1923

Un livre d'A. Rosmer, successivement syndicaliste révolutionnaire, communiste et trotskyste.
Les souvenirs des années de formation du communisme par l'un de ceux qui le firent.


Moscou sous Lénine
1923

Alfred Rosmer

III : Désarroi à la direction de l’Internationale communiste - Situation révolutionnaire en Allemagne

Ces longs mois de crise profonde avaient profondément ébranlé la structure même du Reich. L’autorité du gouvernement central était fréquemment tenue en échec ; la Bavière, nationaliste, et où existait non une tendance séparatiste mais la volonté d’imposer sa loi à Berlin et à toute l’Allemagne, la bafouait ouvertement. Par contre, en Thuringe et en Saxe le socialisme dominait, un socialisme de gauche en révolte contre la direction du parti social-démocrate. La situation devenait très sérieuse. Berlin se révélait impuissant. Les forces révolutionnaires de Thuringe et de Saxe apparaissaient comme le vrai centre de résistance à la menace réactionnaire venant de Bavière. La direction de l’Internationale décida de réunir, non un Comité exécutif élargi, mais une conférence secrète à laquelle participeraient les délégués des partis communistes des Etats voisins de l’Allemagne pour coordonner leur action et organiser le soutien qu’ils devraient prêter au gouvernement ouvrier qu’on proposait de constituer en Saxe : socialistes de gauche et communistes, et qui deviendrait la place-forte d’où serait dirigée l’action révolutionnaire.

Je ne puis apporter sur cette réunion importante un témoignage direct ; j’avais dû rester à Paris, ayant alors la charge du quotidien du Parti, l’Humanité. Cachin en était toujours le directeur, mais jamais directeur ne dirigea moins ; il se contentait de donner chaque jour un court article superficiel de propagande générale, évitant les sujets dangereux et se dérobant, avec constance, aux responsabilités. Dès que nos délégués revinrent, il devint difficile de faire le journal : ils rapportaient des informations contradictoires, tellement divergentes qu’il était impossible de savoir exactement ce qui s’était passé à Moscou et ce qu’on y avait décidé ; si, conformément à une information précise, on gardait un ton réservé sur la préparation du mouvement, des protestations irritées nous assaillaient : on était à la veille de la révolution en Allemagne ; il fallait tenir les communistes français en état d’alerte ! Des articles du Bulletin communiste étaient intitulés : “ Au seuil de la Révolution allemande. ” “ La révolution prolétarienne est en vue. ” Mais on ne pouvait écrire cela chaque jour quand on n’avait pas d’autre fait, d’autre signe annonciateur de révolution que l’entrée de trois communistes dans le cabinet du socialiste de gauche Zeigner. Enfin, après avoir annoncé la révolution, il fallut enregistrer la dépêche, terrible dans son laconisme, disant que le “ gouvernement ouvrier ” s’était effondré sans combat, que la Reichswehr était entrée dans Dresde, musique en tête.

Que se passait-il donc à Moscou, à la direction de l’Internationale communiste ? Cette indécision, cette incohérence devant une situation jugée révolutionnaire, c’étaient d’alarmants symptômes, la révélation soudaine d’un inquiétant changement qu’on devait constater sans pouvoir en découvrir la nature ni les causes. L’importance des événements d’Allemagne avait rejeté au second plan ce qui se passait ailleurs. C’est ainsi qu’on n’avait pas étudié comme il convenait l’attitude du Parti communiste bulgare en deux circonstances d’une incontestable gravité.

