1973

"L'erreur de la stratégie de l'entrisme « sui generis » a eu des conséquences tragiques en Bolivie en 52-55 et en Argentine en 55 ; la stratégie pour dix ans du contrôle ouvrier manifeste ses terribles dangers potentiels dans l'interprétation faite par le camarade Mandel de la grève générale de mai 68 et dans l'orientation que, selon lui, il aurait fallu appliquer."


Nahuel Moreno

Un document scandaleux


I. Bolivie : la clé de la discussion actuelle

4. Le POR (C) n'avertit pas du danger Putschiste, il n ' appela pas à lutter contre lui, ni à construire le front unique ouvrier.

Cette absence de distinction entre les différents types de régimes amena les camarades du POR(C) à se donner une même orientation face à tous. Le contenu de cette orientation est le thème d'autres sous-chapitres. Nous allons voir maintenant ce qu'aurait dû être cette orientation. C'est très important car les camarades du POR(C) tombèrent précisément dans le type de modèle « 3ème période » critiqué par Trotsky : ils n'appelèrent pas au front unique ouvrier pour combattre les putschs « fascistes ».

Trois putschs « fasciste » :

Pour nous rafraîchir un peu la mémoire, rappelons quelques dates : Barrientos mourut dans un étrange « accident » d'avion le 27 avril 1969 ; le 29 septembre de la même année, le général Ovando parvint au pouvoir ; c'est également en 1969 que recommencèrent les activités de la guérilla. Elles se terminèrent sans peine et sans gloire à Teoponte en octobre 1970. Le 6 octobre 1970 se produisit la première tentative de putsch « fasciste », celle du général Miranda. De l'échec de ce putsch naquit le gouvernement Torrez. Le général Miranda se souleva de nouveau en janvier 1971, secondé par le général Banzer. Ce dernier renversa finalement Torrez le 21 août 1971 et il est toujours au pouvoir.

Comme nous le voyons, pendant la courte période qui va d'octobre 1970 à août 1971, il y eut trois putschs « fascistes ». Comment le POR(C) prépara-t-il politiquement les masses boliviennes, la classe ouvrière et son avant-garde, à affronter ces putschs ? A notre avis il ne les prépara absolument pas, car il ne se donna pas la seule orientation possible : le front unique ouvrier.

Le premier putsch

C'est sous Ovando qu'eut lieu le premier putsch « fasciste », le premier de Miranda. Nous avons cherché soigneusement dans les matériels du POR(C) une quelconque mention du danger d'un putsch ou un appel à l'unité de tous les partis et courants ouvriers pour le combattre. Nous n'avons rien trouvé.

Par contre, nous avons trouvé des passages comme celui-ci :

« Que se passe-t-il avec le gouvernement ? Puissant et téméraire pour parler au peuple, il est incapable d'affronter la droite anti-nationale qu'il dénonce lui-même. Ou peut-être cette droite agit-elle sur mission officielle ? ». « S'il est nécessaire de parler de conjuration anti-nationale, la seule qui existe consiste à se mettre une peau de brebis pour cacher la gueule du loup et pouvoir planter ses crocs dans le peuple » (POR(C) , "Combate" n°1, 2ème quinzaine de juin 1970.).

Ainsi, non seulement les camarades du POR(C) dissent qu'ils avaient des doutes sur l'existence d'une conspiration de droite, mais ils insinuaient que cette conspiration agissait « sur mission » du gouvernement lui-même, se cachant « sous une peau de brebis » pour pouvoir « planter ses crocs dans le peuple ».

Mais cela va encore plus loin. Dans le numéro suivant de "Combate" nous lisons :

« Avec ce critère, pour nous la crise militaire n'excède pas les limites de l'idéologie de cette institution appelée armée et dont le fondement est l'anticommunisme ». « Alors, où sont les divergences entre les généraux ? Ces différences existent-elles ? Bien sûr, mais attention ! le désaccord est tactique et se rapporte au moyen de défaire le communisme et d'empêcher la montée des masses au pouvoir. » ("Combate" n°2, 2ème quinzaine de juillet 1970).

