1918

Source : numéro 15 du Bulletin communiste (deuxième année), 14 avril 1921, précédé de l'introduction suivante :
« Les petits articles inédits que nous publions aujourd'hui ont été écrits par Karl Liebknecht le grand communiste allemand en 1917 et 1918, pendant son emprisonnement, à une époque où il ne recevait qu'un journal quotidien, qu'on lui donnait d'ailleurs après l'avoir lu, c'est-à-dire avec une semaine de retard. Ces journaux, il ne pouvait les lire que le dimanche, le travail obligatoire ne lui laissant, les jours ouvrables, qu'un quart d'heure de loisir. »



Aux soldats allemands ! Aux ouvriers allemands !

Karl Liebknecht

 (fin septembre 1918)

 


 

 

Les maîtres de l'heure multiplient les manœuvres les plus pressantes et les moins scrupuleuses, pour bien nous tenir en mains.

Le discours du kaiser à quelques centaines d'ouvriers des usines Krupp, triés et commandés pour l'écouter et l'approuver — comme des recrues devant leur caserne — sous peine d'être jetés à la porte, est-il autre chose qu'une farce indigne ? Quand ces messieurs sentent le nœud coulant se resserrer autour de leurs cous, vous devenez leurs camarades et leurs amis. On a besoin de vous, chers camarades, chers amis. C'est à vous que l'on s'adresse avec les plus flatteuses paroles, lorsqu'on a besoin d'un secours. Mais si vous tirez ces messieurs d'embarras, si vous défendez leur trône, leur grandeur, leur pouvoir, si vous leur donnez une proie nouvelle, ils vous caresseront les côtes de telle manière que vous en verrez trente-six chandelles. Il en fut ainsi, et il en sera ainsi pour peu que vous prêtiez foi à leur beau langage. Le kaiser a traité les travailleurs conscients de « gueux ». Il a menacé les grévistes de la prison et voué toute sa tendresse aux renards. Il a promis du plomb au peuple insolent et indocile ; il a approvisionné la caserne Alexandre d'obus destinés à servir contre le peuple ; il a contraint ses soldats à marcher contre les ouvriers coupables d'user de leur liberté politique, pour manifester et faire grève ; il a imposé à l'Allemagne un gouvernement presque autocratique ; il a prémédité la suppression de la Constitution d'Alsace-Lorraine ; il est enfin le chef militaire du peuple allemand, sur qui retombe, devant le peuple allemand et l'humanité entière, la responsabilité principale de cette guerre abominable.

Il est aujourd'hui identique à ce qu'il était avant la guerre, lorsqu'il provoquait la catastrophe. Il pense identiquement comme alors. Il vous opprimera et vous torturera de même à l'avenir, si vous ne le mettez dans l'impuissance de nuire. Et le manifeste de Hindenburg ! Et ses avertissements contre la propagande ennemie ! Qui ne voit que c'est là un truc grossier. Les manifestes révolutionnaires ne sont pas l'œuvre d'ennemis qui veulent vous égarer et vous abattre. Ils sont l'œuvre de nos amis, de citoyens allemands soucieux de vous montrer le bon chemin, celui de la libération et de la légitime défense contre les Hindenburg et les Hohenzollern.

La campagne contre les atrocités de nos ennemis commises sur les prisonniers allemands, mensonge aussi, grossier mensonge, dont on se sert pour exciter en vous la haine et le désir de combattre, pour s'opposer à la fraternisation avec l'ennemi, pour vous apprendre à mourir en défendant vos bourreaux allemands, plutôt que de vous rendre à l'adversaire, qui n'est pas votre ennemi.

Prends garde, peuple allemand ! Et prends garde, patrie allemande ! Défie-toi des flagorneries, des campagnes démagogiques, du mensonge cynique des Hohenzollern et des Hindenburg et de leurs fidèles serviteurs, les socialistes gouvernementaux. De Wilhelm Hohenzollern au frac ministériel de Scheidemann, le front de tes ennemis est connu.


Archives R. Luxemburg
Sommaire Début de page
Archives Trotsky