1937

(In De la guerre civile espagnole à la rupture avec la Quatrième Internationale (1936-1948), textes politiques, œuvres choisies, Tome I, Editions Ni patrie ni frontières.)


Lettre à Léon Trotsky

G. Munis

22 avril 1937


Estimé camarade,

A travers d’innombrables vicissitudes et difficultés, la voix de la Quatrième In­ternationale a réapparu en Espagne.

Nous avons envoyé des exemplaires de La Voz Leninista, premier numéro de notre organe, dont nous voulons assurer la publication régulière bimensuelle, à diverses adresses de l’organisation mexi­caine et au destinataire de cette lettre.

Notre travail, commencé par des ca­marades de divers pays venus combattre en Espagne et par G. Munis, vieux mili­tant de la Izquierda Comunista, s’est heurté dès l’abord à tous les obstacles imaginables de la part de la direction du POUM, auxquels s’ajoutent ceux inhé­rents à la domination du Front populaire dans une situation de guerre. Nous au­rions aimé, sans doute, organiser plu­sieurs groupes et entreprendre un travail régulier.

Aujourd’hui, le nombre des Espa­gnols est le double sinon le triple des étrangers et nous avons acquis une per­sonnalité parmi les militants du POUM et les éléments les plus conscients de l’anarchie.

Etant donné la situation générale de la lutte des classes en Espagne et les ca­ractéristiques politiques du POUM, un des problèmes les plus ardus et qui de­vait être discuté, était la tactique à adop­ter vis-à-vis de celui-ci.

A Barcelone, siège de notre travail, la discussion a été très longue et a fait ap­paraître deux tendances essentielles. Une qui proposait l’entrée dans le POUM, y compris à titre individuel, et l’autre qui l’admettait seulement comme garantie d’un travail fractionnel, et en conservant de toute façon un noyau extérieur indé­pendant.

La première des tendances appuyait sa position sur l’impossibilité que la bu­reaucratie puisse octroyer le droit de fraction et la nécessité de se lier à la base à toute force. Mais elle faisait abstrac­tion des conditions générales du mouve­ment ouvrier, de l’urgence de la situation et oubliait surtout que l’entrée indivi­duelle donnerait à la bureaucratie du POUM de nombreuses occasions de dis­perser un groupe gênant. Cette méthode a été mise en pratique contre les propres militants du POUM qui possédaient un plus grand esprit critique. En réalité, cet­te tendance faisait confiance à la possibilité d’une régénération à partir des « forces internes » (Nin-Andrade). Le RSAP (1) faisait aussi confiance aux forces internes. Les militants du POUM qu’il a actuellement à Barcelone sont les plus acharnés contre les bolcheviks-léni­nistes.

La seconde position, qui l’a emporté, considérait principalement la montée gé­nérale de la réaction conduite par le sta­linisme, face à laquelle la direction du POUM (incapable de prendre l’initiative d’une rectification honnête, et, au fond, ni même de donner libre cours à la dis­cussion politique) se verrait forcée de démanteler toute action cohérente que pourraient déployer les bolcheviks-léni­nistes en son sein. D’autre part, il y a la possibilité de réaliser un bon travail d’assimilation parmi les anarchistes, qui serait totalement perdu avec l’entrée [dans le POUM] sans garantie, à moins que le temps laissé par les événements pour pouvoir organiser un travail frac­tionnel illégal ne permette une compensation.

Récemment, le comité exécutif s’est attelé à la tâche de démanteler sa section de Madrid, qui, comme vous le savez, constitue l’aile gauche du POUM ; elle a souffert les plus rudes attaques et est dans les meilleurs termes politiques avec les nôtres. Si l’on ajoute à cela la situa­tion qui, en aucune manière, ne nous au­torisait à entreprendre un travail intérieur de plusieurs mois, l’indépendance orga­nisationnelle se présentait comme la meilleure manière pour pouvoir canaliser vers nous les éléments les plus conscients du POUM et de l’anarchisme. Ce nonobstant, la majorité de nos mili­tants travaillent à l’intérieur de ce parti.

A titre d’information, je dois dire que la section bolchevik-léniniste d’Espagne est constituée de quatre groupes, trois au front et un à Barcelone ; ajoutons quelques camarades isolés dans les pro­vinces et le comité local de la section de Madrid [du POUM] qui, à l’exception d’un membre, est en accord total avec nous.
Nous estimons que nous avons comme tâche primordiale la préparation du congrès du POUM. Le comité exécutif est disposé à manœuvrer et hâter la pré­paration pour le 8 mai [1937], y compris avec l’intention de manœuvrer pour éli­miner les camarades de Madrid. Il est probable qu’il se calmera sous la pression de la base de Barcelone. En ce cas, disposant d’un temps très précis, nous pourrons réaliser un bon travail.

Nous attendons votre opinion sur ce problème, ainsi que la critique de notre travail par le canal de l’organisation française que je rencontrerai dans quelques jours.

Je n’ai pas besoin de vous dire l’im­portance qu’aura la publication dans La Voz Leninista de tout travail que vous pourriez faire sur la révolution espa­gnole.

Je vous salue cordialement.

G. Munis, Paris, 22 avril 1937


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