Pour les camarades du POR(C), les divergences entre les militaires boliviens, trois mois avant le putsch de Miranda, étaient « idéologiques », des désaccords « tactiques », et ils disaient « attention ! » de ne pas se tromper en donnant de l'importance à ces divergences. C'est tout à fait l'opposé d'alerter sur le danger d'un putsch de droite.

Ce que conseillait Trotsky

Cela soulève plusieurs questions très importantes. Pourquoi les camarades du POR(C) ne conseillèrent-ils pas comme Trotsky :

« d'adopter une position défensive, (ce qui) signifie serrer les rangs avec la majorité de la classe ouvrière... et former un front unique avec les ouvriers socialistes et sans partis contre la menace fasciste » ("The Struggle Against Fascism in Germany", p.72).

Il est certain que les camarades du POR(C) tirèrent un tract pour le Congrès des Mineurs de Siglo XX. Mais pourquoi ne portèrent-ils pas, comme nous l'enseigne Trotsky, à ce congrès et à tous les syndicats et partis ouvriers :

« un programme concret, soigneusement détaillé et pratique, pour une lutte commune contre le fascisme, exigeant des réunions communes des exécutifs des partis avec la participation des directions des syndicats... et simultanément... avoir fait de l'agitation énergique sur ce même programme en direction de tous les secteurs des partis et des masses » ? ("The Struggle...", Pathfinder Press, 1971, p.172).

Quand le danger de putsch « fasciste » est détecté par une organisation trotskyste (et le seul fait de ne pas le détecter est une grave erreur), il s'ouvre dans ce pays une étape de la lutte de classes où le combat contre le putsch devient prioritaire et doit se faire au moyen de la stratégie du front unique ouvrier avec les organisations réformistes. Proposer aux mineurs qu'ils s'arment, non pas pour combattre le putsch mais pour « (...) ranimer les piquets de grève armés et proclamer combativement la solidarité militante avec ceux qui en ce moment luttent dans la guérrilla » (tract au Congrès des Mineurs déjà cité) c'est et ce fut un crime politique. Dire aux mineurs qu'ils s'arment, non pas pour combattre le putsch qui se préparait contre Ovando, mais pour rejoindre la guérilla contre Ovando, c'est se couper immédiatement de tout ouvrier anti-putschiste qui n'est pas d'accord avec la guérilla. C'est appeler le mouvement ouvrier à se diviser entre proguérillistes et anti-guérilléristes, alors qu'il y a une grande tâche commune à tous : lutter contre la droite mirandiste (y compris de manière armée). Cette tâche tous les ouvriers boliviens la ressentaient, celle de la guérilla pratiquement personne. Et cela s'est avéré dans les faits : la classe ouvrière se mobilisa contre le putsch mirandiste et provoqua la crise de l'armée et des institutions bourgeoises pendant deux ou trois jours, mais elle ne répondit en aucune manière aux appels du POR(C).

Un appel véritablement trotskiste

Notre politique aurait dû être trotskiste et non pas guérillériste. Nous aurions dû dire aux mineurs ce qui suit :

