1940

Discours prononcé par G. Munis, au Panthéon Moderne, devant la dépouille de Trotsky, le 22 août 1940,
publié dans Revolución, Organe du Groupe Espagnol au Mexique de la IVe Internationale, nº 6-7, août-septembre 1945


Discours devant la dépouille de Trotsky

G. Munis

22 août 1940


Camarades, sympathisants, et amis :

Devant la tragique nécessité de parler aux côtés du corps désormais sans défense de celui qui fut un grand leader du mouvement ouvrier mondial, les idées s’entremêlent dans nos cerveaux et les mots se nouent dans nos gorges.

Léon Trotski n’est plus ! L’homme qui a donné une grande impulsion à la révolution prolétarienne, le maître bien-aimé qui a accompagné les premiers pas de notre enfance politique, gît ici, muet à jamais. La main meurtrière de Staline a réussi, depuis le Kremlin, à lui porter le coup fatal . Mais le chacal résidant à Moscou ne pourra pas atteindre son objectif. Léon Trotski laisse derrière lui des amis, des idées, une organisation, qui sauront historiquement se dresser, et venger sa mort, par l’action révolutionnaire des masses, contre tous les oppresseurs. De cette tribune funèbre, nous, ses disciples, ses amis, ses partisans, nous nous engageons solennellement devant le prolétariat mondial à faire triompher les idées de la IVe Internationale.

Bien qu’universellement reconnue de par son immense importance, la figure historique de Trotski mérite d’être brièvement rappelée ici. Né dans un siècle où la société capitaliste entrait dans sa phase de putréfaction, Trotski, comme tous les grands hommes, d’un esprit alerte et généreux, a cherché une issue au conflit de son temps et il l’a bientôt trouvé au sein du mouvement ouvrier international. Très jeune, il en a fait partie, collaborant activement à son développement. Mais la perspective de son adhésion ne pouvait se limiter à une attitude passive et suiviste. Dans le monde prolétarien du début du siècle, où le réformisme social-démocrate avait réussi à avoir une forte emprise sur la majorité des représentants ouvriers, Trotski s’y oppose, parallèlement à Lénine, au travers de la polémique intransigeante, pour régénérer le mouvement ouvrier. Depuis la première décennie du siècle, sa contribution théorique au marxisme révolutionnaire est de tout premier ordre, occupant ainsi, à lui seul, une place éminente parmi les grands penseurs révolutionnaires. Aucune des expressions du réformisme ne pouvait l’ébranler. Au contraire, il l’a combattu sans relâche comme ennemi irréductible, durant toute la première étape de sa vie, en rejoignant finalement Lénine lors des premières explosions de la grande révolution russe.

Avec la Révolution d’Octobre, l’esprit accompli de Trotski, esprit qui unit des qualités intellectuelles extraordinaires à une grande énergie et un dynamisme communicatif, se projette immense, impressionnant, dans toute sa splendeur. Trotski est le maître d’œuvre du coup d’État, et lorsque la révolution, harcelée de partout par les armées blanches et impérialistes coalisées, a dû former une armée révolutionnaire dans un pays accablé par la misère et épuisé par quatre années de guerre, sa capacité créatrice a fait des prodiges. En partant de rien, il a construit une armée qui a sauvé la révolution en annihilant les armées blanches. Ses détracteurs et assassins d’aujourd’hui ne pourront effacer de l’histoire le nom de Trotski, qui contribua en première instance, par ses efforts et son génie, à la victoire de la plus grande révolution connue à ce jour.

Pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire d’analyser ici, la révolution d’Octobre dégénère, tombant entre les mains de l’oligarchie bureaucratique parasite qui usurpe encore le pouvoir aujourd’hui. Trotski, comme il l’a lui-même dit récemment, a reçu de nombreuses propositions de la part de la bureaucratie pour qu’il se décide à la représenter, à la place de Staline. Mais le tempérament révolutionnaire de Trotski, sa pensée honnête et fidèle au marxisme, ne pouvait s’avilir en trahissant la cause des pauvres en faveur de celle des bureaucrates. Comme par le passé contre le tsarisme, il se soulève à nouveau fougueusement contre la nouvelle caste usurpatrice, en revendiquant clairement ceux d’en bas. Bannissements, persécutions, attentats, assassinats d’amis et de membres de sa famille, expulsions d’un pays à l’autre, Trotski a tout affronté avec un courage révolutionnaire exemplaire et il a poursuivi inlassablement son combat contre la bureaucratie stalinienne de l’URSS et du Komintern.

Comme conséquence de cette activité, en opposition à la corruption croissante de ce que fut l’Internationale communiste, naît l’ensemble de la doctrine et l’organisation de la Quatrième Internationale. Trotski lui a consacré ses meilleurs et derniers efforts. Il savait que la crise sociale du régime capitaliste, prenant de court le prolétariat mondial sans organisation véritablement révolutionnaire, transformerait les partis et groupes aujourd’hui minuscules de la Quatrième Internationale en organisations de masse, à la tête de la révolution sociale.

La figure de Trotski acquiert ainsi une stature titanesques au fil des années. Artisan d’une révolution, il traverse indemne le maelström de la corruption bureaucratique, il affronte le thermidor stalinien, et défiant les persécutions les plus perfides et les plus terribles de l’histoire, il fonde un nouveau mouvement international, appelé à impulser une seconde fois, de façon définitive, la révolution prolétarienne mondiale.

Et cet homme a été assassiné par les sbires de Staline ! Il est là, éternellement muet ! Staline l’a assassiné parce qu’il est pleinement conscient de la valeur révolutionnaire de la Quatrième Internationale, en ce temps de guerre. Ses dernières tentatives et la hâte pour assassiner Trotski prouvent forcément que la situation de Staline en URSS est catastrophique. Le pouvoir des usurpateurs faiblit, et ils essaient de conjurer le fantôme des masses en insurrection, en assassinant l’homme qui aurait pu leur donner la plus grande impulsion et la plus grande clarté de direction. Mais si les balles, les poignards et les pioches de Staline ont pu abattre le corps de Trotski, les idées de Trotski atteindront inévitablement le cœur de tous les tyrans, à la fois ceux de la contre-révolution bourgeoise et ceux de la contre-révolution stalinienne.

G.Munis


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