1935-36

"Nous nous proposons, au cours de cet ouvrage, de présenter et d'expliquer les principes élémentaires de la philosophie matérialiste. Pourquoi ? Parce que le marxisme est intimement lié à une philosophie et à une méthode : celles du matérialisme dialectique. Il est donc indispensable d'étudier cette philosophie et cette méthode pour bien comprendre le marxisme et pour réfuter les arguments des théories bourgeoises autant que pour entreprendre une lutte politique efficace. "

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Principes élémentaires de philosophie

G. Politzer


Préface

Ce manuel élémentaire reproduit les notes prises par un de ses élèves aux cours professés par Georges Politzer à l'Université Ouvrière en l'année scolaire 1935-1936. Pour en comprendre le caractère et la portée, il est nécessaire de préciser d'abord le but et la méthode de notre maître.

On sait que l'Université Ouvrière avait été fondée en 1932 par un petit groupe de professeurs pour enseigner la science marxiste aux travailleurs manuels et leur donner une méthode de raisonnement qui leur permette de comprendre notre temps et de guider leur action, aussi bien dans leur technique que dans le domaine politique et social.

Dès le début, Georges Politzer se chargea d'enseigner à l'Université Ouvrière la philosophie marxiste, le matérialisme dialectique : tâche d'autant plus nécessaire que l'enseignement officiel continuait d'ignorer ou de dénaturer cette philosophie.

Aucun de ceux qui eurent le privilège d'assister à ces cours — il parlait chaque année devant un nombreux auditoire où se mêlaient tous les âges et toutes les professions, mais où dominaient les jeunes ouvriers — n'oubliera l’impression profonde que tous ressentaient devant ce grand garçon roux, si enthousiaste et si savant, si consciencieux et si fraternel, si attentif à mettre à la portée d'un public inexpérimenté une matière aride et ingrate.

Son autorité imposait à son cours une discipline agréable, qui savait être sévère, mais restait toujours juste, et il se dégageait de sa personne une telle puissance de vie, un tel rayonnement qu'il était admiré et aimé de tous ses élèves.

Pour se faire bien comprendre, Politzer supprimait d'abord de son vocabulaire tout /argon philosophique, tous les termes techniques que peuvent seuls entendre les initiés. Il ne voulait employer que des mots simples et connus de tous. Lorsqu'il était obligé de se servir d'un terme particulier, il ne manquait pas de l'expliquer longuement par des exemples familiers. Si, dans les discussions, quelqu'un de ses élèves employait des mots savants, il le reprenait et se moquait de lui avec cette ironie mordante que connaissaient bien tous ceux qui l'ont approché.

Il voulait être simple et clair et taisait toujours appel au bon sens, sans jamais rien sacrifier pourtant de la justesse et de la vérité des idées et des théories qu'il exposait. Il savait rendre ses cours extrêmement vivants en faisant participer l'auditoire à des discussions, avant et après la leçon. Voici comment il procédait : à la fin de chaque leçon, il donnait ce qu'il appelait une ou deux questions de contrôle ; elles avaient pour objet de résumer la leçon ou d'en appliquer le contenu à quelque sujet particulier. Les élèves n'étaient pas obligés de traiter le sujet, mais nombreux étaient ceux qui s'y astreignaient et apportaient un devoir écrit au début du cours suivant. Il demandait alors qui avait tait le devoir ; on levait la main, et il choisissait quelques-uns d'entre nous pour lire notre texte et le compléter au besoin d'explications orales. Politzer critiquait ou félicitait et provoquait entre les élèves une brève discussion; puis il concluait en tirant les enseignements de la discussion. Cela durait environ une demi-heure et permettait à ceux qui avaient manqué le cours précédent de combler la lacune et de faire la liaison avec ce qu'ils avaient appris auparavant; cela permettait aussi au professeur de voir dans quelle mesure il avait été compris ; il insistait au besoin sur les points délicats ou obscurs.

Il commençait alors la leçon du jour, qui durait environ une heure ; puis les élèves posaient des questions sur ce qui venait d'être dit. Ces questions étaient généralement intéressantes et judicieuses; Politzer en profitait pour apporter des précisions et reprendre l'essentiel du cours sous un angle différent.

