé par la situation désespérée de l’Allemagne, pour laquelle la continuation de la guerre est sans espoir, le pays étant tout près de sa perte. Aussi se déclarent-ils disposés à restituer presque tout leur butin, tout en s’efforçant de s’en approprier une part. Les diplomates communiquent très bien entre eux et les journaux bourgeois, quand ils parlent des affaires étrangères, bernent le peuple avec des phrases.

Nul doute que, lorsque les sociaux-chauvins anglais et français ont déclaré ne pas aller à la conférence, ils savaient déjà tout : ils s’étaient rendus à leurs ministères respectifs des Affaires étrangères, où on leur avait dit : « voilà les dessous de cette affaire, et nous ne voulons pas que vous alliez là-bas ». C’est ainsi, et ainsi seulement, que les choses se sont passées.

Nous verrons que si les soldats russes reçoivent cette résolution - et je suis d’avis, qu’il faudrait la leur envoyer au nom des 70 000 membres de notre parti - ils commenceront vraiment à comprendre toute la combinaison qu’on leur a cachée. Ils comprendront alors que l’Allemagne ne peut pas continuer sa guerre de conquête et qu’il s’agit seulement d’étrangler l’Allemagne, d’en consommer le pillage. On ne peut nier que Borgbjerg soit un agent du gouvernement allemand.

C’est pourquoi, camarades, je pense qu’il nous faut démasquer cette comédie de congrès socialiste. Tous ces congrès ne sont que des comédies destinées à masquer les marchandages auxquels se livrent les diplomates à l’insu des masses populaires. Il faut une fois pour toutes dire la vérité de façon qu’elle soit entendue par les soldats au front et par les ouvriers de tous les pays. Notre campagne sur les propositions de cette sorte éclairera, d’une part, notre ligne politique prolétarienne ; elle sera, d’autre part, une action de masse comme il n’y en a pas encore eu. C’est la raison pour laquelle je vous demanderais d’adopter si possible ce manifeste, de le transmettre au Comité exécutif, de le faire traduire dans les langues étrangères et de le publier demain dans la Pravda.

5. Résolution sur la proposition par Borgbjerg d’une conférence socialiste internationale

Au sujet de la venue du « socialiste » danois Borgbjerg et de sa proposition de participer à un congrès de socialistes pour le soutien de la paix, projeté par les socialistes allemands de la tendance Scheidemann et Plekhanov, sur la base de la renonciation par l’Allemagne à la plupart de ses annexions, la conférence décide :

Borgbjerg parle au nom de trois partis scandinaves, ceux de Suède, de Danemark et de Norvège. Il a, pour ce faire, un mandat du parti suédois dirigé par Branting, ce socialiste qui est passé du côté de « sa » bourgeoisie, qui a trahi l’alliance révolutionnaire des ouvriers de tous les pays. Nous ne pouvons considérer ce parti suédois comme un parti socialiste. Nous estimons que le seul parti socialiste en Suède est le parti des jeunes, dirigé par Höglund, Lindhagen, Ström, Karlsson, etc.

De même pour le parti danois, qui a également mandaté Borgbjerg, nous ne le considérons pas comme un parti socialiste, car il a à sa tête Stauning, membre d’un ministère bourgeois. L’entrée de Stauning dans un ministère bourgeois a entraîné la protestation et le départ - de ce parti - d’un groupe avec le camarade Trier, qui a déclaré que le parti socialiste danois était devenu un parti bourgeois.

De son propre aveu, Borgbjerg agit en accord avec Scheidemann et d’autres socialistes allemands qui sont passés du côté du gouvernement allemand et de la bourgeoisie allemande.

Il n’y a donc pas le moindre doute que Borgbjerg est en réalité, directement ou non, un agent du gouvernement impérialiste allemand.

En conséquence, la conférence considère que la participation de notre parti à une conférence à laquelle participent Borgbjerg et Scheidemann est inadmissible pour des raisons de principe, notre tâche n’étant pas de travailler au rassemblement des agents directs ou indirects des différents gouvernements impérialistes, mais d’unir les ouvriers de tous les pays, qui mènent dès à présent, en pleine guerre, une lutte révolutionnaire contre leurs propres gouvernements impérialistes.

C’est seulement avec de tels partis et groupes que des conférences et des rapprochements peuvent effectivement hâter la conclusion de la paix.

Nous mettons les ouvriers en garde contre la confiance qu’ils pourraient donner à une conférence organisée par Borgbjerg, car cette conférence de pseudo-socialistes ne sera qu’une comédie destinée à masquer les manœuvres auxquelles les diplomates se livreront dans la coulisse, en troquant leurs annexions les unes contre les autres, en « donnant », par exemple, l’Arménie aux capitalistes russes, en « donnant » à l’Angleterre les colonies allemandes qu’elle a volées, en échange de quoi ils « céderont » peut-être aux capitalistes allemands une partie des terrains métallifères de Lorraine qui contiennent d’immenses gisements de minerai de fer d’excellente qualité, etc.

Les socialistes ne peuvent, sans trahir la cause prolétarienne, prendre une part ni directe ni indirecte à ces sordides et cupides marchandages entre capitalistes de différents pays se partageant le butin de leurs rapines.

En même temps, la conférence constate que, même lorsqu’ils s’expriment par la voie de Borgbjerg, les capitalistes allemands ne renoncent pas à toutes leurs annexions, sans parler de l’évacuation militaire immédiate des territoires qu’ils ont annexés par la force. Car les régions danoises de l’Allemagne, ses régions polonaises, les parties françaises de l’Alsace, sont des annexions des capitalistes allemands au même titre que la Lettonie, la Finlande, la Pologne, l’Ukraine, etc., sont des annexions des tsars russes et des capitalistes russes.

Quant à la restauration de l’indépendance polonaise, il s’agit d’une supercherie, de la part aussi bien des capitalistes austro-allemands que du gouvernement provisoire russe, qui parle, dit-on, d’une alliance militaire « libre » entre la Pologne et la Russie. Car, pour déterminer réellement la volonté des peuples de toutes les régions annexées, il est indispensable que les troupes soient retirées et que la population soit librement consultée. Les promesses gouvernementales ne trouveraient un commencement d’exécution que si une telle mesure était appliquée à toute la Pologne (non seulement, par conséquent, aux territoires annexés par les Russes, mais également à ceux annexés par les Allemands et les Autrichiens), ainsi qu’à toute l’Arménie, etc.

En outre, la conférence constate que les socialistes anglais et français, passés dans le camp de leurs gouvernements capitalistes, ont refusé de se rendre à la conférence organisée par Borgbjerg. Ce fait montre clairement que la bourgeoisie impérialiste anglo-française, dont ces pseudo-socialistes sont des agents, veut continuer, veut faire durer cette guerre impérialiste, sans même vouloir examiner les concessions que la bourgeoisie impérialiste allemande est obligée de promettre par l’intermédiaire de Borgbjerg sous la pression croissante de la misère, de la famine et de la ruine et, surtout, de la révolution ouvrière imminente en Allemagne.

La conférence décide de donner à tous ces faits la plus large publicité et, notamment, d’en informer avec la plus grande précision les soldats russes sur le front ; que les soldats russes sachent que les capitalistes anglo-français et, à leur suite, les capitalistes russes, font durer la guerre, sans vouloir accepter même une telle conférence sur les conditions de paix.

Que les soldats russes sachent que le mot d’ordre de « guerre jusqu’ à la victoire » masque actuellement le désir de l’Angleterre, de raffermir sa domination à Bagdad et dans les colonies allemandes d’Afrique, le désir des capitalistes russe de piller et d’étrangler l’Arménie, la Perse, etc., le désir de voir l’effondrement total de l’Allemagne.

Que les soldats russes organisent sur le front des référendums dans chaque unité, dans chaque régiment, dans chaque compagnie pour dire s’ils veulent que les capitalistes prolongent ainsi la guerre, ou s’ils veulent que la totalité du pouvoir passe exclusivement aux mains des soviets des députés ouvriers et paysans pour mettre fin à la guerre aussi rapidement que possible. Le parti du prolétariat de Russie n’acceptera de rencontrer, afin de contracter avec eux une alliance fraternelle, que les partis ouvriers des autres pays qui mènent aussi dans leur propre pays une lutte révolutionnaire pour le passage de tout le pouvoir au prolétariat.

6. Discours sur l’attitude à l’égard des soviets des députés et soldats ouvriers, 25 avril

Le camarade Lénine a montré que la Révolution française était passée par une phase de révolution municipale et qu’elle s’était renforcée dans les organes d’autonomie administrative locale devenus son appui. On observe dans la révolution russe une certaine bureaucratisation des centres tandis que, dans les provinces, le pouvoir détenu par les soviets est utilisé plus complètement. Les soviets des capitales sont dans une plus grande dépendance politique à l’égard du pouvoir central bourgeois que les soviets de province. Il n’est pas si facile, dans les centres, d’assumer la direction de la production, alors que c’est déjà fait en partie dans les provinces. D’où la nécessité de renforcer par les soviets locaux des députés ouvriers, soldats et paysans. La progression à cet égard est possible, avant tout, en partant des provinces.

7. Ébauche de thèses pour la résolution sur les soviets

Le rôle des soviets s’est révélé particulièrement important dans une série de centres locaux, et surtout dans les centres ouvriers. Un pouvoir unique s’y est créé ; la bourgeoisie a été entièrement désarmée et réduite à une complète obéissance ; les salaires sont augmentés ; une journée de travail réduite sans que la production ait diminué ; le ravitaillement est assuré ; un contrôle commence à être exercé sur la production et la répartition ; toutes les anciennes autorités sont destituées ; l’initiative révolutionnaire des paysans est encouragée dans la question du pouvoir (révocation de toutes les anciennes autorités et création d’autorités nouvelles), ainsi que dans celle de la terre.

Dans la capitale et dans certains grands centres, on observe le phénomène inverse : la composition des soviets est moins prolétarienne ; les Comité exécutifs y sont infiniment plus influencés par les éléments petits-bourgeois et la « collaboration avec la bourgeoisie » y est plus largement pratiquée, notamment dans les commissions, ce qui entrave l’initiative révolutionnaire des masses, bureaucratise le mouvement révolutionnaire des masses et leurs tâches révolutionnaires, freine l’application de toutes les mesures révolutionnaires susceptibles de « heurter » les capitalistes.

Il est tout à fait naturel et inévitable qu’après l’intense déploiement d’énergie révolutionnaire dans la capitale, où le peuple, et surtout les ouvriers, a consenti les plus lourds sacrifices pour renverser le tsarisme, dans la capitale où le pouvoir central de l’État a été renversé et où le pouvoir le plus centralisé du capital a donné le maximum de pouvoir aux capitalistes, il est naturel que le pouvoir des soviets (et le pouvoir du prolétariat) s’y soit révélé faible, que le développement ultérieur de la révolution y soit apparu particulièrement difficile, le passage à la nouvelle étape de la révolution particulièrement pénible, la résistance de la bourgeoisie plus forte que partout ailleurs.

D’où cette conclusion : alors que, dans les capitales et dans les plus grands centres, les principaux efforts doivent porter sur la préparation des forces en vue de mener jusqu’au bout la deuxième étape de la révolution, on peut et on doit, sur le plan local, faire faire immédiatement à la révolution un pas en avant en instaurant le pouvoir unique des soviets des députés ouvriers, en stimulant l’énergie révolutionnaire des masses ouvrières et paysannes, en passant au contrôle de la production et de la répartition des produits, etc.

Voici comment se dessine le développement de la révolution :

  1. élimination de l’ancien pouvoir au centre ;

  2. prise du pouvoir par la bourgeoisie, en raison du manque de préparation du prolétariat aux immenses tâches de l’État ;

  3. extension de la révolution aux provinces ;

  4. à l’échelon local, surtout dans les centres prolétariens, création de nombreuses communes et développement de l’énergie révolutionnaire des masses ;

  5. la terre, on la confisque, etc. ;

  6. les usines, on les contrôle ;

  7. unité du pouvoir ;

  8. la révolution locale, municipale, progresse ;

  9. bureaucratisation et soumission à la bourgeoisie au centre.

Conclusions :

  1. préparation au centre (préparation des forces en vue d’une nouvelle révolution) ;

  2. faire avancer la révolution (pouvoir ? terre ? usines ?) en province ;

  3. créer localement des communes, c’est- à-dire complète autonomie locale ; pleine initiative ; sans police, sans corps de fonctionnaires, pouvoir sans partage des ouvriers et des masses paysannes en armes ;

  4. lutte contre l’influence des éléments petits-bourgeois, qui poussent à la bureaucratisation et, comme la bourgeoisie, s’attachent à tranquilliser les masses ;

  5. rassembler les expériences locales pour stimuler le centre : la province prêche l’exemple.

  6. faire comprendre aux masses d’ouvriers, de paysans et de soldats que les succès de la révolution à l’échelon local sont dus à l’unité du pouvoir et à la dictature du prolétariat.

  7. naturellement, les choses sont plus difficiles au centre et demandent plus de temps.

  8. développement de la révolution par communes formées dans les faubourgs et les quartiers des grandes villes...

  9. transformation (dans les capitales, etc.) en « valets de la bourgeoisie ».

8. Discours en faveur de la résolution sur la guerre, 27 avril

Camarades j’ai donné lecture, à la conférence de Petrograd-ville, du premier projet de la résolution sur la guerre. Par suite de la crise, qui a absorbé à Petrograd l’attention et les forces de tous les camarades, nous n’avons pas pu corriger ce projet. Mais la commission a travaillé avec succès, hier et aujourd’hui ; le projet a été modifié, sensiblement abrégé et, à notre avis, amélioré.

Je tiens à dire quelques mots de la structure de cette résolution. Elle comporte trois parties : la première est consacrée à l’analyse du contenu de classe de la guerre, et l’on y a ajouté un exposé des raisons de principe pour lesquelles le parti met les travailleurs en garde contre toute confiance à l’égard des promesses gouvernementales et contre tout soutien au gouvernement provisoire. La deuxième traite du jusqu’au-boutisme révolutionnaire considéré comme un très large courant de masse qui groupe actuellement contre nous l’immense majorité du peuple. Il s’agit de déterminer la signification de classe de ce jusqu’auboutisme révolutionnaire, son essence, le rapport réel des forces et la façon dont nous devons combattre ce courant. La troisième partie de la résolution concerne la façon de terminer la guerre. A cette question pratique, qui présente la plus grande importance pour le parti, il était nécessaire de donner une réponse détaillée, et nous pensons y avoir réussi dans une mesure satisfaisante. Notre attitude négative à l’égard de la guerre et de l’emprunt a été mise en lumière dans divers articles de la Pravda et des journaux de province qui ont consacré un grand nombre d’articles à la guerre. (Ces journaux nous parviennent très irrégulièrement : la poste ne fonctionne pas, et il faut profiter de moyens de fortune pour transmettre les feuilles locales au Comité central). Je crois que le vote contre l’emprunt a tranché la question de l’attitude négative envers le jusqu’auboutisme révolutionnaire. Je n’ai pas la possibilité de m’arrêter davantage sur ce point.

La guerre actuelle est, de la part des deux groupes de puissances belligérantes, une guerre impérialiste, c’est-à-dire faite par les capitalistes pour le partage des bénéfices de la domination du monde, pour les marchés du capital financier (bancaire), pour l’asservissement des nationalités faibles, etc.

