1973

"L'erreur de la stratégie de l'entrisme « sui generis » a eu des conséquences tragiques en Bolivie en 52-55 et en Argentine en 55 ; la stratégie pour dix ans du contrôle ouvrier manifeste ses terribles dangers potentiels dans l'interprétation faite par le camarade Mandel de la grève générale de mai 68 et dans l'orientation que, selon lui, il aurait fallu appliquer."


Nahuel Moreno

Un document scandaleux


I. Bolivie : la clé de la discussion actuelle

7. Préoccupé par la construction de « l'Armée révolutionnaire » (organisme artificiel), le POR(C) n'a eu aucune politique conséquente vis à vis de l'Assemblée populaire (organisme du mouvement de masses).

Tout comme l'autre face de la politique de l'armement « en soi » du POR(C) était son effort impuissant pour construire un organisme artificiel (« l'Armée révolutionnaire »), l'autre face de son refus d'appliquer la politique de front unique ouvrier est sa méconnaissance des organismes naturels du mouvement ouvrier. Et cela parce que, dans ces organismes se produit de fait le front unique des travailleurs de toutes les tendances politiques. C'est ce qui se passe en permanence dans les syndicats et se passa dans l'Assemblée populaire.

Le marxisme se caractérise par le fait de lutter contre toutes les tendances sectaires, en revendiquant la nécessité du travail dans les organismes de masses et en défaisant tout organisme artificiel. Un des objectifs fondamentaux de ce travail est de pouvoir disputer la direction du mouvement ouvrier et des masses aux directions opportunistes de ces organismes, en postulant comme direction révolutionnaire alternative. Nous devons y être et y rester pour que les masses puissent vérifier tous les jours que notre politique et notre direction sont les seules correctes contre celles des opportunistes.

Le POR(C) n'a pas participé au Commandement politique

Le fruit de la politique ultragauche du POR(C) fut son incapacité à se donner une orientation conséquente par rapport à l'Assemblée populaire. Il commença par ne pas s'intégrer au Commandement politique qui lutta contre le putsch de Miranda et provoqua « deux jours de vide de pouvoir ». Le camarade Germain a dit qu'il avait été correct de ne pas entrer dans ce Commandement, car y participaient quelques secteurs bourgeois. C'est là une confusion inacceptable entre un comité pour l'action commune sur un 'objectif précis (la lutte contre le putsch de Miranda) et un front unique. C'est Trotsky qui signala que pour l'action - dans un moment de lutte contre les putschs réactionnaires - il fallait s'unir même avec le diable et les politiciens bourgeois. Ce sont des accords momentanés et conjoncturels qui pour Trotsky - à l'opposé de ce que pensaient les ultragauches de la « 3ème période » qui les voyaient comme des capitulations devant la bourgeoisie - étaient non seulement corrects mais indispensables. Et le POR(C), en n'intervenant pas dans le Commandement politique, se ferma une possibilité importante d'influencer le mouvement des masses, puisque le Commandement politique devait être le futur organisateur de l'Assemblée populaire.

(L'Assemblée populaire) « devrait être un organisme qui discute des problèmes nationaux et de leurs solutions, mais laisser le pouvoir aux mains des organisations de masses (syndicats et milices populaires ou armée du peuple) ». « Dans la situation actuelle, ses perspectives sont très limitées. Une crise politique aiguë pourrait les revitaliser, mais cela n'est pas sûr. Les camarades qui sont à l'Assemblée... ne se font pas d'illusions. Ils utilisent l'Assemblée comme une tribune, comme un tremplin et c'est tout ». (Hugo Gonzalez "An Interview" IP n°23, 14 juin 1971, p.545).

La caractérisation est très mauvaise ; créer des organismes artificiels au lieu de participer à ceux qu'ont créés et que reconnaissent les masses n'est pas moins grave. Mettre, en tant qu'organes de pouvoir, la « milice populaire » ou « l'armée du peuple » - inexistantes - au même niveau que les syndicats et à un niveau supérieur à l'Assemblée populaire (grandioses conquêtes du mouvement des masses) est une barbarie typique de l'ultragauche. Le POR(C) veut utiliser l'Assemblée populaire, un organisme existant - plein de déficiences mais existant - comme une « tribune » et non comme un cadre d'organisation de masses et, en même temps, utiliser un organisme inexistant - ou existant seulement dans leur imagination de guérillériste -, « l'armée du peuple », comme organe de pouvoir.

