1896

Article paru dans Le Devenir Social No 5, Mai 1896, pp. 393-403, écrit en français par Edward Aveling.


Histoire des manifestations de May Day pour la journée légale de huit heures en Angleterre

Edward Aveling


Un rapide compte-rendu sur l’origine et le développement de la grande manifestation de mai à Hyde Park en faveur de la journée légale de huit heures peut être intéressant au point de vue historique. Il sera aussi intéressant en ce qu’il mettra en évidence deux points qui doivent être présents à l’esprit quand il s’agit de quelque mouve­ment avancé en Angleterre, — du moins jusqu’à maintenant. L'idée première de toute marche en avant est toujours, au début, conçue par une petite minorité et repoussée par la masse de la classe ouvrière. Mais avec de l’énergie et de la persévérance, la minorité, graduelle­ment, finit par triompher de l’opposition, ou, ce qui est pire, de l’inertie de la majorité. Et quand une fois les ouvriers anglais ont adopté une idée nouvelle, ils s’y attachent et la propagent avec une énergie et une ténacité qui ne sont pas inférieures à celles de leurs frè­res des autres pays.

La question d’une journée de travail légale de huit heures était dans l’air depuis quelque temps. Mais, négligeant les premières tentatives dans cette voie, et nous occupant seulement du mouvement très cir­conscrit et important de ces dernières années, pour pénétrer dans la genèse de ce mouvement, nous devons remonter au Congrès interna­tional des ouvriers socialistes qui se tint à Paris du 14 au 21 juillet 1889. Ce Congrès vota la résolution suivante : « Manifestation interna­tionale du 1er mai. Il sera organisé une grande manifestation interna­tionale à date fixe, de manière que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail... Attendu qu’une semblable manifestation a déjà été décidée pour le 1er mai 1890 par l’American Federation of Labour, dans son Congrès de décembre 1888, tenu à Saint-Louis, cette date est adoptée pour la manifestation internationale. Les travailleurs des diverses nations auront à accomplir cette manifestation dans les conditions qui leur seront imposées par la situation spéciale de leur pays. »

Le premier pas pour exécuter ces résolutions fut fait en Angleterre par la Bloombury Socialist Society, qui, en janvier 1890, vota une réso­lution pour célébrer le 1er mai 1890. A peu près en même temps, 23 janvier 1890, la Gas workers and General Labourers Union (Associa­tion des ouvriers gaziers et similaires), vota une résolution analogue. Ces deux sociétés se réunirent alors, et un comité composé de cinq membres de chacune fut nommé pour organiser une manifestation le 1er mai. J’ai sous les yeux un document historique : la première invi­tation en Angleterre à une conférence sur ce sujet. Cette circulaire mentionne la résolution de Paris, et au nom de la Gas workers and General Labourers Union et de la Bloomsbury Socialist Society, demande aux diverses associations de la classe ouvrière, d’envoyer des délé­gués le dimanche 16 mars « pour examiner les mesures à prendre pour faire réussir la manifestation du 1er mai et la rendre universelle en Angleterre ». Cette circulaire est signée par W. Thorne, secrétaire général de la Gas workers and General Labourers Union, et par W. Barlett et T. Wardle, tous deux membres de la Bloomsbury Socialist Society. Soixante-quinze délégués assistèrent à la réunion. Le nombre relative­ment grand de délégués, qui fut de quatre-vingt-quatorze à la réunion suivante, et l’enthousiasme et l’énergie déployés dans cette circons­tance, furent dus, en grande partie, au fait que les ouvriers london­iens étaient encore sous le coup de l’émotion de la grève des docks et de la grande victoire des gaziers, qui avaient obtenu, non par une disposition légale, mais par pression sur leurs employeurs, la journée de huit heures. Les gaziers, qui avaient obtenu la journée de huit heures par une entente commerciale, furent assez avisés pour se ren­dre compte qu'il leur serait assez difficile de la conserver sans une sanction légale et furent les premiers à prendre part au mouvement « légal », quoique ne travaillant déjà que la journée de huit heures.

