1925

Paru dans Les Cahiers du bolchevisme (n°36 du 21 janvier 1926) sous le chapeau "Un document de la droite" après une "présentation" d'A. Treint : "Comment la droite manœuvre !".

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Réponse à la "Lettre ouverte"

F. Loriot

15 décembre 1925


À TOUS LES MEMBRES DU PARTI

"Lénine nous a appris que critiquer ouvertement nos fautes devant toute la classe ouvrière, c'est à moitié les corriger."
(Lettre de l'Exécutif au Parti communiste allemand)

Voilà déjà longtemps que la Direction du parti cache la vérité aux militants du rang.

Aussi la plupart des textes qui lui sont envoyés par les membres du parti sont-ils systématiquement étouffés; les autres ne sont publiés que lorsqu'ils ont perdu toute actualité.

Après la parution de la "Lettre ouverte aux membres du parti", une délégation de membres du parti s'est rendue auprès du secrétaire général pour lui remettre une "Réponse à la Lettre ouverte".

Malgré les fermes promesses du secrétaire général du parti, la manœuvre d'étouffement s'est renouvelée une fois de plus.

Cependant, la Direction avait été mise, par cette Réponse même, en face d'un "avertissement décisif".

C'est donc elle qui porte l'entière responsabilité d'une situation tout à fait anormale.

C'est elle qui met les membres du parti dans l'obligation de porter, par leurs propres moyens, leur pensée à la connaissance du parti.

En abusant de son pouvoir, en méprisant les droits des membres du parti, elle viole la discipline la plus élémentaire.

Admettre plus longtemps cet état de choses, c'est accepter la ruine du parti: la grande majorité du parti s'y refuse avec énergie.

Le 6 décembre, les membres du parti pouvaient lire dans l'Humanité une "Lettre ouverte" qui leur était adressée par une prétendue "Conférence extraordinaire nationale du parti".

C'est ainsi la première fois qu'elle entendait parler de cette Assemblée.

Ainsi, un mois à peine après la Conférence d'Ivry, qui, au dire du Comité central, a marqué "un pas vers la bolchevisation" du parti, et lui a "fixé toutes ses tâches", cette Conférence se trouve annulée en fait au profit d'une nouvelle Assemblée.

Quelle est cette nouvelle Assemblée dont chacun dans le parti ignore l'origine et le mandat ? C'est une réunion fabriquée par le centre, triée sur le volet, que l'on décore du nom de "Conférence", qui se réunit et délibère à l'insu de tout le Parti, et qui s'arroge le droit de modifier la politique et la tactique du parti…

Quant au parti, tenu à l'écart des Assemblées où se discute son sort, où se décide son avenir, il est mis une fois de plus en présence de "décisions" prises à son insu.

Il est temps d'en finir avec ces procédés anti-communistes.

La crise du Parti

Quels sont donc les événements qui ont motivé la tenue de la pseudo "Conférence nationale" ? Quels sont les événements qui ont amené la publication d'une "Lettre ouverte à tous les membres du parti" ?

Depuis près de deux ans, le parti est en état de crise permanente, et l'opposition ne cesse de dénoncer le danger et d'en indiquer les remèdes.

Depuis près de deux ans, […] [1] réussi à étouffer toute une vie intérieure dans le parti, tandis que sa politique éloignait le parti des masses.

Depuis près de deux ans, la pression mécanique, l'intimidation, les exclusions administratives, la crainte des forces nouvelles ont exercé leurs effets destructifs dans le parti. Et c'est parce que sa politique intérieure était ainsi radicalement faussée, que le parti n'a pas su trouver accès auprès des masses. En effet, lorsqu'on emploie dans le parti des méthodes administratives automatiques, il est clair que ces mêmes méthodes finissent par être employées à l'égard des syndicats et des grandes masses sans parti, et qu'on coupe ainsi les ponts qui mèneraient à la conquête de nouveaux éléments ouvriers.

Aujourd'hui, la crise est devenue si grave, l'état du parti est tel que les mesures les plus radicales s'imposent d'urgence: c'est désormais une question de vie ou de mort pour le mouvement communiste en France.

La "Lettre ouverte"

Dans cette grave situation, la direction du parti ne songe qu'à ruser avec le parti et avec l'Internationale. Obligée de déposer son bilan, elle cherche à masquer l'étendue de ses fautes, elle cherche surtout à cacher le fait que l'opposition a eu raison et a raison sur toutes les questions.