La première et la principale des thèses concerne le contenu de la guerre, son caractère politique et général ; c’est un sujet de discussion, que les capitalistes et les sociaux-chauvins prennent bien soin d’éviter. Aussi devons-nous le mettre au premier plan et en compléter l’exposé.

Chaque jour de la guerre enrichit la bourgeoisie financière et industrielle, en même temps qu’il ruine et épuise les forces du prolétariat et des paysans de tous les pays belligérants d’abord, des pays neutres ensuite. Quant à la Russie, la prolongation de la guerre constitue en outre pour les conquêtes de la révolution et son développement ultérieur un grave danger.

Le passage du pouvoir, en Russie, au gouvernement provisoire, gouvernement de propriétaires fonciers et de capitalistes, n’a pas modifié et ne pouvait pas modifier ce caractère et cette signification de la guerre pour ce qui est de la Russie.

La phrase que je viens de lire a une grande importance pour tout notre travail de propagande et d’agitation. Le caractère de classe de la guerre s’est-il modifié et peut-il se modifier ? Notre réponse se fonde sur le fait que le pouvoir est passé aux grands propriétaires fonciers et aux capitalistes, au gouvernement même qui avait préparé cette guerre. Nous passons ensuite à l’un des faits qui font le mieux ressortir le caractère de la guerre. Une chose est le caractère de classe qu’exprime la politique menée par certaines classes au cours de dizaines d’années, autre chose est l’évident caractère de classe de la guerre.

Ce fait nous apparaît avec un relief singulier lorsqu’on considère que le nouveau gouvernement, loin de publier les traités secrets conclus par le tsar Nicolas II avec les gouvernements capitalistes anglais, français et autres, a même formellement approuvé, sans consulter le peuple, ces traités secrets qui promettent aux capitalistes russes le pillage de la Chine, de la Perse, de la Turquie, de l’Autriche, etc. En gardant secret le texte de ces traités, on trompe le peuple russe sur le caractère véritable de la guerre.

Ainsi, je le souligne une fois de plus, nous montrons ce qui confirme tout particulièrement le caractère de la guerre. Si même il n’y avait aucun traité, le caractère de la guerre n’en serait nullement modifié, l’accord entre groupes capitalistes pouvant très souvent être réalisé sans traités d’aucune sorte. Mais les traités existent, leur signification est particulièrement évidente, et nous estimons tout particulièrement nécessaire de le souligner et nous avons décidé de mettre ce point en relief afin d’assurer l’unité de notre agitation et de notre propagande. L’attention du peuple se porte sur ce fait, et elle doit s’y porter d’autant plus que ces traités furent conclus par le tsar détrôné ; le peuple doit donc être amené à constater que la guerre est continuée par les gouvernements en vertu de traités signés par leurs prédécesseurs. C’est ici, je crois, que les contradictions entre les intérêts des capitalistes et la volonté du peuple ressortent le mieux, et la tâche des propagandistes est de les porter au grand jour, d’attirer sur elles l’attention du peuple, de s’efforcer d’éclairer les masses, en faisant appel à leur conscience de classe. Le contenu des traités est tel qu’il ne peut y avoir de doute sur le fait qu’ils promettent aux capitalistes des bénéfices fabuleux par le pillage d’autres pays, puisque ces traités restent toujours et partout secrets. Il n’y a pas une seule république au monde qui fasse sa politique étrangère au grand jour. Tant que le régime capitaliste existera, on ne peut attendre des capitalistes qu’ils ouvrent au public leurs livres de commerce. La propriété privée des moyens de production comporte la propriété privée des titres et des opérations financières. Le fondement essentiel de la diplomatie actuelle, ce sont les opérations financières, qui se ramènent au pillage et à l’étranglement des nationalités faibles. Tels sont, à notre point de vue, les principes essentiels dont découle toute notre appréciation de la guerre. Nous en tirons la conclusion suivante :

Aussi un parti prolétarien ne peut-il soutenir ni la guerre actuelle, ni le gouvernement actuel, ni ses emprunts, sans rompre complètement avec l’internationalisme, c’est-à-dire avec la solidarité fraternelle des ouvriers de tous les pays dans la lutte contre le joug du capital.

Telle est notre conclusion fondamentale, qui définit toute notre tactique et nous distingue de tous les autres partis, quelles que soient leurs appellations socialistes. Ce postulat, indiscutable pour nous tous, règle par avance notre attitude à l’égard de tous les autres partis politiques.

Il est dit plus loin que notre gouvernement a été particulièrement étendu sur le chapitre des promesses. Les soviets, bernés par ces promesses, mènent campagne à ce propos, depuis un certain temps, en désorientant le peuple. Aussi croyons-nous nécessaire d’ajouter à l’analyse purement objective de la situation de classe une appréciation des promesses qui n’ont, certes, en elles-mêmes aucune valeur aux yeux des marxistes. Mais, pour les larges masses, leur signification est grande ; elle est plus grande encore en politique. Le Soviet de Petrograd s’est empêtré dans ces promesses ; il y attache de l’importance et se dit prêt à les appuyer. C’est pourquoi nous ajoutons, sur ce point, la formule suivante :

La promesse du gouvernement actuel de renoncer aux annexions, c’est-à-dire à la conquête de pays étrangers ou au maintien par la force d’autres nations dans le cadre de la Russie, ne mérite, elle non plus, aucune créance.

Le mot « annexion » étant en russe d’origine étrangère, nous l’accompagnons d’une définition politique précise que ne peuvent lui donner ni le parti cadet ni les partis démocrates petits-bourgeois (les populistes et les mencheviks).Il n’y a point de mots qui soient employés de façon aussi creuse et aussi impropre.

Car, tout d’abord, les capitalistes, attachés par mille liens au capital bancaire, ne peuvent renoncer aux annexions dans la guerre actuelle sans renoncer aussi aux bénéfices que leur rapportent les milliards investis dans les emprunts, les concessions, les entreprises travaillant pour la guerre, etc. , ensuite, ayant renoncé aux annexions pour tromper le peuple, le nouveau gouvernement a déclaré par la voix de Milioukov, le 9 avril 1 917, à Moscou, qu’il n’y renonçait pas, et il a confirmé par une note du 18 avril et par les commentaires dont il l’a fait suivre le 22 avril, le caractère annexionniste de sa politique.

Mettant le peuple en garde contre les promesses creuses des capitalistes, la conférence déclare donc qu’il faut établir une distinction rigoureuse entre la renonciation verbale aux annexions et la renonciation effective, c’est-à-dire la publication immédiate et l’annulation de tous les traités secrets de brigandage, la reconnaissance immédiate à toutes les nationalités du droit de décider par un vote libre si elles veulent constituer des États indépendants ou faire partie de quelque État existant.

Nous avons cru nécessaire de donner cette précision, la question de la paix sans annexions étant au centre de toutes les discussions sur les conditions de la paix. Tous les partis conviennent que la question de la paix va se poser sous forme d’alternative et que la paix avec des annexions serait pour tous les pays une calamité sans nom. Et l’on ne peut poser la question de la paix au peuple d’un pays jouissant de la liberté politique que dans les termes de la paix sans annexions. Force est donc de se prononcer en faveur de la paix sans annexions, et il ne reste d’autre issue que de mentir en obscurcissant l’idée d’annexion ou en tournant la question. La Retch proclame, par exemple, que restituer la Lettonie à la Russie serait précisément renoncer aux annexions. Au cours d’une de mes interventions, devant le Soviet des députés ouvriers et soldats, un soldat me posa cette question écrite : « Nous devons nous battre pour reprendre la Lettonie. Reprendre la Lettonie est-ce donc se montrer partisan des annexions ? ». J’ai dû répondre par l’affirmative. Nous sommes contre le rattachement forcé de la Lettonie à l’Allemagne, mais nous sommes aussi contre le maintien forcé de la Lettonie dans les frontières russes. Un autre exemple : notre gouvernement a publié un manifeste sur l’indépendance de la Pologne, document bourré de phrases qui ne veulent rien dire. Il y est dit que la Pologne doit conclure avec la Russie une libre alliance militaire. Il n’y a que ces trois mots-là de vrais. La libre alliance militaire de la petite Pologne avec la vaste Russie signifie en réalité pour la Pologne un asservissement militaire complet. Le manifeste peut donner à ce pays la liberté politique, peu importe, ses frontières seront déterminées par l’alliance militaire.

Si nous nous battons pour que les capitalistes russes recouvrent dans leurs anciennes frontières la Lettonie et la Pologne, cela veut dire que les capitalistes allemands sont dans leur droit en volant la Lettonie. Ils peuvent répondre : nous avons pillé ensemble la Pologne. Lorsque nous avons commencé à dépecer la Pologne, à la fin du XVIIIe siècle, la Prusse n’était qu’une très petite et très faible puissance, alors que la Russie était très grande et très forte, et la Russie a volé la plus grande part. Nous voilà maintenant les plus forts, laissez-nous donc prendre la part du lion. Il n’y a rien à objecter à cette logique des capitalistes. Le Japon était zéro en 1863, par rapport à la Russie, mais il lui a fait mordre la poussière en 1905.L’Allemagne de 1863-1873 était zéro par rapport à l’Angleterre, mais elle est aujourd’hui plus forte que celle-ci. Les capitalistes allemands peuvent objecter : nous étions faibles quand on nous a pris la Lettonie, nous avons progressé maintenant et sommes plus forts que vous, nous voulons la reprendre ! Ne pas renoncer aux annexions, c’est justifier des guerres à l’infini pour la conquête des pays faibles. Renoncer aux annexions, c’est laisser chaque peuple décider en toute liberté s’il veut vivre séparément ou avec un autre. Attitude qui commande évidemment l’évacuation des territoires des peuples intéressés. Tolérer le moindre flottement dans la question des annexions, c’est justifier des guerres sans fin. Aussi ne pouvions-nous tolérer aucun flottement à cet égard. Notre réponse au sujet des annexions tient dans ces mots : libre décision des peuples. Comment faire pour que cette liberté politique soit aussi une liberté économique ? Il faut pour cela que le pouvoir passe au prolétariat et que le joug du capital soit renversé.

J’en viens à la deuxième partie de la résolution.

Ce qu’on appelle le " jusqu’auboutisme révolutionnaire " qui a gagné à l’heure actuelle en Russie tous les partis populistes (socialistes populaires, troudoviks, socialistes-révolutionnaires) et le parti opportuniste des sociaux-démocrates mencheviks (le Comité d’Organisation, Tchkhéidzé, Tseretelli, etc. ), ainsi que la plupart des révolutionnaires sans-parti, traduit, quant à sa signification de classe, d’une part, les intérêts et le point de vue des paysans cossus et d’une partie des petits patrons qui tirent profit, comme les capitalistes, de la contrainte exercée sur les peuples faibles , d’autre part, le jusqu’au-boutisme révolutionnaire est le résultat de la duperie par les capitalistes d’une partie des prolétaires et des semi-prolétaires des villes et des campagnes, qui ne sont pas intéressés, en raison de leur situation de classe, aux bénéfices des capitalistes et à la guerre impérialiste.

En l’occurrence, notre tâche consiste donc à déterminer les couches sociales qui pouvaient donner et ont effectivement donné naissance à la mentalité jusqu’au-boutiste. La Russie est le pays le plus petit-bourgeois qui soit, et les couches supérieures de la petite bourgeoisie sont directement intéressées à la continuation de cette guerre. Les paysans cossus en tirent profit de même que les capitalistes. D’autre part, la masse des prolétaires et des semi-prolétaires n’est pas intéressée aux annexions, car elle ne reçoit pas de profits du capital bancaire. Comment ces classes ont-elles pu admettre le point de vue du jusqu’au-boutisme révolutionnaire ? L’adhésion de ces classes au jusqu’au-boutisme révolutionnaire traduit l’influence de l’idéologie capitaliste, ce qui est exprimé dans la résolution par le mot « duperie ».Ces classes ne savent pas distinguer les intérêts des capitalistes de ceux du pays. D’où nous tirons la conclusion suivante :

La conférence considère comme absolument inadmissibles et signifiant en fait une rupture complète avec l’internationalisme et le socialisme toutes les concessions faites au jusqu’au-boutisme révolutionnaire. Quant à la mentalité jusqu’au-boutiste des grandes masses populaires, notre parti la combattra en démontrant inlassablement cette vérité que l’attitude d’aveugle crédulité envers le gouvernement des capitalistes est en ce moment l’un des principaux obstacles à la fin rapide de la guerre.

Ces derniers mots expriment la particularité qui distingue nettement la Russie de tous les autres pays capitalistes d’Occident et de toutes les autres républiques capitalistes démocratiques. Car on ne peut dire dans ces pays que la crédulité aveugle des masses soit la cause principale de la continuation de la guerre. Les masses y sont prises actuellement dans l’étau de fer de la discipline militaire, et celle-ci est d’autant plus sévère que la république est plus démocratique, car le pouvoir y repose sur la « volonté du peuple ».Cette discipline n’existe pas en Russie du fait de la révolution. Les masses élisent librement leurs représentants aux soviets, chose que l’on ne peut en ce moment observer nulle part au monde. Mais elles sont aveuglément crédules, ce qui permet de les faire entrer dans la lutte d’une façon bien déterminée. Il n’y a rien d’autre à faire qu’à expliquer les objectifs révolutionnaires immédiats et les moyens d’action. Quand les masses sont libres, toute tentative d’entreprendre quoi que ce soit au nom de la minorité, sans un travail d’explication parmi les masses, serait du blanquisme absurde, constituerait ni plus ni moins qu’une aventure Ce n’est que par la conquête de la masse, si tant est qu’on puisse la conquérir, que nous donnerons une base solide à la victoire de la lutte de classe prolétarienne.

Je passe à la troisième partie de la résolution :

v

En ce qui concerne la question la plus ‘importante comment terminer au plus tôt, par une paix qui ne soit pas imposée par la violence, mais vraiment démocratique, cette guerre de capitalistes ? - la conférence reconnaît et décide : on ne peut mettre fin à cette guerre par le refus des soldats d’un seul camp de la continuer, ou par la simple cessation des opérations militaires par l’une des parties belligérantes.

L’intention de terminer ainsi la guerre nous est très souvent prêtée par les gens qui cherchent à se faciliter la besogne en tronquant l’opinion de leurs adversaires. C’est le procédé classique des capitalistes, qui nous prêtent l’idée absurde de finir la guerre par un refus unilatéral de la continuer. Et ils nous objectent : « On ne peut pas terminer la guerre en mettant la crosse en l’air », comme le disait un soldat, représentant typique du jusqu’auboutisme révolutionnaire. Je dis que ce n’est pas une objection. C’est l’idée anarchiste suivant laquelle on peut terminer la guerre sans changer la classe au pouvoir ; c’est là, ou bien une idée anarchiste dépourvue de sens, de sens politique, ou bien une idée vaguement pacifiste, fondée sur l’incompréhension complète du lien existant entre la politique et la classe des oppresseurs. La guerre est un mal et la paix un bien. Il faut certes propager cette idée, la rendre populaire parmi les masses. Et, d’une façon générale, toutes nos résolutions sont écrites pour des milieux dirigeants, pour des marxistes. Elles ne sont aucunement faites pour être lues par les masses, mais elles doivent donner à tout propagandiste, à tout agitateur, des directives d’ensemble sur la politique. A cet effet, il est ajouté encore un paragraphe.