A une réunion du 6 avril 1890, les quatre-vingt-quatorze délégués, qui tous avaient des instructions précises de leurs associations pour choisir soit le 1er mai, soit le premier dimanche de mai, comme jour de la manifestation, décidèrent à une majorité considérable de prendre le premier dimanche de mai. Il est inutile de dire que les délégués des associations socialistes étaient tous pour la date choisie au Congrès de Paris, c’est-à-dire le 1er mai, jour de semaine. Mais conformément aux habitudes de la classe ouvrière anglaise, à sa lenteur relative et à son excès de prudence dans l’adoption d’une idée nouvelle, les Trade Unions et autres associations non adhérentes au socialisme, trouvèrent mieux de faire la manifestation un dimanche, ce qui signi­fiait, naturellement, pas d’interruption de travail. La circulaire d’invitation à cette réunion importante du 6 avril fut également signée des trois noms cités plus haut. Un comité central fut élu par les quatre-vingt-quatorze délégués pour organiser la manifestation.

Jusqu’à présent, le London Trades Council (Conseil des métiers de Londres), qui est supposé représenter les organisations ouvrières de Londres, n’avait pas pris part aux délibérations et s’était tenu soi­gneusement à l’écart. Mais quand ses membres virent la rapidité et l’extension remarquable de ce mouvement, ils s’éveillèrent à la pensée qu'ils devraient faire quelque chose. Le 10 avril, c’est-à-dire trois mois après que le premier pas eut été fait, le London Trades Council se décida à son tour à faire une démonstration en faveur de la journée de huit heures, mais sans employer le mot important de « loi ». C’était quelque chose d’avoir obligé ce corps, même malgré lui, à entrer dans la voie de l’action, fût-ce celle comparativement très atténuée, de se déclarer favorable au principe des huit heures. Malheureusement, le London Trades Council agit sans consulter le Comité central, qui avait travaillé sérieusement depuis quelques semaines, et avait pris toutes ses mesures. En conséquence, en 1890, il y eut deux cortèges à la mani­festation du 4 mai, deux séries de tribunes, deux résolutions. La réso­lution votée aux tribunes du London Trades Council portait : « Que le présent grand meeting des travailleurs de Londres, trouvant que la longueur du temps de travail dans certaines industries est cause de chômage, d’où il résulte une grande misère et une démoralisation sociale, croit que le meilleur moyen d’atténuer de tels maux est de réduire le nombre d’heures de travail à un maximum de 48 par semaine ; félicite cordialement les camarades d’autres pays qui deman­dent la même chose ; invite vivement tous nos compatriotes à ne pas cesser leurs efforts qu’ils n’aient réussi à faire établir cette limite par tous les moyens légitimes en leur pouvoir, et, comme premier pas dans cette voie, engage le gouvernement du pays et les corps constitués locaux à fixer immédiatement ce nombre d’heures pour tous les genres de travaux sous leur contrôle ; engage vivement les ouvriers des diverses industries à faire tous leurs efforts pour obtenir cette réduc­tion des heures de travail dans les emplois gouvernementaux et locaux, et, de plus, qu’aucune loi pour la construction de chemins de fer, tramways, canaux, etc., ne soit sanctionnée par le gouvernement à moins qu’elle ne contienne une clause réduisant les heures de travail à huit par jour. »

La résolution du Comité central était : « Cette grande assemblée (mass meeting) reconnaît que l’établissement d’une journée de travail internationale de huit heures pour tous les travailleurs est le premier pas vers l'émancipation finale des travailleurs et signale aux gouver­nements de tous les pays la nécessité de fixer la journée de travail à huit heures par la loi. »

