1920

Publié intégralement en 1920 dans Le IXe Congrès du Parti communiste de Russie. Compte rendu sténographique. Le discours de clôture fut publié en entier pour la première fois en 1960 dans Le IXe Congrès du P.C.(b) de Russie. Mars-avril 1920. Procès verbaux.

Œuvres t. 30, pp. 453-503 Paris-Moscou,


Lénine

IXe CONGRÈS DU P.C. (b)R.

(29 MARS - 5 AVRIL 1920)


DISCOURS DE CLÔTURE
LE 5 AVRIL

Camarades,

Nous devons, me semble-t-il, en dressant un bilan succinct des travaux de notre congrès, nous arrêter d'abord sur les tâches de notre parti. Le congrès a adopté une résolution détaillée sur la question d'organisation ; l'éducation, l'enseignement, l'utilisation des membres de notre parti par l'organisation y tiennent, comme il fallait s'y attendre, la place la plus importante. La commission des mandats nous a informé que plus de 600000 membres sont représentés à ce congrès. Nous savons tous quelles immenses difficultés le parti a dû surmonter en ces temps de lutte comme ceux où nous avons dû nous défendre contre la pénétration et l'infiltration des pires éléments, des rebuts de l'ancien capitalisme dans le parti au pouvoir, naturellement ouvert, puisqu'il est un parti au pouvoir, et ouvrant la voie du pouvoir. Les semaines du parti [1] ont été une de nos armes dans cette lutte. Ce n'est que dans ces conditions - au moment où le parti et le mouvement étaient en proie à des difficultés sans nom, où Dénikine était au nord d'Orel et Ioudénitch à 50 verstes de Petrograd - que seuls des hommes sincèrement attachés à l'affranchissement des travailleurs pouvaient adhérer au parti.

Ces conditions ne se renouvelleront plus, tout au moins dans un avenir rapproché, et il faut dire que les effectifs accrus de notre parti, comparés à ceux des derniers congrès, suscitent certaines inquiétudes ; il existe un danger parfaitement réel, c'est que l'éducation de ces masses en vue de leurs tâches présentes n'a pas toujours marché de pair avec la croissance rapide des effectifs. Nous ne devons jamais perdre de vue que cette armée de 600000 hommes doit être à l'avant-garde de la classe ouvrière et que nous n'aurions sans doute pas pu accomplir nos tâches en deux années autrement qu'au moyen d'une discipline de fer. Le dévouement est la condition fondamentale de l'application et du maintien de la discipline la plus rigoureuse : tous les vieux moyens et sources d'application de la discipline sont anéantis, et nous n'avons basé notre activité que sur un haut degré de réflexion et de conscience. Nous avons eu ainsi la possibilité d'instituer une discipline supérieure à celle de tout autre Etat et différente de celle qui subsiste vaille que vaille, si tant est qu'elle puisse subsister dans la société capitaliste. Rappelons-nous donc que notre tâche consiste, pour l'année qui vient, après nos éclatants succès pendant la guerre, moins à élargir le parti qu'à y accomplir un travail intérieur, à hausser le niveau de ses effectifs. Nos résolutions sur les questions d'organisation y consacrent à juste titre la plus grande place.

Nous devons mettre, quoi qu'il nous en coûte, cette avant-garde du prolétariat, cette armée de 600000 membres, à la hauteur des tâches qui lui incombent. Et ses tâches internationales et intérieures sont d'une importance considérable ! Pour ce qui est des tâches internationales, notre situation n'a jamais été aussi bonne qu'en ce moment. Quoique rarement, nous recevons pourtant des nouvelles de l'étranger sur la vie des ouvriers ; chaque fois que nous parviennent quelques lettres ou numéros de journaux ouvriers socialistes d'Europe et d'Amérique, nous éprouvons la plus haute satisfaction à voir des masses qui n'étaient absolument pas touchées jadis par la propagande ou qui végétaient dans un lamentable opportunisme, dans un socialisme essentiellement parlementaire, témoigner toujours et partout, beaucoup plus que nous ne le savons, dans n'importe quel coin de terre, un intérêt extrêmement accru pour le pouvoir soviétique, pour les tâches nouvelles ; partout s'observe un profond mouvement révolutionnaire, une fermentation, partout se posent les questions de la révolution.

