1921

Source : numéro 2 du Bulletin communiste (deuxième année), 13 janvier 1921.


L'instruction révolutionnaire

Anatoli Lounatcharsky


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Je veux citer quelques chiffres et quelques faits pour donner à nos lecteurs un aperçu des succès obtenus sur un front, auquel ni le Parti Communiste ni le gouvernement des soviets n'ont pu prêter, grâce aux circonstances difficiles, ni assez de forces ni assez de moyens, mais dont l'importance n'est niée par personne. Malgré les conditions les plus pénibles, malgré l'animosité des pédagogues, avec un programme d'éducation communiste non défriché, voici ce qui a été fait durant ces trois ans :

  1. L'élaboration de la déclaration d'une école unique de travail, avec plusieurs déclarations supplémentaires. Au moment donné, elle est déjà traduite et publiée presque dans tous les pays européens, a été discutée à l'étranger de tous côtés et appréciée presque unanimement, non seulement dans les milieux communistes, ou, en général, prolétaires, mais aussi parmi les représentants libéraux de la pédagogie. Ainsi, par exemple, après le rapport du professeur Braun, l'assemblée pangermanique des précepteurs à Munich vota une résolution approuvant les thèses fondamentales de notre déclaration.

  2. La majorité des précepteurs est gagnée à notre cause. L'ancienne union des précepteurs comptant environ cinquante milles membres, ayant subi la contagion de l'esprit bourgeois, et dirigée par les socialistes-révolutionnaires, s'est transformée en union des travailleurs de l'école et de la culture socialiste, comptant environ 300 000 membres, et dont l'assemblée nous a donné près de 30 % de communistes, et clairement démontré les sympathies des précepteurs pour les nouvelles formes de l'instruction ;

  3. Dans le domaine de la préparation des précepteurs nous avons réformé les anciennes écoles, augmenté les cadres de la jeunesse qu'on y instruit, en démocratisant en même temps les éléments de cette jeunesse, et enfin, créé plusieurs instituts pédagogiques exemplaires (à Petrograd, Viatka, etc.) ;

  4. L'école est déclarée accessible à tous et gratuite, au sens le plus large du mot, c'est-à-dire que l'Etat doit subvenir à tous les besoins des écoliers. Certainement, le nombre des écoles est, néanmoins, bien insuffisant, quoique le nombre des écoles primaires ait augmenté d'environ 12 000 établissements de ce genre, et que le chiffre des écoliers ait augmenté de 3 millions 1/2 jusqu'à 5 millions. Pire se présente la question des écoles de second degré, qu'il n'y eût aucune possibilité à augmenter. Ici continue un travail opiniâtre afin de reconstruire cette école petite-bourgeoise, portant jusqu'à présent l'empreinte hantée du tsarisme, sur la base de la déclaration conforme de l'Ecole Unique du Travail. Ces temps derniers on peut remarquer aussi sous ce rapport un changement considérable ;

  5. Dans le domaine de l'instruction technique professionnelle nous sommes arrivés à créer par un nombre considérable de décrets une nouvelle situation. Des centaines de mille et des millions d'ouvriers, par suite du décret sur l'instruction obligatoire, devront fréquenter des écoles du soir, où ils pourront augmenter leurs connaissances techniques. Les mesures les plus énergiques ont été prises afin de conserver et d'élargir les écoles agricoles et industrielles qui subsistent. Tous les ingénieurs en état d'achever leur éducation ont été affranchis de tout travail étranger à leur profession, et même exempts du service militaire. Eux et leurs professeurs ont été mis dans des conditions et sous un contrôle exceptionnels, et nous donneront dans quelque temps une quantité respectable de spécialistes, qui remplira les vides causés par les guerres impérialiste et civile. La Centrale de l'Instruction Professionnelle, dont cette question est du ressort, se trouve à ce propos en contact permanent avec les commissariats économiques et travaille d'après leurs directives ;

  6. Dans le domaine de l'école supérieure a été élaboré un type complet et élastique en même temps d'écoles supérieures, réalisé dans sa partie inférieure, les facultés ouvrières ; l'année courante nous nous mettons à l'œuvre en inaugurant 24 facultés ouvrières avec 17 000 étudiants. Les années précédentes nous ont donné assez d'expérience pour pouvoir diriger ces facultés d'une façon pratique. Nous voulons que les facultés ouvrières servent de base à une école supérieure, où les spécialistes vont exécuter les commandes des institutions de l'Etat, et la cîme de ce bâtiment sera l'Ecole Préparatoire des professeurs et des savants. Nous avons commencé la réforme de l'école supérieure, en ayant contre nous les professeurs et une grande partie des étudiants. A présent nous avons une quantité considérable d'étudiants communistes (à Moscou, par exemple, environ quinze cents), nous nous sommes attiré les sympathies de la majorité de la jeunesse et nous avons vaincu le sabotage de la pire partie des professeurs et des étudiants. Ce sabotage a été vaincu non seulement par la contrainte, mais aussi par la subvention aux besoins des professeurs (la « part académique ») et des étudiants (l'assistance sociale) ;

