1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Vers la guerre et la Commune

L'Association internationale des travailleurs à l'Union nationale des ouvriers des États-Unis


Coopérateurs !

Dans le programme inaugural de notre association, nous avons affirmé : « Ce n'est pas la sagesse des classes dominantes, mais la résistance héroïque de la classe ouvrière anglaise contre leur folie criminelle, qui a empêché que l'Europe occidentale ne se précipite à corps perdu dans une croisade infâme en vue d'étendre et de perpétuer l'esclavage de l'autre côté de l'océan Atlantique. » C'est à votre tour, maintenant, de prévenir une guerre dont le résultat le plus clair serait de rejeter en arrière pour une période indéterminée le mouvement ouvrier qui progresse des deux côtés de l'océan Atlantique [1].

Est-il besoin de vous dire qu'il existe des puissances européennes qui s'efforcent sérieusement de fomenter une guerre entre les États-Unis et l'Angleterre. Un simple coup d'œil sur les statistiques du commerce montre que l'exportation de produits bruts russes ‑ et la Russie n'a rien d'autre à exporter ‑ a reculé devant la concurrence américaine, lorsque la guerre civile américaine a pris un tournant décisif. Troquer la charrue américaine contre l'épée c'est, aujourd'hui précisément, la forte solution que vos hommes d'État républicains dans leur sagesse ont choisie comme auxiliaire intime, afin de se sauver de la menace d'une banqueroute imminente. Mais si nous faisons totalement abstraction des intérêts particuliers de tel ou tel gouvernement, n'est-ce pas l'intérêt le plus général de nos oppresseurs que de jeter le trouble, au moyen d'une guerre, dans la collaboration internationale de tous les ouvriers au moment où celle-ci se développe à pas de géant ?

Dans notre adresse de félicitation à Monsieur Lincoln, lors de sa réélection comme président, nous avons exprimé notre conviction que la guerre civile s'avérerait aussi décisive pour le progrès de la classe ouvrière que la guerre d'indépendance pour celui de la classe bourgeoise. Et de fait, l'issue victorieuse de la guerre anti-esclavagiste a inauguré une ère nouvelle dans les annales de la classe ouvrière. Depuis lors, aux États-Unis eux-mêmes, il est né un mouvement ouvrier autonome qui est considéré d'un fort mauvais œil par les politiciens professionnels et les anciens partis. Mais encore lui faut-il quelques années de paix pour se fortifier et devenir fécond. Une guerre entre les États-Unis et l'Angleterre serait très utile pour l'étouffer.

Le second effet tangible de la guerre civile était certes de faire empirer les conditions de l'ouvrier américain. Aux États-Unis comme en Europe, la charge gigantesque de la dette publique est glissée de main en main jusqu'à ce qu'elle aboutisse sur les épaules de la classe ouvrière. Le prix des denrées alimentaires, au dire de l'un de vos hommes d'État, a monté de 78 % depuis 1860, tandis que le salaire d'un ouvrier manuel n'a augmenté que de 50 % et celui d'un ouvrier qualifié de 60 %. Et de gémir : « Le paupérisme croît maintenant plus vite en Amérique que la population. » En outre, les souffrances de la classe ouvrière contrastent avec l'étalage de luxe des nouveaux parvenus de l'aristocratie financière et autres bêtes malfaisantes produites par la guerre. La guerre civile apporta néanmoins en compensation la libération des esclaves et le bond en avant de votre propre mouvement de classe. En revanche, une seconde guerre qui ne serait ni sanctifiée par un but noble ni élevée par une nécessité sociale, mais serait effectuée d'après le modèle du vieux monde [2], ne ferait que souder les chaînes du libre travailleur, au lieu de briser les chaînes de l'esclave. La misère accumulée qui resterait sur ses traces accorderait subitement à vos capitalistes les motifs et les moyens de couper la classe de ses efforts hardis et justifiés grâce à l'épée dépourvue d'âme d'une armée permanente.

C'est donc à vous que revient la tâche glorieuse de faire en sorte qu'enfin la classe ouvrière fasse maintenant son entrée sur la scène de l'histoire, en cessant d'être une suite obéissante, qu'elle devienne une puissance autonome, une puissance consciente de ses propres responsabilités et capable d'ordonner la paix là où ceux qui se prétendent vos maîtres appellent à la guerre.

Londres, 12 mai 1869


Notes

[1] Adresse préparée par Marx en mai 1869.
En ce qui concerne le défaitisme révolutionnaire de la classe ouvrière anglaise face aux tentatives du gouvernement britannique d'entraîner l'Angleterre dans une guerre contre les Nordistes, afin de bénéficier du coton sudiste qui alimentait la première industrie anglaise ainsi que la tentative de Napoléon III d'utiliser le tremplin du Mexique pour une intervention en faveur des esclavagistes du Sud, cf. Marx-Engels, La Guerre civile aux États-Unis, 10/18, Paris, 1970, p. 141-214.

[2] Marx a décrit la guerre de Crimée de 1854-1855 avec ses hécatombes humaines, comme la première guerre contre-révolutionnaire de la bourgeoisie moderne ; cf. Marx-Engels, Écrits militaires, p. 307-316.


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