1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx – F. Engels

Le projet de loi sur l'emprunt forcé et son exposé des motifs


n° 56, 26 juillet 1848

Cologne, 25 juillet

Un coquin fameux du quartier béni de St.-Giles à Londres, est passé devant la Cour d'assises. Il était accusé d'avoir allégé de 2.000 livres sterling le coffre d'un fesse-mathieu perdu de réputation de la City. « Messieurs les jurés, commença l'accusé, je n'abuserai pas longtemps de votre patience. Ma défense entre dans le cadre de l'économie politique, et elle utilisera un vocabulaire économique. J'ai pris à M. Cripps 2.000 livres sterling. Rien de plus sûr. Mais j'ai pris à un particulier pour donner au public. Où sont allées les 2.000 livres sterling ? Les ai-je peut-être égoïstement gardées pour moi ? Fouillez mes poches. Si vous trouvez un penny, je vous vends mon âme pour un farthing [1]. Les 2.090 livres, vous les retrouverez chez le tailleur, le shopkeeper [2] le restaurateur, etc. Qu'ai-je donc fait ? J'ai « mis en circulation » des sommes « inemployées » qu'on ne pouvait arracher au tombeau de l'avarice que par un « emprunt forcé ». J'ai été un promoteur de la circulation, et la circulation est la première condition de la richesse nationale. Messieurs, vous êtes Anglais ! Vous êtes économistes ! Vous ne condamnerez pas un bienfaiteur de la nation ! »

L'économiste de St.-Giles est en prison dans la terre de Van Diemen [3], et il a l'occasion de méditer sur l'aveugle ingratitude, de ses compatriotes.

Mais il n'a pas vécu en vain. Ses principes constituent la base de l'emprunt forcé d'Hansemann [4] :

« La recevabilité de l'emprunt forcé, dit Hansemann dans l'exposé des motifs, repose sur l'hypothèse suivante, certainement fondée : sous forme de sommes plus ou moins importantes, une grande partie de l'argent liquide reste inemployée aux mains de particuliers, et ne peut être mise en circulation que par un emprunt forcé. »

Si vous consommez un capital, vous le mettez en circulation. Si vous ne le mettez pas en circulation, l'État le consommera pour le mettre en circulation.

Un fabricant de coton occupe par exemple 100 ouvriers. Il paie quotidiennement à chacun d'eux 9 groschens d'argent. Donc 900 groschens d'argent, c'est-à-dire 30 talers, voyagent quotidiennement de sa poche à celle des ouvriers, et des poches des ouvriers dans celles de l'épicier, du propriétaire, du savetier, du tailleur, etc. Ce voyage des 30 talers, c'est leur circulation. Quand le fabricant ne peut vendre ses cotonnades qu'à perte, ou ne pas les vendre du tout, il cesse de produire, il cesse d'occuper les ouvriers, et si la production cesse, le voyage des 30 talers cesse, la circulation cesse. Nous rétablirons la circulation par la contrainte ! s'écrie Hansemann. Pourquoi aussi le fabricant laisse-t-il son argent inemployé ? Pourquoi ne le fait-il pas circuler ? Quand le temps est beau, beaucoup de gens circulent dehors. Hansemann pousse les gens dehors, les contraint à circuler pour rétablir le beau temps. Ô maître sorcier des intempéries !

La crise ministérielle et commerciale vole à la société bourgeoise les intérêts de son capital. L'État l'aide à se remettre sur pieds en lui prenant aussi son capital.

Le Juif Pinto, le célèbre joueur en Bourse du dix-huitième siècle, recommande dans son livre sur la « circulation », de jouer à la Bourse [5]. Jouer en Bourse n'est certes pas productif, mais favorise la circulation, le voyage de la richesse d'une poche à l'autre. Hansemann transforme la caisse de l'État en une roulette où circule la fortune des citoyens. Hansemann-Pinto !

Dans « l'exposé des motifs » de la « loi sur l'emprunt forcé » Hansemann se heurte à une grande difficulté. Pourquoi l'emprunt volontaire n'a-t-il pas fait rentrer les sommes nécessaires ?

On connaît bien la « confiance absolue » dont jouit le gouvernement actuel. On connaît le patriotisme délirant de la grande bourgeoisie, qui déplore seulement que des agitateurs aient l'insolence de ne pas partager son élan de confiance. On connaît bien les adresses de loyalisme émanant de toutes les provinces. Et « malgré tout et le reste [6] ». Hansemann est obligé de métamorphoser le poétique emprunt volontaire en un prosaïque emprunt forcé !