  7. Dans le domaine de l'instruction en dehors de l'école nous avons considérablement augmenté le nombre des bibliothèques, malgré l'insuffisance de nos moyens de publication, vu l'absence du papier nécessaire1. Le réseau des « isbas » arrangées en salles de lecture a couvert presque toute la Russie. Les « maisons du peuple » ont été fondées par milliers. Et à présent nous avons assumé la tache d'unifier toute l'action culturelle en une centrale d'instruction politique, liée d'une façon étroite avec le Parti et contrôlée par lui. Cette Centrale sera chargée de l'instruction politique dans tout le pays, car l'instruction en tout son entier devra servir de base à l'instruction communiste ;

  8. Le problème de la liquidation de l'ignorance a été mis au premier plan, et des démarches en ce sens ont été déjà entreprises. Des millions de vocabulaires ont été distribués parmi les masses, et les résultats ne se feront pas attendre. La flotte et l'armée rouges, Petrograd et un nombre considérable d'autres gouvernements sont en train d'achever pour ainsi dire, ce monstre, et nous sommes persuadés, comme lors de la publication de ce décret, que dans trois ou quatre ans il n'y aura plus d'illettrés adultes en Russie ;

  9. Dans le domaine de la science on a fait le nécessaire afin de conserver, en mettant les savants dans des conditions particulièrement privilégiées, les anciens appareils scientifiques. Notre attente ne fut pas déçue, car le monde scientifique répondit à ces soins par un nombre considérable de découvertes remarquables. Il est suffisant de signaler la découverte du professeur Marr2 à propos de l'unité des langues étrusques et arméno-géorgiennes, la décomposition de l'atome de lithium par le professeur Rojdestvensky3, la découverte physique et médicale faite par l'institut de roentgenologie et de radiologie à Petrograd (fondé par nous et reconnu comme un des meilleurs de toute l'Europe), plusieurs découvertes techniques, telle que l'hydrotechnique de tourbe, etc., etc. Plusieurs savants russes sont partis pour l'étranger afin d'entrer en contact avec l'Europe et tous, ils sont amis du régime soviétique ;

  10. Dans le domaine des beaux-arts ont été conservés et rapprochés des masses a l'aide d'excursions de tout genre, les musées, les palais et les monuments des temps anciens. Ont été conservés dans un état tout à fait satisfaisant nos meilleurs théâtres, gardiens des plus précieuses traditions de l'ancienne culture. Leurs portes sont grandes ouvertes au prolétariat, qui jusqu'ici n'avait aucune notion de cet art. Parallèlement ont été multipliées et faites accessibles à tous les écoles d'art supérieures et moyennes. Dans le domaine des arts figuratifs, nous avons tâché de rapprocher les masses de l'industrie artistique, c'est-à-dire de la vie même. Dans le domaine de la musique nous les dirigeons du côté du chant choral ; ont été fondés des instituts spéciaux, dirigeant l'attention du prolétariat vers la déclamation et l'action rythmique en masse. Ici nous avons obtenu des résultats dont nous pouvons être fiers. En province nous avons réglé et multiplié le réseau des musées. Des centaines et des milliers d'objets d'art ayant orné les trésoreries du tsar, de la noblesse et du clergé, ont été envoyés dans la province, où ont été inaugurés déjà plusieurs excellents musées (à Astrakhan, Viatka, etc.)4 ;

  11. Le Proletkult, étant une organisation indépendante du génie créateur du prolétariat, a joui de la protection la plus large du gouvernement, protection qui prendra cette année des formes encore plus précises, car à présent nous aurons affaire à des adeptes de l'art prolétarien déjà mûris, et nous devrons les aider à se déployer le plus largement possible dans la capitale et en province ;

  12. Le ravitaillement et l'équipement des enfants et des précepteurs dans notre République, souffrant de la faim, du froid et du manque de vêtements, ne furent certes satisfaisants et ce fut là une des difficultés principales qu'eut à surmonter notre école dans son évolution. Également l'absence des objets les plus élémentaires, nécessaires à l'usage des écoles se fit sentir d'une manière douloureuse. Nous ne pourrons pas sortir vainqueurs de cette crise d'un moment à l'autre, car elle est le reflet de la crise générale, subie par le pays entier. Mais après le compte rendu du Commissaire du Peuple à la séance du Comité Exécutif Central Panrusse, ce dernier vota confiance au Commissariat du Peuple, lui vint largement en aide, et élabora une décision qui permettra au Commissariat d'améliorer sensiblement ce côté pénible de son travail.

Au résumé nous pouvons dire, que dans les conditions où se trouve la Russie, seul un gouvernement prolétarien pouvait parvenir aux résultats que nous voyons. Car nous avons travaillé sur un front qui a nécessairement peu attiré jusqu'ici l'attention du Parti et des autorités centrales.

Après les victoires militaires et le règlement approximatif de l'économie populaire, ce front deviendra de première importance et attirera les meilleures forces de la République. Alors les boutons que nous voyons autour de nous s'épanouiront en fleurs magnifiques et feront de la Russie soviétiste un exemple pour les voisins l'ayant devancée jusqu'à présent.

Notes

1 Voir à ce sujet Kroupskaïa, Le Travail d'Instruction Politique dans la Russie Soviétique .

2 Nikolaï Iakovlevitch Marr (1864-1934).

3 Dimitri Sergueïevitch Rojdestvensky (1876-1940).

4 Voir Lounatcharsky, Le Gouvernement des Soviets et la conservation des œuvres d'art .


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