1917

«Izvestia du Comité exécutif central» n° 244, 6 décembre 1917
Conforme à l'exemplaire dactylographié du procès- verbal

Œuvres t. 26, pp. 375-378 Paris-Moscou


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Lénine

Discours au II° congrès des Soviets des députés paysans de Russie

Le 2 (15) décembre 1917 [1]


 

Camarades, au précédent Congrès extraordinaire des députés paysans, je m'étais présenté au nom de la fraction bolchévique et non du Conseil des Commissaires du peuple ; c'est en cette mémo qualité que j'interviens aujourd'hui, car il importe pour moi que l'opinion du Parti bolchévik soit connue de vous, congrès des députés paysans.

A mon arrivée ici, j'ai entendu une partie du discours du dernier orateur ; se tournant vers moi, il vous a dit que je veux vous disperser à coups de baïonnettes. Camarades, les progrès de la Russie sont tels qu'aucun individu ne saurait la gouverner. Vous savez que depuis le jour où l'armée a su se servir de ses armes pour conquérir la liberté, depuis le jour où les paysans, vêtus de capotes de soldats, peuvent se rassembler et s'entendre avec les paysans qui n'en portent point, il n'est pas de force au monde qui puisse dompter la volonté du peuple, la volonté des paysans et des ouvriers.

Camarades, je voudrais vous dire quel sens nous donnons à la révolution du 25 octobre. Camarades, on a affirmé ici qu'une nouvelle vague révolutionnaire balayerait peut-être les Soviets. Je soutiens qu'il n'en sera rien. Je suis fermement convaincu que jamais les Soviets ne périront ; la révolution du 25 octobre nous l'a prouvé. Les Soviets ne périront jamais parce qu'ils ont surgi dès la première révolution, celle de 1905, ils ont surgi aussi après la révolution de Février et non sur l'initiative d'un individu quelconque, mais par la volonté des masses populaires, d'en bas. Il ne peut y avoir ici aucune restriction ; aucune question de forme, parce qu'ils ont été constitués de par la volonté du peuple et que le peuple est libre de rappeler ses représentants à tout moment. Les Soviets sont au-dessus de tous les parlements, au-dessus de toutes les Assemblées constituantes. (Bruit, cris : «mensonge ! ») Le Parti bolchévik a toujours dit que les Soviets sont l'organe suprême. On ne peut prétendre que c'est un mensonge, car les révolutions qui ont renversé la monarchie en Europe ont instauré la république bourgeoise par l'intermédiaire des Assemblées constituantes. Jamais et nulle part il n'y a eu une révolution telle que la nôtre. On dit que la révolution du 25 octobre n'a donné qu'un «gouvernement bolchévik». Je pourrais répliquer qu'au Conseil des Commissaires du peuple, il n'y a pas que des bolchéviks. Ceux qui parmi vous se souviennent du 1er Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats, doivent savoir que les bolchéviks étaient alors en minorité ; or maintenant, ayant compris pratiquement à quoi mène la politique conciliatrice, le peuple a donné la majorité au Parti bolchévik au IIe Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats. Quand la presse ennemie hurle, quand on me dit que les baïonnettes peuvent être dirigées contre les Soviets, cela me fait rire. Les baïonnettes sont entre les mains des ouvriers, des soldats et des paysans, qui ne les tourneront jamais contre les Soviets. La contre-révolution aura beau braquer ses baïonnettes contre les Soviets, elles n'ont rien de redoutable pour eux.

A propos de l'Assemblée constituante, je dois dire qu'elle ne peut être utile qu'à la condition que le peuple lui-même s'épanouisse librement et édifie une vie nouvelle. Et je vous le demande : en est-il ainsi ?