Dans le district de Dusseldorf par exemple, des nobles ont versé 4.000 talers, des officiers 900 talers, pourtant où la confiance règne-t-elle davantage que parmi les nobles et les officiers du district de Dusseldorf ? Pour ne rien dire des contributions des princes de la maison royale.

Laissons Hansemann nous expliquer le phénomène .

Jusqu'à présent les contributions volontaires sont rentrées avec parcimonie. C'est imputable sans doute moins au manque de confiance dans notre situation qu'à l'incertitude au sujet des véritables besoins de l'État; on croyait pouvoir attendre de savoir si, et dans quelle mesure, on ferait appel aux ressources financières du peuple. Et voilà sur quoi est fondé l'espoir de voir chacun, dans la mesure de ses forces, apporter sa contribution volontaire, dès que l'obligation de donner sa contribution lui sera présentée comme une nécessité inéluctable.

L'État, dans sa suprême détresse, fait appel au patriotisme. Il le prie très poliment de déposer 15 millions de talers sur l'autel de la patrie et ce, même pas comme un don, mais comme un simple prêt volontaire. On a la plus grande confiance dans l'État, mais on reste sourd à son cri de détresse ! On se trouve malheureusement dans une telle « incertitude » au sujet des « besoins réels de l'État », qu'on se décide provisoirement et en proie aux plus grandes souffrances morales, à ne rien lui donner du tout. On a certes, la plus grande confiance dans le gouvernement et l'honorable gouvernement prétend que l'État a besoin de 15 millions. Justement parce qu'on a confiance, on ne se fie pas à l'assurance du gouvernement, on prend au contraire ses exhortations à verser 15 millions pour un simple badinage. On connaît l'histoire de ce vaillant Pennsylvanien qui ne prêtait jamais un dollar à ses amis. Il avait une telle confiance dans leur conduite rangée, il accordait à leur affaires un tel crédit que jusqu'à l'heure de sa mort, il n'acquit jamais la « certitude » qu'ils avaient « réellement besoin » d'un dollar. Dans leurs demandes pressantes, il ne voyait que le moyen d'éprouver sa confiance, et la confiance de cet homme était inébranlable.

Le gouvernement prussien a trouvé l'État entier peuplé de Pennsylvaniens.

Mais M. Hansemann s'explique encore l'étrange phénomène politico-économique par une autre curieuse « circonstance ».

Le peuple n'a pas fourni volontairement sa contribution « parce qu'il croyait pouvoir attendre de savoir si, et dans quelle mesure, on ferait appel à ses ressources financières ». En d'autres termes : Personne n'a payé volontairement, parce que chacun attendait de savoir si, et dans quelle mesure, il serait contraint de payer. Prudent patriotisme ! Confiance d'une extrême complexité ! Derrière l'emprunt volontaire, au sang vif et aux yeux clairs, se profile l'emprunt forcé, hypocondre, au regard noir : voilà sur quoi M. Hansemann « fonde » « l'espoir » que chacun contribuera volontairement suivant ses ressources ». Le sceptique le plus obstiné doit au moins avoir perdu l'incertitude et acquis la conviction que l'autorité publique prend réellement au sérieux ses propres besoins d'argent. Somme toute, le mal venait, comme nous l'avons vu, uniquement de cette pénible incertitude. Si vous ne donnez pas, il vous sera pris, et prendre ne cause de difficultés ni à vous ni à nous. Nous espérons donc, que votre confiance perdra un peu de son excès et qu'elle s'exprimera non plus en belles phrases sonnant creux, mais en talers sonnants et trébuchants. Est-ce clair ?

M. Hansemann a beau fonder des « espoirs » sur cette « circonstance », le tempérament méditatif de ses Pennsylvaniens l'a contaminé lui-même, et il se voit dans l'obligation de chercher à la confiance des stimulants plus puissants. La confiance existe certes, mais elle ne veut pas se montrer. Il faut des stimulants pour la tirer de son état latent.

« Mais pour donner à la participation volontaire une impulsion plus forte » (que la perspective d'un emprunt forcé), « le paragraphe 1 propose de porter l'intérêt de l'emprunt à 3 % et de fixer une date limite » (au premier octobre) « jusqu'à laquelle des prêts volontaires sont encore acceptés à 5 %. »

M. Hansemann accorde donc une prime de 1 % au prêt volontaire; alors sans doute, le patriotisme retrouvera sa liquidité, les coffres s'ouvriront, et les flots d'or de la confiance se déverseront dans les caisses de l'État.

