1843-50  | 
 "On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894. Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.  | 
Le parti de classe
Le parti dans la révolution (1848-1850)
Cologne, 13 octobre 1848 [1].
Un ami, fort bien informé, nous écrit de Bruxelles : « Engels et Dronke ont été arrêtés et conduits à la frontière en voiture cellulaire après qu'il eurent simplement décliné leur nom. Un ouvrier de Cologne, Schmitz, qui aurait été actif lors de la libération de Wachter, a connu le même sort. En effet, la police de Bruxelles détenait une longue liste d'hommes qui s'étaient enfuis de Cologne, de sorte que la police belge était parfaitement informée de la prétendue participation de Schmitz à la libration de Wachter. »
Nous demandons au commissaire-directeur de police, M. Geiger, s'il est au courant des expédients utilisés pour confectionner cette liste noire et s'il en connaît les auteurs ?
Marx estime qu’il est indifférent de savoir qui est ministre, dès lors qu'il s'agit maintenant ici — comme à Paris — de la lutte entre bourgeoisie et prolétariat [2]. Son discours était très intelligent, radical et riche d'enseignements…
Le docteur Marx parle des ouvriers, surtout allemands de l'étranger, des ateliers nationaux et de la récente révolution ouvrière de Paris. Il estime que les ouvriers allemands peuvent être fiers qu'un grand nombre de leurs compatriotes figurent parmi les déportés. Il parle ensuite des chartistes en Angleterre, et de leur dernière agitation. Avec l'Angleterre, il est possible de réaliser l'émancipation complète des ouvriers d'Europe. Il évoque ensuite la Belgique...
Le docteur Marx, rédacteur de La Nouvelle Gazette rhénane, salue la Société et affirme que c'est pour lui un honneur de parler devant une assemblée d'ouvriers à Vienne, comme il l'a fait précédemment à Paris, Londres et Bruxelles.
Cologne. 5 décembre 1848 [3].
Il y a quelques jours, le rédacteur en chef de La Nouvelle Gazette rhénane, Karl Marx, était à nouveau convoqué devant le juge d'instruction. Quatre articles ont poussé le pouvoir central à une plainte en diffamation : l. Schnapphanski ; 2. un article de Breslau sur Lichnowski ; 3. un article où il est question d'un compte rendu « déformant » d'un certain « étrange citoyen » ; 4. la reproduction de la déclaration de trahison contre le peuple prise dans la salle Chez Eiser contre la majorité de Francfort dans le conflit du Schleswig-Holstein [4].
La Nouvelle Gazette rhénane attend maintenant avec nostalgie de nouvelles plaintes en diffamation en provenance de Berlin, Pétersbourg, Vienne, Bruxelles et Naples. Le 20 décembre se déroulera le premier procès de La Nouvelle Gazette rhénane contre le Parquet et la Gendarmerie.
Nous n'avons pas eu écho jusqu'ici de ce qu'un quelconque Parquet rhénan ait trouvé un quelconque article du Code pénal qui sanctionnerait les grossiers et manifestes actes d'illégalité commis par toutes les autorités rhénanes. « Il faut distinguer » est évidemment la devise favorite du Parquet de Rhénanie.
Nous ne l'avons jamais dissimulé : le terrain sur lequel nous agissons, ce n'est pas le terrain légal, c'est le terrain révolutionnaire. Pour sa part, le gouvernement vient de renoncer à l'hypocrisie du terrain légal. Il s'est ainsi placé sur le terrain révolutionnaire, car le terrain contre-révolutionnaire est, lui aussi, révolutionnaire [5].
Aux yeux de la Couronne, la révolution de mars a été un fait brutal [6]. Un fait violent ne peut être effacé que par une autre violence. En cassant les récentes élections en vertu de la loi d'avril 1848, le ministre reniait sa propre responsabilité et cassait même le tribunal devant lequel il était responsable. La faculté d'en appeler à l'Assemblée nationale du peuple, il en faisait d'emblée une illusion, une fiction, une duperie. En inventant une première chambre basée sur le cens et faisant partie intégrante de l'Assemblée législative, le ministère déchirait ses propres lois organiques, abandonnait le terrain légal, faussait les élections populaires, déniait au peuple tout jugement sur l’« action salvatrice de la Couronne.
Ainsi donc, Messieurs, on ne saurait nier le fait, et nul historien futur ne le niera jamais : la Couronne a fait une révolution, elle a renversé la légalité existante, elle ne peut en appeler aux lois qu'elle-même a abrogées sans vergogne.