Quels remèdes propose la direction dans sa "Lettre ouverte" ?

Une "rectification" de la pratique du front unique. Cette façon de parler diplomatique signifie ceci: on éprouve le besoin de renoncer aux erreurs qui ont discrédité le front unique; on se résoudra désormais à proposer un "programme immédiat et limité" comme base du front unique. Cette façon de parler diplomatique signifie tout simplement que l'on fait volte-face pour adopter le point de vue de l'opposition.

La direction se rend si bien compte que les camarades réfléchis ne s'y tromperont pas qu'elle essaie, une fois de plus, d'égarer le parti: après avoir adopté le point de vue de l'opposition, elle a l'audace de déclarer… qu'elle va mener "une lutte implacable" contre la "droite", contre "les quelques intellectuels d'opposition" !

… La droite ?

Peu importe que la direction essaie, par démagogie, de dénommer "droite" les camarades de l'opposition. Ces camarades ont appris à l'école de Lénine que l'étiquette ne signifie rien, que le contenu est tout. Or, le contenu de l'opposition n'a rien d'opportuniste; c'est elle, au contraire, qui combat pour le marxisme révolutionnaire, contre les déviations de la direction. Si l'on tient à donner un nom à l'opposition, un seul convient à ce qu'elle représente: celui d'opposition communiste.

"Les quelques intellectuels d'opposition"?

Autre mensonge. Comme tout le parti, la direction sait bien que l'opposition communiste a derrière elle la majorité des ouvriers actifs du parti, et qu'il n'y a pas, dans les rangs de l'opposition, d'intellectuels ratés comme il y en a parmi les dirigeants du parti.

Mais sur quoi la direction prétend-elle baser sa nouvelle offensive contre la "droite" ?

Sur l'affirmation que "celle-ci considère le front unique comme une coalition parlementaire et extraparlementaire avec les chefs réformistes, coalition où le parti perdrait toute indépendance, confondrait son programme avec les autres et renoncerait ainsi lui-même à toutes nouvelles possibilités de développement pour ne devenir qu'un appendice du Bloc des gauches".

En affirmant cela, la direction commet un nouveau mensonge; une fois de plus, elle trompe le parti.

Ce qui est vrai, c'est que l'opposition s'est élevée contre les déformations de la tactique du front unique, contre ceux qui prétendaient faire le front unique sans les chefs. En effet, dire que nous sommes prêts à faire le front unique avec les masses et non avec les chefs, c'est scolastique pure. On pourrait tout aussi bien dire que nous consentons à mener des grèves contre les capitalistes, mais que nous ne consentons pas à entrer en pourparlers avec eux…

Mais la direction ne se soucie pas de reproduire la véritable pensée de l'opposition communiste; il lui suffit d'inventer et de mentir. Cette tactique dure depuis trop longtemps pour pouvoir lui profiter encore: "Si le mensonge peut servir un moment, il est nécessairement nuisible à la longue."

Aujourd'hui, les camarades de l'opposition dénoncent au parti cette dernière manœuvre; ils somment la direction de publier un document, une seule ligne, à l'appui de ce qu'elle ose avancer.

Mais précisément, la direction redoute la vérité des textes: elle étouffe systématiquement, pour faciliter sa besogne de dénigrement, les textes de l'opposition communiste.

L'opposition qui s'étend aujourd'hui à tout ce que le parti compte d'éléments ouvriers sains et actifs, l'opposition ne se laissera pas brimer par ceux qui méconnaissent les principes élémentaires de la discipline, de cette discipline qui s'impose au sommet comme à la base du parti; elle revendique hautement son droit d'expression.

Si la direction persiste à fermer à l'opposition la presse du parti, si elle l'empêche de s'exprimer intégralement dans tous les organes où la direction s'exprime elle-même, si encore elle diffère la publication des textes transmis, il ne restera pas d'autre issue devant l'opposition que de porter sa pensée par ses propres moyens à la connaissance du parti.

De cet état de choses, la direction portera seule la responsabilité: qu'elle ne trouve ici l'avertissement définitif.

Nos solutions

On ne mettra pas un terme à la crise par des demi-mesures, en continuant à tromper le parti sur sa véritable situation, et sur les responsables de cette situation…

On ne mettra pas un terme à la crise en proclamant que la politique et la tactique du parti ont été justes dans l'ensemble et en disant qu'il s'agit seulement de "rectifications" de détail.