La conférence proteste une fois de plus contre la basse calomnie répandue par les capitalistes contre notre parti, selon laquelle nous aspirerions à une paix séparée avec l’Allemagne. Nous considérons les capitalistes allemands comme des forbans au même titre que les capitalistes russes, anglais, français et autres, et l’empereur Guillaume comme un bandit couronné de même que Nicolas II et les monarques anglais, italien, roumain et tous les autres.

Des controverses se sont produites sur ce point à la commission ; on a dit, d’une part, que nous adoptions ici un langage trop populaire et, d’autre part, que les monarques anglais, italien et roumain ne méritaient pas l’honneur d’être cités dans ce texte. Nous sommes pourtant arrivés, après une discussion approfondie, à nous accorder sur la nécessité, en ce moment où nous nous attachons à démentir les calomnies que l’on a tenté de répandre contre nous - la Birjovka (La Gazette de la Bourse) de façon le plus souvent grossière, la Retch avec finesse et l’Edinstvo par des allusions directes - de riposter par les arguments les plus frappants, destinés aux masses les plus larges. Et comme on nous dit : si vous tenez Guillaume pour un bandit, aidez-nous à le renverser, nous sommes très à l’aise pour répondre que les autres monarques sont aussi des bandits et qu’il faut également les combattre, de sorte qu’il importe de ne pas oublier les rois d’Italie et de Roumanie, qu’il se trouve aussi de ces monarques parmi nos alliés. Ces deux paragraphes repoussent les calomnies à l’aide desquelles on s’efforce de ramener les débats à la grande bagarre, à un échange d’injures. Voilà pourquoi nous devons passer ensuite à cette importante question pratique : comment finir la guerre.

Notre parti expliquera patiemment, mais opiniâtrement, au peuple, cette vérité que les guerres sont faites par les gouvernements, qu’elles sont toujours liées étroitement à la politique de classes déterminées et que cette guerre ne peut être terminée au moyen d’une paix démocratique que par le passage de tout le pouvoir, au moins dans plusieurs pays belligérants, à une classe réellement susceptible de mettre fin au joug du capital, la classe des prolétaires et des semi-prolétaires.

Pour un marxiste, cette vérité : les guerres sont faites par les capitalistes et sont liées à leurs intérêts de classe, est une vérité absolue. Un marxiste n’a pas lieu de s’y arrêter. Mais des propagandistes et des agitateurs avisés doivent savoir la démontrer aux larges masses sans user de mots étrangers, car les discussions se transforment habituellement chez nous en un simple échange d’injures absolument stérile. Nous nous y efforçons dans toutes les parties de la résolution. Nous disons : il faut, pour comprendre la guerre, demander à qui elle profite ; il faut, pour comprendre comment finir la guerre, demander à quelles classes elle ne profite pas. Le lien est ici évident ; d’où notre conclusion :

v

Ayant pris le pouvoir, la classe révolutionnaire appliquerait en Russie diverses mesures tendant à ruiner la domination économique des capitalistes et, les mettant complètement hors d’état de nuire sur le plan politique, proposerait immédiatement, au grand jour, à tous les peuples, une paix démocratique fondée sur le renoncement complet à toute espèce d’annexions.

Si nous parlons au nom de la classe révolutionnaire, le peuple est en droit de nous demander : Eh bien ! et vous, que feriez-vous à la place des autres pour finir la guerre ? La question est inévitable. Le peuple nous élit en ce moment comme ses représentants, et nous devons donner une réponse tout à fait précise. Ayant pris le pouvoir, la classe révolutionnaire commencerait par saper la domination des capitalistes et proposerait à tous les peuples des conditions précises de paix, parce que, si la domination économique des capitalistes n’est pas sapée, tout restera sur le papier. Seule une classe victorieuse peut s’acquitter de cette tâche et amener un changement de politique.

Je le répète : cette vérité exige, pour être présentée aux masses populaires peu évoluées, des transitions qui la mettent à la portée de gens non préparés. Toute l’erreur et tout le mensonge des publications populaires sur la guerre consistent à éluder cette question, à la taire, à présenter les choses comme s’il n’y avait pas de lutte des classes, comme si deux pays avaient vécu en bonne intelligence jusqu’au moment où l’un attaqua l’autre et l’obligea à se défendre. Cette façon vulgaire de raisonner ne contient pas l’ombre d’une objectivité ; de la part de gens instruits, c’est une façon de tromper sciemment le peuple. Si nous savons aborder cette question, tout homme du peuple en comprendra l’essentiel, car l’intérêt des classes dirigeantes est une chose et celui, des classes opprimées en est une autre.

Qu’adviendrait-il si la classe révolutionnaire prenait le pouvoir ?

Ces mesures et cette proposition publique de paix créeraient entre les ouvriers des pays belligérants une entière confiance réciproque...

Il ne peut y avoir de confiance en ce moment, et nous ne la créerons pas avec des phrases de manifestes. Si un penseur a dit que la langue a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée, les diplomates disent sans cesse que « les conférences se réunissent pour tromper les masses populaires ». Les capitalistes ne sont pas seuls à raisonner ainsi ; il se trouve des socialistes pour les imiter. C’est ce qu’on peut dire, notamment, de la conférence convoquée par Borgbjerg.

et amèneraient inévitablement des soulèvements du prolétariat contre les gouvernements impérialistes qui s’opposeraient à la paix proposée.

Quand un gouvernement capitaliste déclare en ce moment être « pour la paix sans annexions », personne ne le croit. Les masses populaires, guidées par l’instinct des classes opprimées, se rendent compte que rien n’a changé. La confiance et les tentatives de soulèvements ne naîtraient que lorsque la politique aurait changé en fait dans un pays. Nous parlons de « soulèvements », car il s’agit de tous les pays. « La révolution s’est produite dans un pays, elle doit maintenant se produire en Allemagne », ce raisonnement est faux. On voudrait établir un ordre de succession, mais ce ne sont pas des choses à faire. Nous avons tous vécu la révolution de 1905, nous avons tous pu entendre ou voir quel développement des idées révolutionnaires elle provoqua dans le monde entier, ce que Marx avait toujours annoncé. On ne peut ni fabriquer une révolution, ni établir un ordre de succession. Les révolutions ne se font pas sur commande, elles croissent d’elles-mêmes. Prétendre le contraire serait du charlatanisme cent pour cent, très souvent usité en Russie. On dit au peuple : vous avez fait la révolution en Russie, c’est maintenant au tour des Allemands. Si les conditions objectives changent, le soulèvement sera inévitable. Mais dans quel ordre, à quel moment, avec quel succès, nous n’en savons rien. On nous dit : si la classe révolutionnaire prend le pouvoir en Russie et que le soulèvement ne se produise pas dans d’autres pays, que fera le parti révolutionnaire ? Que faire alors ? Le dernier point de notre résolution répond à cette question.

Mais tant que la classe révolutionnaire de Russie n’aura pas pris en mains tout le pouvoir, notre parti soutiendra par tous les moyens les partis et les groupes prolétariens de l’étranger qui mènent effectivement, dès à présent, au cours de cette guerre, une lutte révolutionnaire contre leur propre gouvernement impérialiste et leur bourgeoisie.

C’est tout ce que nous pouvons promettre en ce moment, tout ce que nous devons faire. La révolution grandit dans tous les pays, mais à quel rythme et dans quelle mesure, personne n’en sait rien. Il y a dans tous les pays des hommes qui combattent en révolutionnaires leur gouvernement. C’est eux, et eux seulement, que nous devons soutenir. Voilà les faits, le reste n’est que mensonge. Et nous ajoutons :

Le parti encouragera particulièrement la fraternisation de masse dont les soldats de tous les pays belligérants ont déjà pris l’initiative sur le front...

Cette remarque répond à l’objection de Plekhanov : « Qu’en résultera-t-il ? demande Plekhanov. Vous fraterniserez, bon. Et après ? Mais cela signifie la possibilité d’une paix séparée sur le front ». C’est un tour de passe-passe, et non un argument sérieux. Nous voulons la fraternisation sur tous les fronts et nous nous en occupons. Militant en Suisse, nous avons publié un appel rédigé en deux langues (en français d’un côté, en allemand de l’autre), conçu comme ceux que nous adressons aux soldats russes, Nous ne nous bornons pas à la fraternisation entre la Russie et l’Allemagne, nous invitons tous les soldats à fraterniser. Mais comment comprendre la fraternisation ?

en s’efforçant de transformer cette manifestation spontanée de la solidarité des opprimés en un mouvement conscient, aussi organisé que possible, pour le passage de tout le pouvoir au prolétariat révolutionnaire dans tous les pays belligérants.

La fraternisation est actuellement spontanée, et il ne faut pas se leurrer à ce sujet. Nous devons en convenir : pour ne pas induire le peuple en erreur. Les soldats qui fraternisent n’ont pas de claire perspective politique. Ce qui parle en eux, c’est l’instinct des opprimés qui, épuisés, harassés, cessent de croire les capitalistes : « Pendant que vous continuerez à parler de la paix, ce que nous vous entendons faire depuis déjà deux ans et demi, nous allons commencer nous-mêmes ». Voilà ce que dit leur sûr instinct de classe. Sans cet instinct, la cause de la révolution serait sans espoir. Car, vous le savez, personne n’émanciperait les ouvriers s’ils ne s’émancipaient eux-mêmes. Mais suffit-il de cet instinct ? L’instinct seul ne nous mènerait pas loin. Et c’ est pourquoi il faut s’élever de cet instinct à la conscience.

Que doit donc devenir cette fraternisation ? Nous répondons à cette question dans l’ « appel aux soldats de tous les pays belligérants », en disant : la fraternisation doit amener le passage du pouvoir politique aux soviets des députés ouvriers et soldats *. Les ouvriers allemands donneront naturellement d’autres noms à leurs soviets, cela n’a pas d’importance. L’essentiel est que nous reconnaissons indiscutablement que ce mouvement est spontané et que, loin de nous borner à l’encourager, nous nous assignons pour fin de transformer ce rapprochement spontané des ouvriers et des paysans de tous les pays revêtus de l’uniforme en un mouvement conscient, dont le but sera d’amener dans tous les pays belligérants le passage du pouvoir politique au prolétariat révolutionnaire. Tâche très difficile ; mais la situation faite à l’humanité par le pouvoir des capitalistes est aussi infiniment difficile, et elle mène l’humanité tout droit à sa perte. Aussi suscitera-t-elle l’explosion de colère qui est le gage de la révolution prolétarienne.

Voilà la résolution que nous soumettons à l’attention de la conférence.

9. Résolution sur la guerre

I

La guerre actuelle est, de la part des deux groupes de puissances belligérantes, une guerre impérialiste, c’est-à-dire faite par les capitalistes pour la domination du monde, pour le partage du butin capitaliste, pour la conquête de marchés avantageux au capital financier, bancaire, pour l’étranglement des nations faibles.

Le passage du pouvoir en Russie de Nicolas II au gouvernement de Goutchkov, Lvov et consorts, gouvernement de grands propriétaires fonciers et de capitalistes, n’a pas modifié et ne pouvait pas modifier ce caractère et cette signification de classe de la guerre du côté russe.

Le fait que le nouveau gouvernement poursuit la même guerre impérialiste, c’est-à-dire une guerre de conquête et de brigandage, est devenu particulièrement évident lorsque, loin de publier les traités secrets conclus par l’ex-tsar Nicolas II avec les gouvernements capitalistes d’Angleterre, de France, etc., il les a formellement ratifiés. Il l’a fait sans consulter le peuple et dans l’intention manifeste de le tromper, car nul n’ignore que ces traités secrets de l’ex-tsar sont, de la première à la dernière ligne, des traités de brigandage qui promettent aux capitalistes russes le pillage de la Chine, de la Perse, de la Turquie, de l’Autriche, etc.

Aussi un parti prolétarien ne peut-il soutenir ni la guerre actuelle, ni le gouvernement actuel, ni ses emprunts, quels que soient les grands mots dont on baptise ces derniers, sans rompre complètement avec l’internationalisme, c’est-à-dire avec la solidarité fraternelle des ouvriers de tous les pays dans la lutte contre le joug du capital.

La promesse du gouvernement actuel de renoncer aux annexions, c’est-à-dire à la conquête de pays étrangers ou au maintien par la force d’autres nations dans le cadre de la Russie, ne mérite, elle non plus, aucune créance. Car, tout d’abord, les capitalistes, attachés par des milliers de liens au capital bancaire russe et anglo-français et défendant les intérêts du capital, ne peuvent renoncer aux annexions dans la guerre actuelle sans cesser d’être des capitalistes, sans renoncer aux bénéfices que leur procurent les milliards investis dans les emprunts, les concessions, les entreprises de guerre, etc. Ensuite, le nouveau gouvernement, après avoir renoncé aux annexions pour tromper le peuple, a déclaré par la voix de Milioukov, le 9 avril 1917, à Moscou, qu’il n’y renonçait pas. En troisième lieu, ainsi que l’a révélé le Diélo Naroda, journal auquel collabore le ministre Kerenski, Milioukov n’a même pas communiqué à l’étranger la déclaration où il disait renoncer aux annexions.

Mettant le peuple en garde contre les promesses creuses des capitalistes, la conférence déclare donc qu’il faut établir une distinction rigoureuse entre la renonciation verbale aux annexions et la renonciation effective qui consiste à publier immédiatement tous les traités secrets de brigandage, tous les documents de politique étrangère, ainsi qu’à procéder sans-retard à l’affranchissement total de toutes les nationalités opprimées, ou rattachées contre leur gré à la Russie, ou lésées dans leurs droits par la classe des capitalistes, continuatrice de la politique, déshonorante pour notre peuple, de l’ex-tsar Nicolas II.

II

Ce qu’on appelle le « jusqu’au-boutisme révolutionnaire », qui a gagné à l’heure actuelle en Russie presque tous les partis populistes (socialistes populaires, troudoviks, socialistes-révolutionnaires) et le parti opportuniste des sociaux-démocrates mencheviks (le Comité d’Organisation, Tchkhéidzé, Tseretelli, etc.), ainsi que la plupart des révolutionnaires sans-parti traduit, quant à sa signification de classe, d’une part les intérêts et le point de vue de la petite bourgeoisie, des petits patrons, des paysans riches qui, comme les capitalistes, tirent profit de la contrainte exercée sur les peuples faibles ; d’autre part, il est le résultat de la duperie des masses populaires par les capitalistes, qui se gardent de publier les traités secrets et s’en tirent avec des promesses et de beaux discours.

De très larges masses de « jusqu’au-boutistes révolutionnaires  » sont manifestement sincères, c’est-à-dire réellement hostiles à toute annexion, conquête ou contrainte exercée sur les peuples faibles, réellement désireuses d’une paix démocratique, non imposée par la violence, entre tous les pays belligérants. Il est Indispensable de le reconnaître, car la situation de classe des prolétaires et des semi-prolétaires de la ville et de la campagne (c’est-à-dire des gens qui vivent en totalité ou en partie de la vente de leur force de travail aux capitalistes) est telle que ces classes ne sont pas intéressées aux bénéfices des capitalistes.

