1918

Article de la « Pravda » n° 35, 26 février 1918. Écrit le 24 février 1918
— Lénine, Œuvres, t. 27, Éditions Sociales - Paris, Éditions en langues étrangères - Moscou, 1961, pp. 53-56 


Lénine V. & Sverdlov Iakov

Position du Comité Central du P.O.S.D.R.(b)
dans la question de la paix séparée et annexionniste


Chers camarades,

Le Bureau d’organisation du Comité central estime nécessaire de vous faire connaître les motifs qui ont incité le Comité central à accepter les conditions de paix proposées par le gouvernement allemand. Le Bureau d’organisation vous donne ces explications, camarades, afin d’informer largement tous les membres du Parti sur le point de vue du C.C., qui représente, dans l’intervalle des congrès, le Parti tout entier. Le Bureau d’organisation estime nécessaire d’indiquer que le C.C. n’a pas été unanime au sujet de la signature des conditions de paix. Mais la décision une fois prise, doit être soutenue par l’ensemble du Parti. Le congrès du Parti doit se réunir dans quelques jours et c’est là seulement que l’on pourra trancher la question de savoir jusqu’à quel point le Comité central a bien exprimé la position réelle du Parti tout entier. Jusqu’au congrès, tous les membres du Parti appliquent, au nom de leur devoir de membres du Parti, au nom du maintien de l’unité dans nos propres rangs, les décisions de leur organe dirigeant central, le Comité central.

La nécessité absolue de signer en ce moment même (le 24 février 1918) avec l’Allemagne une paix annexionniste incroyablement dure tient, avant tout, au fait que nous n’avons pas d’armée et que nous ne pouvons pas nous défendre.

Chacun sait pourquoi, depuis le 25 octobre 1917, après la victoire de la dictature du prolétariat et des paysans pauvres, nous sommes pour la défense nationale, pour la défense de la patrie.

On ne saurait, sous l’angle de la défense de la patrie, se laisser entraîner dans un conflit quand on n’a pas d’armée et que l’ennemi est armé jusqu’aux dents et admirablement préparé.

La République socialiste des Soviets ne peut faire la guerre, alors que l’énorme majorité des masses d’ouvriers, de paysans et de soldats qui élisent les Soviets sont notoirement contre la guerre. Ce serait une aventure. La situation sera différente si, cette guerre étant terminée, fût-ce par une paix extrêmement dure, l’impérialisme allemand s’avise de nouveau d’entreprendre contre la Russie une guerre offensive. En ce cas, la majorité dans les Soviets sera certainement pour la guerre.

Faire la guerre maintenant serait, objectivement, se laisser prendre à la provocation de la bourgeoisie russe. Celle-ci sait fort bien que la Russie est aujourd’hui sans défense et qu’elle serait battue même par des forces allemandes insignifiantes, à qui il suffirait de couper les principales lignes de chemins de fer pour réduire Pétrograd et Moscou à la merci par la famine. La bourgeoisie veut la guerre parce qu’elle veut le renversement du pouvoir des Soviets et l’entente avec la bourgeoisie allemande. Le triomphe des bourgeois lors de l’entrée des Allemands à Dvinsk et à Réjitsa, à Wenden et à Hapsal, à Minsk et à Drissa le confirme on ne peut mieux.

Préconiser la guerre révolutionnaire en ce moment revient infailliblement à verser dans la phrase révolutionnaire. Car, sans armée et sans une préparation économique très poussée, on ne peut faire une guerre moderne contre un impérialisme avancé ; pour une armée paysanne ruinée, c’est chose impossible. La résistance à l’impérialisme allemand, qui nous écrasera après nous avoir fait prisonniers, est absolument nécessaire. Mais ce serait une phrase en l’air que d’exiger une résistance précisément par l’insurrection armée et précisément en ce moment, alors que cette résistance serait manifestement sans espoir pour nous et manifestement avantageuse pour la bourgeoisie allemande aussi bien que pour la bourgeoisie russe.