J'ai eu hier l'occasion de lire un numéro de l'organe du Parti ouvrier socialiste anglais. Les ouvriers anglais qui ont été dirigés par des intellectuels, qui, depuis des dizaines d'années, se distinguaient par leur mépris de la théorie, disent très nettement, et ce journal l'atteste, que maintenant le problème de la révolution suscite de l'intérêt parmi les ouvriers anglais, qu'ils portent un intérêt croissant à la lutte contre le révisionnisme, l'opportunisme, le socialisme parlementaire, cette social-trahison que nous avons si bien étudiée. Lutte qui s'inscrit à l'ordre du jour ! Nous pouvons dire avec certitude que le camarade américain R., qui a publié un volumineux ouvrage contenant divers articles de Trotski et de moi et donnant ainsi un tableau récapitulatif de la révolution russe a eu entièrement raison. Ce camarade dit que la révolution française a remporté une victoire d'une portée universelle et que si elle a pu être vraiment étouffée, c'est parce qu'elle était entourée sur le continent européen de pays plus arriérés où ne pouvaient pas naître sur l'heure des mouvements d'imitation, de sympathie et de soutien. La révolution russe qui, en raison du joug du tsarisme et de diverses autres conditions (relation avec 1905, etc.), a éclaté avant les autres, est entourée de pays situés à un niveau supérieur du développement capitaliste, qui, s'ils vont plus lentement à la révolution, y vont aussi d'un pas plus ferme, plus assuré, plus résolu. Nous voyons grandir 10 fois, 100 fois, 1000 fois, d'année en année et même de mois en mois, le nombre des partisans et des amis de la Russie soviétique dans tout pays capitaliste, et il faut le dire, nous avons beaucoup plus d'amis et d'alliés que nous ne nous en connaissons !

L'impérialisme mondial a subi, dans sa tentative de nous anéantir par la voie militaire, un échec complet ! La situation internationale nous offre maintenant une trêve beaucoup plus durable et plus sûre que celle que nous avons eue au début de la révolution. N'oublions pourtant pas que ce n'est qu'une trêve. Souvenons-nous que le monde capitaliste est armé de pied en cap et attend son moment, attend que se réalisent les meilleures conditions stratégiques, étudie les moyens de nous attaquer. Toute la force économique et toute la force militaire sont encore de son côté, il ne faut l'oublier en aucun cas ! Encore faibles à l'échelle mondiale, nous grandissons rapidement, nous prenons des forces, nous arrachons des mains de l'ennemi ses armes l'une après l'autre ; mais l'ennemi guette la République soviétique à tous les détours du chemin ! Le Capital international cherche maintenant, avec des desseins définis, avec un plan calculé, à unir, à fusionner, à grouper, à l'occasion de la levée du blocus, la spéculation internationale, la liberté internationale du commerce à notre petite spéculation de l'intérieur et nous préparer, sur les bases de cette petite spéculation, une nouvelle guerre, de nouveaux pièges, de nouveaux guets-apens.

Nous en venons à la tâche essentielle, à la question principale, à l'objet principal qui a retenu l'attention de notre congrès. C'est celle de l'édification. Le congrès a beaucoup fait à cet égard ; la résolution concernant l'aspect le plus important, l'édification économique et les transports, a été adoptée à l'unanimité. Et à présent, grâce à l'action éducatrice du parti, nous saurons la faire appliquer par nos trois millions d'ouvriers syndiqués comme par un seul homme. Nous saurons nous en servir pour que toutes nos forces, toute notre discipline, toutes nos énergies, tendent à relever l'économie du pays, les transports en premier lieu et le ravitaillement en second lieu.

Quant à la propagande, diverses questions se posent en ce moment, et toute information venant de l'étranger, toute adhésion au parti d'une dizaine de nouveaux membres nous fournissent des matériaux nouveaux en ce domaine. La propagande doit suivre son chemin sans disperser ni morceler les forces. Rappelons-nous bien que la cause de nos succès, celle des prodiges que nous avons accomplis sur le plan militaire, c'est que nous avons toujours su concentrer notre attention sur le plus important, sur l'essentiel, et résoudre les problèmes d'une manière dont la société capitaliste n'aurait pu le faire. C'est que, dans la société capitaliste, tout ce qui intéresse particulièrement les citoyens - leurs conditions économiques d'existence, la guerre et la paix -, tout est décidé par la société capitaliste à l'insu de la société même ; les questions les plus importantes : guerre, paix, affaires diplomatiques sont tranchées par une poignée infime de capitalistes qui ne se bornent pas à tromper les masses, mais souvent trompent aussi le parlement. Il n'y a pas de parlement au monde qui ait jamais dit quelque chose de sérieux sur la guerre et la paix ! Dans la société capitaliste, les principales questions concernant la vie économique des travailleurs, leur condition d'affamés ou leur bien-être sont tranchées par le capitaliste, comme par un seigneur, comme par Dieu ! Dans tous les pays capitalistes, dans les républiques démocratiques, l'attention du peuple est alors détournée par la presse vénale bourgeoise, fruit de ce qu'on appelle la liberté de parole, qui imagine et répand toutes les fourberies afin de berner les masses ! Chez nous, au contraire, tout l'appareil du pouvoir d'Etat, toute l'attention de l'ouvrier conscient sont axés sans réserve, intégralement, sur le problème majeur, capital, sur le facteur décisif. A cet égard, nous avons obtenu d'immenses succès dans le domaine militaire et il nous reste à transposer cette expérience dans le domaine économique.

