1921

 

Cette interview de Lénine, publiée par The New York Herald Tribune No. 197 le 15 mars 1921, a été résumée dans la Petrogradskaya Pravda No. 67 le 26 mars 1921. (Oeuvres complètes volume 36).
Traduction MIA à partir de l’anglais.



Lénine

Interview
publiée par The New York Herald Tribune,
sur Cronstadt

13 mars 1921



LENINE DÉCLARE QUE LA RÉVOLTE EST « FAIBLE ET ÉCHOUERA SÛREMENT ».
Seuls deux types de gouvernement sont possible en Russie – Les Soviets ou le tsar.
CE SERA LA FAMINE À KRONSTADT

Le chef bolcheviste, interviewé par le 'N. Y. Herald’, déclare les marins impuissants. Il dit que la mutinerie est insensée. Qu’elle ne peut pas progresser sur la neige fondante et ne peut pas obtenir de nourriture à Petrograd.
Du Capitaine FRANCIS M'CULLAGH.
Cable spécial au New York Herald, le 13 mars 1921.
Reval, le 13 mars. La situation à Cronstadt, où les socialistes-révolutionnaires russes tiennent toujours contre les bolcheviks, reste inchangée. La possibilité que la ville et la forteresse soient coupées par les rouges et soumise par la famine n'inquiète pas les dirigeants.
Une dépêche radio vient d'être captée dans laquelle les dirigeants révolutionnaires de Cronstadt protestent contre le meurtre de femmes et d'enfants sous des bombes larguées depuis des avions rouges survolant Cronstadt.
Le correspondant du New York Herald à Moscou, télégraphiant depuis cette ville, dit que Lénine est serein et se sent en sécurité dans son bastion du Kremlin, n'ayant aucune crainte du soulèvement anti-bolcheviste. Il télégraphie l'entretien suivant avec le Premier ministre soviétique :


Ils ne peuvent que mourir de faim à Petrograd

"Que peuvent-ils [les révolutionnaires] faire s'ils prennent Petrograd ? Une seule chose - mourir de faim. Ils auront entre les mains une grande ville sans nourriture, et nous aurons plus de nourriture pour Moscou, car plus de ravitaillement arrive du Kouban et de la Sibérie, et pendant une courte période nous n'aurons plus à nourrir Petrograd, qui a récemment pesé sur nos ressources, en raison de son éloignement des districts céréaliers". [Une dépêche de Constantinople datée du 13 mars indique que la province du Kouban (Caucase) est en révolte, et que les rouges retirent leurs armées de Géorgie et d'Ukraine.]

« Cette pénurie de pain et les difficultés de transport sont dues au manque de carburant. Malgré tous nos efforts, la situation alimentaire de Petrograd s'est récemment aggravée et il y a une véritable famine dans les banlieues de cette ville. »

"Une avancée des révolutionnaires sur Moscou, sur la neige fondante et le sol marécageux, et avec des chemins de fer en souffrance et un pays dévasté, est impossible. Les marins à la tête de cette stupide mutinerie de Cronstadt seront hors de leur élément aussitôt qu'ils perdront de vue le golfe de Finlande, comment peuvent-ils se préparer à une aussi dure marche à travers des districts ne prodiguant pas de nourriture ? Et il adviendra qu’il n'y aura pas de nourriture là-bas."

« S'ils acceptent des approvisionnements de puissances étrangères, ils seront aussitôt considérés comme traîtres à la Russie et le pays tout entier se soulèvera contre eux, tout comme il s'est élevé contre Denikine et Koltchak. »

"Je crois qu'il n'y a que deux types de gouvernement possible en Russie - un gouvernement soviétique ou un gouvernement dirigé par un tsar. À Cronstadt certains imbéciles ou des traîtres ont parlé d'une assemblée constituante, mais est-ce qu'un homme de bon sens peut croire un seul moment à une Assemblée constituante qui serait, à ce stade critique, autre chose qu’une pétaudière."