De plus, la Social Democratic Fédération, qui n’avait pas su trouver de suite sa voie, et se joindre au Comité central, s’était réunie au London Trades Council, qui lui avait attribué deux tribunes où fut votée l’excellente résolution suivante : « Ce meeting soutiendra énergique­ment l’établissement légal des huit heures par jour ou 48 par semaine comme maximum de travail dans tous les métiers ou industries, mais en outre s’engage à travailler de tout son pouvoir pour arriver à la propriété collective des moyens et instruments de production de la richesse par la communauté toute entière, seul moyen d'émanciper complètement le peuple de l'esclavage industriel actuel. »

On pourra se faire une idée de la façon dont chaque Comité était composé par ces faits ; que le cortège du London Trades Council comprenait : General trades ; Clothing trades ; leather trades ; printing and paper trades ; cabinet and fancy trades ; building trades ; métal trades ; et shipping trades, comptant en tout 80 métiers. Dans le cortège du Co­mité central, se trouvaient, entre autres organisations, les suivantes : The Gas workers and general Labourers Union ; Horse hair and fibre workers union ; Amalgamated union of electrical opératives ; London carmen’s trade union ; Amalgamated union of operative Tailort ; Spitalfields market porters’ union ; International boot finishers society ; International waiters section Fédération of trades ; Metropolitan and provincial pianoforte makers ; National labour union ; Portmen's union ; Coach, bus and van union ; Labour league ; Umbrella makers and mounters union ; International Stick and Cane dressers’ Society ; Millers national union ; National federation of labour union ; London and Southern Counties labour league and Kent and Suttex labourers union ; Photographic cabinet makers union ; Women’s union ; Printers, warehousemen and cutters union ; Coal porters union ; United cap makers society ; Hebrew cabinet makers society ; Stick and Cane Dressers union ; Fancy box makers ; Covent garden porters ; House Painters and decoraters union ; Shop assistants union ; Bloomsbury socialist society ; Printers’ labourers’ union ; Stone masons and paviours ; Amalgamated protective union of hammermen, enginemen, helpers and general labourers ; Tramways and omnibus employees union ; South Norwood labour union ; National fédération of all trades and industries ; Clickers union ; Fabian Society ; Mill Sawyers union ; Working machinists ; Navvies union ; Box makers ; Fulham Branch laundresses and general labourers union ; les clubs suivants : Cobden, Acton, Stratford, Mildmay, Newinglon, Rolherhilhe, Spitalfields, East Finsbury, Central Finsbury, North Lambelh, Star Fulham, Patriotic, North Camberwell, Communistic, Holbom Gladstonian, Borough of Marylebone, Borough of Battersea, New road, Woolwich, Croydon, Bow and Bromley, Bermondsey, Gladstone, Borough of Shoreditch, Hackney, Deptford, Goldbourne, Peckham, South London and Battersea démonstration Committee and the following branches of the Social Démocratic Federation : Battersea, Wandsworth, Greenwich.

L’année suivante, le 25 janvier 1891, un meeting de délégués fut convoqué par les anciens membres du Comité central de 1890. Il fut décidé de manifester de nouveau le 1er dimanche de mai, quoique les organisations plus avancées combattissent ardemment pour choisir le 1er mai. Il fut aussi décidé que le London Trades Council serait invité à se joindre au Comité. Ceci fut obtenu, et un comité composé de cinq membres du Comité central, qui prit le nom de Comité de la manifes­tation, et de cinq membres du London Trades Council fut désigné.
Ce Comité de dix membres travailla et prit les mesures nécessaires pour avoir un cortège unique, une seule série de tribunes, une seule manifestation et une seule résolution le dimanche 3 mars 1891. J'ai sous les yeux la circulaire de ce Comité réuni. Elle est signée George Shipton, représentant le London Trades Council, Edward Aveling, représentant le Comité de la manifestation. Par conséquent cette année, « les organisations avancées » amenèrent une heureuse fusion entre elles et les organisations plus retardataires. Et non seulement ils arrivèrent à cela, mais obtinrent que la résolution ne serait pas celle à l'eau de rose du London Trades Council en 1890, mais celle plus ferme du Comité central de cette même année, contenant le mot très important de « loi ». Ainsi l’énorme manifestation de 1891 se déclara tout d’un bloc pour le grand principe d’obtenir la journée de huit heu­res, non par la simple action des Trades Unions, mais par une action parlementaire.