Si l'on parvient à accomplir jusqu'au bout une révolution, on peut pendre son adversaire, mais non le condamner. À titre d'ennemis vaincus, on peut les éliminer de son chemin, mais on ne peut les juger à titre de criminels [7]. En effet, une fois accomplie la révolution ou la contre-révolution, on ne peut appliquer aux défenseurs de ces lois les lois que l'on a abrogées. C'est la lâche hypocrisie de la légalité que vous, Messieurs, ne sanctionnerez point par votre verdict...
À cette occasion, Messieurs, regardons en face ce qu'est en réalité le terrain légal, comme on l'appelle. Je suis d'autant plus obligé d'insister sur ce point que nous passons — et c'est juste — pour des ennemis du terrain légal, et que les lois des 6 et 8 avril ne doivent leur existence qu'à la reconnaissance formelle du terrain légal.
La Diète représentait essentiellement la grande propriété foncière. Or, la grande propriété foncière constituait effectivement la base de la société du Moyen Âge, de la société féodale.
La société bourgeoise moderne, notre société, repose, à l'inverse, sur l'industrie et le commerce. Quant à la propriété foncière, elle a perdu toutes ses anciennes conditions d'existence et dépend désormais du commerce et de l'industrie. C'est pourquoi l'agriculture est, de nos jours, gérée industriellement, et les anciens seigneurs féodaux sont tombés au niveau des producteurs de bétail, de laine, de blé, de betteraves, d'eau-de-vie, etc., de gens qui, comme n'importe quel autre commerçant, font le trafic de ces produits industriels !
Tout attachés qu'ils restent à leurs préjugés, dans la pratique ils se transforment en bourgeois qui produisent le plus possible avec le moins de frais possible, qui achètent le meilleur marché possible pour vendre le plus cher possible. Le mode de vie, de production et de trafic de ces gens inflige donc à lui tout seul un démenti à leurs prétentions surannées pleines de superbe. Pour être l'élément social prédominant, la propriété foncière doit reposer sur le mode de production et d'échange féodal.
La Diète nationale représentait ce mode de production et d'échange féodal qui, depuis fort longtemps, avait cessé d'exister, et dont les représentants, si attachés qu'ils soient à leurs anciens privilèges, jouissent tout autant des avantages de la société nouvelle et les exploitent. Or, la nouvelle société bourgeoise, reposant sur de tout autres bases, un mode de production qui avait changé, devait s'emparer également du pouvoir politique ; elle devait nécessairement l'arracher des mains de ceux qui représentaient les intérêts de la société en voie de disparition, un pouvoir politique dont toute l'organisation était issue de conditions sociales matérielles absolument différentes. D'où la révolution.
En conséquence, la révolution était dirigée contre la monarchie absolue, synthèse politique suprême de la vieille société, aussi bien que contre la représentation selon le système des états correspondant à un ordre social mis en pièces depuis longtemps par l'industrie moderne, ou tout au plus aux vestiges prétentieux des états décomposés, dépassés chaque jour un peu plus par la société bourgeoise, et refoulés à l'arrière-plan. En vertu de quel principe la Diète nationale, représentant la vieille société, dicte-t-elle les lois à la nouvelle société qui a conquis ses droits dans la révolution ? Grâce à la prétention qu'elle affiche de défendre le terrain légal. Or, Messieurs, qu'entendez-vous donc par le maintien du terrain légal ? Le maintien de lois qui font partie d'une époque révolue de la société et ont été faites par les représentants d'intérêts sociaux disparus ou en voie de disparition, autrement dit de lois dressées par ces intérêts contre les besoins généraux actuels.
Or, la société ne repose pas sur la loi : c'est une illusion juridique. Elle doit plutôt être l'expression, opposée à l'arbitraire individuel, des intérêts et besoins communs de la société, tels qu'ils découlent du mode matériel de la production existant à chaque fois. Ainsi, le Code Napoléon que je tiens en main n'a pas engendré la société bourgeoise. La société bourgeoise, née au XVIII° et développée au XIX° siècle, trouve bien plutôt simplement une expression légale dans ce Code. Dès que celui-ci ne correspond plus aux conditions sociales, ce n'est plus qu'un chiffon de papier. Vous ne pouvez faire de vieilles lois le fondement d'une évolution sociale nouvelle, pas plus que ces vieilles lois n'ont créé les anciennes conditions sociales. Issues de ces vieilles conditions sociales, elles doivent disparaître avec elles. Elles changeront nécessairement avec les conditions d'existence changées. Vouloir maintenir les anciennes lois envers et contre les exigences et besoins nouveaux de l'évolution sociale revient, au fond, à maintenir hypocritement des intérêts particuliers inactuels contre l'intérêt général actuel.