Nous effectuons la transition au socialisme et la question capitale, celle du blé, celle du travail, n'est pas du ressort de l'intérêt privé, n'est pas l'affaire privée du patron, mais celle de la société entière. Tout paysan tant soit peu capable de penser doit avoir nettement conscience, comprendre que, si l'Etat pose dans toute sa presse, dans chaque article, dans chaque numéro de journal la question des transports, c'est que c'est l'affaire de tous ! Notre édification fait passer le paysan des ténèbres et de l'aveuglement auxquels le condamnait l'esclavage à la liberté véritable où les travailleurs, connaissant toutes les difficultés qui les attendent et, faisant fi de ce qui n'est que du clinquant, des colifichets, de la comédie des motions de toute espèce et des plus ingénieuses promesses que prodiguent les folliculaires en tout pays bourgeois, ils dirigent toutes les forces de l'organisation sociale, de l'appareil de l'Etat, tous les moyens d'agitation, vers les tâches les plus simples et les plus substantielles. Il faut axer toutes les forces, toute l'attention sur ces tâches économiques les plus élémentaires, intelligibles à tout paysan, contre lesquelles nul paysan moyen, voire cossu, mais tant soit peu honnête, ne peut présenter d'objections et dont la mise à l'ordre du jour dans toute réunion nous donne absolument raison. La masse ouvrière et paysanne la moins consciente confirmera que l'important, c'est de relever dès maintenant l'économie de façon qu'elle ne puisse tomber une nouvelle fois aux mains des exploiteurs, de façon que celui-là ne bénéficie d'aucun passe-droit qui, possédant dans un pays affamé des excédents de blé, les emploie à s'enrichir et à réduire les pauvres à la famine. Vous ne trouverez pas un homme, fût-il le plus arriéré, le plus inconscient, qui n'ait le sentiment que c'est injuste, qui n'ait l'idée peut-être confuse, peut-être brumeuse, mais présente tout de même, que les arguments des partisans du pouvoir soviétique sont pleinement conformes aux intérêts des travailleurs.

Nous devons axer sur ces simples tâches qui, dans les grands pays capitalistes, sont reléguées à l'arrière-plan et considérées comme l'affaire privée des patrons, toute l'attention de l'armée que forment les 600000 membres du parti ; nous ne devons pas tolérer qu'il y en ait un seul parmi eux qui ne remplisse pas sa tâche ; nous devons amener à cette fin les ouvriers à se joindre en masse à nous avec l'abnégation et le dévouement les plus grands ! C'est une chose difficile à organiser, mais cela confère une immense autorité morale, une immense force de persuasion, car c'est juste du point de vue des travailleurs ! Et dans la conviction que, grâce aux travaux du congrès, nous nous acquitterons maintenant de cette tâche aussi brillamment que nous avons su nous acquitter de celles que nous imposa la guerre, et fût-ce là aussi au prix d'erreurs et de défaites, c'est dans cette conviction que nous pouvons dire que les ouvriers de tous les pays d'Europe et d'Amérique ont les yeux fixés sur nous ; ils se demandent si nous arriverons à résoudre le problème qui se pose à nous, un problème plus ardu que celui de la victoire militaire ! L'enthousiasme seul, l'abnégation seule, le simple élan d'héroïsme ne peuvent le résoudre ! Dans cette œuvre d'organisation où nous, les Russes, avons été plus faibles que les autres, dans cette œuvre d'autodiscipline, dans cet art de savoir écarter les à-côtés au profit des choses essentielles on n'arrive vite à rien ; pour la collecte du blé, la réparation des transports, le relèvement de l'économie qui n'avance que pas à pas, où l'on prépare le terrain et où l'on bâtit peu, mais ferme, dans ce domaine les ouvriers de tous les pays nous observent, attendant nos nouvelles victoires ! Nous inspirant des résolutions de notre congrès, en obtenant des 600000 membres de notre parti qu'ils travaillent comme un seul homme, en étroite liaison avec les organismes économiques et les syndicats, nous remplirons, j'en suis convaincu, cette tâche comme nous avons rempli la tâche relative à la guerre, et nous nous acheminerons d'un pas ferme et rapide vers la victoire de la République soviétique socialiste mondiale. (App1audissements.)


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1] La semaine du parti fit suite à la décision du VIIIe Congrès du P.C.(b)R. sur l'accroissement des effectifs du parti. Le Comité central adressa, fin septembre, à toutes les organisations du parti une lettre circulaire où il indiqua qu'il ne fallait admettre au parti, au cours de la semaine du parti, que des ouvriers, ouvrières, soldats rouges, matelots, paysans et paysannes : plus de 200000 nouveaux membres adhérèrent au parti dans 38 provinces de la partie européenne de la Fédération de Russie dont plus de la moitié étaient des ouvriers ; 25% des effectifs de l'armée et de la marine furent admis au parti. [N.E.]


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