En 1892, les premières mesures prises furent les mêmes qu’en 1891. Un Comité de manifestation fut formé, qui de nouveau demanda la coopération du London Trades Council. Malheureusement ce dernier corps avait décidé de se charger de tout cette année-là, et de suppor­ter toutes les dépenses. Un peu plus tard, mais presque trop tard, il invita le Comité de manifestation à se joindre à lui, en sorte qu’il n’y eut encore qu'une manifestation et une résolution, ainsi conçue :

« Ce meeting, considérant que rétablissement d'une journée de travail internationale de huit heures pour tous les travailleurs est le pas le plus important vers l’émancipation complète de la population industrielle, signale instamment au gouvernement la nécessité de pré­senter et de faire sanctionner par le parlement une résolution qui donne une autorité légale à la journée de travail de 8 heures ; le Comité d’organisation présentera par une députation cette requête au gouvernement le 2 mai 1892. »

En 1893, bien que le London Trades Council eût tout d’abord voulu tout organiser, son déficit important de l’année précédente l'obligea finalement à tout organiser en commun avec le Comité de la manifes­tation, et la manifestation, toujours le 1er dimanche de mai, fut par suite unique. Cette année-là le premier dimanche coïncida avec le 1er mai, et beaucoup d’entre nous espérèrent que cela aiderait à fixer la manifestation de 1894 au 1er mai, jour de semaine. Mais, hélas, nous avions encore compté sans le conservatisme de l’ouvrier anglais. Une fois encore, ce fut un dimanche, le 6 mai 1894, qu’eut lieu la manifestation, dans les mêmes conditions qu’en 1891 et 1893. Le Comité réuni de cette année fut encore composé de cinq membres du London Tra­der Council, et de cinq membres du Comité « plus avancé » de la mani­festation, ces derniers, prenant, comme d’ordinaire, la part la plus active. De plus, cette année, le Comité de la manifestation, trouvant qu'étant donné l’immense succès des manifestations la question de la journée légale de huit heures était passée du domaine de la mani­festation dans celui de la politique pratique, essaya d’entraîner le Comité réuni à ajouter à l'habituelle motion des huit heures un paragraphe en faveur du suffrage universel. Ils ne réussirent pas avec le Comité réuni, mais à leur propre tribune passèrent une seconde résolution ainsi conçue : « Considérant que la classe ouvrière peut seulement arriver à obtenir son émancipation économique et sociale en s'emparant de la machine politique pour le moment entre les mains de la classe capitaliste ; considérant qu’en Angleterre, des dizaines de milliers d’ouvriers et toutes les ouvrières actuellement ne peuvent pas voter et prendre part à une action politique, cette grande assemblée (mass meeting) de travailleurs se déclare pour le suffrage universel et s'engage à user de tous les moyens pour l’obtenir. »

En cette même année 1894, un autre pas important fut fait, dont l’initiative fut prise par la Social Democratic Fédération. Ce fut de faire une manifestation le 1er mai, jour de semaine. Dans les années précé­dentes, une ou deux tentatives avortées furent faites dans cette voie par un socialiste convaincu, sinon très bien équilibré, John Williams, qui avait été emprisonné pour « la cause », et aussi par une poignée d’anarchistes. Mais ces tentatives tombèrent dans le ridicule. Néan­moins, en 1894, la Social Democratic Federation, à son grand honneur, fit une réunion de délégués pour prendre en considération une manifes­tation le 1er mai. Il n’y avait pas d’hostilité contre la manifestation du premier dimanche, et en fait, tous ceux qui prirent part à celle du 1er mai prirent part également à celle du dimanche. Mais on jugea que le temps était venu de réunir les plus avancés à la date choisie par la majorité des ouvriers du continent. En conséquence, une manifesta­tion eut lieu le 1er mai 1894, qui était un mardi. Certainement ce n’était pas une manifestation nombreuse et importante, mais c’était un commencement, et bien que quelques-uns regrettassent de ne pas avoir eu avec nous dans les premières années du mouvement des manifestations de mai, les ouvriers de la Social Democratic Federation, nous devons néanmoins leur être reconnaissants pour avoir organisé, en 1894, la première manifestation du 1er mai en Angleterre.

