1892

Source : Pall Mall Gazette, 16 septembre 1892, p. 2


Le choléra et les socialistes de Hambourg

Edward Aveling


Concernant un autre aspect de la même question, M. Edward Aveling nous envoie ce qui suit, qui jette un éclairage important sur les mesures prises dans la ville de Hambourg :

Les lettres et télégrammes de Hambourg à propos du choléra sont légion. Les détails donnés sont innombrables. Et pourtant, les détails donnés dans les journaux ordinaires sont incomplets. A ma connaissance, aucun des journaux bourgeois n'a dit quoi que ce soit sur le rôle intéressant joué par les organisations sociales-démocrates à Hambourg au cours de ces dernières semaines d'horreur. Le rôle qu'elles ont joué a été, si l’on peut dire, à la fois passif et actif. Pour le côté passif, il est clair qu'une épidémie qui s'attaque nécessairement surtout aux couches ouvrières les plus pauvres doit faire de grands ravages dans les rangs des socialistes. Hambourg est l'un de nos plus forts bastions et August Bebel est membre de l'une de ses sections. La mortalité au sein du parti socialiste y a été terrible. Chaque jour, dans le journal socialiste, le Hamburger Echo, on a publié une longue liste de camarades dont on a su qu’ils avaient succombé au choléra. Et, dans l'état de désorganisation des choses à Hambourg, ces listes sont, bien entendu, loin d'être complètes. J’ai devant moi un numéro récent de l'Echo. Il contient une longue colonne en petits caractères de «statistiques de la misère» - un exemple de certaines rues horribles des quartiers ouvriers. C'est assez monotone. Maison après maison, la liste dit, par exemple : – Je prends deux cas vraiment au hasard – “Trois pièces ; dix personnes y vivent. Un homme est mort du choléra ; sa femme et ses deux enfants sont sans moyens de subsistance. Trois familles dans cet appartement.” Ou : “Quatre chambres ; neuf personnes y vivent. Deux enfants sont morts du choléra ; un homme, sa femme et son enfant en sont atteints ; les malades et ceux qui n'ont pas encore été touchés sont couchés les uns sur les autres ; tous sont sans aucun moyen de subsistance.” Si on garde tout cela à l'esprit, et si on se rappelle en outre que, selon les socialistes, et même selon tout le monde sauf les autorités, le choléra aurait pu être contenu et éradiqué dès ses premières apparitions avec un peu d'énergie et d'argent ; si on garde aussi à l'esprit que du travail pourrait être immédiatement trouvé pour les milliers qui en sont actuellement privés, si au moins les autorités commençaient tout de suite à prendre les mesures sanitaires nécessaires - on ne peut s'étonner que l’Hamburger Echo déclare : - “La misère augmente ; les besoins grandissent rapidement. À moins que des vies humaines toujours plus innombrables soient destinées à être sacrifiées, notre demande (d’un programme de travaux publics) doit être satisfaite.”

Permettez-moi maintenant de parler du rôle actif joué par les socialistes de Hambourg pendant l'épidémie. Quelques indications sur l'état des choses évoquées ci-dessus ont peut-être filtré par les agences de presse et les lettres des correspondants. Mais, pour autant que je sache, absolument rien n'a été rendu public du travail effectué à Hambourg par le parti. Ici, seuls les lecteurs de la presse socialiste allemande peuvent être au courant du fait historiquement important que, dans leur détresse, les pouvoirs en place ont dû se tourner vers l'organisation socialiste pour obtenir de l'aide. Lors d'une réunion convoquée par la Chambre de commerce de la Bourse de Hambourg dans le but de former un comité d'aide pour soulager la détresse due à l'épidémie de choléra, un certain Dr Gieschen a dit ce qui suit : - Il a remercié la Chambre de commerce d'avoir pris l’affaire en main ; il a mis en garde l’assemblée contre une trop grande division des forces, pécuniaires ou autres ; il s'est prononcé en faveur d'un organe centralisé en rapport avec les habitants, afin que la distribution des différents moyens curatifs et de préventifs puisse être correctement menée. Le travail à effectuer ne doit pas être réservé à une classe spéciale. On doit aller directement parmi la population. Il a donc jugé nécessaire qu’ils se mettent en relation avec les dirigeants du parti social-démocrate. La coopération des socialistes serait d'un poids extraordinaire. Les organes sociaux-démocrates ont écrit sur le choléra d'une manière très raisonnable et lucide, et les suggestions qui ont été faites dans leurs articles méritent un examen attentif. Plus tard, M. Sigmund Hinrichsen a repris la même argumentation. Il a vivement approuvé la recommandation du Dr Gieschen de s'adresser aux principaux dirigeants du parti social-démocrate. Il a longuement parlé à ce sujet, soulignant qu’ils étaient bien connus parmi toutes les classes les plus pauvres, et qu'ils connaissaient également les méthodes, les voies et moyens pour se rendre aux endroits où la maladie et les besoins étaient les pires. Non seulement les médecins et les marchands, mais l'Église aussi a dit la même chose. Un ecclésiastique a écrit dans le Hamburg Fremdenblatt : - “Une grosse somme d'argent a été réunie pour alléger les besoins actuels. La difficulté réside en sa distribution. Les personnes les mieux placées pour cette distribution sont :
(1) les médecins,
(2) les fonctionnaires de l’assistance publique,
(3) les hommes d'affaires connaissant les besoins des plus pauvres,
(4) les travailleurs vivant dans les quartiers concernés.”
Puis, après une référence aux médecins, le bon prêtre poursuit : “Une commission devrait être formée pour chaque rue et chaque courée, composée des employés locaux de l’assistance publique, de deux ouvriers et d'un homme d'affaires. Le choix des membres ouvriers de la commission peut être facile, car les travailleurs seront nécessairement tout de suite aisément désignés par les dirigeants sociaux-démocrates.”