« Camarades : bien que nombre d'entre vous et les organisations auxquelles vous appartenez ne vous en soyez pas rendus compte, nous vous lançons une alerte et un appel : nous courons un grave danger de putsch ultraréactionnaire. Nous devons nous défendre unis. Pour cela nous devons former des piquets armés et proposer également à tous les syndicats du pays et à la COB de les organiser, afin de combattre l'inévitable coup d'état" que prépare la réaction. Les militaires - de même que la bourgeoisie - sont divisés à cause de la montée de nos luttes. Un secteur de la bourgeoisie et de l'armée veulent employer des méthodes dures contre nous, d'autre secteurs - par contre - veulent employer des méthodes plus « douces » et nous dominer au moyen de négociations. Nous sommes contre les conceptions de Lechin et des partis communistes, en qui nombre d'entre vous font confiance et nous voulons vous convaincre que nos conceptions révolutionnaires sont les meilleurs. Nous voulons vous convaincre qu'il ne faut faire confiance en aucun secteur et qu'il faut lutter avec intransigeance contre tous les exploiteurs, les « doux » comme les durs. Mais nous avons le temps pour cela, alors que pour combattre le putsch « fasciste » le temps presse. Nous savons que vous haïssez le fascisme comme nous. Nous vous proposons donc de nous organiser contre lui, de haut en bas et de bas en haut. Nous avons commencé par inviter au front unique Lechin et les PC. A ce front unique ouvrier de lutte contre le putsch « fasciste », nous invitons également les guérilleros, à condition qu'ils soient prêts à s'unir à l'action commune et ne rompent pas le front ou ne le sabotent pas par des actions isolées ou aventurières. Si nous ne nous organisons pas ainsi contre le putsch, si nous ne faisons pas de piquets, cela ne sera pas la faute des trotskistes mais de vos directions. Car nous sommes prêts à tout, sauf abandonner notre indépendance politique et le droit de défendre nos positions, pourvu que soit obtenue l'unité des travailleurs afin de lutter contre le putsch réactionnaire. Si nous nous unissons, syndicats et partis qui nous réclamons de la classe ouvrière, nous pouvons entraîner à court terme les paysans et les étudiants. ».

Cela aurait été une position trotskiste ; mais ce qui est le plus important, cela aurait permis que notre organisation apparaisse comme la direction politique indiscutée de tout le prolétariat bolivien.

Le POR(C) n'en fit rien et n'apprit rien non plus de ses erreurs. Sous Torrez, ils continuèrent à faire les mêmes caractérisations et la même politique que sous Ovando. Pour le POR(C), le fait que la classe ouvrière bolivienne se soit mobilisée, ait créé un front unique de fait et défait le putsch réactionnaire en imposant un régime nationaliste bourgeois, ce fait est passé complètement inaperçu. Ce régime faible qui cédait constamment à la pression des masses, qui accentuait de jour en jour ses caractéristiques kérenskystes, fut une grande victoire de la classe ouvrière bolivienne. Les masses n'ont pas imposé un gouvernement ouvrier et paysan ? Cela est tout à fait certain, mais à qui la responsabilité ? La faute en est à ses directions bureaucratiques et réformistes et, du point de vue révolutionnaire, à celle des camarades du POR(C). S'ils avaient disputé la direction de la lutte contre le putsch « fasciste », s'ils avaient été les premiers et les plus conséquents dénonciateurs de ce putsch, s'ils avaient été les champions du front unique pour le combattre, ils auraient imposé tôt ou tard leur direction et impulsé la lutte vers la prise du pouvoir.

Des documents du POR(C) on peut déduire que s'il n'y eut pas naissance d'un gouvernement ouvrier et paysan, ce fut la faute des masses, et que le fait que Torrez ait été imposé signifia une défaite du mouvement des masses et non de la réaction « fasciste ». Et ils le dirent ainsi :

« Dans la crise militaire et politique d'octobre, les masses n'ont pas été victorieuses. La victoire du général Torrez est bien plus une défaite des masses révolutionnaires et une victoire de l'armée comme parti ce la bourgeoisie. La crise d'octobre démontre les limites de l'action directe des masses. » ("Combate" du 1er novembre 1970).

Le second putsch

Cette caractérisation sera la base de la politique du POR(C) sous Torrez. Nous avons déjà vu que lors des dix mois du gouvernement Torrez il y eut deux putschs « fascistes » : le second de Miranda (le premier de Banzer) et le putsch définitif de Banzer en août 1971. Mais la lutte contre eux, à travers le front unique ouvrier, ne fut jamais la principale tâche de notre section bolivienne.