L’année dernière 1895, il y eut pour la seconde fois deux manifestations, l’une le dimanche 7 mai, l’autre le lundi 1er mai. Cette année, quelques-uns d’entre nous, qui avions été dans le mouvement dès le début, y compris ma femme, Eleanor Marx Aveling, et moi, com­prirent qu’il était temps de mettre toute l’énergie et toute l'influence dont nous pouvions disposer au service de la manifestation du 1er mai. Les manifestes du dimanche avaient fait leur temps. Nous combattîmes ardemment au Comité de la manifestation et à la « Ligue de la jour­née internationale de huit heures » pour persuader les ouvriers de faire tous leurs efforts pour la manifestation du 1er mai. Nous ne réussîmes pas complètement, mais nous comprimes qu’individuellement nous devions nous consacrer à cette manifestation du 1er mai. Il n’y avait naturellement aucune hostilité contre celle du dimanche, et l’un et l’autre nous y primes la parole ; mais nous nous mimes au service du Comité qui organisait le 1er mai, et non au service du Comité du dimanche.

Il est difficile de prévoir dès maintenant (fin de janvier) ce qui se passera cette année. Sans aucun doute il y aura une manifestation le 1er mai. La Social Democratic Federation y travaille déjà. Il est incer­tain qu’il y en ait une autre le dimanche, mais dans le cas où elle aurait lieu, sa réussite est encore plus incertaine. La chose est usée, elle a rempli merveilleusement son but ; à présent il faut un nouveau pas en avant, et il faut espérer que toutes les associations de travail­leurs suivront le mouvement de la Social Democratic Federation, et seront toutes, cette année, pour le jour de semaine (1).

Pour conclure, quelques notes sur le développement du mouvement des huit heures légales dans les Congrès des Trades Unions présen­teront un intérêt historique. On se souvient que les Congrès des Trades Unions sont composés des délégués des Trades Unions de partout en Grande-Bretagne et Irlande. A Dundee, en 1889, une motion fut présentée « que ce Congrès invite le Comité parlementaire à proposer la motion suivante : « que le maximum des heures de travail pour tous métiers soit de huit. »

A la fin, elle fut repoussée par 88 voix contre 63. A Liverpool, en 1890, le président du Congrès, dans son discours, se déclara nette­ment pour une loi des huit heures. Dans le débat sur le rapport du Comité parlementaire, la discussion la plus vive eut lieu à propos de la négligence dont les membres du Parlement adhérents aux Trades Unions auraient fait preuve pour la loi de huit heures relative aux mi­neurs. Plus tard, la motion suivante fut proposée : « Que, dans l’opi­nion du Congrès, le temps est venu de prendre des mesures pour réduire les heures de travail dans tous les métiers à huit par jour, ou à un maximum de quarante-huit heures par semaine ; et que. tout en reconnaissant le pouvoir et l'influence des organisations de métiers, le Congrès pense que la méthode la plus rapide et la meilleure pour ob­tenir cette réduction en faveur de tous les ouvriers est une disposition législative. Le Congrès, en conséquence, invite le Comité parlemen­taire à prendre immédiatement des mesures en vue de poursuivre cet objet. »

On proposa l’amendement suivant : « Que, dans l’opinion du Congrès, il est de la plus grande importance qu’une journée de huit heures soit assurée immédiatement à tels métiers qui peuvent le désirer, ou aux­quels cela peut s'appliquer, sans nuire aux ouvriers employés dans ces métiers ; en outre, il pense que réserver cette question importante au Parlement Impérial, qui est nécessairement, de par sa situation, en opposition avec les droits du travail, ne pourrait qu’éloigner indéfini­ment cette réforme très nécessaire. »

Le vote sur l'amendement donna : pour, 473 ; contre, 484. Majorité contre, 8. Lorsque la motion primitive fut mise aux voix, le vote fut : pour, 493 ; contre, 455. Majorité, 38.