Défendre le terrain légal, c'est chercher à faire passer ces intérêts particuliers pour les intérêts dominants, alors qu'ils ne prédominent plus ; c'est chercher à imposer à la société des lois condamnées par ses conditions d'existence, par son mode de travail et de distribution, sa production matérielle même ; c'est tenter de maintenir en fonction des législateurs qui ne poursuivent plus que des intérêts particuliers, en abusant du pouvoir politique d'État pour mettre, par la force, les intérêts de la minorité au-dessus des intérêts de la majorité. Elle se met donc, à tout instant, en contradiction avec les besoins existants, freine le commerce et l'industrie, et prépare les crises sociales qui éclatent en révolutions politiques.
Le citoyen Anneke propose que les prochaines élections fassent l'objet de la discussion des séances suivantes [8].
Le citoyen Schapper dit que si cela s'était produit il y a environ un mois, nous aurions pu escompter sans doute de bons résultats pour notre parti à nous, mais qu'il était, hélas ! trop tard aujourd'hui pour cela, étant donné que nous n'étions pas encore organisés. Il ne sera donc pas possible à l'Union ouvrière de faire élire ses propres candidats.
Le citoyen Marx est également d'avis que l'Union ouvrière, en tant que telle, ne saurait aujourd'hui faire passer ses candidats. Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas pour l'heure de réaliser quoi que ce soit sur le plan des principes, mais de faire opposition au gouvernement, à l'absolutisme, au pouvoir féodal. Or, pour cela, il suffit de simples démocrates, de prétendus libéraux, qui eux non plus ne sont pas d'accord, et de loin, avec l'actuel gouvernement. Il faut bien prendre la situation telle qu'elle est. Mais comme il importe surtout maintenant de faire une opposition la plus forte possible à l'actuel système absolutiste, le simple bon sens déjà exige que l'on admette qu'il n'est pas possible de réaliser ses propres conceptions et principes lors des élections et que l'on s'accorde avec un autre parti qui fait également de l'opposition, afin que ce ne soit pas notre ennemi commun, la royauté absolue, qui triomphe.
En conséquence, on décida de participer au comité électoral général qui devait se former à Cologne après qu'eut été fait le découpage des circonscriptions électorales, afin d'y défendre le principe démocratique général.
Pour réaliser une liaison plus étroite entre les ouvriers et les démocrates 20, on nomma les citoyens Schapper et Röser qui participaient aux réunions du comité de la Société démocratique et devaient ensuite rendre compte des résultats de leur action.
L'assemblée décide à l'unanimité :
5. À la suite de la décision de l’assemblée générale d'hier, convoquer pour le premier dimanche de mai un congrès des représentants de toutes les unions ouvrières de Rhénanie et de Westphalie [11].
Afin d'exécuter cette résolution, le comité nomme un comité de province provisoire de six membres, composé des citoyens K. Marx, W. Wolff, K. Schapper, Anneke, Esser et Otto, et charge celui-ci de lancer une invitation motivée aux unions intéressées...
Considérant
La première filiale de l'Union ouvrière de Cologne déclare : qu'elle n'approuve en aucune façon le comportement du docteur Gottschalk après son acquittement par le tribunal des jurés de Cologne ; en outre, rejette avec fermeté et indignation la prétention émise par Gottschalk d'abuser de l'Union ouvrière dans l'intérêt de la monarchie rouge ou de se laisser fourvoyer par de sournoises attaques personnelles contre certains, ou de se laisser octroyer un président avec un comité d'hommes de paille, ou de chercher son salut dans un exil volontaire qui invoque la grâce du roi en même temps que du peuple, ou de se laisser traiter comme un gamin par un individu quel qu'il soit.
L'assemblée générale se réunira dorénavant chaque mercredi.
Le conseil provisoire élu par le comité en vue de la tenue d'un congrès des unions ouvrières de Rhénanie et de Westphalie à Cologne, et composé de Karl Marx, K. Schapper, W. Wolff, F. Anneke, Esser et Otto, se trouve confirmé.
Notes
[1] Cf. La Nouvelle Gazette rhénane, 14 octobre 1848.