Naturellement M. Hansemann trouve « juste », de payer à ceux qui sont fortunés 1 % de plus qu'aux petites gens qui ne se laissent prendre le nécessaire que par la force. Pour les punir de leur situation de fortune moins « confortable », ils auront pardessus le marché à supporter les frais de recours.

Ainsi s'accomplit la parole de la Bible. On donnera à celui qui a. Quant à celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il a.

n° 60, 30 juillet 1848

Cologne, 29 juillet

Comme autrefois Peel pour les droits sur les céréales, Hansmann-Pinto a découvert une « échelle mobile [7] » pour le patriotisme involontaire.

« En ce qui concerne le pourcentage de la contribution obligatoire, dit notre Hansemann dans son exposé des motifs, une échelle progressive a été adoptée puisque, manifestement, la capacité de se procurer de l'argent augmente en progression arithmétique avec le montant de la fortune ».

Avec la fortune augmente la capacité de se procurer de l'argent. En d'autres termes, dans la mesure où l'on peut disposer de plus d'argent, on dispose de plus d'argent. Jusque là, rien de plus juste. Mais la capacité de se procurer de 1'argent n'augmente qu'en progression arithmétique, même si les différentes fortunes sont en progression géométrique, c'est là une découverte d'Hansemann et elle doit lui assurer pour la postérité une renommée plus grande que celle de Malthus, lorsqu'il dit : les subsistances croissent en progression arithmétique alors que la population augmente en progression géométrique.

Si donc les différentes fortunes sont dans le rapport de 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256, 512, alors, selon la découverte de M. Hansemann, la capacité de se procurer de l'argent croît comme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.

Malgré l'apparent accroissement de la contribution obligatoire, la capacité de se procurer de l'argent décroît donc, selon notre économiste, exactement dans la mesure où la fortune croît.

Dans une nouvelle de Cervantès, nous trouvons le plus grand financier espagnol dans un asile d'aliénés [8]. L'homme s'était avisé que la dette publique en Espagne serait éteinte dès que

« les Cortès approuvaient la loi suivant laquelle tous les sujets de Sa Majesté, âgés de quarante à soixante ans, devraient être obligés de jeûner à l'eau et au pain un jour par mois, jour qu'ils choisiraient et fixeraient à leur gré. Mais les frais engagés habituellement ce jour-là en fruits, légumes, viandes, poissons, vins, œufs, fruit secs, devraient être évalués en argent et remis à Sa Majesté sans en distraire un denier, sous peine d'être puni de parjure. »

Hansemann abrège le procédé. Il a convié tous ses Espagnols possédant un revenu annuel de 400 talers, à trouver un jour où ils pourront se passer de 20 talers. Il a convié les petits, conformément à l'échelle progressive, à s'abstenir de toute consommation pendant 40 jours environ. Si entre août et septembre, ils ne trouvent pas les 20 talers, en octobre un huissier se chargera de les trouver selon la parole de l'Écriture : Cherchez et vous trouverez.

Continuons donc à suivre les « motifs » dont le Necker prussien nous fait confidence.

« Tout revenu, nous apprend-il, provenant d'industries au sens le plus large du terme, donc sans se préoccuper de savoir si l'on paye patente, comme par exemple le revenu des médecins et des avocats, ne peut entrer en ligne de compte que déduction faite des frais généraux y compris les intérêts des dettes à payer, puisque c'est la seule façon de trouver le revenu net. Pour la même raison les fonds de roulement industriels doivent rester hors de cause, dans la mesure où, pour l'emprunt, la contribution calculée d'après le revenu, est d'un montant plus élevé que celle calculée d'après les fonds de roulement. »

Nous marchons de surprise en surprise. Le revenu ne peut entrer en ligne de compte que déduction faite des fonds de roulement, car l'emprunt forcé ne peut et ne doit être rien d'autre qu'un impôt sur le revenu. Et les frais généraux font aussi peu partie du revenu de l'industriel, que le tronc et la racine de l'arbre font partie des fruits qu'il porte : puisque seul le revenu et non les fonds de roulement, doit être imposé, voilà pourquoi ce sont justement les fonds de roulement qui sont imposés et non le revenu, si la première manière semble plus profitable au fisc. Peu importe à M. Hansemann, « la façon dont le revenu net est trouvé ». Ce qu'il cherche, c'est « la façon dont le fisc « trouve » le revenu le plus élevé ».

M. Hansemann s'attaquant aux fonds de roulement mêmes, ressemble au sauvage qui abat l'arbre pour entrer en possession de ses fruits.