A Newcastle, en 1891, la motion suivante fut proposée : « Que, dans l’opinion du Congrès, le temps est venu où le Gouvernement du Royaume-Uni devrait s'efforcer d’effectuer, d’accord avec tous les Gouvernements étrangers, une réduction internationale des heures de travail à huit heures par jour, et, en outre, demande la convoca­tion d’une conférence internationale sur ce sujet. »

On opposa l’amendement suivant : « Que, dans l'opinion du Congrès, il est impossible d’établir l'uniformité internationale des heures, sans causer de graves préjudices aux ouvriers des districts et des centres où les conditions naturelles sont moins favorables pour se procurer les moyens de subsistance. Il ne peut, en conséquence, approuver cet appel à l'établissement d’une journée universelle de huit heures. »

Le vote sur l’amendement donna ; pour, 436 ; contre, 302. Majorité contre, 166. Au moment de mettre aux voix la motion primitive, on proposa de la faire précéder de la suivante : « Le Congrès affirme de nouveau la décision du Congrès de l’an dernier, relative à la journée légale de huit heures. »

Au vote, cette addition passa par 232 contre 163. Majorité, 69. Plus tard, au même Congrès, on en vint à mesurer les forces des deux groupes de délégués qui voulaient respectivement une loi imposant, et une loi autorisant les huit heures. La motion « obligatoire » était ainsi conçue : « Que la législation concernant les heures de travail sera obligatoire pour tous les métiers et emplois, sauf lorsqu'une majorité des membres syndiqués d'un métier ou emploi s’y opposerait par un vote au scrutin. » La motion « autorisant » était ainsi conçue : « Que, dans l’opinion du Congrès, toute loi pour la réduction des heures de travail aurait le caractère d’une autorisation, et ne serait pas rendue effective sans le consentement des deux tiers au moins des membres syndiqués d’un métier. »

Le vote fut : pour la motion « obligatoire », 285 ; contre, 183. Majo­rité, 102. Lorsque cette motion importante, qui rendait la journée légale de huit heures obligatoire pour chaque métier, à moins que la majorité du métier protestât, fut finalement mise aux voix, il y eut : pour, 344 ; contre, 73. Majorité pour, 208.

A Glasgow, en 1892, les « autorisants » firent une autre tentative. Ceci fut proposé : « Que le Congrès pense que le temps est venu où les ouvriers de tout métier ou emploi dans lequel la majorité des ouvriers syndiqués désirent avoir une journée de travail de huit heures, ou quarante-huit heures par semaine, pourrait s’assurer cet avantage par disposition législative, et invite le Comité parlementaire à pré­senter et soutenir une loi au Parlement à cet effet. »

L’amendement suivant fut opposé à cette motion par les avancés : « Que le Comité parlementaire présente une loi limitant les heures de travail à huit par jour, ou quarante-huit par semaine dans tous les métiers et emplois, laquelle loi devra contenir une clause permettant aux membres syndiqués d’un métier ou emploi protestant par scrutin de dispenser ce métier ou emploi des effets de cette loi. » Vote : pour l’amendement, 205 ; contre, 155. Majorité, 50.

A Belfast, en 1893, la même motion fut proposée et passa par 97 voix contre 18 ; majorité, 79.