Aussi la conférence considère-t-elle comme absolument inadmissible et signifiant en fait une rupture complète avec l’internationalisme et le socialisme toute concession, quelle qu’elle soit, faite au « jusqu’au-boutisme révolutionnaire », en même temps qu’elle déclare : tant que les capitalistes russes et leur gouvernement provisoire se borneront à menacer le peuple d’user de la violence (par exemple, le décret tristement célèbre de Goutchkov menaçant de sanctions les soldats qui, de leur propre chef, révoqueraient des officiers), tant que les capitalistes n’auront pas recours à la violence contre les soviets des députés ouvriers, soldats, paysans, salariés agricoles, etc., librement organisés et qui révoquent et élisent librement toutes les autorités, tant qu’on en restera là, notre parti préconisera le renoncement à la violence et combattra l’erreur profonde, l’erreur fatale du « jusqu’auboutisme révolutionnaire » par la seule persuasion fraternelle et la démonstration de cette vérité que l’aveugle crédulité des larges masses envers le gouvernement des capitalistes, ces pires ennemis de la paix et du socialisme, est actuellement en Russie le principal obstacle à l’achèvement rapide de la guerre.

III

En ce qui concerne la question la plus importante : comment terminer au plus tôt, par une paix qui ne soit pas imposée par la violence, mais vraiment démocratique, cette guerre de capitalistes ?, la conférence reconnaît et décide : on ne peut mettre fin à cette guerre par le refus des soldats d’un seul camp de la continuer, ou par la simple cessation des opérations militaires par l’une des parties belligérantes.

La conférence proteste une fois de plus contre la basse calomnie répandue par les capitalistes contre notre Parti, selon laquelle nous aspirerions à une paix séparée avec l’Allemagne. Nous considérons les capitalistes allemands comme des forbans au même titre que les capitalistes russes, anglais, français et autres, et l’empereur Guillaume comme un bandit couronné de même que Nicolas II et les monarques anglais, italien, roumain et tous les autres.

Notre parti expliquera patiemment, mais opiniâtrement, au peuple cette vérité que les guerre sont faites par les gouvernements, qu’elles sont toujours liées étroitement à la politique de classes déterminées et que cette guerre ne peut être terminée au moyen d’une paix démocratique que par le passage de tout le pouvoir, au moins dans plusieurs pays belligérants, à une classe réellement susceptible de mettre fin au joug du capital, la classe des prolétaires et des semi-prolétaires.

La classe révolutionnaire qui prendrait le pouvoir en Russie appliquerait diverses mesures tendant à ruiner la domination économique des capitalistes et, les mettant complètement hors d’état de nuire sur le plan politique, proposerait immédiatement, au grand jour, à tous les peuples, une paix démocratique fondée sur le renoncement complet à toute espèce d’annexions et de contributions. Ces mesures et cette proposition publique de paix créeraient entre les ouvriers des pays belligérants une entière confiance réciproque et amèneraient inévitablement des soulèvements du prolétariat contre les gouvernements impérialistes qui s’opposeraient à la paix proposée.

Mais tant que la classe révolutionnaire de Russie n’aura pas pris en main tout le pouvoir, notre parti soutiendra par tous les moyens les partis et les groupes prolétariens de l’étranger qui mènent effectivement, dès à présent, au cours de cette guerre, une lutte révolutionnaire contre leur propre gouvernement impérialiste et leur bourgeoisie. Le parti encouragera particulièrement la fraternisation de masse dont les soldats de tous les pays belligérants ont déjà pris l’initiative sur le front, en s’efforçant de transformer cette manifestation spontanée de la solidarité des opprimés en un mouvement conscient, aussi organisé que possible, pour le passage de tout le pouvoir au prolétariat révolutionnaire dans tous les pays belligérants.

(tous pour, moins 7 abstentions)

10. Résolution sur l’attitude envers le gouvernement provisoire

La Conférence de Russie du POSDR déclare :

1) par son caractère, le gouvernement provisoire est l’organe de la domination des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie ;

2) de même que les classes qu’il représente, il est étroitement lié, économiquement et politiquement, à l’impérialisme russe et anglo-français ;

3) il ne réalise même son propre programme qu’incomplètement et uniquement sous la pression du prolétariat révolutionnaire, et, dans une certaine mesure, de la petite bourgeoisie ;

4) les forces contre-révolutionnaires de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers, qui s’organisent en se couvrant du drapeau du gouvernement provisoire et avec la complaisance manifeste de ce dernier, s’attaquent déjà à la démocratie révolutionnaire : c’est ainsi que le gouvernement provisoire diffère la fixation de la date des élections à l’Assemblée constituante, fait obstacle à l’armement général du peuple, s’oppose au passage de toute la terre au peuple, cherche à imposer à celui-ci une solution de la question agraire conforme aux intérêts des grands propriétaires fonciers, entrave l’institution de la journée de 8 heures, encourage dans l’armée l’agitation contre-révolutionnaire (de Goutchkov et consorts), organise les cadres supérieurs de l’armée contre les soldats, etc. ;

5) parce qu’il protège les profits des capitalistes et des propriétaires fonciers, le gouvernement provisoire est incapable de prendre sur le plan économique (ravitaillement, etc.) la série de mesures révolutionnaires dont l’extrême urgence est indiscutable, en raison de la catastrophe économique imminente ;

6) d’autre part, ce gouvernement s’appuie, à l’heure actuelle, sur la confiance du soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd et sur un accord direct avec ce dernier, qui est jusqu’à présent l’organisation dirigeante pour la majorité des ouvriers et des soldats, c’est-à-dire pour la paysannerie ;

7) chaque mesure prise par le gouvernement provisoire, tant en politique étrangère qu’en politique intérieure, ouvrira les yeux des prolétaires des villes et des campagnes et des semi-prolétaires, et obligera les différentes couches de la petite bourgeoisie à choisir telle ou telle position politique.

Partant de ces considérations, la conférence décide :

1) Un travail persévérant s’impose en vue d’éclairer la conscience de classe du prolétariat et d’assurer sa cohésion dans les villes et les campagnes, devant les hésitations de la petite bourgeoisie, ce travail pouvant seul assurer le passage de tout le pouvoir aux soviets des députés ouvriers et soldats, ou à d’autres organismes traduisant directement la volonté de la majorité du peuple (organes d’auto-administration locale, Assemblée constituante, etc.).

2) Ce travail nécessite une activité multiple au sein des soviets des députés ouvriers et soldats, l’augmentation du nombre des soviets, leur consolidation, l’union dans leur sein des groupements internationalistes, prolétariens de notre parti.

3) Pour consolider et étendre immédiatement les conquêtes de la révolution sur le plan local, il faut prendre solidement appui sur la majorité de la population et développer, organiser, renforcer systématiquement ses initiatives tendant à l’exercice des libertés, à la destitution des autorités contre-révolutionnaires, à l’application de mesures d’ordre économique : contrôle de la production et de la répartition, etc.

4) La crise politique des 19, 20 et 21 avril, suscitée par la note du gouvernement provisoire, a montré que le parti gouvernemental des cadets, qui organise en fait les éléments contre-révolutionnaires dans l’armée comme dans la rue, en vient à des tentatives de répression par les armes à l’égard des ouvriers. Etant donné l’instabilité résultant de la dualité du pouvoir, la répétition de telles tentatives est inévitable, et le parti du prolétariat a le devoir absolu de dire au peuple, avec la plus grande énergie, que pour écarter la grave menace de fusillades de masse du prolétariat, comme celles des journées de juin 1848 à Paris, il est indispensable de procéder à l’ organisation et à l’armement du prolétariat, de réaliser l’ alliance la plus étroite entre le prolétariat et l’armée révolutionnaire, et de rompre avec la politique de confiance envers le gouvernement provisoire.

(tous pour sauf 3 contre et 8 abstentions)

11. Rapport sur la révision du programme du parti, 28 avril

Camarades, en ce qui concerne la révision du programme du parti, les choses se présentent de la façon suivante : on a remis à la commission un premier projet de modifications portant sur la déclaration de principe du programme et sur certains points fondamentaux de sa partie politique. Le programme doit être entièrement révisé car longtemps avant la guerre il était déjà considéré dans le parti comme complètement dépassé. Il est apparu finalement qu’il n’y avait aucune chance de pouvoir discuter un projet de modifications embrassant l’ensemble du programme. D’autre part, la commission a été unanime à reconnaître la nécessité absolue d’une révision, et, pour toute une série de questions, on peut et on doit indiquer le sens dans lequel cette révision doit s’opérer. Aussi avons-nous arrêté le projet de résolution que voici, que je vous lirai en ajoutant de brefs commentaires. Nous renonçons à présenter actuellement des thèses formulées avec précision et ne faisons qu’indiquer le sens général de la révision nécessaire.

(L’orateur donne lecture de la résolution)

La conférence estime nécessaire la révision du programme du parti dans le sens suivant :

1. Appréciation de l’impérialisme et de l’époque des guerres impérialistes en liaison avec l’imminence de la révolution socialiste ; lutte contre la déformation du marxisme par les « jusqu’auboutistes », qui ont oublié le mot d’ordre de Marx : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ».

C’est tellement clair que tout commentaire serait superflu. La politique de notre parti est allée en réalité beaucoup plus loin et a déjà adopté dans la pratique l’attitude exprimée par cette formule.

2. Rectification des thèses et des paragraphes concernant l’État, dans un sens correspondant à la revendication d’une république démocratique prolétarienne et paysanne (c’est-à-dire d’un type d’État sans police, sans armée permanente, sans corps privilégié de fonctionnaires), et non d’une république parlementaire bourgeoise.

D’autres formules furent proposées sur ce point. L’une se référait à l’expérience de la Commune de Paris et des années 1870-1880, mais une formule de ce genre trop générale n’a pas été suffisante, une autre parlait d’une république des soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, mais la majorité des camarades trouva que ce texte non plus n’était pas suffisant. Une définition est nécessaire, parce qu’il ne s’agit pas de coller un nom sur une institution, mais d’en préciser le caractère politique et la structure. En disant république prolétarienne et paysanne, nous soulignons son contenu social et son caractère politique.

3. Élimination ou rectification des parties vieillies du programme politique.

Notre activité politique générale dans les soviets des députés ouvriers et soldats est déjà entrée pratiquement dans cette voie et c’est pourquoi, nous n’en doutons pas, cette modification du programme sur ce point et la définition précise de la phase dans laquelle la révolution a trouvé notre parti ne peuvent susciter de divergences.

4. Remaniement de divers points du programme politique minimum, afin de déterminer avec plus de précision les revendications démocratiques plus conséquentes.

5. Remaniement complet, en maints endroits, de la partie économique vieillie du programme minimum, ainsi que des points se rapportant à l’instruction publique.

Le principal, c’est que ces points ont vieilli ; le mouvement syndical les a dépassés.

6. Remaniement du programme agraire conformément à la résolution adoptée sur la question agraire.

7. Inscription au programme de la nationalisation des syndicats patronaux, etc., qui sont le mieux préparés à cette mesure.

On a adopté ici une formule prudente, qui peut être interprétée dans un sens plus ou moins large selon les projets à paraître dans la presse.

8. Adjonction d’une définition des principaux courants du socialisme contemporain.

Une définition de ce genre fut ajoutée au Manifeste du parti communiste.

La conférence charge le Comité central d’élaborer dans les deux mois, sur ces bases, un projet de programme du parti à présenter pour ratification au congrès du parti. La conférence invite toutes les organisations et tous les membres du parti à discuter les projets de programme, à les amender et à élaborer des contre-projets.

Il a été indiqué que le lancement de brochures de propagande et d’un organe scientifique consacrés à cette question serait désirable, mais les hommes et les ressources nous font défaut. Cette résolution aidera à la révision rapide du programme. Elle sera envoyée aussi à l’étranger, afin que nos camarades internationalistes des autres pays puissent participer à la révision du programme entreprise par notre parti en partant de l’expérience de la guerre mondiale.

12. Résolution sur la révision du programme du parti

La conférence estime nécessaire la révision du programme du parti dans le sens suivant :

1. appréciation de l’impérialisme et de l’époque des guerres impérialistes en liaison avec l’imminence de la révolution socialiste ; lutte contre la déformation du marxisme par les « jusqu’auboutistes », qui ont oublié le mot d’ordre de Marx : « Les prolétaires n’ont pas de patrie » ;

2. rectification des thèses et des paragraphes concernant l’État, dans un sens correspondant à la revendication d’une république démocratique prolétarienne et paysanne (c’est-à-dire d’un type d’État sans police, sans armée permanente, sans corps privilégié de fonctionnaires), et non d’une république parlementaire bourgeoise ;

3. élimination ou rectification des parties vieillies du programme politique ;

4. remaniement de divers points du programme politique minimum, afin de déterminer avec plus de précision les revendications démocratiques plus conséquentes ;

5. remaniement complet, en maints endroits, de la partie économique vieillie du programme minimum, ainsi que des points se rapportant à l’instruction publique ;

6. remaniement du programme agraire conformément à la résolution adoptée sur la question agraire ;

7. inscription au programme de la nationalisation des syndicats patronaux, etc., qui sont le mieux préparés à cette mesure ;

8. adjonction d’une définition des principaux courants du socialisme contemporain.

La conférence charge le Comité central d’élaborer dans les deux mois, sur ces bases, un projet de programme du parti à présenter pour ratification au congrès du parti. La conférence invite toutes les organisations et tous les membres du parti à discuter les projets de programme, à les amender et à élaborer des contre-projets.

13. Rapport sur la question agraire, 28 avril

Camarades, la question agraire a été si amplement débattue par notre parti dès la première révolution que nous sommes, je pense, suffisamment informés à l’heure actuelle ; ceci est indirectement confirmé par le fait que la commission agraire de la conférence, formée de camarades connaissant bien et suivant de près ce problème, a approuvé le projet de résolution proposé, sans lui apporter de modifications importantes. Aussi me bornerai-je à quelques très brèves observations. Des épreuves d’imprimerie du projet ayant été distribuées à tous les membres de la conférence, il n’est pas nécessaire de donner lecture du texte intégral.

Le développement du mouvement agraire dans toute la Russie est en ce moment, aux yeux de tous, le fait le plus évident et le plus incontestable. Le programme de notre parti, adopté en 1906 au congrès de Stockholm sur la proposition des mencheviks, avait déjà été réfuté par les faits tout au long de la première révolution russe. Les mencheviks avaient fait adopter à ce congrès leur thèse de la municipalisation, qui se réduit à ceci : les terres paysannes, c’est-à-dire les terres communales et les terres attribuées aux familles, demeurent la propriété des paysans ; celles des grands propriétaires fonciers passent aux organes d’auto-administration locale. Un des principaux arguments invoqués par les mencheviks en faveur de ce programme était que les paysans ne comprendraient jamais que les terres paysannes soient transmises à d’autres qu’aux paysans. Quiconque a étudié les procès-verbaux du congrès de Stockholm se souvient que le rapporteur Maslov, et aussi Kostrov, insistèrent particulièrement sur cet argument. Il ne faut pas oublier, comme on le fait souvent, que cela se passait avant la première Douma, à un moment où le caractère et la force du mouvement paysan ne s’étaient pas encore exprimés dans les faits, objectivement. Chacun savait que l’incendie de la révolution agraire faisait rage en Russie, mais nul ne savait comment serait organisé le mouvement agraire, comment se présenterait le mouvement de la révolution paysanne. A quel point le congrès représentait l’opinion réelle, concrète, des paysans eux-mêmes, on ne pouvait s’en rendre compte. C’est ce qui explique le rôle que jouèrent ces arguments des mencheviks. Nous eûmes, peu après notre congrès de Stockholm, la première révélation significative de la façon dont la masse paysanne considérait cette question. Le projet troudovik dit « des 104 » fut présenté à la première et à la deuxième Douma par les paysans eux- mêmes. J’ai étudié tout spécialement les signatures de ce projet, je me suis renseigné en détail sur les opinions des députés, sur la classe à laquelle ils appartenaient, jusqu’à quel point il était permis de les qualifier de paysans. Et j’ai affirmé catégoriquement, dans un livre que la censure tsariste a brûlé et que je rééditerai quand même, que la très grande majorité de ces 104 signatures étaient des signatures de vrais paysans. Ce projet réclamait la nationalisation du sol. Les paysans disaient que la terre tout entière devait passer à l’État.

