1912

Article reproduit dans La révolution sociale par Charles Rappoport, Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l'Internationale ouvrière, 1912

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La conception matérialiste de la Révolution

Charles Rappoport


Marx a donné une nouvelle théorie de la Révolution. On peut même dire que le marxisme n'est autre chose qu'un Système de révolution, ou, si l'on veut, la Philosophie de la Révolution sociale. Voici les idées directrices de cette véritable dynamique sociale 

  1. Les forces productives de l'Humanité ne cessent pas de progresser.
  2. Des modifications lentes, provoquées par les besoins de la production et de l'échange, conduisent aux nouveaux modes de production, aux véritables révolutions techniques.
  3. Tout nouveau mode de production signifie non seulement une révolution économique mais aussi une révolution politique et sociale. « Dans la production sociale de leur vie - dit Marx - les hommes contractent certains rapports indépendants de leur volonté. Ces rapports de production correspondent à un certain degré de développement de leurs forces productives matérielles . . . Le mode de production de la vie matérielle détermine, d'une façon générale, le progrès social politique et intellectuel de la vie ». Autrement dit, toute révolution dans le mode de production doit être nécessairement suivie par une révolution politique et sociale. Toute l'Histoire moderne confirme cette thèse fondamentale du marxisme. La révolution industrielle du XIX° siècle a révolutionné tous les rapports politiques et sociaux du globe. Et ces effets ne sont pas encore épuisés.
  4. Pour qu'il y ait révolution, il doit y avoir contradiction, antagonisme, incompatibilité entre les forces productives développées et les rapports entre les hommes et les classes de la société. Le régime dominant devient « un obstacle » au développement des forces productives. Il entrave ou paralyse la nouvelle production. Et il doit céder aux nouvelles forces productives. Il se condamne ainsi à la mort, avec ou sans phrases. Ainsi l'ancien régime féodal avec ses jurandes, ses corporations, avec l'absence de toute liberté de mouvement, était un obstacle aux nouvelles forces productives de la bourgeoisie. Et il doit disparaître. La société capitaliste devient, à son tour, un obstacle aux nouvelles forces productrices du prolétariat : elle est condamnée à disparaître à son tour.

Les formes politiques et sociales, l'Etat et ses institutions, les associations religieuses et professionnelles de toutes sortes, constituent la « suprastructure », l'étage supérieur de l'édifice social, tandis que l'organisation économique, les rapports entre les hommes qui produisent et dirigent la production en forment « la base », le fondement. L'écroulement de la base, du fondement, entraîne évidemment celui de tout l'édifice. Ceci n'est pas une métaphore. Un pays avec un régime capitaliste développé, que ce soit la monarchique Angleterre ou l'Empire demi-absolutiste de l'Allemagne, ou la France républicaine, est obligé par sa structure économique de se débarrasser peu à peu des entraves à la liberté. La liberté de mouvement de l'esprit suit de près celle du mouvement des marchandises. Les barrières de la censure tombent avec celles de la douane et des corporations. Les chemins de fer, le télégraphe, le téléphone, en révolutionnant l'échange des produits capitalistes, modifient du tout au tout celui des idées. L'homme borné dans son isolement, le misonéiste des campagnes, cède la place à l'homme social des villes. Le campagnard lui-même change de nature. Il se mêle le plus souvent possible à la vie des grandes cités. D'ailleurs, le service militaire universalisé l'y oblige.

Il n'y a pas d'exceptions à cette loi. Les dernières années ou, plus exactement, les premières années du XX° siècle ont confirmé, d'une façon brillante et incontestable, cette interdépendance de la politique et de l'économie.

Les pays que l'on croyait généralement endormis à tout jamais, comme éternellement figés - la Russie, la Turquie, la Perse, la Chine, la Chine surtout - ont été bouleversés, à la grande stupéfaction du public, mal informé, par des révolutions que l'on croyait impossibles : «  La baguette magique » de l'industrie moderne avec ses inventions « diaboliques » les avait éveillés à une nouvelle vie. Quelle que soit leur destinée prochaine, leur innocence patriarcale de la période précapitaliste est perdue, et rien ne la ressuscitera.

Avec le développement capitaliste, la révolution devient inévitable, fatale. Cela ne veut pas dire qu'une révolution peut se passer de l'action des hommes. Le capitalisme lui-même développe avec l'aide de l'action humaine. Il ne s'agit pas ici de cela. L'homme fait et défait tout dans l'histoire. Mais son action est déterminée. Il n'agit pas en l'air, mais sur le terrain solide des réalités économiques. Et il s'agit de comprendre que la société, une fois engagée dans l'engrenage capitaliste, ne saurait plus échapper, qu'elle le veuille ou non, à toutes les conséquences du nouveau régime. La conception matérialiste économique de l'histoire établit que la révolution sociale est inévitable.


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