Georges Politzer, qui avait une connaissance approfondie de son sujet et une intelligence d'une admirable souplesse, se préoccupait avant tout des réactions de son auditoire : il prenait chaque fois la « température » générale et vérifiait constamment le degré d'assimilation de ses élèves. Aussi était-il suivi par eux avec un intérêt passionné. Il a contribué à former des milliers de militants, et nombreux parmi eux sont ceux qui occupent aujourd'hui des postes « responsables ».

Nous qui comprenions la valeur de cet enseignement et qui songions à tous ceux qui ne pouvaient l'entendre, et particulièrement à nos camarades de province, nous souhaitions la publication de ses cours. Il promettait d'y penser, mais, au milieu de son immense travail, il ne trouvait jamais le temps de réaliser ce projet.

C'est alors qu'au cours de ma deuxième année de philosophie à l'Université Ouvrière, où l'on avait créé un cours supérieur, j'eus l'occasion de demander à Politzer de me corriger des devoirs, et je lui remis, à sa demande, mes cahiers de cours. Il les trouva bien faits, et je lui proposai de rédiger, d'après mes notes, les leçons du cours élémentaire. Il m'y encouragea, en me promettant de les revoir et de les corriger. Il n'en trouva malheureusement pas le temps. Ses occupations étant de plus en plus lourdes, il laissa le cours supérieur de philosophie à notre ami René Maublanc. Je mis celui-ci au courant de nos projets et lui demandai de revoir les premières leçons que j'avais rédigées. Il accepta avec empressement et m'encouragea à terminer ce travail que nous devions ensuite présenter à Georges Politzer. Mais la guerre survint: Politzer devait trouver une mort héroïque dans la lutte contre l'occupant hitlérien.

Bien que notre professeur ne soit plus là pour mettre au point un travail qu'il avait approuvé et encouragé, nous avons cru utile de le publier d'après mes notes de cours.

Georges Politzer, qui commençait chaque année son cours de philosophie à l'Université Ouvrière en fixant le véritable sens du mot matérialisme et en protestant contre les déformations calomnieuses que certains lui font subir, rappelait énergiquement que le philosophe matérialiste ne manque pas d'idéal et qu'il est prêt à combattre pour faire triompher cet idéal. Il a su, depuis lors, le prouver par son sacrifice, et sa mort héroïque illustre ce cours initial, où il affirmait l'union, dans le marxisme, de la théorie et de la pratique. Il n'est pas inutile d'insister sur ce dévouement à un idéal, cette abnégation et cette haute valeur morale à une époque où, de nouveau, on ose présenter le marxisme comme « une doctrine qui transforme l'homme en une machine ou un animal à peine supérieur au gorille ou au chimpanzé » (Sermon de carême à Notre-Dame de Paris, prononcé, le 18 février 1945, par le R. P. Panici.)

Nous ne protesterons jamais assez contre de tels outrages à la mémoire de nos camarades. Rappelons seulement à ceux qui ont l'audace de les prononcer l'exemple de Georges Politzer, de Gabriel Péri, de Jacques Solomon, de Jacques Decour, qui étaient des marxistes et qui professaient à l'Université Ouvrière de Paris : tous de bons camarades, simples, généreux ; fraternels, qui n'hésitaient pas à consacrer une bonne partie de leur temps à venir dans un quartier perdu enseigner aux ouvriers la philosophie, l'économie politique, l'histoire ou les sciences.

L'Université Ouvrière fut dissoute en 1939. Elle a reparu, au lendemain de la Libération, sous le nom d'Université Nouvelle. Une nouvelle équipe de professeurs dévoués, faisant la relève des fusillés, est venue reprendre l'œuvre interrompue.

Rien ne peut nous encourager davantage dans cette tâche essentielle que de rendre hommage à l'un des fondateurs et animateurs de l'Université Ouvrière, et aucun hommage ne nous semble plus juste et plus utile que de publier les Principes élémentaires de philosophie de Georges Politzer.

Maurice Le Goas


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