Une semaine passe et le POR(C), sans solution de continuité, nous affirme que :

« L'Assemblée populaire ne peut avoir qu'un rôle d'organe de double pouvoir... Elle doit se transformer en un gouvernement ouvrier et paysan et nous devons lutter en son sein et à l'extérieur pour y parvenir. » (IP vol.9, n°24, 21 juin 1971).

D'une « tribune » sans possibilités, elle est devenue un organisme dans et hors duquel nous devons lutter pour qu'il devienne le "gouvernement ouvrier et paysan". Mais ne nous réjouissons pas trop vite, le virus ultragauche et guérillériste du IX° Congrès est trop fort pour ne pas rendre stérile cette affirmation correcte.

« Dans ce processus, croîtra parallèlement à l'Assemblée un instrument politico-militaire qui pourra servir comme pouvoir qui manque encore pour renforcer ses décisions. » (Idem).

Cela signifie que « l'instrument politico-militaire » (« l'Armée révolutionnaire ») est parallèle, et non pas son bras armé dépendant. Ce ne sont pas des milices dépendantes des syndicats et de l'Assemblée populaire mais parallèles à ceux-ci. Ce parallélisme est typique des conceptions guérilléristes, selon lesquelles l'organe de direction de la lutte est toujours un organisme militaire et non pas les organisations de masses avec leurs organismes militaires dépendants. Les milices armées qui défendirent la révolution russe n'étaient pas parallèles aux soviets, mais dépendantes d'eux. Ce ne furent pas des organismes politico-militaire mais des organismes militaires dépendants d'un organisme politique. Elles étaient le bras armé du soviet.

Ce que nous disons

A la même époque, nous défendions une orientation que nous reproduisons textuellement, car elle ne nécessite pas de rajouts :

« L'Assemblée populaire est, une conquête, le fruit de la montée des masse. Qu'elle ait besoin d'une direction révolutionnaire ne doit pas nous embrouiller. En dehors de ses perspectives passionnantes, nous pouvons seulement dire que c'est une ébauche de double pouvoir. Rien de plus. Si les masses et l'avant garde boliviennes s'appuient sur cet organe, l'établissent au niveau régional et local, et à travers lui centralisent et développent leurs luttes, revendiquent pour ces Assemblées tout le pouvoir politique national et régional, appellent les soldats, les sous-officiers et les officiers révolutionnaires, dirigent la formation de milices ouvrières et populaires, nous nous trouverons face au pouvoir soviétique bolivien. » (La Verdad, 30 mai 1971).

C'est ce que ne fit pas le POR(C), ni se proposa de faire, avec l'Assemblée populaire. Il aurait dû s'efforcer de le faire dans les quartiers et les villages paysans et mineurs où il avait de l'influence. Une seule Assemblée populaire locale, réellement démocratique, dans n'importe quel coin de Bolivie, unie et prête à l'action, avec des piquets armés dépendants d'elle et; des syndicats ouvriers et paysans, aurait été un exemple explosif pour le reste de la Bolivie. Le POR(C), malgré son influence limitée, aurait pu et devait le faire. Et s'il ne le pouvait pas, il aurait dû essayer.

La seule façon d'envisager cette tâche était d'avoir posé la nécessité de s'armer pour combattre le putsch, en dénonçant systématiquement le gouvernement Torrez pour son incapacité à le faire. Nous devions et pouvions être les champions du développement de l'Assemblée populaire comme organe de front unique ouvrier.

Mais le POR(C) n'oublia pas sa fameuse « Armée révolutionnaire ». Sa lamentable tentative de construire un organisme imaginaire l'empêcha de développer une orientation correcte dans l'organisme le plus avancé des masses boliviennes, l'Assemblée populaire. Cette bonne mémoire du POR(C) pour son « Armée » (qui n'est, qu'une bonne mémoire des résolutions du IXème Congrès) lui a provoqué une amnésie complète quant à une des définitions-clés du marxisme : « Tout avec les masses, rien sans les, masses ! ».


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