« Certaines personnes en Amérique en sont venues à considérer les bolcheviks comme une petite clique de très mauvais hommes qui tyrannisent un grand nombre de personnes hautement intelligentes qui formeraient entre elles un gouvernement admirable dès l’instant où le régime bolcheviste serait renversé. Erreur, car il n'y a personne pour prendre notre place, sauf des généraux sanguinaires et des bureaucrates qui ont déjà montré leur totale incapacité à gouverner. »

Des cas de mécontentement

« Cette affaire de Cronstadt en elle-même est un incident très insignifiant. Elle ne menace pas plus de briser le gouvernement soviétique que les troubles irlandais ne menacent de briser l’Empire britannique. Il s’agit simplement d’un cas de mécontentement parmi certains marins désorientés, et ce mécontentement est utilisé par des officiers tsaristes, des réactionnaires, des mencheviks, des socialistes-révolutionnaires et des puissances étrangères. Derrière eux tous, je le sais, il y a l'intellect collectif, extrêmement rusé et profondément hostile de tout le monde capitaliste, qui préférerait voir 10.000.000 de morts en Russie plutôt que le maintien, dans la prochaine étape, du seul État socialiste au monde. »

"Mais je ne peux pas dire grand-chose du bon sens des gens qui ont fabriqué ce complot particulier. S'emparer d'une île glacée, contenant très peu de nourriture et absolument dépendante pour tous ses approvisionnements de la Russie, était une chose stupide, bien que, sûrement, ce ne soit qu'une partie d'un complot beaucoup plus vaste qui a fait long-feu partout ailleurs. Néanmoins, je connais la force effroyable et le manque de scrupules du capitalisme, et je sais que ce n’est pas la dernière salve qu'ils tireront sur nous. Je connais leur jeu, car j'y suis moi-même engagé.

"Napoléon a dit qu'une bataille c’est deux grands corps d'hommes essayant mutuellement de se faire peur. Chacun d'eux est en proie à des vagues successives de panique, et quand la vague de panique dépasse une certaine intensité, l'armée qui y est soumise se brise et bat en retraite. Aucun ordre, aucun appel au patriotisme ou à l'honneur ne peut sauver la situation une fois que ce point d’alerte est dépassé et que les soldats deviennent des bêtes folles, effrayées, imperméables à la raison."

« Le monde est maintenant divisé en deux armées, qui essaient de s’effrayer mutuellement, et nous verrons quel camp aura peur le premier. Je ne pense pas que ce sera la grande et solide masse du prolétariat de cette vaste Russie illettrée, qui fait partie du prolétariat mondial. Nos ennemis ont des nerfs plus faibles que nous et la supériorité même de leur éducation les rend plus sensibles aux terribles vents de panique. »

« Et dans leur panique résidera notre victoire, car sous l'influence de la panique, ils feront subir des choses à leur propre peuple que nous-mêmes ne lui ferions pas. Ils font de telles choses dès maintenant. Ils sont devenus fous de panique. Nous détenons nombre de preuves de ces faits, telles que vous pourrez à peine les croire. Tant en Russie qu’en dehors de la Russie, ils font presque toujours ce que nous voudrions qu’ils fassent. Néanmoins, ils ne sont pas encore tout à fait battus et ils possèdent une formidable réserve d’intelligence et de force qui est certainement à redouter. »

"Cependant, ils sont plus accessibles à la suggestion, car ils lisent tous, et s'ils lisent correctement l'histoire, ils verront que leur destin y est annoncé. Car l'histoire est le récit de l’avénement progressif du prolétariat. Les rois sont partis ; les nobles sont partis ; le peuple seul restera. Bien sûr, ce cours des choses peut connaître des échecs et le capitalisme peut vaincre pendant un certain temps. Mais ce ne sera que pour un temps. Dans cette terre gelée, nous avons semé une graine qui ne peut jamais être détruite."

Lénine a attiré l'attention sur un article qu'il avait écrit pour faire l'éloge des spécialistes bourgeois, c'est-à-dire des ingénieurs, etc. - contre qui les ouvriers bolchevistes ont des préjugés que Lénine essaie de surmonter. Il a écrit :

"Le spécialiste bourgeois qui connaît son métier nous est dix fois plus utile que le communiste vaniteux qui ne peut que crier des slogans et écrire des bavardages."

Discutant de la littérature française, il répéta une ballade du poète français Béranger, «Le Chant du Cosaque», dans laquelle l'auteur, bien qu'écrivant à l'époque où le cosaque était le plus fort soutien de la réaction, prophétisait que le moment viendrait où le cosaque briserait les trônes des rois et les autels des prêtres. « Ce temps, dit Lénine, est venu ».


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