On ne mettra pas un terme à la crise en adoptant hypocritement la plate-forme de l'opposition tout en réclamant une lutte implacable contre elle.

On ne mettra pas un terme à la crise en attribuant mensongèrement à l'opposition, dans un but fractionnel, des idées et une position politiques qui ne sont pas les siennes.

On ne mettra pas un terme à la crise en écartant de la direction quelques-unes des personnalités les plus compromises.

On ne mettra pas un terme à la crise en pratiquant une politique qui consiste à alterner les déviations, à tomber du gauchisme dans l'opportunisme.

Non, en agissant ainsi, on laissera s'aggraver la crise qui mène le parti à l'isolement, qui le coupe de plus en plus des masses ouvrières.

Ce qui est nécessaire, ce qui est indispensable pour sauver le parti, c'est un RADICAL CHANGEMENT DE COURS, effectué d'accord avec l'Internationale. Un changement de cours qui serait le retour à une politique, à une tactique, à des méthodes véritablement communistes.

Pour préciser, voici ce que réclame l'opposition communiste, et avec elle tout ce qu'il y a de sain dans le parti:

  1. Le rétablissement de la légalité et du centralisme démocratique dans le parti. C'est-à-dire la fin des méthodes bureaucratiques de pression, d'arbitraire et d'intimidation; l'élection réelle des délégués et des fonctionnaires; la tenue de véritables assemblées délibérantes, où le parti soit réellement représenté; la possibilité pour le parti de déterminer sa politique en accord avec l'Internationale. Ce retour à la légalité implique la mise à l'étude de l'organisation du parti, et la révision des exclusions prononcées au cours de la crise;
  2. Une nouvelle politique syndicale donnant toute son importance au travail syndical, s'attachant, par un exemple et un effort incessants, à faire pénétrer l'influence communiste dans les syndicats, et non plus seulement à conquérir les postes syndicaux par des " mesures formelles ". Un des premiers objectifs de cette nouvelle politique syndicale sera de faire revivre et aboutir l'indispensable campagne pour l'unité syndicale;
  3. Une nouvelle politique à l'égard des masses. Un autre ton. La mise en application réelle de la tactique du front unique sur des mots d'ordre susceptibles de rallier les masses. La renonciation à la surenchère et à la démagogie verbale permettra enfin au parti d'apparaître comme le grand parti de la classe ouvrière, susceptible d'inspirer confiance aux masses et de les mener à la bataille.

Ainsi seulement pourra se résoudre la crise qui entame l'influence et menace l'existence même du parti. Ainsi pourra être écarté le danger que crée, dans une situation politique difficile, l'absence d'un véritable parti communiste.

Pratiquement, l'opposition demande la convocation à bref délai d'un Congrès régulièrement élu, après une large discussion à la base, après une lutte idéologique sérieuse dans tous les organes du parti. Naturellement, cette discussion ne devra pas ressembler à la caricature de discussion qui a eu lieu avant la Conférence d'Ivry, où seules les thèses de la direction ont été publiées avant les conférences de rayons, et où les militants se sont souvent prononcés sous la menace.

Ce congrès devra être un premier effort authentique pour régénérer le parti et le mettre en mesure d'aller aux masses.
Devant les lourdes tâches qui nous attendent, la cohésion du parti est plus que jamais nécessaire. L'opposition communiste fait un appel pressant à tous les camarades qui mettent l'intérêt du parti au-dessus de tout, et qui veulent sincèrement travailler à son redressement sur les bases qui viennent d'être indiquées.

Vive le parti communiste rénové !

Vive l'Internationale communiste !

15 décembre 1925


Pour les camarades de l'opposition communiste :

Barrat, Bertrand,

Marthe Bigot,

Carruel,

Lucie Colliard,

Delahaye,

Delsol,

Dessay,

Amédée Dunois,

Engler,

Fulconis,

Garsot,

Germaine,

Goujon,

Gourget

Grandin,

Hairius,

Hattenberg,

Fernand Loriot,

Mahouy,

Magdeleine Marx,

Sarah Menant,

Maurice Paz,

Marcel Roy,

Thionville,

etc.


Notes

[1] Paragraphe tronqué dans le document original


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