Il s’agit donc d’expliquer pourquoi les représentants des paysans de toute la Russie dans les Doumas des deux premières législatures ont préféré la nationalisation à la mesure que les mencheviks proposèrent dans les deux Doumas en se plaçant au point de vue des intérêts du paysan. Les mencheviks proposaient que les paysans gardent la terre en toute propriété et que seules les grandes propriétés foncières soient mises à la disposition du peuple ; les paysans disaient par contre vouloir faire de toutes les terres la propriété du peuple. Comment expliquer cela ? Les socialistes-révolutionnaires l’expliquent en disant que les paysans russes voient d’un œil favorable la socialisation, le principe troudovik, en raison de l’existence dans les campagnes du principe de la communauté du sol. Il n’y a pas le moindre grain de bon sens dans toute cette phraséologie ; ce ne sont que des mots. Quelle est alors, l’explication ? Je pense que les paysans sont arrivés à cette conclusion parce que tout le régime de la propriété du sol en Russie, qu’il s’agisse des paysans ou des grands propriétaires fonciers, des communautés ou des familles, est profondément imprégné des survivances de l’ancien demi-servage ; les conditions du marché obligeaient les paysans à exiger que le sol devînt propriété du peuple tout entier. Les paysans disent que les complications l’ancien régime agraire ne peuvent être éliminées que par la nationalisation. Leur point de vue est bourgeois : ils conçoivent la jouissance égalitaire du sol comme une confiscation des terres des grands propriétaires fonciers, mais non comme une égalisation des propriétés paysannes. La nationalisation veut dire que toutes les terres seront réparties par tête d’habitant. C’est un projet bourgeois par excellence. Pas un paysan n’a parlé d’égalité, de socialisation ; mais tous ont dit qu’il était impossible d’attendre davantage, qu’il fallait « décloisonner » toutes les terres ; bref, qu’il était impossible, au XXe siècle, d’en continuer l’exploitation à l’ancienne manière. Depuis lors, la réforme de Stolypine a compliqué encore la question agraire. Voilà ce que veulent dire les paysans lorsqu’ils exigent la nationalisation. Cela signifie que toutes les terres, en général, doivent être réparties d’une nouvelle façon. Il ne doit pas y avoir plusieurs formes de propriété du sol. Pas question ici de la moindre socialisation. Cette revendication des paysans s’appelle égalitaire parce qu’il y a, comme le montre un bilan sommaire de la statistique de la propriété foncière en 1905, 2 000 hectares de terre pour 300 familles paysannes comme pour une famille de grand propriétaire foncier ; en ce sens, le projet est évidemment égalitaire, mais il ne s’ensuit pas qu’il entende égaliser toutes les petites exploitations entre elles. Le « projet des 104 » dit le contraire.

Voilà l’essentiel de ce qu’il est nécessaire de dire pour justifier scientifiquement l’opinion selon laquelle la nationalisation est nécessaire en Russie du point de vue démocratique bourgeois. Mais elle est aussi nécessaire parce qu’elle portera un coup terrible à la propriété privée des moyens de production. Il serait franchement absurde de penser que tout restera comme par le passé en Russie après l’abolition de la propriété privée du sol.

Le projet formule ensuite des conclusions et revendications pratiques. Parmi les rectifications d’importance secondaires, je veux souligner les suivantes : il est dit au premier point : « Le parti du prolétariat soutient de toutes ses forces la confiscation immédiate et complète de toutes les terres des grands propriétaires fonciers... » Il faut mettre « lutte pour » au lieu de « soutient ». Nous ne disons pas : « Les paysans ont peu de terre et il leur en faut davantage ». C’est une opinion courante. Nous disons que la grande propriété foncière est la base de l’oppression qui étouffe la paysannerie et la condamne à un état d’infériorité. Que les paysans aient peu ou beaucoup de terre, ce n’est pas là l’essentiel. A bas le servage ! Voilà comment se pose la question du point de vue de la lutte de classe révolutionnaire, et non de celui des fonctionnaires qui se demandent combien les paysans ont de terre et selon quelle norme il faut la leur répartir. Je propose d’inverser l’ordre des deuxième et troisième points, parce que ce qui importe pour nous, c’est l’initiative révolutionnaire, la loi devant en être le résultat. Si vous attendez que la loi soit écrite au lieu de développer vous-mêmes votre énergie révolutionnaire, vous n’aurez ni loi ni terre.

On objecte très souvent à la nationalisation qu’elle suppose un formidable appareil bureaucratique. C’est vrai, mais la propriété de l’État signifie que chaque paysan loue la terre à l’État. La sous-location est interdite. Quant à la quantité de terre que loue le paysan et au lot qui revient, ces questions sont entièrement du ressort de l’organe démocratique compétent, et non d’un organe bureaucratique.

Au lieu de « valets de ferme » (batrak), nous mettons « ouvriers agricoles ». Plusieurs camarades ont déclaré que le mot batrak était offensant ; on a fait des objections à l’emploi de ce mot. Il faut l’écarter.

On ne saurait parler en ce moment de comités ou de soviets de prolétaires et de paysans pour régler la question agraire, car les paysans ont créé, nous le voyons, les soviets des députés soldats, et ainsi une division s’est déjà produite entre prolétariat et paysans.

Les partis jusqu’au-boutistes petits-bourgeois sont partisans, comme on le sait, d’attendre l’Assemblée constituante pour régler la question agraire. Nous, nous prononçons pour le passage immédiat de la terre aux paysans avec le maximum d’organisation. Nous sommes absolument contre les réquisitions anarchiques. Vous proposez aux paysans de se mettre d’accord avec les propriétaires fonciers. Nous disons qu’il faut prendre et ensemencer la terre tout de suite pour combattre la disette de blé et préserver le pays de la catastrophe qui se rapproche à une vitesse vertigineuse. On ne peut pas adopter en ce moment les recettes de Chingarev et des cadets, qui proposent d’attendre l’Assemblée constituante dont la date de réunion est inconnue, ou de s’accorder avec les propriétaires fonciers sur la location des terres. Les paysans s’emparent déjà du sol sans verser d’indemnités ou ne payent que le quart des fermages.

Un camarade nous a apporté une résolution de la province de Penza, dans laquelle il est dit que les paysans s’emparent du matériel agricole des grands propriétaires fonciers, mais que, au lieu de le diviser par familles, ils l’érigent en propriété sociale. Ils établissent un tour d’utilisation, un règlement afin que ce matériel serve à la culture de toutes les terres. Ils s’inspirent, en recourant à ces mesures, de la volonté d’augmenter la production agricole. Ce fait a une importance de principe capitale, en dépit des grands propriétaires fonciers et des capitalistes qui crient à l’anarchie. Si vous vous mettez à crier à l’anarchie et à bavarder là-dessus pendant que les paysans attendront, alors ce sera vraiment l’anarchie. Les paysans montrent qu’ils comprennent mieux que les fonctionnaires les conditions économiques et le contrôle public et qu’ils l’appliquent cent fois mieux qu’eux. Une telle mesure, évidemment facile à appliquer dans un petit village, incite inéluctablement à en prendre de plus grandes. Si les paysans en font l’apprentissage, et ils ont dé- jà commencé, point n’est besoin pour cela du savoir des professeurs bourgeois, ils concluront eux-mêmes à la nécessité d’utiliser le matériel agricole non seulement dans les petites exploitations, mais pour cultiver toutes les terres. Peu importe la façon dont ils s’y prennent. Unissent-ils les parcelles pour le labour et l’ensemencement en commun ? Nous ne le savons pas, et peu importe qu’ils agissent ainsi ou différemment. Le seul fait important, c’est qu’ils n’ont pas affaire, par bonheur, à cette grande quantité d’intellectuels petits-bourgeois qui se disent marxistes, sociaux-démocrates, et enseignent au peuple, en prenant des airs importants, que le temps de la révolution socialiste n’est pas encore venu et que, par conséquent, les paysans ne doivent pas prendre la terre dès à présent. Il y a, par bonheur, fort peu de ces messieurs dans les campagnes russes. Si les paysans se bornaient à prendre la terre à la suite d’accords avec les propriétaires fonciers, mais sans appliquer collectivement leur expérience, la faillite serait certaine, et les comités paysans ne seraient qu’un jouet, un vain amusement. C’est pourquoi nous proposons d’ajouter au projet de résolution le point 8 *.

Du moment que nous savons que les paysans ont pris eux-mêmes cette initiative, sur place, notre devoir est de dire que nous, la soutenons et la recommandons. Là seulement est le gage que la révolution ne se limitera pas à des mesures d’un caractère formel, que la lutte contre la crise ne restera pas l’objet des délibérations de chancelleries et des gribouillages de Chingarev, mais que les paysans iront réellement de l’avant, avec ensemble, dans la lutte contre la disette de blé et pour une production plus élevée.

14. Réplique à N. Angarski au cours des débats sur la question agraire, 28 avril

Camarades, il me semble apercevoir chez le camarade Angarski diverses contradictions. A propos de la base matérielle des tendances à la nationalisation. Les paysans n’ont aucune idée de la nationalisation. Je dis qu’il existe des conditions de marché national russe et de marché international, et que cela se traduit par des prix élevés du blé. Tout paysan constate les variations de ces prix, les connaît, les éprouve. Il faut une organisation économique tenant compte de ces conditions, de ces prix. Je dis que le désaccord entre l’ancien régime de propriété des terres et la nouvelle structure économique est absolu, et que ce désaccord explique pourquoi les paysans se ruent en avant. Le paysan est un propriétaire, dit le camarade Angarski. Et il a parfaitement raison. C’est là-dessus que Stolypine voulait fonder sa modification des rapports agraires ; il a fait tout son possible et n’a pourtant pas réussi, la modification de ces rapports étant impossible sans une refonte révolutionnaire. Telle est la base matérielle des tendances des paysans à la nationalisation du sol, leur ignorance étant par ailleurs complète quant à la nature de la nationalisation. Le paysan propriétaire est porté d’instinct à dire que la terre est à Dieu, parce qu’on ne peut pas vivre dans les anciennes conditions de propriété. Ce que propose le camarade Angarski n’est que malentendu. Le deuxième alinéa dit que le régime de la propriété paysanne des terres est, de bas en haut, de long en large, dominé par des vieux liens et rapports de demi-servage. Mais parle-t-il des terres des grands propriétaires fonciers ? Non. L’amendement du camarade Angarski se fonde sur un malentendu. Il me prête des choses que je n’ai pas dites et dont les paysans n’ont même pas idée. Les paysans connaissent la situation mondiale par les prix du blé et des articles de consommation courante ; et si un chemin de fer passe par le village, le paysan en ressent les effets dans sa propre exploitation. On ne peut pas vivre à l’ancienne manière. Voilà ce qu’il éprouve, et il exprime ce sentiment sous la forme d’une revendication radicale : A bas tout l’ancien régime de propriété des terres ! Le paysan veut être un propriétaire, mais sur un sol divisé d’une façon nouvelle, afin de travailler sur une terre dont la possession serait déterminée par ses besoins actuels, et non par ceux que lui prescrivent des fonctionnaires. Cela le paysan le sait bien, tout en l’exprimant naturellement sous une autre forme, et c’est ce qui constitue la base matérielle des tendances à la nationalisation du sol.

15. Résolution sur la question agraire

La grande propriété foncière est en Russie la base matérielle du pouvoir des féodaux de la terre et le gage d’une restauration éventuelle de la monarchie. Elle voue inéluctablement l’immense majorité de la population de la Russie, la paysannerie, à la misère, à la servitude, à l’abêtissement ; elle condamne le pays entier à un état d’infériorité dans tous les domaines de la vie.

La propriété paysanne en Russie, tant concédée (aux communautés et aux familles paysannes) que privée (terres louées et achetées), est de bas en haut, de long en large, dominée par les vieux liens et rapports de demi-servage, par la division des paysans en catégories héritées du servage, par la dispersion des parcelles, etc., etc. La nécessité d’abattre toutes ces barrières surannées et nuisibles, la nécessité de « décloisonner » la terre, de refondre tous les rapports de propriété et d’exploitation de la terre en les adaptant aux conditions nouvelles de l’économie du pays et du monde entier, constitue la base matérielle des tendances des paysans à la nationalisation de toutes les terres dans l’État.

Quelles que soient les utopies petites-bourgeoises dont tous les partis et groupes populistes parent la lutte des masses paysannes contre la propriété des féodaux et, d’une façon générale, contre toutes les entraves de caractère féodal, qui pèsent sur la possession et la jouissance de la terre en Russie, cette lutte traduit par elle-même une tendance démocratique bourgeoise caractérisée, tendance indéniablement progressive et économiquement nécessaire à la destruction radicale de toutes ces entraves.

La nationalisation du sol, mesure bourgeoise, donne à la lutte des classes le champ libre, autant qu’il est possible et concevable dans la société capitaliste, ainsi qu’une jouissance libre du sol, débarrassée de toutes les survivances antérieures au régime bourgeois. De plus, en abolissant la propriété privée des terres, la nationalisation du sol porterait pratiquement un coup si formidable à la propriété privée de tous les moyens de production en général, que le parti du prolétariat doit contribuer par tous les moyens à la réalisation de cette réforme.

D’autre part, la paysannerie riche de Russie a depuis longtemps créé les éléments d’une bourgeoisie rurale, éléments que la réforme agraire de Stolypine a sans aucun doute renforcés, multipliés, affermis. A l’autre pôle du village se sont de même multipliés les ouvriers salariés de l’agriculture, les prolétaires et la masse de paysans semi-prolétaires qui leur sont apparentés ; ils sont devenus une force.

Plus la destruction et la suppression de la grande propriété foncière se feront avec résolution et esprit de suite, plus on procédera avec résolution et esprit de suite, d’une façon générale, à la réforme agraire démocratique bourgeoise en Russie, et plus la lutte de classe du prolétariat agricole se développera rapidement et énergiquement contre la paysannerie riche (la bourgeoisie rurale).

Selon que le prolétariat des villes réussira à entraîner derrière lui le prolétariat rural et à lui adjoindre la masse des sous-prolétaires des campagnes, ou que cette masse suivra la bourgeoisie paysanne encline à s’allier à Goutchkov, à Milioukov, aux capitalistes et aux grands propriétaires fonciers et, d’une façon générale, à la contre-révolution, le sort et l’issue de la révolution russe seront décidés dans un sens ou dans un autre, pour autant que la révolution prolétarienne qui commence en Europe n’exercera pas directement sur notre pays sa puissante influence.