A Norwich, en 1894, une motion concernant seulement les boulangers fut proposée, et aussitôt adoptée à l’unanimité : « Que le Congrès invite le Comité parlementaire à présenter une loi à la Chambre des Communes limitant les heures de tiavail dans les boulangeries à huit par jour ou quarante-huit par semaine. »

Mais les avancés ne pouvaient être satisfaits sans l'affirmation nou­velle du principe général, et ils proposèrent d’insérer les mots « et les autres métiers et emplois ». Le vote fut : pour l’insertion de ces mots, 256 ; contre, 5. Majorité, 251.

Enfin, à Cardiff, en 1895, la motion suivante fut proposée : « Que le temps est venu où les heures de travail devraient être limitées à huit par jour pour tous les métiers et emplois dans le Royaume-Uni, et que le Comité parlementaire soit invité à rédiger une loi conforme à la présente motion, en vue de la faire voter au Parlement pour qu'elle devienne une loi du pays. » Et une proposition d’ajouter une recommandation en faveur d’une grève générale ne fut appuyée par personne. La motion primitive fut d’abord votée à mains levées. Pour, 182 ; contre, environ 50. Il y eut quelque désordre, c’est pourquoi je ne puis donner les nombres exacts. Sur une réclamation que le vote dût être pris d’après le nombre d’ouvriers représentés par chaque délégué, on procéda au vote ; pour huit heures par jour à fixer par la loi, sans qu’il fût question que les ouvriers pussent y échapper (remarquez que dans cette motion, il n’y a rien concernant la possibilité pour un métier d’éviter la loi par un vote de la majorité) — 625.000 contre 222.000. Majorité pour, 403.000.

Les notes précédentes sur les motions et les votes au Congrès des Trades Unions confirment, je pense, ce que je disais au commence­ment de cet article, à savoir : que les ouvriers anglais sont lents à saisir une idée avancée, y sont toujours opposés d'abord, mais que si elle est réellement forte, ils savent avec le temps la saisir, s’y attacher et la mettre en avant. Et ce qui les unit sur des sujets relativement secondaires, des mesures provisoires, comme la journée légale de huit heures, les actes de fabrique du passé, la lutte pour les enfants du présent et de l'avenir, les unit et les unira fortement dans leur conversion au socialisme. Pour le moment, malgré le fait qu’aux récents congrès des Trades Unions, des motions des Trades Unions ont été votées, la grande masse des ouvriers anglais sont tout au plus indiffé­rents au socialisme. Beaucoup des plus capables parmi eux sont netement hostiles. Et probablement une très grande proportion de ceux qui, à Cardiff, l'an dernier, et en d’autres endroits les années précé­dentes, ont voté des motions collectivistes, n’ont qu’une très vague idée de ce qu’elles signifient. Cependant nous avons en Angleterre le commencement d’un mouvement socialiste, commencement dont nous devons grandement remercier le programme et l’enseignement économique de la Social Democratic Federation. Mais, encore un peu de temps, et l’enseignement scientifique du socialisme, et la claire per­ception de la lutte de classes s’empareront des ouvriers anglais. Et lorsqu’ils se seront attachés à ces principes, leur constance et leur énergie feront d’eux une fois de plus les plus précieux alliés dans la grande lutte, les meilleurs et les plus forts combattants dans la grande armée du prolétariat. Que ceci n’est pas un rêve et que le temps où ce sera réalisé est bien plus proche que beaucoup ne pensent, cette rapide histoire du mouvement pour la loi de huit heures en Angleterre, et des merveilleuses enjambées faites en six ans, en donne une forte et réconfortante preuve.

Edward Aveling.

31 janvier 1896.

(1) Au moment où je corrige ces épreuves (30 avril), je puis ajouter que nous aurons cette année la plus grande manifestation qui ait jamais été faite à Londres. Il n'y aura pas de manifestation le premier dimanche de mai, et le London Trades Council a décidé de préparer un meeting monstre, à Hyde Park le dimanche 26 juillet, le jour d'ouverture du congrès ouvrier socialiste international, en faveur de la paix universelle.


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