La ligne adoptée par le CE du POR (C), dès la prise du pouvoir par Torrez, et dont nous avons déjà cité les considérations, se base sur trois revendications-clés (qui n'ont pas grand chose à voir avec le programme que lui attribue Germain) :

a) « L'organisation d'un commandement révolutionnaire ouvrier et populaire, avec toutes les tendances politiques qui sont pour le socialisme comme issue à la situation actuelle du pays et qui soutiennent la lutte armée pour le pouvoir, dépassant l'économisme et le réformisme, la capitulation et la collaboration de classes, causes des défaites successives du peuple bolivien. »

b) « la création d'une armée révolutionnaire ouvrière et populaire, instrument indispensable pour prendre le pouvoir... »

c)« La formation d'un organisme représentatif des masses, où elles apportent leur force révolutionnaire, leurs initiatives, leurs aspirations et leur volonté transformatrice. » (déclaration du CE du POR(C) "Combate" n°3, 1ère quinzaine de novembre 1970).

Comme nous le voyons, à l'exception de ce dernier mot d'ordre (qui a une relation, bien faible, avec le front unique ouvrier et l'Assemblée populaire postérieure), les tâches essentielles que pose ce programme s'opposent à 180° au front unique ouvrier pour lutter contre le putsch « fasciste ». Par ailleurs, ni dans ce programme du POR(C) ni dans aucun autre ne figure comme axe central la lutte contre le putsch.

La "Pravda" en 1931, le POR(C) en1970 : Le même programme

Certes, dans le programme sont compris des mots d'ordre économiques et démocratiques corrects et sûrement ressentis par le mouvement des masses. Mais Trotsky critiqua inlassablement les programmes similaires des ultragauchistes, Pour l'Espagne par exemple, la « Pravda » du 14 mai 1931 donnait le programme suivant: organiser les ouvriers « pour désarmer la réaction, pour l'armement du prolétariat, pour les élections de comités d'usines, pour obtenir les 7 heures de travail par jour ».

Ce programme mérita la critique suivante de Trotsky :

« Les mots d'ordre énumérés sont incontestables même s'ils sont présentés sans aucune cohésion interne et sans la progression qui devrait découler de la logique du développement des masses. ». Car « En parlant seulement de la journée de 7 heures, des comités d'usines et de l'armement des ouvriers, en ignorant la « politique » et sans dire un seul mot dans tous ses articles au sujet des élections aux Cortès, la "Pravda" suit en tout point les anarcho-syndicalistes... ». « Opposer le mot d'ordre d'armement du prolétariat à la réalité des processus politiques qui coulent dans les veines des masses, cela signifie s'isoler des masses - et les masses des armes - ». ("The Spanish Revolution", déjà cité, p.114 et 117).

Le programme du POR (C) a tous les défauts que trouve Trotsky dans la "Pravda" ; il n'y a pas de cohésion interne et les mots d'ordre ne tournent autour d'aucun problème politique central réel. N'y avait-il à ce moment-là en Bolivie aucun problème politique central qui nous permette de concrétiser un ou plusieurs mots d'ordre décisifs ? Nous pensons que si, que cet axe central était l'armement des organisations ouvrières pour freiner l'inévitable putsch de droite et la formation d'un front unique avec toutes les organisations ouvrières voulant lutter contre le coup d'état « fasciste ».

Le programme du POR(C) au contraire était opposé au front ouvrier et à la lutte contre le putsch « fasciste ». Il proposait de former un « commandement révolutionnaire » pour lutter contre le « réformisme » et « l'économisme », alors qu'il devait appeler au front unique avec le réformisme pour lutter contre le putsch « fasciste ». Il prônait l'unité avec tous ceux qui sont d'accord avec le « socialisme » et la « lutte armée », alors qu'il devait proposer l'unité à tous les secteurs ouvriers prêts à lutter contre le putsch, en premier lieu avec Lechin et les PC, c'est;-à-dire avec « l'économisme et le réformisme ».

Mais tout cela est excusable puisque le danger de putsch « fasciste » fut systématiquement ignoré par le POR(C). Ce qui n'est pas excusable, c'est justement cette ignorance, car après le premier putsch de Miranda se produisit le second putsch sous Torrez (le premier de Banzer) et le POR(C), comme ceux qui laissent passer l'orage, resta sans politique contre le danger « fasciste ». Autrement dit, sans en dire un seul mot !