Partant de cette situation des classes et du rapport des forces en présence, la conférence décide :

1. Le parti du prolétariat lutte de toutes ses forces pour la confiscation immédiate et complète de toutes les terres de grands propriétaires fonciers de Russie (et aussi des terres des apanages, de l’Église, de la couronne, etc.)

2. Le parti s’affirme résolument pour le passage immédiat de toutes les terres aux paysans organisés en soviets des députés paysans, ou dans d’autres organismes d’auto-administration locale élus d’une façon vraiment et pleinement démocratique et jouissant d’une entière indépendance à l’égard des grands propriétaires fonciers et des fonctionnaires.

3. Le parti du prolétariat exige la nationalisation de toutes les terres du pays en entendant par nationalisation le transfert à l’État du droit de propriété sur toutes les terres, le droit d’en disposer étant laissé aux institutions démocratiques locales.

4. Le parti doit lutter résolument contre le gouvernement provisoire, qui, par la bouche de Chingarev ainsi que par ses propres déclarations collectives, impose aux paysans un « accord à l’amiable avec les grands propriétaires fonciers », c’est-à-dire, en fait, une réforme de tendance nettement seigneuriale, et menace de châtier les paysans pour « actes arbitraires », une minorité de la population (grands propriétaires fonciers et capitalistes) devant ainsi exercer la violence contre la majorité ; le parti doit combattre également les hésitations petites-bourgeoises de la majorité des populistes et des sociaux-démocrates mencheviks, qui recommandent aux paysans de ne pas prendre toute la terre avant l’Assemblée constituante.

5. Le parti recommande aux paysans de prendre la terre de façon organisée, sans causer le moindre dégât aux biens, et en ayant soin d’augmenter la production.

6. D’une façon générale, toutes les réformes agraires ne peuvent être efficaces et durables que si l’État tout entier est pleinement démocratisé, c’est-à-dire, d’une part, si l’on supprime la police, l’armée permanente et le corps privilégié de fonctionnaires ; et si, d’autre part, on institue l’autonomie administrative locale la plus large, entièrement dégagée de toute surveillance ou tutelle s’exerçant d’en haut.

7. Il faut immédiatement et en tous lieux commencer à organiser à part, et de façon autonome, le prolétariat agricole, tant sous la forme de soviets des députés des ouvriers agricoles (et aussi de soviets distincts de députés des paysans semi-prolétaires) que sous la forme de fractions ou groupes prolétariens dans les soviets communs des députés paysans, dans tous les organismes d’auto-administration des villes et des campagnes, etc.

8. Le parti doit soutenir l’initiative des comités paysans qui, dans diverses régions de la Russie, transmettent le cheptel mort et vif des grands propriétaires fonciers aux paysans organisés dans ces comités, afin qu’il soit utilisé pour la culture de toutes les terres, suivant un règlement établi par la collectivité.

9. Le parti du prolétariat doit recommander aux prolétaires et aux sous-prolétaires des campagnes de transformer chaque grand domaine en une entreprise agricole modèle assez importante, gérée pour le compte de la société par les soviets des députés des ouvriers agricoles, sous la direction d’agronomes et en usant de la meilleure technique.

16. Résolution sur l’union des internationalistes contre le bloc jusqu’auboutiste petit-bourgeois

Considérant :

1) que les partis socialiste-révolutionnaire, social-démocrate menchevik, etc., sont passés, dans l’immense majorité des cas, sur les positions du « jusqu’au-boutisme révolutionnaire », c’est-à-dire qu’ils soutiennent la guerre impérialiste (en votant les emprunts et en soutenant le gouvernement provisoire, qui représente les intérêts du capital) ;

2) que, par toute leur politique, ces partis défendent les intérêts et les vues de la petite bourgeoisie et corrompent le prolétariat en le soumettant à l’influence de la bourgeoisie, en lui suggérant qu’il serait soi-disant possible de modifier la politique impérialiste du gouvernement et de lui faire abandonner la voie des attentats contre-révolutionnaires à la liberté en passant avec lui des accords, en le « contrôlant », en entrant dans le ministère, etc. ;

3) que cette politique alimente et renforce les sentiments de crédulité aveugle des masses envers les capitalistes, alors que ces sentiments constituent le principal obstacle au développement de la révolution et rendent possible sa défaite par la contre-révolution des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie,

la conférence décide :

1) que l’union avec les partis et les groupes qui pratiquent cette politique est absolument impossible ;

2) que le rapprochement et l’union avec les groupes et les courants qui se placent réellement sur le terrain de l’internationalisme sont indispensables, sur la base de la rupture avec la politique petite-bourgeoise de trahison du socialisme.

17. Résolution sur les soviets des députés ouvriers et soldats

Après avoir étudié le rapport et les communications des camarades travaillant dans les soviets des députés ouvriers et soldats de diverses localités de Russie, la conférence définit sa position comme suit :

Dans toute une série de localités de province, la révolution va de l’avant, par l’organisation spontanée du prolétariat et de la paysannerie au sein des soviets, par l’élimination, sur l’initiative d’en bas, des anciennes autorités, par la création d’une milice ouvrière et paysanne, par le passage de toutes les terres aux mains des paysans, par l’instauration du contrôle ouvrier dans les fabriques, par l’introduction de la journée de huit heures, par l’augmentation des salaires, par la continuation de la production sans baisse de rendement, par le contrôle des ouvriers sur la répartition des vivres, etc.

Cette croissance de la révolution en étendue et en profondeur dans les provinces marque, d’une part, l’essor du mouvement en faveur du passage de tout le pouvoir aux soviets et de l’instauration du contrôle des ouvriers et des paysans eux-mêmes sur la production ; elle garantit d’autre part que les forces s’organisent dans tout le pays en vue de la deuxième étape de la révolution, qui doit faire passer la totalité du pouvoir aux soviets ou à d’autres organes exprimant directement la volonté de la majorité du peuple (organes d’auto-administration locale, assemblée constituante, etc.).

Le passage du pouvoir aux soviets dans les capitales et dans certaines grandes villes soulève des difficultés considérables et demande une préparation particulièrement longue des forces du prolétariat. C’est là que les forces principales de la bourgeoisie se trouvent concentrées. C’est là qu’est poussée le plus loin la politique d’entente avec la bourgeoisie, politique qui entrave fréquemment l’initiative révolutionnaire des masses et restreint leur autonomie, ce qui est particulièrement dangereux en raison du rôle dirigeant que ces soviets exercent sur la province.

C’est pourquoi le parti du prolétariat a pour tâche, d’une part, de favoriser par tous les moyens le développement de la révolution sur le plan local, comme nous l’avons rappelé plus haut, et, d’autre part, de lutter systématiquement au sein des soviets (par la propagande et en suscitant leur renouvellement), pour assurer le triomphe de la ligne prolétarienne ; tous les efforts et toute l’attention doivent être portés sur la masse des ouvriers et des soldats, sur la différenciation à établir entre la ligne prolétarienne et la ligne petite-bourgeoise, la ligne internationaliste et la ligne jusqu’auboutiste, la ligne révolutionnaire et la ligne opportuniste, sur l’organisation et l’armement des ouvriers, sur la préparation de leurs forces pour l’étape suivante de la révolution.

La conférence déclare une fois de plus qu’il est indispensable de poursuivre un travail systématique dans tous les domaines à l’intérieur des soviets des députés ouvriers et soldats, d’en augmenter le nombre, d’en accroître les forces et d’unir étroitement dans leur sein les groupes prolétariens, internationalistes, de notre parti.

18. Discours sur la question nationale, 29 avril

À partir de 1903, date à laquelle notre parti adopta son programme, nous avons sans cesse rencontré une opposition acharnée, de la part des camarades polonais. Si vous étudiez les procès-verbaux du IIe Congrès, vous verrez qu’ils y exposaient déjà les arguments auxquels nous avons affaire en ce moment ; et les sociaux-démocrates polonais (SDKP) quittèrent ce congrès, estimant ne pas pouvoir accepter, quant à eux, la reconnaissance aux nationalités du droit de disposer d’elles-mêmes. Depuis lors, nous nous sommes chaque fois heurtés à cette même question. L’impérialisme existait déjà en 1903, mais à l’époque il ne servit pas d’argument. Aujourd’hui, comme alors, l’attitude prise par la sociale-démocratie polonaise constitue une erreur monstrueuse : ces gens voudraient ramener l’attitude de notre parti à celle des chauvins.

La politique de la Pologne est pleinement nationale, par suite de la longue oppression russe, et le peuple polonais est hanté par le désir de se venger de la Moscovie. Nul n’a opprimé autant les Polonais que le peuple russe. Celui-ci a été entre les mains des tsars le bourreau de la liberté polonaise. Il n’y a pas de peuple qui voue à la Russie une haine aussi farouche que les Polonais, il n’y a pas de peuple qui porte une telle désaffection à la Russie, et il en résulte une situation originale. La Pologne est un obstacle au mouvement socialiste à cause de la bourgeoisie polonaise. Que l’univers entier s’embrase, pourvu que la Pologne reste libre. Il est évident que poser ainsi la question, c’est se moquer de l’internationalisme. Certes, la Pologne vit actuellement sous la contrainte ; mais que les nationalistes polonais puissent compter sur la libération de leur pays par la Russie, c’est une trahison de l’Internationale. Or, les nationalistes polonais ont fait pénétrer leurs idées si profondément dans l’esprit du peuple polonais que c’est bien ainsi qu’on voit là-bas les choses.

L’immense mérite historique des camarades sociaux-démocrates polonais, c’est d’avoir formulé le mot d’ordre de l’internationalisme et d’avoir dit : L’alliance fraternelle avec le prolétariat de tous les autres pays nous importe par-dessus tout, et nous ne ferons jamais la guerre pour la libération de la Pologne. Là est leur mérite, et c’est pourquoi nous n’avons jamais considéré comme des socialistes que ces camarades sociaux-démocrates polonais. Les autres sont des nationalistes, des Plekhanov polonais. Mais cette situation originale dans laquelle des hommes devaient, pour sauver le socialisme, combattre un nationalisme effréné, morbide, a eu une conséquence singulière ; des camarades viennent nous dire que nous devons renoncer à la liberté de la Pologne, renoncer à sa séparation.

Pourquoi nous, Grands-Russes, qui opprimons un plus grand nombre de nationalités que tout autre peuple, devons-nous refuser de reconnaître le droit de séparation de la Pologne, de l’Ukraine de la Finlande ? On nous propose de devenir des chauvins, afin de faciliter ainsi la tâche des sociaux-démocrates de Pologne. Nous ne prétendons pas, dit-on, à la libération de la Pologne, car le peuple polonais vit entre deux États capables de se battre. Mais au lieu de dire que les ouvriers polonais doivent raisonner comme suit : Seuls les sociaux-démocrates qui considèrent que le peuple polonais doit être libre demeurent des démocrates, la place des chauvins n’étant pas dans les rangs d’un parti socialiste, les sociaux-démocrates polonais disent : Nous sommes contre la séparation de la Pologne précisément parce que nous trouvons avantageuse l’alliance avec les ouvriers russes. C’est leur droit absolu. Mais ils ne veulent pas comprendre qu’il faut, pour affermir l’internationalisme, mettre l’accent en Russie sur le droit de séparation des nations opprimées et en Pologne sur la liberté de rattachement, et non répéter indéfiniment les mêmes mots. La liberté de rattachement suppose la liberté de séparation. Nous autres, Russes, devons souligner la liberté de séparation, tandis qu’en Pologne on doit insister sur la liberté de rattachement.

Nous sommes ici en présence de sophismes aboutissant à un reniement complet du marxisme. Le point de vue du camarade Piatakov est calqué sur celui de Rosa Luxemburg. Eexemple de la Hollande... Ainsi raisonne le camarade Piatakov, et l’argument se retourne contre lui, car, étant en théorie pour la négation de la liberté de séparation, il dit au peuple : N’est pas socialiste quiconque nie la liberté de séparation. Ce qu’a dit ici le camarade Piatakov est d’une confusion incroyable. En Europe occidentale, dans la plupart des pays la question nationale est depuis longtemps résolue. Quand on dit que la question nationale est résolue, on pense à l’Europe occidentale. Le camarade Piatakov étend cette affirmation à l’Europe orientale, à laquelle elle ne s’applique pas, et nous aboutissons à une situation ridicule.

Voyez un peu à quel terrible galimatias l’on aboutit ! Car enfin, la Finlande est à deux pas. Le camarade Piatakov ne donne pas à son sujet de réponse concrète, il barbote dans la confusion. Vous avez lu hier dans la Rabotchaïa Gazéta que là-bas le séparatisme grandit. Les Finlandais viennent dire que le séparatisme grandit chez eux, les cadets n’accordant pas à la Finlande l’autonomie complète. La crise grandit avec le mécontentement provoqué par le gouverneur général Roditchev ; et la Rabotchaïa Gazéta écrit que les Finlandais doivent attendre l’Assemblée constituante, qui réalisera l’accord entre la Finlande et la Russie. Quel accord ? Les Finlandais doivent dire qu’ils ont le droit de décider comme ils l’entendent de leurs destinées, et le Grand-Russe qui leur contesterait ce droit serait un chauvin. Le cas serait différent si nous disions à l’ouvrier finlandais : comme il te sera avantageux de décider...

Le camarade Piatakov se borne à repousser notre mot d’ordre, en disant que ce n’est pas un mot d’ordre de révolution socialiste. Mais il n’apporte pas lui-même la solution désirée. La méthode de révolution socialiste sous le mot d’ordre « À bas les frontières » est une confusion complète. Nous n’avons pas réussi à publier l’article dans lequel je qualifiais cette opinion d’ « économisme impérialiste ».Que signifie cette « méthode » de révolution socialiste sous le mot d’ordre : « À bas les frontières » ? Nous affirmons la nécessité de l’État et l’État suppose des frontières. L’État peut, il est vrai, contenir un gouvernement bourgeois, alors qu’il nous faut les soviets. Mais la question des frontières se pose aussi pour ces derniers. Que veut dire « À bas les frontières » ? Ici commence l’anarchie... La « méthode » de révolution socialiste sous le mot d’ordre « À bas les frontières » n’est que galimatias. Quand la révolution socialiste sera mûre, quand elle éclatera, elle gagnera d’autres pays et nous l’y aiderons, mais nous ne savons pas comment. La « méthode de révolution socialiste » est une phrase dénuée de sens. Comme il reste des questions non résolues par la révolution bourgeoise, nous estimons qu’il faut les résoudre. Nous sommes indifférents, neutres envers le mouvement séparatiste. Si la Finlande, la Pologne, l’Ukraine se séparent de la Russie, nous n’y verrons aucun mal. Quel mal y aurait-il à cela ? Chauvin qui le dira. Il faut être fou pour continuer la poli- tique du tsar Nicolas. La Norvège s’est bien séparée de la Suède... Il fut un temps où Alexandre 1er et Napoléon échangeaient des peuples, où les tsars troquaient la Pologne. Et nous continuerions cette tactique des tsars ? Ce serait renoncer à celle de l’internationalisme, ce serait du chauvinisme de la pire espèce. Où est le mal si la Finlande se sépare ? Chez les peuples norvégien et suédois, chez les prolétaires de ces deux pays, la confiance mutuelle s’est affermie après la séparation. Les grands propriétaires fonciers de Suède avaient eu des velléités de guerre, mais les ouvriers suédois s’y sont opposés en déclarant qu’ils ne marcheraient pas.