« Si donc (Art. 9 du projet de loi) la participation à l'emprunt, évaluée d'après les fonds de roulement industriels, est plus élevée que si elle est évaluée suivant le revenu multiplié par dix, c'est le premier mode d'estimation qui entre en jeu, et par conséquent, les « fonds de roulement industriels » sont eux-mêmes « mis à contribution ».

Donc, aussi souvent qu'il lui plaît, le fisc peut fonder ses exigences sur la fortune et non sur le revenu.

Le peuple demande à inspecter le mystérieux trésor public de la Prusse. Le ministère d'action répond à cette exigence déplacée, en se réservant le droit de jeter un regard pénétrant dans tous les livres comptables des commerçants, et de dresser un inventaire de l'état de fortune de tous ses ressortissants. L'ère constitutionnelle en Prusse commence par un contrôle, non de la richesse de l'État par le peuple, mais de la richesse populaire par l'État, et ouvre ainsi les portes toutes grandes à l'ingérence la plus éhontée de la bureaucratie dans le commerce civil et les relations privées. En Belgique, l'État a également recouru à un emprunt forcé, mais il s'en tient discrètement aux rôles des impôts et aux livres d'hypothèques, c'est-à-dire à des documents publics disponibles. Le ministère d'action, lui, introduit l'esprit spartiate de l'armée prussienne dans l'économie nationale prussienne.

Dans ses « motifs », Hansemann cherche certes, à apaiser le citoyen par toutes sortes de paroles suaves et de perspectives agréables.

« La répartition de l'emprunt », lui susurre-t-il, « est fondée sur l'évaluation personnelle ». Toute « tracasserie » est évitée.

« Une indication sommaire des différentes composantes de la fortune n'est même pas exigée... La commission locale chargée d'examiner les évaluations personnelles doit, par la voie d'aimables représentations, inviter à une participation appropriée; et si cette méthode ne donne pas de résultat, c'est alors seulement qu'elle évaluera le montant. Contre cette décision, il y a le recours à une commission de districts, etc. »

Évaluation personnelle ! Même pas une indication sommaire des différentes composantes de la fortune ! Aimables représentations ! Recours !

Dis, que veux-tu de plus ?
Commençons tout de suite par la fin, par le recours [9]

L'art. 16 stipule :

« Le recouvrement s'effectue aux dates fixées sans tenir compte du recours interjeté, sous réserve de remboursement, dans la mesure où le recours sera considéré comme justifié. »

Bien plus.

Donc, paiement d'abord malgré le recours, et justification après coup malgré le paiement !

Les « frais » entraînés par le recours « sont à la charge du requérant si son recours est rejeté en tout ou en partie, et si besoin est, ils seront exigés par la force. » (Art. 19). Quiconque connaît l'impossibilité économique qu'il y a à évaluer exactement la fortune, voit au premier coup d'œil, que le recours peut toujours être partiellement rejeté, le requérant en supportera donc chaque fois le préjudice. Ainsi quel que soit le recours, une amende le suit toujours comme son ombre inséparable. Tous nos respects au recours !

Après avoir commencé par le recours, c'est-à-dire la fin, revenons au début à l'évaluation personnelle.

M. Hansemann ne semble pas craindre que ses Spartiates se surestiment.

Selon l'art. 13, « les indications personnelles de ceux qui sont astreints à contribution constituent la base de la répartition de l'emprunt ! » L'architectonique de M. Hansemann est ainsi faite qu'à partir des fondations, on ne peut absolument pas déduire l'allure finale de son édifice.

Ou plus exactement quand nous disons « indications personnelles » il s'agit des « indications personnelles » qui doivent être remises » sous forme de « déclaration » aux fonctionnaires désignés par M. le « ministre des Finances ou, en son nom, par le gouvernement du district »; cette base de répartition est alors justifiée de manière plus approfondie. Suivant l'art. 14, « une ou plusieurs commissions se réunissent pour examiner les déclarations remises; le présidant, ainsi que leurs autres membres au nombre de 5 au moins, doivent être nommés par le ministre des Finances ou l'autorité qu'il délègue. » La nomination émanant du ministre des Finances ou de l'autorité qu'il délègue constitue donc la véritable base de l'examen.