Nation comptant 85 ou 90 % de paysans, la Bulgarie offrait, dans l’après-guerre, un terrain favorable aux partis paysans. Le chef du gouvernement, Stamboulisky, était le dirigeant d’un de ces partis paysans et la politique qu’il menait était une première tentative de politique paysanne antibourgeoise : il avait mis en accusation les anciens ministres responsables de la guerre, chassé les officiers bourgeois, créé une milice paysanne. Le 9 juin 1923, un coup d’Etat dirigé par le professeur Alex. Tsankov triompha à Sofia, mais d’âpres luttes persistaient et s’étendaient dans les campagnes. Le pays entier était engagé dans l’action. Cependant le Parti communiste adopta une attitude de neutralité. “ Deux cliques ennemies se battent, ce n’est pas notre affaire ”, déclara son Comité directeur en demandant à la classe ouvrière de rester à l’écart. Les “ tessniaki ” (étroits) méritaient donc bien leur nom ; ils avaient laissé écraser les paysans ; le gouvernement Tsankov consolida sa position.

Pour compenser cette fâcheuse passivité, les dirigeants du Parti communiste bulgare préparèrent, à l’instigation de Zinoviev, un soulèvement contre Tsankov. Ils organisèrent un “ Comité de guerre révolutionnaire ”, distribuèrent des armes, lancèrent un appel à l’insurrection pour instaurer un “ gouvernement ouvrier et paysan ”. L’échec fut total et humiliant. Kolarov et Dimitrov s’enfuirent à Moscou. À la passivité inintelligente avait succédé un lamentable putsch, mais de celui-ci l’Internationale communiste, en particulier Zinoviev, portait la responsabilité.

Quand on récapitulait cette suite de défaites, et plus encore que les défaites, leurs causes, l’interrogation se faisait insistante : que se passait-il à Moscou ? L’explication vint, brusquement, quand Zinoviev décida de porter devant les sections de l’Internationale les conflits qui s’étaient développés à l’intérieur du Comité central du Parti communiste russe.

En 1922, Lénine n’avait pu se remettre au travail que durant les derniers mois de l’année ; encore ne put-il reprendre qu’une partie des tâches qu’il accomplissait antérieurement. Comme nous l’avons vu, il dut écourter le rapport qu’il allait soumettre au 4e Congrès. Il parla devant le congrès le 13 novembre au prix d’un gros effort qui contribua probablement à provoquer une récidive qui était davantage un avertissement que la simple répétition de la première attaque. Persuadé qu’il ne disposait que d’un répit il s’attaqua aux tâches qu’il considérait essentielles et urgentes. Sa première préoccupation, c’était la direction du Parti. Comment s’organiserait-elle le jour où il serait définitivement écarté du travail ? Le 25 décembre, il dicta une note destinée au Comité central ; c’étaient ses ultimes recommandations ; il y aurait alors un danger de rupture qu’il faudrait à tout prix conjurer. Il s’efforçait de caractériser exactement les hommes du Parti, parlait de chacun d’eux avec grand ménagement, en termes aussi peu offensants que possible ; ainsi, pensait-il, les différends anciens étant atténués ou expliqués, leur accord serait facilité et le travail collectif pourrait se poursuivre sans lui comme il s’accomplissait avec lui. À l'égard d’un seul de ses membres, Staline, il exprimait la crainte qu’il abusât du pouvoir qu’il s’était arrogé en tant que secrétaire général du Parti. Cette crainte était si forte, et elle fut sans doute confirmée par de nouvelles manifestations alarmantes de cet abus de pouvoir, que Lénine dicta, dix jours plus tard, le 4 janvier 1923, un post-scriptum à sa note du 25 décembre uniquement consacré à Staline, et cette fois brutal et péremptoire : Staline devait être éliminé du secrétariat général.

La teneur de ce post-scriptum, puis les actes qui suivirent en ce début de 1923 permettent de décrire le cheminement de la pensée de Lénine. Car il ne s’en tint pas à cette mesure précise. Deux mois plus tard, et, fait de grande signification, précisément à cause des affaires de Géorgie, il rompit toutes relations avec Staline, relations personnelles et relations de camarade de parti. Un conflit mettait aux prises Staline et les militants communistes géorgiens. Lénine prit nettement parti pour ces derniers.