Se sont tournés vers les sociaux-démocrates, non seulement la Chambre de commerce et la réunion qu'elle avait convoquée - il faut comprendre qu’elle se composait des présidents des différents «clubs bourgeois» de la ville -, non seulement les médecins et les curés, mais les autorités, et même les autorités policières, ont fait de même. Il a fallu éditer le plus rapidement possible 250.000 dépliants donnant des instructions précises sur la désinfection. Il était nécessaire non seulement de les imprimer, mais aussi de les distribuer. Dans les deux cas, les autorités se sont tournées vers les socialistes. Les dépliants ont été imprimés en quelques heures par Auer et Cie, c'est-à-dire par l’imprimerie Sociale-Démocrate. La distribution fut encore plus remarquable et rapide. À l’appel des autorités, mille socialistes ont répondu tout de suite ; et l'organisation du parti est si parfaite que non seulement ces mille personnes étaient prêtes dans les plus brefs délais, mais chacune d'entre elles savait exactement quoi faire, et la distribution se fit aussi en quelques heures. Et aussi, quand on a demandé un certain nombre de volontaires pour expliquer les méthodes de désinfection, 400 socialistes se sont immédiatement présentés. À cet égard, il faut noter qu'il y eut quelque chose de plus qu'une simple organisation fournie par les socialistes. Ce quelque chose d'important était le courage. Tandis que les bourgeois étaient, dans leur ensemble, dans un état de panique et s’enfuyaient en masse de Hambourg, nos gars restaient à leurs postes et plongeaient dans l'épidémie. L'humour qui tourne toujours autour des grandes tragédies ne fut pas absent de celle-ci. En voici un exemple. Un journal du Mecklembourg – le Mecklembourg place une tête de bœuf dans son écusson – a lancé des cris d’avertissement contre l'invasion des travailleurs qui pourraient venir du district de Hambourg. Il a souligné qu'en raison du choléra et de la mise à l’arrêt complète de toutes les entreprises de Hambourg, de nombreux travailleurs cherchent un emploi ailleurs. Mais, poursuivait-il, “les ouvriers de Hambourg sont tous, à un ou deux près, des sociaux-démocrates convaincus et instruits, et chacun d'entre eux venant ici sera un agitateur parmi nous et répandra le poison de la parole social-démocrate parmi notre population agricole. On sait avec quelle facilité nos ouvriers agricoles, sur ce point si incroyablement crédules, sont poussés par des agitateurs dénués de scrupules, qui leur disent les choses les plus scandaleuses et les plus absurdes.” C'est ainsi que notre grand savant du Mecklembourg clame que les ouvriers des villes doivent être tenus à l'écart, moins à cause de la possibilité du choléra que de la certitude de la social-démocratie.

Ces sombres plaisanteries mises à part, au vu des faits que j'ai exposés ci-dessus - des faits qui, je le répète, ont été sagement mis sous le boisseau par les journaux bourgeois de tous les pays - il y a quelque fondement pour les propos de l'Arbeiter Zeitung, l'organe des Socialistes autrichiens : “Le seul organe réellement organisé aujourd'hui est la classe ouvrière consciente de sa classe. Pas étonnant que les gens se tournent vers elle dans le besoin et dans la détresse.”


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