Si l'évaluation personnelle s'écarte de l'appréciation de cette commission municipale ou régionale, nommée par le ministre des Finances, « l'intéressé » est prie de s'expliquer. (Art. 15.) Qu'il donne alors une explication, ou qu'il n'en donne pas, le tout est de savoir si elle « suffit » à la commission nommée par le ministre des Finances. Si elle ne suffit pas « c'est alors à la commission de fixer la contribution suivant sa propre évaluation et d'en informer le contribuable. »

D'abord, c'est le contribuable qui évalue lui-même le montant de sa contribution et en informe le fonctionnaire. Maintenant c'est le fonctionnaire qui évalue et informe le contribuable. Qu'est-il advenu de l'« évaluation personnelle » ? La base s'est effondrée. Mais tandis que l'évaluation personnelle sert uniquement de prétexte à un « examen » sévère du contribuable, l'évaluation faite par d'autres devient immédiatement exécutoire. L'art. 16 déclare en effet :

« Les délibérations des commissions (municipales) et régionales doivent être remises au gouvernement du district qui établira aussitôt, d'après elles, les rôles des contributions à l'emprunt, et les expédiera aux caisses intéressées, pour faire percevoir ces contributions - au besoin par la force - conformément aux prescriptions en vigueur pour les impôts. »

Nous avons déjà vu que pour les recours, tout n'était pas « rose ». La voie du recours cache encore d'autres épines.

Premièrement : La commission de district qui examine les recours, est formée de députés élus par les électeurs au second degré, etc., selon la loi du 8 avril 1818.

Mais devant l'emprunt forcé, l'État entier se divise en deux camps ennemis, le camp des récalcitrants et le camp des bonnes volontés dont la contribution, fournie ou proposée, n'a suscité aucune critique à la commission régionale. Les députés ne peuvent être choisis que dans le camp des bonnes volontés. (Art. 17.)

Deuxièmement : La présidence est assurée par un commissaire que doit nommer le ministre des Finances et auquel peut être adjoint un fonctionnaire chargé du rapport. (Art. 18)

Troisièmement : La commission de district est habilitée à ordonner une évaluation spéciale de la fortune ou du revenu, et pour cela à faire dresser une estimation des valeurs ou à examiner les livres comptables. Si ces moyens ne suffisent pas, on peut exiger du requérant une déclaration sous serment. (Art. 19)

Donc, qui ne se soumet pas, sans hésitation, aux « évaluations » des fonctionnaires nommés par le ministre des Finances, doit, pour la peine, présenter l'ensemble de sa situation financière à deux bureaucrates, et peut-être à 15 concurrents. Chemin couvert d'épines du recours ! Hansemann ne fait que bafouer son public quand il dit dans l'exposé des motifs :

« La répartition de l'emprunt a pour base l'évaluation personnelle. Mais, pour éviter de lui donner un caractère de tracasserie, une indication sommaire des différentes composantes de la fortune n'est même pas exigée. »

Le châtiment du « parjure » prévu par le faiseur de projets de Cervantes, ne manque même pas dans le projet du ministre d'action.

Au lieu de nous tourmenter avec ses semblants de motifs, notre Hansemann aurait mieux fait de dire avec l'homme de la comédie :

« Comment voulez-vous que je paie d'anciennes dettes et que j'en fasse de nouvelles, si vous ne me prêtez pas d'argent ? »

Mais au moment où la Prusse, pour servir ses intérêts particuliers, cherche à trahir l'Allemagne et à se rebeller contre le pouvoir central, il est du devoir de tout patriote de ne fournir volontairement aucun centime à l'emprunt. Ce n'est qu'en lui coupant les vivres de manière conséquente, qu'il est possible de contraindre la Prusse à se soumettre à l'Allemagne.


Notes

Texte surligné : en français dans le texte.

[1] Petite pièce de monnaie anglaise de la valeur d'un quart de penny.

[2] Le boutiquier.

[3] La terre de Van Diemen, ou Tasmanie, île au sud de l'Australie, fut découverte en 1642 par Tasman. En 1804, les Anglais y établirent une colonie pénitentiaire.

[4] Le projet de loi sur l'emprunt forcé du 10 juillet 1848 et l'exposé des motifs furent soumis à l'Assemblée nationale prussienne le 12 juillet 1848.

[5] Cf. Isaac Pinto : Traité de la circulation et du crédit, Amsterdam.

[6] Extrait du poème de Freiligrath : « Malgré tout ».

[7] « Échelle mobile » (sliding-scale) pour fixer le taux des droits de douane sur le blé au temps des lois sur les céréales en Angleterre. Ces droits montaient quand le prix des céréales sur le marché intérieur baissait, et diminuaient quand le prix des céréales sur le marché intérieur augmentait.

[8] Cf. Cervantès : Nouvelles exemplaires (dialogue entre Sipion et le chien Berganza).

[9] Heine : Le Livre des chants, Le Retour, LXII, strophe 1, refrain.


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