1917

La «Pravda» n° 81, 27 (14) juin 1917
Conforme au texte de la «Pravda»

Œuvres t. 25, pp. 87-89, Paris-Moscou


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Lénine

Attitude contradictoire


 

La résolution du congrès condamnant notre parti, qui est publiée aujourd'hui dans les journaux, sera sans nul doute comparée par tout ouvrier et soldat conscient à la déclaration adressée par notre parti au congrès des Soviets de Russie, déclaration rendue publique le 11 et publiée aujourd'hui [1] dans la Pravda.

L'attitude contradictoire des chefs du congrès, révélée par leur résolution, l'est aussi, avec une netteté particulière, par notre déclaration.

Le premier point, le plus important, de la résolution du congrès dit : «L'unité de la démocratie révolutionnaire - ouvriers, soldats et paysans - tout entière est la condition du succès et de la force de la révolution russe.» Et ce serait indiscutablement vrai si l'on entendait ici par «unité» l'unité dans la lutte avec la contre-révolution. Mais que faire si une certaine partie des «ouvriers, soldats et paysans» fait bloc par l'intermédiaire de ses chefs avec la contre-révolution et s'unit à la contre-révolution ? N'est-il pas évident que c'est alors cette partie de la «démocratie » qui cesse en réalité d'être «révolutionnaire » ?

Les populistes (les socialistes-révolutionnaires) et les menchéviks s'indigneront sans doute à la seule idée émise par nous que telle ou telle partie des «ouvriers, soldats et paysans» puisse «s'unir» à la contre-révolution, à la seule idée que nous ayons pu concevoir pareille pensée.

A ceux qui tenteraient, avec une indignation de ce genre, d'atténuer les effets de nos arguments et de masquer le fond de la question, nous répondrons simplement en citant le troisième point de la même résolution : « ... La résistance des couches contre-révolutionnaires des classes possédantes grandit. » Voilà une observation pratique ! Elle serait tout à fait exacte si (au lieu de parler des «classes possédantes », auxquelles se rapportent aussi les éléments aisés de la petite bourgeoisie) on avait dit de la bourgeoisie ou des capitalistes et des grands propriétaires fonciers.

La résistance de la bourgeoisie grandit, sans nul doute.

Mais c'est précisément la bourgeoisie qui détient la majorité au sein du Gouvernement provisoire, une majorité avec laquelle sont unis - pas seulement d'un point de vue de politique générale, mais sur le plan de l'organisation, dans un même organisme, dans le même ministère les chefs des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks !

Telle est la cause de l'attitude contradictoire des chefs du Soviet. Telle est la cause principale de la débilité de toute leur politique : ils sont unis à la bourgeoisie par l'intermédiaire du gouvernement. Ils sont soumis, dans le gouvernement, à une majorité de ministres de la bourgeoisie et ils doivent en même temps reconnaître que «la résistance des couches contre-révolutionnaires des classes possédantes grandit » ! !

Il est clair que, dans cette situation, le parti du prolétariat révolutionnaire ne peut reconnaître l'«unité» de la fameuse démocratie «révolutionnaire» (en paroles, et non en fait) que «sous toutes réserves». Nous sommes pour l'unité avec cette démocratie pour autant qu'elle combat la contre-révolution. Nous ne sommes pas pour l'unité avec elle pour autant qu'elle s'unit à la contre-révolution.

La vie met précisément à l'ordre du jour la question de la « résistance grandissante » de la bourgeoisie contre-révolutionnaire : éluder cette question principale et capitale à l'aide de phrases générales sur «l'unité ou l'action concertée de la démocratie révolutionnaire», en dissimulant l'unité ou l'action concertée d'une partie de cette démocratie avec la contre-révolution, n'est pas logique, n'est pas intelligent.

On comprend dès lors que toutes les considérations énoncées dans la résolution du Soviet, qui condamne notre manifestation comme «clandestine» et considère les manifestations ou les actions de masse comme n'étant admissibles qu'après information des Soviets ou sous réserves de leur approbation, tombent d'elles-mêmes pour des raisons de principe. Ces considérations n'ont aucune valeur. Jamais le parti prolétarien ne les admettra, comme il a déjà été dit dans notre déclaration au congrès des Soviets de Russie. Car toutes les manifestations ne sont qu'agitation si elles sont pacifiques, et l'on ne peut ni interdire l'agitation ni en imposer l'unité.

La résolution est plus faible encore au point de vue formel. Il faut, pour interdire ou prescrire, être un pouvoir dans l'Etat. Devenez-le, MM. les chers actuels du Soviet - nous en sommes partisans, bien que vous soyez nos adversaires -, et vous serez en droit d'interdire ou de prescrire. Tant que vous n'avez pas de pouvoir à l'échelle de l'Etat entier, tant que vous subissez le pouvoir des dix ministres de la bourgeoisie, vous vous empêtrez dans votre propre faiblesse et votre propre indécision.

Les phrases sur «la volonté nettement exprimée», etc., ne vous permettront pas d'éluder la question : la volonté de l'Etat doit s'exprimer sous la forme d'une loi établie par le pouvoir ; sinon, le mot «volonté» n'est qu'un simple déplacement d'air par un son creux. Mais aussitôt que vous prendriez la peine, Messieurs, de penser à la loi, vous ne pourriez manquer de vous rappeler que la Constitution des libres républiques ne peut pas interdire les manifestations pacifiques et les actions de masse de quelque parti, de quelque groupe que ce soit.

Le caractère contradictoire de cette attitude a donné un caractère d'étrangeté aux idées révolutionnaires, aux idées sur la lutte avec la contre-révolution, aux idées sur l'Etat (sur la Constitution) et, plus généralement, aux idées juridiques. Abstraction faite des véhémentes injures adressées à notre Parti, il ne reste rien, absolument rien !

Après les injures véhémentes qui ont répondu à notre initiative quant à l'organisation d'une manifestation, on en fixe une à ... une semaine plus tard !


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Il s'agit de la déclaration du Comité central du P.O.S.D.(b)R. et du bureau du groupe bolchévique au 1er congrès des Soviets de Russie au sujet de l'interdiction par le congrès de la manifestation pacifique fixée par le Parti bolchévique au 10 (23) juin 1917. Dans cette déclaration, les bolchéviks dénonçaient les actes provocateurs des chefs menchéviques et socialistes-révolutionnaires du congrès des Soviets qui avaient interdit une manifestation pacifique, ainsi que la politique contre-révolutionnaire du Gouvernement provisoire ; ils proclamaient la révolution en danger et appelaient la classe ouvrière à faire preuve de fermeté et de vigilance. La déclaration fut rendue publique le 11 (24) juin au cours de la séance commune du présidium du congrès des Soviets, du Comité Exécutif du Soviet de Pétrograd, du Comité exécutif du Soviet des députés paysans et des bureaux de tous les groupes du congrès. Les bolchéviks voulurent en donner lecture à la séance du 12 (25) juin du congrès des Soviets, mais le président de l'assemblée retira la parole à leur représentant. La déclaration fut remise au présidium du congrès des Soviets. Au cours de cette même séance fut votée une résolution blâmant le Parti bolchévique, bien que celui-ci eût décommandé la manifestation. [N.E.]


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