Et le troisième putsch éclata

Ce n'est qu'à partir d'avril 1971 - six mois après la venue de Torrez et après déjà deux putschs "fascistes" - soit lorsque l'eau lui arriva jusqu'au cou, que le POR(C) commença, comme en passant, à parler de l'inévitabilité d'un putsch. Nous soulignons qu'il ne commença qu'à en parler, car il ne se donna toujours pas de politique d'ensemble et centra encore moins toute son activité sur une campagne antiputschiste.

Pour voir cela un peu plus en détail, examinons quelques-unes des cinq recommandations adoptées à un CC élargi d'avril 1971 - à la veille seule­ment du dernier putsch de Banzer. De prime abord, on voit qu'aucune d'entre elles n'appelle à lutter contre le putsch.

La première recommandation adoptée par la direction du POR (C) est la suivante : « Intensifier le travail politique en direction des masses pour les arracher à l'influence des réformistes et faire surgir des directions authentiquement révolutionnaires » (Rapport du CC, IP vol.9, n°25, p.599, 2B-juin 1971).

La seconde recommandation est d'intervenir « avec ce critère » dans toutes les organisations ouvrières.

Les troisième, quatrième et cinquième que nous verrons plus loin se réfèrent à l'activité militaire du parti (voir IP déjà cité).

Pas un seul mot sur notre politique de front unique vers les organisations réformistes afin de lutter contre le putsch « fasciste ». Au contraire, ce qui ressort de ces recommandations, c'est qu'elles posent comme travail politique fondamental la lutte contre le réformisme et non le front unique avec celui-ci pour affronter le péril « fasciste ».

Comment lutter contre le réformisme ?

Nous pensons également que la lutte contre le réformisme était, est , un problème de vie ou de mort pour la révolution bolivienne. Mais le problème est de savoir comment lutter contre lui. Les masses boliviennes assistaient au spectacle suivant : le putsch approchait et c'était clair pour tout le monde. Lechin et les partis communistes alertaient sur ce péril et appelaient à maintenir le calme et à freiner les mobilisations ouvrières pour l'éviter. Le POR(C) ne lui donnait pas la moindre importance et parlait de la nécessité d'un gouvernement ouvrier et paysan imposé par la guerre révolutionnaire. Comment convaincre les travailleurs que le POR(C) était la direction qu'ils devaient reconnaître alors qu'il était le seul à ne pas faire du combat contre le putsch l'axe de sa politique ?

La seule manière de battre le réformisme aurait été justement de faire un front unique avec lui contre le coup d'état. Au sein de ce front unique, avec cet objectif commun, venait la lutte pour la direction. Le réformisme et la bureaucratie disaient « pas de mobilisations », le POR(C) devait répondre « la seule façon de défaire le putsch est de se mobiliser ». Le réformisme et la bureaucratie n'armaient pas la classe ouvrière ; le POR(C) devaient répondre « la seule façon de défaire le putsch est d'armer les travailleurs ». C'était la seule et unique manière de lutter contre le réformisme ! En démasquant leurs hésitations et leurs trahisons devant les masses face à la plus importante tâche et la plus urgente et ressentie comme telle par celles-ci : la lutte contre le coup d'état de droite.

Le mot d'ordre du POR(C) pour le 1er mai : à l'assaut du pouvoir !

Le camarade Germain, malgré l'évidence des faits, affirme que le POR(C) eut une politique correcte contre le putsch. Il insiste principalement sur le numéro de « Combate » précédant le 1er mai 1971. Nous ne connaissons pas l'entièreté de ce numéro, mais nous avons la photocopie de sa première page. Réellement, avec ce que l'on peut y lire, il y a plus qu'il n'en faut pour que toutes les preuves du camarade Germain s'écroulent. Il y a deux articles, le titre du premier est déjà un symbole :

« Partons à l'assaut final du pouvoir pour le socialisme ! »

Bien sûr, on n'y appelle pas à lutter contre le coup d'état réactionnaire mais à se lancer dans la prise du pouvoir. Mais n'était-ce pas le général Torrez. Qui était au pouvoir à ce moment-là ? le POR(C), une nouvelle fois, était en train d'appeler les masses, qui faisaient confiance à Torrez, à le renverser et à prendre le pouvoir et non à se préparer à lutter contre le putsch réactionnaire.