[2] Nous extrayons ces brefs relevés des
        diverses interventions de Marx dans la Société démocratique de
        Vienne des journaux Der Radikale, 31-8-1848,
        Die Constitution, 1-9-1848, et Der
        Volksfreund, 5-9-1848 (cf. Werke, 5, p.
        490-91).
        Le 2 septembre 1848, Marx fit un exposé sur « Travail salarié et
        capital » lors de la réunion de la Première Société
        ouvrière de Vienne, mettant en évidence que les rapports
        sociaux du salariat et du capital étaient à l'origine de la
        révolution sociale de 1848.
        Après l'échec de la révolution d'octobre à Vienne,
        Marx parla devant la Société ouvrière de Cologne : Marx fit un
        exposé sur les événements survenus à Vienne, et expliqua que si
        Win-dischgrätz, a réussi à conquérir Vienne, c'est à cause
        des multiples trahisons de la bourgeoisie de cette
        ville. »
[3] Cf. La. Nouvelle
        Gazette rhénane, 6 décembre 1848.
        Cf., en outre, les articles du volume I des Éditions
        sociales sur les différents procès de Marx ou des membres de la
        commune de la Ligue communiste de Cologne :
        « Arrestations », p. 216, 217-220, « Information
        judiciaire contre La Nouvelle Gazette
        rhénane », p. 228-231, 255-259 : « Le
        Conflit entre Marx et la qualité de citoyen prussien », p.
        461-464 ; volume II : « Le Procureur général Hecker et
        La Nouvelle Gazette
        rhénane », p. 75-80 ; « Le Parquet et
        La Nouvelle Gazette
        rhénane », p. 146-149 ; « Trois procès
        d'État contre La Nouvelle Gazette
        rhénane, p. 173-174 ; « Procès contre Gottschalk
        et ses compagnons », p. 255-267 ; « La
        Contre-révolution prussienne et la magistrature », p.
        268-76, et le dernier article, magnifique, sur l'
        « Interdiction de La Nouvelle
        Gazette rhénane par la loi martiale » du
        19-5-1849 (trad. fr. : Marx-Engels, Écrits
        militaires, p. 262-264).
[4] Cf. traduction française de l'article d'Engels sur la « Parodie de guerre au Schleswig-Holstein », 5-6-1848 (ibid., p. 195-197).
[5] Cf. Marx, « La Bourgeoisie et la
        contre-révolution », La Nouvelle
        Gazette rhénane, 10-12-1848. Dans sa
        plaidoirie devant la cour d'assises de Cologne, Marx
        développe le postulat fondamental du socialisme scientifique :
        « La révolution n'est pas une question de forme
        d'organisation, mais une question de force », qui
        résume toute la supériorité du socialisme scientifique sur les
        premiers balbutiements de l'utopisme (et toutes ses formes
        ultérieures, plus ou moins avouées). En effet, c'est une
        utopie de croire qu'il faut réaliser d'abord un
        modèle d'organisation, par exemple, de la
        production (coopératives, cellules d'entreprise, conseils
        de fabrique) ou de relations humaines (dans le parti ou la
        société), afin de l’étendre progressivement au reste de
        la société : cette conception rejoint le réformisme et
        abandonne le terrain de la violence révolutionnaire de
        classe.
        Cette formule de Marx implique toute une vision matérialiste
        du développement économique et politique de la société sur la
        base de grandeurs ou masses physiques qui évoluent sans lois
        abstraites a priori, d'inspiration
        finalement divinisées (justice, égalité, démocratie,
        souveraineté de l'esprit ou de la raison dans le peuple, le
        roi ou le chef), mais d'après les besoins de leur vie et de
        leur développement.
[6] Marx, « Le Procès du comité de district rhénan des démocrates, plaidoirie de Marx », La Nouvelle Gazette rhénane, 25-2-1849.
[7] Les procès contre les bolcheviks au
        cours de la contre-révolution stalinienne relèvent de la même
        idéologie hypocrite, appliquée aux révolutionnaires par un
        adversaire qui prétend revendiquer l'héritage de la
        révolution bolchevique. D'où tous les mensonges et
        mystifications qui font apparaître aujourd'hui le parti
        comme un moyen de coercition dirigé contre les militants
        eux-mêmes, bref un appareil monstrueux et diabolique qui se
        retourne contre ses propres auteurs (en fait, la
        contre-révolution a liquidé, avec des moyens insidieux, la
        grande révolution de 1917 et son acquis).
