1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx - F. Engels

Le serment des soldats anglais

n°241, 9 mars 1849


Cologne, le 7 mars.

La Neue Preussische Zeitung annonce triomphalement le serment de fidélité des militaires anglais et se réjouit à l'excès d'avoir découvert que les soldats anglais jurent fidélité à la reine seulement et non à la Constitution. Et en Prusse, dans l'État constitutionnel le plus récent, nous devrions, contrairement à l'exemple du plus ancien pays constitutionnel, faire jurer les soldats sur la Constitution ?

Mais la Neue Preussische Zeitung oublie de faire savoir à ses lecteurs que le soldat anglais est soumis aux lois civiles.

Il va de soi que pour tous les délits qui ne sont pas de simples manquements à la discipline le soldat britannique est traduit devant les tribunaux ordinaires, les justices locales, Petty Sessions, Quarter Sessions [1] ou Assises et que pour tous les conflits avec les autres citoyens, il est tout naturellement traité comme un simple citoyen.

Mais ce n'est pas encore tout. En Angleterre, chaque citoyen, qu'il soit fonctionnaire, soldat ou quoi que ce soit d'autre, est responsable, vis-à-vis des lois, de chacun de ses actes et ne peut pas alléguer que l'acte qui lui est reproché lui a été commandé par ses supérieurs. Par exemple, une émeute a lieu. La troupe avance. On fait ou non les sommations légales de dispersion. Le peuple ne se disperse pas. Le fonctionnaire civil (toujours un juge de paix ou un élu municipal) autorise on non la troupe à intervenir. La troupe fait feu, il y a des morts. Les cadavres sont passés en revue par un jury devant lequel les faits sont établis. Si le jury estime que l'intervention n'était pas justifiée par les circonstances, il énonce un verdict de meurtre avec préméditation contre tous les participants, y compris le fonctionnaire civil qui a autorisé l'intervention, l'officier qui a commandé le feu, et tous les soldats qui ont réellement tiré.

Si le fonctionnaire civil n'a pas approuvé l'intervention, cela n'a aucune autre conséquence que de ne pas figurer dans le verdict. Il en est de même pour les officiers et les soldats.

Le verdict de meurtre avec préméditation constitue donc un acte d'accusation formel sur la base duquel on instruit une action criminelle normale devant les jurés compétents.

Le soldat anglais n'est donc nullement considéré par la loi comme une machine sans volonté qui doit obéir à l'ordre donné sans raisonner, mais comme un « free agent », un homme ayant son libre arbitre, qui doit savoir à chaque instant ce qu'il fait et qui est responsable de chacun de ses actes. Les juges anglais feraient de belles réponses à un soldat accusé, si celui-ci disait pour sa défense qu'on lui avait commandé de faire feu et qu'il avait dû « obéir à la consigne » !

En Prusse, il en est tout autrement. En Prusse, le soldat déclare que le tir lui a été commandé par son supérieur direct et qu'il n'est passible d'aucune peine. En Prusse, et de la même façon en France, le fonctionnaire est assuré d'une parfaite impunité pour toute infraction dès qu'il prouve que l'ordre émanant de son supérieur normal lui est parvenu par la voie hiérarchique normale.

La Neue Preussische Zeitung nous croira sur parole si nous disons que nous ne pensons pas qu'une brève formule sacramentelle puisse faire d'un homme un autre homme, et d'un lieutenant de la garde blanc et noir [2] , un fanatique de la « liberté constitutionnelle ».

Ces Messieurs avec Dieu et pour le roi et la patrie, ont, au cours des douze derniers mois fait sur leur propre et honorable parenté, les expériences les plus agréables quant à la signification des serments. Nous ne nous opposons absolument pas à ce que la Neue Preussische Zeitung fasse jurer fidélité au roi, au Dalaï-Lama ou à l'homme sur la lune, par les militaires, dès que « Ma superbe armée de guerre [3] » sera, de la manière dont nous l'avons exposé, dans la même situation vis-à-vis des lois que les militaires anglais.


Notes

Texte surligné : en français dans le texte.

[1] Les Petty Sessions étaient les sessions des tribunaux de justice de paix en Angleterre qui s'occupaient d'affaires peu importantes avec une procédure simplifiée. Les Quarter Sessions : jours d'audience des juges de paix qui avaient lieu quatre fois par an.

[2] Le noir et blanc étaient les couleurs du drapeau prussien.

[3] « An Mein Heer» (à Mon armée). Le I° janvier 1849 le roi Frédéric-Guillaume IV adressa ses vœux et ses félicitations à l'armée prussienne.


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