Dans la partie de l'article sous ce titre - que nous avons à notre disposition et dont le camarade Germain tire sa citation - on prévoit le coup d'état. Cela n'est pas un grand mérite car il y avait déjà un bon moment que les préparatifs putschistes étaient publics et notoires. Mais appelle-t-on à lutter contre ce danger le plus immédiat et fondamental pour les travailleurs boliviens ? Encore une fois non.

Un autre sous-titre est un autre symbole :

« Ni avec le fascisme, ni avec le réformisme : avec la révolution socialiste ! »

Peut être que dans une autre partie de l'article que nous n'avons pas, nous pourrions trouver le sous-titre correct : « Avec le réformisme dans un front unique contre le fascisme ! ». Nous en doutons beaucoup. Si cela était le cas cependant, nous prions le camarade Germain de nous indiquer où il se trouve.

Le second article de la une, nous l'avons en entier. Nous pouvons y trouver quelle était la véritable politique du POR(C). Son titre dit : l'Assemblée populaire doit naître de la base et propose l'élection démocratique de ses délégués. Dans cet article, on ne dit rien du putsch ni de la nécessité que l'Assemblée populaire le combatte en mobilisant et en armant les masses, ni de l'urgence impérative de construire un front unique contre lui. Il se termine par trois mots d'ordre qui, nous le supposons, devaient être fondamentaux pour le POR(C) alors :

« Réformisme non, socialisme oui, armée bourgeoise non, armée révolutionnaire du peuple oui, parlement bourgeois non, Assemblée populaire oui ! »

Il est évident que pour les camarades du POR(C) le danger le plus important pour le « socialisme » (c'est-à-dire pour les masses boliviennes) était le réformisme, pas le coup d'état réactionnaire puisqu'ils n'en parlent même pas dans leurs mots d'ordre.

Armons-nous contre...Torrez !

Le dernier journal que nous connaissions du POR(C) date de deux mois avant le putsch. Il porte le n°6 et correspond à la première quinzaine de juin. On y prédit que : « Les jours de Torrez sont comptés ».

On y parle également de la contre-révolution « fasciste », de la responsabilité de « la gauche », mais on n'y appelle pas les partis de gauche à s'unir contre le putsch et, ce qui est plus grave, on ne dit mot de l'Assemblée populaire. La position du POR(C) y est résumée ainsi :

« Concrètement, il est indispensable de créer en même temps les forces armées des universités, des mines, des usines, de la campagne, etc. Il faut s'armer et s'entraîner pour le combat qui vient.

« En même temps, pas de répit dans les occupations et les actions contre les propriétés capitalistes et impérialistes. Il faut frapper le pouvoir économique, les centres nerveux de l'impérialisme et de la bourgeoisie nationale.

« Il faut renforcer le Parti Ouvrier Révolutionnaire, outil indispensable pour souder les courants révolutionnaires dans un solide front."

« En avant pour les occupations et l'armement ouvrier ! Mort à l'impérialisme, mort au capitalisme ! »

Une fois de plus, à deux mois du putsch, le POR(C) appelle au front des « courants révolutionnaires » (pas des partis ouvriers et surtout pas des réformistes), avec pour objectif la mise à mort de l'impérialisme et du capitalisme (c'est-à-dire une fois de plus Torrez et pas les putschistes qui se préparaient).

Pourquoi continuer ? Le POR(C) n'avança jamais une politique contre le putsch « fasciste », ni pour le front unique ouvrier, ni pour la mobilisation ouvrière à partir de l'Assemblée populaire. Si du point de vue de la lutte de classes les coupables de la défaite devant Banzer furent la réaction et l'impérialisme, si du point de vue du mouvement ouvrier les coupables furent les réformistes et les bureaucrates, du point de vue du mouvement révolutionnaire le coupable de cette défaite fut notre section bolivienne ; le POR(C).


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