Je vous rappellerai une vérité connue de tous : «ce n'est pas l'homme qui est fait pour le samedi, mais le samedi pour l'homme». Vous savez, camarades, comment se sont déroulées les élections à l'Assemblée constituante. C'est un des modes électoraux les plus avancés, car on élit les représentants des partis et non des individus. C'est un pas en avant, parce que ce ne sont pas des personnes qui font la révolution, mais les partis. Lors des élections, il y avait un parti socialiste-révolutionnaire qui a la majorité à l'Assemblée constituante. A présent, il n'en est pas ainsi. Peut-être direz-vous que c'est là également l'œuvre des bolchéviks. Non, camarades, c'est une loi universelle. Toujours et partout, lentement et difficilement, le peuple se partage en deux camps : le camp des déshérités, des humiliés, le camp de ceux qui luttent pour un meilleur avenir pour tous les travailleurs, et le camp de ceux qui d'une manière ou d'une autre soutiennent les propriétaires fonciers et les capitalistes. Lors des élections, le peuple a voté pour ceux qui n'exprimaient pas sa volonté, ses désirs. Vous dites que nous avons déclaré ennemi du peuple tout le parti des cadets. Oui, nous l'avons fait, traduisant ainsi la volonté du IIe Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats. Et maintenant, au seuil de la paix, à la fin d'un carnage effroyable qui dure depuis trois ans, nous sommes persuadés que c'est là l'exigence de tous les travailleurs et de tous les pays. Le renversement de l'impérialisme en Europe s'effectue lentement, difficilement ; aujourd'hui, les impérialistes de tous les pays verront que le peuple est fort et qu'il renversera tous ceux qui se dressent sur son chemin. Que des gens trament d'une main un soulèvement contre les ouvriers et les paysans, contre les Soviets, et que de l'autre ils montrent leur auguste mandat à l'Assemblée constituante, nous ne saurions le tolérer. En juillet, on nous disait « nous vous déclarerons ennemis du peuple ». Nous répondions : «essayez ». Messieurs les bourgeois et leurs partisans auraient bien voulu dire cela ouvertement au peuple ; mais ils ne l'ont pas fait, ils ont eu recours à toutes sortes d'insinuations et de calomnies immondes. Lorsque la bourgeoisie a déclenché la guerre civile, - nous en avons été témoins, - elle a provoqué le soulèvement des élèves-officiers ; nous, les vainqueurs, nous avons été généreux envers les vaincus. Bien plus : nous avons même respecté leur dignité militaire. Et maintenant, au moment où l'Assemblée constituante est convoquée, nous disons que nous l'inaugurerons à l'arrivée de 400 députés. Nous voyons que le complot des cadets se prolonge, qu'ils organisent un soulèvement contre les Soviets au nom du coffre-fort, du lucre, de la richesse ; nous déclarons ouvertement qu'ils sont les ennemis du peuple. A l'heure où les conditions de paix vont être connues, où nous allons avoir un armistice, où les membres des comités agraires ne seront plus arrêtés, où les domaines des propriétaires fonciers vont être confisqués, où le contrôle va être établi dans les usines et dans les fabriques, ces gens-là trament un complot contre nous, contre les Soviets. Nous disons alors que leur parti, le parti cadet, est celui de la bourgeoisie, c'est le parti des ennemis du peuple et nous lutterons contre lui.


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Le Deuxième Congrès des députés paysans de Russie se tint à Pétrograd du 26 novembre au 10 décembre (9-23 décembre) 1917. Outre les délégués invités par le Comité exécutif paysan des s.-r. de droite, tous les délégués du Congrès extraordinaire des députés paysans prirent part à ce congrès. 790 délégués avec voix délibérative participèrent au congrès, parmi lesquels 305 socialistes-révolutionnaires du centre et de droite, 350 socialistes-révolutionnaires de gauche, 91 bolchéviks. Le congrès se déroula dans une atmosphère tendue. Les socialistes-révolutionnaires de droite tentèrent de rallier le congrès à leur cause, d'isoler des bolchéviks les socialistes-révolutionnaires de gauche, qui adoptèrent une position conciliatrice. Une lutte particulièrement âpre se développa sur la question de l'Assemblée constituante et sur le décret du Conseil des Commissaires du peuple qualifiant les cadets d'ennemis du peuple.

Le 2 (15) décembre Lénine intervint au congrès sur ces questions. Au début, à une majorité insignifiante des voix, le congrès adopta la résolution des s.-r. de droite exigeant la remise du pouvoir à l'Assemblée constituante et la désapprobation de l'arrestation d'un groupe de cadets par décision du Conseil des commissaires du peuple. La fraction bolchévique insista sur le réexamen de cette résolution. Par la suite le congrès adopta la résolution formulée par les s.-r. de gauche. Les divergences amenèrent une scission du congrès. Les socialistes-révolutionnaires de droite quittèrent le congrès. Les socialistes-révolutionnaires de gauche qui constituaient la majorité au congrès poursuivirent les travaux. Le congrès ratifia les décisions du Congrès extraordinaire des députes paysans de Russie et se rallia aux décisions du IIe Congrès des Soviets de Russie. Le congrès élut un nouveau Comité exécutif des Soviets des députés paysans et le chargea de réaliser, avec le Comité exécutif central de Russie, les exigences essentielles des paysans sur la terre et la paix. [N.E.]


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