Les Finlandais ne veulent en ce moment que l’autonomie. Nous pensons que la liberté entière doit être accordée à la Finlande, la confiance dans la démocratie russe grandira d’autant, et c’est alors que les Finlandais ne penseront plus à se séparer, quand cette mesure sera appliquée. Quand M. Roditchev se rend chez les Finlandais et se met à leur marchander l’autonomie, les camarades finlandais viennent nous dire : Nous voulons l’autonomie. Mais on fait feu sur eux de toutes les pièces, on leur dit : « Attendez l’assemblée constituante ». Nous disons, nous : « Le socialiste russe qui refuse la liberté à la Finlande est un chauvin ».

Nous disons que les frontières doivent être déterminées par la volonté des populations. Que la Russie cesse de faire la guerre pour la Lettonie ! Que l’Allemagne évacue ce pays ! Voilà comment nous tranchons la question de la séparation. Le prolétariat ne peut pas recourir à la contrainte, car il ne doit pas entraver la liberté des peuples. Le mot d’ordre « À bas les frontières », sera juste quand la révolution socialiste deviendra une réalité, au lieu d’être une méthode, et nous dirons alors : Camarades, venez à nous...

Tout autre chose est la question de la guerre. Nous ne nous refuserons pas à mener, au besoin, une guerre révolutionnaire. Nous ne sommes pas des pacifistes... Quand Milioukov, installé chez nous au pouvoir, envoie Roditchev en Finlande y marchander sans vergogne avec le peuple finlandais, nous disons : Que le peuple russe se garde de faire violence à la Finlande. Un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre. Nous disons dans la résolution concernant la proposition de Borgbjerg : Évacuez les pays occupés par vos troupes et laissez les nations décider elles-mêmes de leur sort. Si le Soviet prenait demain le pouvoir, ce ne serait pas la « méthode de révolution socialiste », - nous dirions : Allemagne, évacue la Pologne ; Russie, évacue l’Arménie, autrement ce serait une duperie.

Le camarade Dzerjinski nous dit de sa Pologne opprimée que tout le monde y est chauvin. Mais pourquoi aucun des Polonais n’a-t-il soufflé mot de la façon dont nous devons nous comporter à l’égard de la Finlande, à l’égard de l’Ukraine ? Nous en avons tant discuté depuis 1903 qu’il devient pénible d’y revenir. Va où tu veux... Quiconque ne se place pas à ce point de vue est un annexionniste, un chauvin. Nous voulons l’alliance fraternelle de tous les peuples. La confiance mutuelle, les liens réciproques ne seront que plus grands s’il y a une république ukrainienne et une république russe. Si les Ukrainiens voient chez nous une République des soviets, ils ne se sépareront pas de nous, mais si nous avons une république Milioukov, ils se sépareront. Quand le camarade Piatakov a dit, en pleine contradiction avec lui-même : Nous sommes contre le maintien forcé d’un peuple dans les frontières russes, il a précisément reconnu le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Nous ne voulons nullement que le moujik de Khiva vive sous le joug de son Khan. Le développement de notre révolution agira sur les masses opprimées. C’est seulement ainsi qu’il faut envisager l’agitation au sein des masses opprimées.

Mais tout socialiste russe qui se refuse à reconnaître la liberté de la Finlande et de l’Ukraine versera dans le chauvinisme. Et nul sophisme, nulle référence à sa « méthode » ne lui permettra jamais de se justifier.

19. Résolution sur la question nationale

La politique d’oppression nationale, héritage de l’autocratie et de la monarchie, est appuyée par les grands propriétaires fonciers, les capitalistes et la petite bourgeoisie, qui veulent ainsi préserver leurs privilèges de classe et diviser les ouvriers des diverses nationalités. L’impérialisme contemporain, qui renforce la tendance à la subordination des peuples faibles, est un nouveau facteur d’aggravation de l’oppression nationale.

Pour autant que la suppression du joug national est réalisable dans la société capitaliste, elle n’est possible que lorsque l’État se trouve sous le régime d’une république démocratique conséquente, assurant l’égalité complète de toutes les nations et de toutes les langues.

À toutes les nations composant la Russie doit être reconnu le droit de se séparer librement et de se constituer en États indépendants. Nier ce droit et ne pas prendre des mesures propres à garantir son application pratique équivaut à soutenir la politique de conquêtes ou d’annexions. Seule la reconnaissance par le prolétariat du droit des nations à se séparer assure la solidarité complète des ouvriers des différentes nations et favorise un véritable rapprochement démocratique des nations.

Le conflit qui vient de se produire entre la Finlande et le gouvernement provisoire russe montre de toute évidence que la négation du droit de se séparer librement amène à continuer purement et simplement la politique du tsarisme.

Il n’est pas permis de confondre le droit des nations à se séparer librement avec l’utilité de se séparer pour telle ou telle nation, à tel ou tel moment. Ce dernier problème, le parti du prolétariat doit le résoudre, dans chaque cas particulier, d’une façon absolument indépendante, en se plaçant au point de vue des intérêts de l’ensemble du développement social et des intérêts de la lutte de classe du prolétariat pour le socialisme.

Le parti réclame une large autonomie régionale, la suppression de la surveillance s’exerçant d’en haut, l’abolition de la langue officielle obligatoire et la délimitation des frontières des régions autonomes ou s’administrant par leurs propres moyens, les habitants de ces régions devant eux-mêmes tenir compte à cet effet des conditions économiques et de vie, de la composition nationale de la population, etc.

Le parti du prolétariat rejette catégoriquement ce qu’on appelle l’«autonomie culturelle nationale », qui revient à retirer du ressort de l’État l’organisation des écoles, etc., et la remise de celles-ci entre les mains de sortes de diètes nationales. L’autonomie culturelle nationale sépare artificiellement les ouvriers habitant la même localité, voire travaillant dans la même entreprise, selon leur appartenance à telle ou telle « culture nationale », c’est-à-dire qu’elle renforce la liaison des ouvriers avec la culture bourgeoise des différentes nations, alors que la sociale-démocratie s’assigne comme tâche de renforcer la culture internationale du prolétariat du monde entier.

Le parti exige que soit inscrite dans la Constitution une loi fondamentale proclamant l’abrogation de tous les privilèges d’une nation quelconque, ainsi que de toutes les atteintes aux droits des minorités nationales.

Les intérêts de la classe ouvrière exigent que les ouvriers de toutes les nationalités de Russie se rassemblent en des organisations prolétariennes uniques : politiques, syndicales, coopératives, éducatives, etc. Seul un tel rassemblement des ouvriers des différentes nationalités dans des organisations uniques permet au prolétariat de lutter victorieusement contre le capital international et le nationalisme bourgeois.

20. Discours sur la situation dans l’Internationale et les tâches du POSDR(b), 29 avril

Le camarade Zinoviev a lui-même reconnu que notre visite à Stockholm serait la dernière et que nous ne la ferions qu’à des fins d’information.

Quand Grimm a convoqué sa conférence je n’y suis pas allé, voyant bien qu’on ne pouvait pas engager de conversations avec des partisans du social-chauvinisme. Nous disons : Aucune collaboration avec les sociaux-chauvins. Nous arrivons et nous nous adressons à la fraction de gauche de Zimmerwald. Grimm avait le droit, au point de vue moral et au point de vue formel, de rédiger la résolution d’aujourd’hui. Ce droit s’appuyait sur Kautsky en Allemagne, sur Longuet en France. Au point de vue formel, la question se présente ainsi : Grimm a imprimé : « Nous dissoudrons notre bureau dès que Huysmans aura réuni le sien ». Quand nous avons dit qu’une semblable décision ne pouvait être prise à Zimmerwald, il a acquiescé, mais en déclarant que « la majorité pensait ainsi ». Et c’était la vérité.

Au sujet de la visite : « Nous obtiendrons des informations, nous prendrons contact avec la gauche de Zimmerwald ». Il y a peu d’espoir que nous fassions de nouvelles recrues. N’ayons pas d’illusions : 1° la visite n’aura pas lieu ; 2° ce sera la dernière ; 3° nous ne pouvons pas, pour des raisons techniques, attirer à nous les éléments enclins à rompre avec les sociaux-chauvins. Mais que le camarade Noguine fasse la première visite à Stockholm et le camarade Zinoviev la dernière. J’exprime pour ma part le vœu que l’expérience de la dernière visite soit faite aussi promptement que possible et avec le plus grand succès.

21. Discours en faveur de la résolution sur la situation actuelle, 29 avril

Ne traiter dans la résolution sur la situation actuelle que de ce qui se passe en Russie eût été une erreur. La guerre nous a si indissolublement liés les uns aux autres que l’erreur serait profonde de méconnaître l’ensemble des relations internationales.

Quelles tâches seront celles du prolétariat russe, si le mouvement international nous met en présence de la révolution sociale ? Telle est la principale question analysée dans cette résolution.

Les prémisses objectives de la révolution socialiste existaient sans nul doute dès avant la guerre dans les pays les plus évolués ; elles ont encore mûri et continuent à mûrir très rapidement du fait de la guerre. L’élimination et la disparition des petites et moyennes entreprises s’accélèrent de plus en plus. La concentration et l’internationalisation du capital prennent des proportions gigantesques. Le capitalisme de monopole se transforme en capitalisme monopoliste d’État ; la pression des événements impose une réglementation sociale de la production et de la répartition dans divers pays, dont certains instituent l’obligation générale du travail.

Avant la guerre, il y avait le monopole des trusts et des syndicats industriels ; la guerre a fait apparaître le monopole d’État. Quant à l’obligation générale du travail, c’est un élément nouveau, qui fait partie intégrante d’un ensemble socialiste, ce qu’oublient souvent ceux qui n’ont pas examiné concrètement les conditions existantes.

La première partie de la résolution a pour centre de gravité la définition des conditions actuelles de l’économie capitaliste mondiale. Il est intéressant qu’Engels ait souligné, il y a 27 ans, tout ce qu’il y a d’insuffisant à poser la question du capitalisme sans tenir compte des trusts, en disant : « Le capitalisme est caractérisé par l’absence d’une organisation rationnelle » « Où il y a trust, fait observer Engels, il n’est pas vrai qu’il n’y a pas d’organisation rationnelle, et il y a cependant capitalisme ». Il est d’autant plus opportun de rappeler cette indication aujourd’hui que nous avons affaire à un État militaire et à un capitalisme monopoliste d’État. L’existence d’une organisation rationnelle n’empêche pas les ouvriers d’être des esclaves ; quant aux capitalistes, ils n’en prélèvent que plus « rationnellement » leurs bénéfices. Nous assistons en ce moment à une transformation, par voie de croissance, du capitalisme, qui atteint à une forme supérieure rationnelle.

La deuxième partie de la résolution ne nécessite aucun commentaire. Il faut s’arrêter plus longuement sur la troisième partie. (L’orateur donne lecture de la résolution.)

Le prolétariat de Russie, agissant dans l’un des pays les plus arriérés d’Europe, parmi une population très nombreuse de petits paysans, ne peut pas s’assigner pour but d’effectuer immédiatement la transformation socialiste.

Mais ce serait commettre l’erreur la plus grave et même, dans la pratique, se placer sur les positions de la bourgeoisie que d’en conclure à la nécessité pour la classe ouvrière de soutenir la bourgeoisie, ou de cantonner son activité dans un cadre acceptable pour la petite bourgeoisie, ou d’abdiquer le rôle dirigeant que doit jouer le prolétariat pour faire comprendre au peuple l’urgence de diverses mesures pratiquement venues à maturité et conduisant au socialisme.

On tire habituellement de la première constatation la conclusion suivante : « La Russie est un pays arriéré, paysan, petit-bourgeois, il n’est donc pas possible d’y parler d’une révolution sociale ». Mais on oublie que la guerre nous place dans des conditions exceptionnelles et qu’à côté de la petite bourgeoisie, il y a le gros capital. Que devront faire les soviets des députés ouvriers et soldats quand ils arriveront au pouvoir ? Passer à la bourgeoisie ? La classe ouvrière continue sa lutte de classe, voilà la réponse.

Ce qui sera possible et ce qui sera nécessaire sous le pouvoir des soviets des députés ouvriers et soldats ? D’abord, la nationalisation du sol. La nationalisation du sol est une mesure bourgeoise. Elle n’exclut pas le capitalisme, et le capitalisme ne l’exclut pas. Mais elle porte un coup très rude à la propriété privée. Poursuivons (lecture) :

...établissement du contrôle de l’État sur toutes les banques, qui seraient fondues en une seule banque centrale, et aussi sur les sociétés d’assurances et les syndicats capitalistes les plus puissants (par exemple, le syndicat des raffineurs, le syndicat des houillères, le syndicat de la métallurgie, etc.) avec l’introduction graduelle d’une imposition plus équitable, progressive, sur les revenus et les biens. Ces mesures sont du point de vue économique parvenues à maturité et immédiatement applicables, sans aucun doute, au point de vue technique ; au point de vue politique, elles peuvent être approuvées par l’immense majorité des paysans, qui y gagneront sous tous les rapports.

Ce point a fait l’objet d’une discussion. Il m’était déjà arrivé de dire dans la Pravda, à propos des articles de Plekhanov : « Ceux qui parlent de l’impossibilité de réaliser le socialisme s’efforcent de le présenter de la façon qui leur est la plus commode : en termes confus, nuageux, comme un bond subit ». Kautsky lui-même a écrit : « Aucun socialiste ne parle de l’abolition de la propriété privée des paysans ». Est-ce à dire que l’existence du gros capital doive nous éviter d’instaurer le contrôle des soviets des députés ouvriers et soldats sur la production, sur les syndicats des raffineurs, etc. ? Cette mesure ne serait pas le socialisme, ce serait une mesure de transition. Mais des mesures de cet ordre, liées à l’existence des soviets des députés ouvriers et soldats, feront que la Russie aura un pied dans le socialisme, un seul, puisque la majorité paysanne dirige l’autre moitié économique du pays. On ne peut nier que du point de vue économique ce changement soit arrivé à maturité. Mais pour appliquer ces mesures il faut, du point de vue politique, avoir la majorité ; or la majorité est formée de paysans, qui sont, on le conçoit, intéressés à ces transformations. Seront-ils assez organisés, c’est la une autre question : nous ne pouvons pas répondre pour eux.

Le vieil argument courant contre le socialisme présente celui-ci comme une « énorme caserne », un « fonctionnarisme en grand ».Nous devons poser maintenant la question du socialisme autrement que par le passé, en la transposant de la région des nuées dans celle des réalités les plus concrètes : nationalisation du sol, contrôle sur les syndicats capitalistes, etc. (L’orateur continue la lecture de la résolution)

« Non seulement toutes ces mesures, et d’autres analogues, peuvent et doivent être discutées et préparées pour être appliquées dans l’ensemble du pays dès le passage de tout le pouvoir aux prolétaires et aux semi-prolétaires ; mais elles doivent encore être mises en œuvre par les organes révolutionnaires locaux du pouvoir populaire chaque fois que la possibilité s’en présente.