C’est également une phrase que de préconiser la guerre révolutionnaire immédiate par des arguments sur le soutien du mouvement socialiste international. Si, en acceptant de livrer combat à l’impérialisme allemand à un moment inopportun, nous lui facilitons l’écrasement de la république des Soviets, nous ferons du tort, au lieu de leur venir en aide, au mouvement ouvrier allemand et international et à la cause du socialisme. Il faut, par un travail opiniâtre, systématique, aider seulement les internationalistes révolutionnaires de tous les pays, mais il est indigne d’un marxiste de se jeter dans l’aventure d’une insurrection armée, lorsque c’est manifestement une aventure.

Si Liebknecht remporte la victoire dans deux ou trois semaines (c’est possible), il nous tirera naturellement de toutes les difficultés. Mais ce serait commettre une sottise pure et simple et tourner en dérision le grand mot d’ordre de la solidarité des travailleurs de tous les pays que de vouloir nous porter garants devant le peuple d’une victoire assurée et obligatoire de Liebknecht dans les semaines qui viennent. C’est en raisonnant de la sorte qu’on fait du grand mot d’ordre : « Nous avons misé sur la révolution mondiale » une phrase vide de tout sens.

Objectivement, la situation rappelle celle de l’été 1907. À l’époque, le monarchiste russe Stolypine nous avait écrasés et fait prisonniers ; maintenant c’est l’impérialiste allemand. À l’époque, le mot d’ordre de l’insurrection immédiate se révéla une phrase en l’air, malheureusement répandue dans tout le parti socialiste-révolutionnaire. En ce moment, le mot d’ordre de guerre révolutionnaire est manifestement une phrase, par laquelle se sont laissé séduire les socialistes-révolutionnaires de gauche, qui reprennent les arguments des socialistes-révolutionnaires de droite. Nous sommes prisonniers de l’impérialisme allemand, nous aurons à soutenir une lutte difficile et de longue haleine pour renverser ce pionnier de l’impérialisme mondial ; cette lutte est indiscutablement la lutte finale, le combat décisif pour le socialisme ; mais commencer par l’insurrection armée, en ce moment, contre le pionnier de l’impérialisme, c’est une aventure à laquelle les marxistes ne se laisseront jamais entraîner.

Travailler systématiquement et sans faiblesse, à mettre le pays en état de se défendre, à développer partout l’esprit de discipline ; faire servir une défaite sévère au renforcement de la discipline dans tous les domaines de la vie, afin d’assurer l’essor économique du pays et de consolider le pouvoir des Soviets, telle est la tâche du jour, telle est la préparation de la guerre révolutionnaire par des actes et non par des mots.

Le Bureau d’organisation estime nécessaire d’indiquer pour conclure que, l’offensive de l’impérialisme allemand n’étant pas terminée à ce jour, tous les membres du Parti sont tenus d’organiser le front de la résistance. S’il ne nous est pas possible en signant la paix, fût-elle extrêmement dure, de gagner du temps pour nous préparer à de nouvelles batailles, notre Parti doit montrer la nécessité de tendre toutes les forces pour opposer la résistance la plus résolue.

Si l’on peut gagner du temps, obtenir une trêve, même courte, pour le travail d’organisation, notre devoir est d’y parvenir. Si nous n’obtenons pas de sursis, notre Parti doit appeler les masses à la lutte, à l’autodéfense la plus énergique. Nous sommes certains que tous les membres du Parti feront leur devoir vis-à-vis du Parti, de la classe ouvrière de leur pays, du peuple et du prolétariat. En sauvegardant le pouvoir des Soviets, nous prêtons le meilleur et le plus fort appui au prolétariat de tous les pays dans la lutte incroyablement ardue et difficile qu’il mène contre sa bourgeoisie. Et rien ne peut, rien ne pourrait porter maintenant un coup plus rude à la cause du socialisme que la chute du pouvoir des Soviets en Russie.

Salut fraternel.

Le Bureau d’organisation du Comité central du P.O.S.D.R.(bolchevik)


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