        Aux yeux du marxisme révolutionnaire, la vie de la
        III° Internationale comporte une autre leçon, à
        savoir que la « terreur idéologique » au sein du
        parti est non seulement nocive, mais encore inutile du point de
        vue de la révolution. Alors que la doctrine communiste se
        diffuse du fait qu'elle correspond aux brûlantes réalités
        sociales, cette malheureuse méthode consistait à vouloir
        remplacer ce processus naturel et organique par une
        catéchisation forcée : c'est ainsi que des éléments
        récalcitrants et égarés, soit pour des raisons plus fortes que
        les hommes et le parti, soit à cause des imperfections mêmes du
        parti, furent publiquement humiliés et mortifiés en congrès,
        sous les yeux de l'ennemi de classe, même quand ils avaient
        représenté le parti et dirigé l'action révolutionnaire dans
        des épisodes politiques de portée historique. Imitant la
        méthode chrétienne de la pénitence et du mea
        culpa, l'Internationale prit l'habitude de
        contraindre ces éléments à une confession publique de leurs
        erreurs, le plus souvent en leur promettant plus ou moins de
        retrouver par ce moyen d'importantes positions dans les
        rouages de l'organisation. Un moyen aussi philistin et
        parfaitement conforme à la morale religieuse n'a jamais
        amendé aucun membre du parti, ni protégé le moins du monde ce
        dernier contre les menaces de dégénérescence. Au contraire.
        Lorsque le parti s'achemine vers la victoire,
        l'obéissance des militants est spontanée et totale, mais
        non aveugle et forcée : la discipline centrale répond à la
        cohérence entre les fonctions de la base et du centre avec leur
        action et leur programme, et aucun dressage bureaucratique,
        aucun volontarisme antimarxiste ne peut s y substituer si elle
        fait défaut.
        Dans les terribles confessions auxquelles furent réduits les
        grands chefs révolutionnaires avant de disparaître dans les
        purges de Staline, comme dans toutes les palinodies qui
        accompagnent les tournants ultérieurs du communisme dégénéré
        russe, chinois, etc., les autocritiques sont une
        méthode contre-révolutionnaire, d'ignobles absurdités
        inutiles et hypocrites que la méthode (bigote et bourgeoise) de
        la réhabilitation n'efface évidemment en rien. C'est
        par l'abus croissant de telles méthodes que la dernière
        vague de la contre-révolution est parvenue à brouiller
        jusqu'aux yeux souvent même des révolutionnaires, la vision
        de la lutte et des méthodes communistes. En effet, c’est
        en agitant le vain et vide recours démocratique, la
        consultation des volontés de la base du parti, que certains
        opposants pensèrent sauver le processus révolutionnaire, dicté
        par les rapports de force, comme si l'adversaire triomphant
        se laissait impressionner et arrêter par des bulletins de vote
        dans sa course où lui-même est poussé par des forces sociales
        et économiques toutes matérielles.
[8] Cf. Freiheit,
        Arbeit, 21 janvier 1849.
        Après l'exposé de la politique générale du parti dans la
        crise révolutionnaire, cette série de textes aborde les luttes
        entre organisations et au sein même du parti ouvrier, qui ont
        lieu parallèlement au passage à la revendication de la
        République rouge démocratique-sociale, soit à la direction par
        le parti ouvrier de l'ensemble des forces révolutionnaires,
        prolétariennes aussi bien que petites-bourgeoises et
        bourgeoises.
        Dans ces conditions, la lutte au sein même des organisations
        ouvrières tourna autour de la question de savoir s'il
        fallait utiliser les moyens politiques.
        Marx s'opposa essentiellement à Gottschalk, fondateur de
        l'Union ouvrière, évincé ensuite par Marx et ses partisans.
        Gottschalk soutenait les revendications économiques spécifiques
        des ouvriers, et se comportait passivement sur le plan
        politique, se contentant de remettre des pétitions au nom des
        travailleurs aux autorités en place dans le cadre politique
        établi. Marx-Engels, au contraire, proposaient une large action
        politique tendant, par tous les moyens politiques possibles
        dans le cadre donné de la phase historique et du programme
        communiste, à renverser les puissances établies. Ainsi, Marx
        joua un rôle dirigeant dans le Comité démocratique de la
        province rhénane qui rassemblait des forces révolutionnaires
        disparates de la bourgeoisie, petite-bourgeoisie, paysannerie
        et artisanat. L'Union ouvrière y côtoyait la Société
        démocratique ainsi que l'Association pour les ouvriers et
        les patrons, aussi longtemps que tout ce monde était
        révolutionnaire.