L’application de ces mesures exige des précautions et une circonspection extrêmes, ainsi que la conquête dans la population d’une solide majorité, bien convaincue que telle ou telle mesure est pratiquement réalisable. Et c’est précisément dans ce sens que doivent se porter l’attention et les efforts de l’avant-garde consciente des masses ouvrières, tenues de venir en aide aux masses paysannes dans la recherche d’une issue à la ruine économique ».Ces derniers mots sont le pivot de toute la résolution : nous ne présentons pas le socialisme comme un bond subit mais comme l’issue pratique à la ruine économique.

« La révolution est bourgeoise, aussi ne faut-il pas parler du socialisme », disent nos adversaires. Nous dirons au contraire : « C’est justement parce que la bourgeoisie ne peut pas se tirer de la situation actuelle que la révolution va de l’avant ». Nous ne devons pas nous borner à des phrases démocratiques, mais expliquer la situation aux masses et leur indiquer des mesures pratiques : prendre en mains les syndicats capitalistes, les contrôler par l’organe des soviets des députés ouvriers et soldats, etc. L’application de toutes ces mesures fera mettre à la Russie un pied dans le socialisme. Notre programme économique doit indiquer les moyens de remédier à la ruine économique, voilà ce qui doit nous guider.

22. Résolution sur la situation actuelle

La guerre mondiale, engendrée par la lutte que se livrent les trusts mondiaux et le capital bancaire pour s’assurer la domination du marché mondial, a déjà abouti à la destruction massive de valeurs matérielles, à l’épuisement des forces productives et à une telle croissante de l’industrie de guerre que même la production du plus strict minimum d’objets de consommation et de moyens de production devient impossible.

Cette guerre a ainsi placé l’humanité dans une situation sans issue et l’a conduite au seuil de sa perte.

Les prémisses objectives de la révolution socialiste existaient sans nul doute dès avant la guerre dans les pays les plus évolués : elles ont encore mûri et continuent à mûrir très rapidement du fait de la guerre. L’élimination et la disparition des petites et moyennes entreprises s’accélèrent de plus en plus. La concentration et l’internationalisation du capital prennent des proportions gigantesques. Le capitalisme de monopole se transforme en capitalisme monopoliste d’État ; la pression des événements impose une réglementation sociale de la production et de la répartition dans divers pays, dont certains instituent l’obligation générale du travail.

La propriété privée des moyens de production étant maintenue, cette monopolisation et cette étatisation croissantes de la production entraînent nécessairement une exploitation plus intense des masses laborieuses, une oppression plus pesante, la résistance aux exploiteurs devenant plus difficile, elles renforcent la réaction et le despotisme militaire, en même temps qu’elles conduisent inéluctablement à une augmentation inouïe du profit des gros capitalistes aux dépens de toutes les autres couches de la population et qu’elles condamnent les masses laborieuses à verser aux capitalistes, pendant des dizaines d’années, un tribut sous la forme de milliards d’intérêts pour les emprunts. Mais si la propriété privée des moyens de production est abolie, si le pouvoir d’État passe entièrement aux mains du prolétariat, ces mêmes conditions garantissent le succès d’une réorganisation de la société qui mettra fin à l’exploitation de l’homme par l’homme, et assurera le bien-être de tous et de chacun.

D’autre part, en 1912, dans le Manifeste de Bâle, les socialistes du monde entier avaient proclamé unanimement, en liaison avec la guerre impérialiste qui approchait alors et qui fait rage aujourd’hui, l’inéluctabilité de la révolution prolétarienne ; cette prévision se vérifie de toute évidence par le cours des événements.

La révolution russe n’est qu’une première étape de la première des révolutions prolétariennes, inévitablement engendrées par la guerre.

Dans tous les pays, l’indignation des larges masses populaires contre la classe des capitalistes s’étend, et le prolétariat prend de plus en plus conscience que seuls le passage du pouvoir entre ses mains et l’abolition de la propriété privée des moyens de production sauveront l’humanité qui court à sa perte.

Dans tous les pays, surtout dans les plus avancés, l’Angleterre et l’Allemagne, des centaines de socialistes, qui ne sont pas passés du côté de « leur » bourgeoisie nationale, ont été jetés en prison par les gouvernements des capitalistes ; en se livrant à de telles persécutions, ces gouvernements ont révélé clairement leur peur de la révolution prolétarienne qui monte au plus profond des masses populaires. Le mûrissement de cette révolution en Allemagne ressort également des grèves de masse, qui se sont particulièrement intensifiées au cours des dernières semaines, ainsi que des progrès de la fraternisation entre soldats allemands et russes sur le front.

La confiance et l’alliance fraternelles entre les ouvriers des différents pays, ces ouvriers qui, pour l’heure, s’exterminent mutuellement dans l’intérêt des capitalistes, sont ainsi en train de se rétablir, ce qui crée des conditions permettant des actions révolutionnaires concertées des ouvriers des différents pays. Seules de telles actions garantissent à la révolution socialiste mondiale le développement le plus régulier et les chances de succès les plus certaines.

Le prolétariat de Russie, agissant dans l’un des pays les plus arriérés d’Europe, parmi une population très nombreuse de petits paysans, ne peut pas s’assigner pour but d’effectuer immédiatement la transformation socialiste.

Mais ce serait commettre l’erreur la plus grave et même, dans la pratique, se placer sur les positions de la bourgeoisie que d’en conclure à la nécessité pour la classe ouvrière de soutenir la bourgeoisie, ou de cantonner son activité dans un cadre acceptable pour la petite bourgeoisie, ou d’abdiquer le rôle dirigeant que doit jouer le prolétariat pour faire comprendre au peuple l’urgence de diverses mesures pratiquement venues à maturité et conduisant au socialisme.

Parmi ces mesures figure, tout d’abord, la nationalisation du sol. Sans sortir du cadre du régime bourgeois, cette mesure porterait cependant un grand coup à la propriété privée des moyens de production et renforcerait d’autant l’influence du prolétariat socialiste sur les semi-prolétaires des campagnes.

Il y a d’autres mesures : l’établissement du contrôle de l’État sur toutes les banques, qui seraient fondues en une seule banque centrale, et aussi sur les sociétés d’assurances et les syndicats capitalistes les plus puissants (par exemple, le syndicat des raffineurs, le syndicat des houillères, le syndicat de la métallurgie, etc.), avec l’introduction graduelle d’une imposition plus équitable, progressive, sur les revenus et les biens. Ces mesures sont du point de vue économique, parvenues à maturité et immédiatement applicables, sans aucun doute, au point de vue technique ; au point de vue politique, elles peuvent être approuvées par l’immense majorité des paysans, qui y gagneront sous tous les rapports.

Outre ces mesures les soviets des députés ouvriers, soldats, paysans et autres, qui sont en train de couvrir la Russie d’un réseau toujours plus serré, pourraient aussi entreprendre la réalisation de l’obligation générale du travail, en effet, le caractère de ces institutions garantit, d’une part, que toutes ces nouvelles réformes ne seront entreprises qu’à partir du moment où l’immense majorité du peuple aura pris fermement conscience de leur nécessité pratique et, d’autre part, il garantit que ces réformes ne seront pas réalisées par voie bureaucratique et policières, mais grâce à la participation volontaire des masses organisées et armées du prolétariat et de la paysannerie à la gestion de leur propre économie.

Non seulement toutes ces mesures, et d’autres analogues, peuvent et doivent être discutées et préparées pour être appliquées dans l’ensemble du pays dès le passage de tout le pouvoir aux prolétaires et aux semi-prolétaires, mais elles doivent encore être mises en œuvre par les organes révolutionnaires locaux du pouvoir populaire chaque fois que la possibilité s’en présente.

L’application de ces mesures exige des précautions et une circonspection extrême, ainsi que la conquête dans la population d’une solide majorité, bien convaincue que telle ou telle mesure est pratiquement réalisable. Et c’est précisément dans ce sens que doivent se porter l’attention et les efforts de l’avant-garde consciente des masses ouvrières, tenues de venir en aide aux masses paysannes dans la recherche d’une issue à la ruine économique.

23. Discours de clôture de la conférence, 29 avril

Lénine renonce, faute de temps, à intervenir en faveur du changement de dénomination du parti et prie la conférence de se reporter, à ce sujet à la brochure qu’il vient d’écrire : Les tâches du prolétariat dans notre révolution *, qui servira de documentation pour la discussion au sein des organisations locales.

Quelques mots sur la conférence.

Il y avait peu de temps, beaucoup de travail. Les conditions dans lesquelles notre parti est placé sont difficiles. Les partis jusqu’auboutistes sont riches en effectifs, mais les masses prolétariennes adoptent à l’égard du jusqu’auboutisme et de la guerre impérialiste une attitude négative. Nos résolutions ne sont pas conçues à l’intention des larges masses, mais elles unifieront l’activité de nos agitateurs et de nos propagandistes : ceux qui les liront y trouveront des directives pour leur travail. Nous avons à parler devant des millions d’hommes, nous devons savoir faire surgir de la masse des forces nouvelles, recruter des ouvriers conscients, plus cultivés, capables de mettre nos thèses à la portée des masses. Nous nous efforcerons, dans nos brochures, d’exposer sous une forme plus populaire le contenu de nos résolutions, et nous espérons que les camarades feront de même sur le plan local. Le prolétariat trouvera dans nos résolutions les aliments de direction dont il a besoin pour marcher vers la deuxième étape de notre révolution.

Introduction aux résolutions de la 7e Conférence de Russie du POSDR(b)

Camarades ouvriers,

La conférence pour toute la Russie du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, uni autour du Comité central et appelé communément parti « bolchevik », vient de prendre fin.

Elle a adopté des décisions très importantes sur toutes les questions fondamentales de la révolution, décisions dont on trouvera ci-après le texte intégral.

La révolution traverse une crise. On l’a vu dans les rues de Petrograd et de Moscou entre le 19 et le 21 avril. Le gouvernement provisoire l’a reconnu. Le Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd l’a reconnu. Une nouvelle confirmation vient encore d’en être apportée au moment où nous écrivons ces lignes, par la démission de Goutchkov.

La crise du pouvoir, la crise de la révolution, ne sont pas le fait d’un hasard. Le gouvernement provisoire est le gouvernement des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, liés par le capital russe et anglo-français et obligés de continuer la guerre impérialiste. Mais les soldats sont épuisés par la guerre ; ils comprennent de plus en plus clairement qu’elle est faite dans l’intérêt des capitalistes ; ils ne veulent pas de la guerre. Et, pendant ce temps, la Russie comme les autres pays voient s’avancer le spectre menaçant d’une effroyable faillite, de la disette, d’une ruine économique totale.

Le Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd, qui a passé un accord avec le gouvernement provisoire et qui le soutient, de même qu’il soutient l’emprunt et aussi, par conséquent, la guerre, est également dans une impasse. Le Soviet est responsable du gouvernement provisoire et, constatant que la situation n’offre pas d’issue, il se trouve lui-même empêtré par son accord avec le gouvernement des capitalistes.

En ce grave moment historique, où tout l’avenir de la révolution est en jeu, où les capitalistes s’agitent entre le désespoir et l’intention de massacrer les ouvriers, notre parti s’adresse au peuple et lui dit, dans les décisions de sa conférence :

Il faut comprendre quelles sont les classes qui poussent en avant la révolution. Il faut tenir compte, avec lucidité, de leurs aspirations différentes. Le capitaliste ne peut pas suivre le même chemin que l’ouvrier. Les petits propriétaires ne peuvent ni se fier entièrement aux capitalistes, ni se décider d’un seul coup et tous ensemble à une étroite alliance fraternelle avec les ouvriers. C’est seulement si l’on comprend les différences entre ces classes que l’on peut trouver la voie juste où doit s’en- gager la révolution.

Sur toutes les questions fondamentales de la vie du peuple, les décisions de notre conférence établissent une nette distinction entre les intérêts des différentes classes et montrent qu’il est absolument impossible de sortir de l’impasse en faisant confiance au gouvernement des capitalistes ou en le soutenant.

La situation est incroyablement difficile. Il n’y a qu’une issue, une seule : le passage de tout le pouvoir aux soviets des députés ouvriers, soldats, paysans et autres dans toute la Russie, de la base au sommet. Seul le passage du pouvoir à la classe ouvrière, soutenue par la majorité des paysans, peut laisser escompter un rétablissement rapide de la confiance des ouvriers des autres pays, et une puissante révolution européenne qui fera voler en éclats le joug du capital et brisera l’étau de fer du massacre criminel où s’entre-tuent les peuples. Seul le passage du pouvoir à la classe ouvrière, soutenue par la majorité des paysans, peut donner le ferme espoir que toutes les masses laborieuses feront pleinement confiance à ce pouvoir et se dresseront, comme un seul homme, pour travailler avec abnégation à transformer toute la vie du peuple dans l’intérêt des masses laborieuses, et non dans celui des capitalistes et des grands propriétaires fonciers. Sans ce travail plein d’abnégation, sans une gigantesque tension des forces de tous et de chacun, sans la ferme résolution de reconstruire la vie à neuf, sans une stricte organisation et une discipline fraternelle de tous les ouvriers et de tous les paysans pauvres, sans tout cela il n’y a point d’issue.

La guerre a conduit l’humanité tout près de sa perte. Les capitalistes, engagés dans la guerre, sont impuissants à s’en arracher. Le monde entier est menacé par la catastrophe.

Camarades ouvriers, l’heure approche où les événements exigeront de vous un regain d’héroïsme, encore plus grand qu’aux jours glorieux de la révolution de février-mars, l’héroïsme de millions et de dizaines de millions d’hommes. Soyez prêts.

Soyez prêts et rappelez-vous que si, avec les capitalistes, vous avez pu triompher en quelques jours, simplement par l’explosion de la colère populaire, il vous faudra plus que cela pour remporter la victoire sur les capitalistes et contre eux. Pour remporter cette victoire, pour faire passer le pouvoir aux ouvriers et aux paysans pauvres, pour le conserver, pour l’utiliser judicieusement, il faut de l’organisation, de l’organisation, et encore de l’organisation.

Notre parti vous aide par tous les moyens en son pouvoir et, avant tout, en éclairant les esprits sur la situation différente des différentes classes et sur leurs forces respectives. C’est à cela que sont con- sacrées les décisions de notre conférence. Si ces notions ne sont pas claires, l’organisation ne vaut rien. Sans organisation, impossible de faire agir des millions d’hommes, impossible d’escompter aucun succès.

Ne croyez pas aux paroles. Ne vous laissez pas leurrer par des promesses. Ne surestimez pas vos forces. Organisez-vous dans chaque usine, dans chaque régiment et dans chaque compagnie, dans chaque quartier. Travaillez à vous organiser jour après jour, heure après heure, travaillez-y vous-mêmes, c’est une tâche dont on ne peut se décharger sur personne. Faites en sorte que, grâce à ce travail, les masses en viennent graduellement à témoigner aux ouvriers d’avant-garde une confiance entière, solide, indestructible. Voilà le contenu essentiel de toutes les décisions de notre conférence. Voilà la principale leçon de la révolution. Voilà le seul gage du succès.

Camarades ouvriers, nous vous appelons à un travail difficile, important, inlassable, qui doit unir étroitement le prolétariat conscient, révolutionnaire, de tous les pays. C’est cette voie, et cette voie seulement, qui mène à l’issue, qui délivrera l’humanité des horreurs de la guerre, du joug du capital.


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