1922

Source : Bulletin communiste n° 9 (troisième année), 2 mars 1922.

Téléchargement cliquer sur le format de contenu désiré

Format ODT Format PDF (Adobe Acrobat)

La victoire de la 2e Internationale sur la deux et demie

Charles Rappoport


Le Parti socialiste français, qui s'est formé le lendemain du Congrès de Tours fin 1920, se compose de deux éléments : 1° les socialistes de guerre : Bracke, Blum, Renaudel, Varenne, Compère-Morel, Grumbach, — l'homme à tout faire de Renaudel, — etc., etc. ; 2° les « minoritaires » timides et pâles qui eurent tout juste le courage de combattre les « exagérations » du chauvinisme, mais qui n'allèrent même pas jusqu'au refus des crédits de guerre. On connait leurs noms : Longuet, Paul Faure, Pressemane, Mistral, etc., etc.

Il était clair que si les gaillards et les « fort en gueule » à la Renaudel et à la Bracke se réunissaient avec des sans-énergie comme Longuet et Paul Faure, ce seraient les chevaliers sans peur de la trahison socialiste qui absorberaient les éternels hésitants. Même les Indépendants allemands, qui non seulement n'ont pas inventé la poudre, mais qui ont peur de s'en servir, sont des héros intrépides en comparaison de Longuet-Paul Faure. La 2 ½ fut destinée, dès sa naissance, à être mangée par les « fortes têtes » de la 2e, aux dents longues, aux appétits robustes et aux estomacs solides, capables de digérer un Scheidemann, un Noske, un Vandervelde, un Grumbach, fournisseur du chauvinisme « international » et marchand en détail de grandes et petites saletés contre-révolutionnaire...

La Conférence « socialiste » qui eut lieu à Paris les 4 et 5 février est la démonstration par le fait de cette absorption des « minoritaires » sans caractère ni programme par les socialistes de guerre qui, eux, savent où ils vont et ce qu'ils veulent. Ils vont au pouvoir avec la bourgeoisie. Et ils veulent sauver la société bourgeoise en écrasant le bolchevisme, c'est-à-dire la révolution en action.

Les cheminots allemands en grève, ont sans le savoir, rendu un service important à la révolution, en contribuant à faire ressortir le véritable caractère de cette conférence. Grâce à elle, les majoritaires allemands ne pouvaient pas venir. Et sans eux, on ne pouvait jeter la poudre aux yeux des masses en s'occupant de « réparations ».

Les réformistes qui ont la manie de vouloir jouer auprès des gouvernements bourgeois le rôle de la mouche du coche de la fable — sauf le cas de révoltes et de grèves où leur rôle est plus efficace — ont tout un programme positif de « réparations » : la solidarité internationale. Cela voulait dire : « les Etats-Unis — l'oncle riche de l'Amérique — prêtera de l'argent à l'Europe ruinée ». Depuis les récents débats du Congrès de Washington, on sait que « l'oncle » a fermé la bourse tout en continuant d'avoir le cœur ouvert... Mais même les plus grands fabricants de phrases creuses, comme Vandervelde, comprennent qu'il n'y a rien à faire avec une caisse aussi vide que ses discours.

Donc on n'a pas parlé, à la Conférence des cinq pays ex-belligérants, de « réparations » à l'aide de caisses vides et de phrases creuses, mais de l'Unité internationale. Il faut, coûte que coûte, que le prolétariat international « répare » et restitue une virginité socialiste à tous les Renaudel, à tous les Scheidemann, à tous les Vandervelde qui ont traîné leur vertu pendant la guerre, dans tous les salons de toutes les bourgeoisies.

Le rôle d'entremetteuse échut à Fritz Adler et Paul Faure qui surent garder les convenances du milieu de saturnales guerrières. C'est l'enseigne qui doit cacher les laideurs de l'intérieur de la maison. Ce sont les hommes de confiance qui doivent endosser les signatures des banqueroutiers de la Deuxième. Fritz Adler qui a tué un ministre, mais qui garde vivant l'esprit réformiste et opportuniste de la « Ii» a, les larmes aux yeux, serré les deux mains que lui tendait Vandervelde au banquet du Salon des familles et dont une a signé le Traité de Versailles, père du traité de Saint-Germain dont l'Autriche est en train de mourir. Quel triste spectacle ! Les complices des impérialistes assassins qui menaçaient des rigueurs de la police le brave Morgari, venu à Paris pour essayer de réunir « la IIe » pendant la guerre, sont amnistiés et cajolés par des hommes qui, comme Adler, ont tout de même risqué quelque chose pour combattre le carnage mondial et la trahison de la « IIe ». Qu'Adler relise son propre discours au cours de son procès. Il y a là de quoi répondre aux phrases et aux pleurs hypocrites de tous les Vandervelde, de tous les Sembat sur l'Unité perdue. Après l'avoir assassinée le 4 août 1914, ces messieurs veulent la reconstituer — jusqu'au prochain 4 août de la prochaine guerre mondiale.

Mais au milieu de ces scènes macabres de la conciliation des assassins avec leurs victimes, il y avait une note gaie. M. Renaudel se posa en accusateur de bolchevisme. Comme M. Poincaré, M. Renaudel ne veut pas aller à la Conférence « sans conditions ». Il faut qu'à la porte du Congrès « unitaire » la Révolution russe fasse des excuses à ce gros bonhomme — « Jaurès pour les animaux » — et à ses porte-cuvette, pour n'avoir pas suivi ses conseils et pour avoir maltraité ses amis en les empêchant de la poignarder dans le dos.

Rien ne caractérise la Conférence de Paris comme le silence de ce pauvre Longuet, qu'on a trouvé par trop compromettant au milieu de ces ex-ministres et qui ne demandent pas mieux qu'à le redevenir. Longuet comme menace et comme épouvantail ! Qu'on juge par ce seul fait l'esprit qui régnait à ce Congrès. Il est vrai que ce « quart-de-boche » traité par les amis de M. Sembat pendant la guerre comme un Boche tout entier, aurait pu, rien que par son origine suspecte, apporter une note discordante dans ces « régions dévastées » du socialisme. Longuet n'a pas la parole parmi ces hommes d'affaires... socialistes. Mais quel diable le retient parmi ces candidats à l'écrasement des futures Communes prolétariennes si éloquemment flétris par son immortel grand-père et même par son père qui fut pourtant réformiste, mais honnête ?

Pendant que la Conférence prêchait l'Unité, la grève des cheminots allemands et des ouvriers municipaux de Berlin battait son plein. Le même journal, Le Populaire qui publiait in extenso les discours unitaires de MM. les anciens et futurs ministres, calomniait et insultait les prolétaires en grève en faisant l'Unité avec M. Wirth et la bande hurlante auprès des grévistes de M. Stinnes. Les actes illustrèrent les paroles...

L'unité capitaliste est faite. Pourquoi donc en chercher une autre ?

La comédie continuera à Francfort. Ne riez pas !


Archives marxistes Archives C. Rappoport
Haut de la page Archives Rappoport