        Le présent texte illustre de façon tranchée la conception de
        l'activité, et donc de l'organisation, toute politique
        de Marx-Engels, puisqu'il s'agit de la question des
        élections au cours de la révolution bourgeoise ou, en
        d'autres termes — plus significatifs —, de la
        révolution antiféodale et anti-absolutiste dans laquelle, par
        définition, l'un des actes révolutionnaires essentiels est
        précisément le transfert de la souveraineté politique du prince
        au peuple, transfert s'accompagnant de bouleversements
        gigantesques dans l'économie et la société : le
        parlementarisme est alors révolutionnaire.
[9] Le fait que la démocratie fit faillite n'infirme en rien la justesse de la tactique adoptée dans la situation donnée, et ne justifie nullement que l'abstention politique eût été plus conforme au programme communiste ou plus efficace. D'abord, cette tactique était la seule possible et la seule souhaitable dans la phase anti-absolutiste de la révolution (permanente, comme la définira Marx dans son Adresse de 1850, pour l'Allemagne). Elle ne freinait ni n'arrêtait alors l'activité révolutionnaire des masses, contrairement à ce qui se passe dans la crise qui précède l'assaut révolutionnaire du prolétariat dans un pays déjà capitaliste (cf., par exemple, les élections du 26 mars 1871 en ce qui concerne la Commune de Paris, Marx-Engels, La Commune de 1871, 10/18, p. 105, et note 105, p. 300).
[10] Cf. Freiheit, Brüderlichkeit, Arbeit, 22 avril
        1849.
        Deux conditions sont posées à une action en commun avec les
        forces démocratiques des autres classes sociales : qu'il
        s'agisse de réaliser des tâches progressives bourgeoises ;
        que ces forces luttent sur le terrain révolutionnaire.
        C'est la seconde condition qui, faisant défaut en Allemagne
        au cours de cette période déterminée, justifia l'abandon de
        cette organisation vidée de toute signification. Hélas, la
        phase historique « démocratique » n'en fut pas
        surmontée pour autant. Au contraire. Les faibles forces du
        prolétariat furent de plus en plus seules sur le terrain
        révolutionnaire, non encore prolétarien.
[12] Cf. Freiheit, Brüderlichkeit, Arbeit,
        22 avril 1849.
        Un intérêt nouveau se manifeste depuis quelques années en
        Allemagne pour le passé révolutionnaire de ce pays. En témoigne
        par exemple, la réimpression de la presse militante des années
        1848. Les éditions Detlev Auvermann K.G. de Glashütten im
        Taunus viennent, récemment, de publier en fac-similé
        l'organe de l'Union ouvrière de Cologne Freiheit,
        Arbeit (14-1-1849 - 24- 6-1849), en l'introduisant du texte
        de H. von Stein, Der Kölner Arbeiterverein (1846-1849), qui fut
        publié pour la première fois en 1921, et en l'accompagnant
        des remarques de E. Czobel, extraits de Grünberg Archiv, vol.
        11, p. 299-335, Leipzig, 1925, ainsi que des pages 429-432
        extraites du premier volume de Marx-Engels, Archiv, Francfort,
        1928.
        Signalons enfin, chez le même éditeur, la réimpression de la
        revue du Banni : Der Geächtete, Zeitschrift in Verbindung mit
        mehreren deutschen Volksfreunden herausgegeben von J. Venedey,
        Paris, 1834 — déc.-janv. 1846.
[12] Cf. Freiheit, Brüderlichkeit, Arbeit,
        29 avril 1849.
        Ces comptes rendus d'activité de parti témoignent de la
        lutte que Marx-Engels durent engager au sein de
        l'organisation pour défendre et expliquer leur conception
        du cours de la révolution.
        En général, les réunions où les discussions sont souvent
        longues, apparemment tortueuses, voire sibyllines, et parfois
        âpres, sont précisément celles où les militants se forment,
        explicitant pour eux-mêmes les mots d'ordre du parti et ses
        principes avec les préoccupations et les problèmes concrets qui
        se posent aux individus dans les diverses localités et
        conditions particulières (dont les arguments opposés dans la
        discussion reflètent souvent la nature). C'est donc dans
        ces réunions que s'élabore la conscience de l'action
        historique du prolétariat. Grâce à cette activité, « la
        théorie devient une force, en gagnant les masses ».
[13] En 1848-1849, les démocrates républicains furent appelés « les subversifs » par les constitutionnels bourgeois que les premiers baptisèrent « les braillards ».