Le 6 mars, il leur adressait le télégramme suivant


Aux camarades Mdivani, Makharadzé et autres
(copie aux camarades Trotsky et Kaménev).

“ Chers camarades, je suis avec vous, dans cette affaire, de tout mon cœur. Je suis scandalisé par l’arrogance d’ Ordjonikidzé et la connivence de Staline et Dzerjinski. Je prépare des notes et un discours en votre faveur. ”
Lénine.

Outre la rédaction de ses notes au Comité central et son intervention dans les affaires de Géorgie, Lénine avait écrit dans cette période du début de 1923 cinq articles. Quand il était revenu au travail après la première attaque, il avait été effrayé par les développements pris par la bureaucratie. La reprise de contact après quatre mois d’éloignement total lui avait permis de bien apprécier la situation : une bureaucratie coûteuse, incapable, pesait lourdement sur l’appareil soviétique. Les dirigeants du Parti s’étaient toujours préoccupés de cette menace d’excroissance bureaucratique ; ils avaient créé un commissariat spécial : l’Inspection ouvrière et paysanne dont le titre indiquait exactement la fonction : les organisations ouvrières et paysannes devaient veiller et surveiller la bureaucratie pour prévenir ses méfaits. Mais ce commissariat était devenu lui-même un modèle d’incompétence et d’inefficacité : “ Parlons franchement, écrivit Lénine le 2 mars ; le commissariat de l’Inspection ouvrière et paysanne ne jouit pas aujourd’hui de la plus légère autorité... il n’y a pas de pire institution chez nous que notre commissariat de l’Inspection. ” Là encore il retrouvait Staline, car le commissaire de cette Inspection qui manquait tellement à sa tâche, c’était Staline. Staline avait donc de sérieuses raisons d’être préoccupé de ce qui adviendrait si Lénine pouvait encore une fois dominer la maladie, tandis que des raisons d’un autre ordre l’obligeaient à manœuvrer pour conserver sa position dans le cercle dirigeant clandestin au cas où Lénine disparaîtrait. Cet article important devait être le dernier. Le 9 mars, Lénine était terrassé par une troisième attaque dont il ne pourrait se relever.

Durant ces mois où Lénine était partiellement ou totalement paralysé, la pensée de certains dirigeants du Parti était accaparée par ce qu’ils considéraient être le problème de la succession. Un triumvirat (troïka) s’était formé, unissant Zinoviev, Kaménev, Staline. On trouve des traces de son existence déjà en mars 1923, mais c’est seulement alors qu’il devint une véritable institution bien qu’en marge des cadres légaux du parti. La première tâche qu’il s’assignait, c’était l’élimination de Trotsky en qui une énorme majorité de communistes et de sympathisants, en Russie et hors de Russie, voyaient le seul homme digne d’occuper la première place après Lénine. De longues et subtiles manœuvres étaient donc nécessaires [48].

Cependant de graves problèmes se posaient : au dehors, la nouvelle situation créée en Allemagne par l’occupation de la Ruhr, et dans la Russie soviétique elle-même la situation intérieure ne manquait pas d’être préoccupante. Les paysans avaient été libérés de la réquisition ; ils pouvaient disposer du surplus de leur production, mais l’écart entre les prix agricoles et les prix industriels était tel qu’ils n’en profitaient guère. Trotsky avait caractérisé la situation en une image frappante : c’était le problème des “ ciseaux ” ; les deux branches représentant les prix industriels et les prix agricoles ne cessaient de s’éloigner l’une de l’autre ; il fallait les rapprocher en attendant de pouvoir les faire coïncider. Les paysans étaient mécontents. Les militants du Parti ne l’étaient pas moins. 46 bolchéviks éminents, parmi lesquels Piatakov, Sapronov, Sérébriakov, Préobrajensky, Ossinsky, Drobnis, Alsky, V.M. Smirnov, publièrent une déclaration dans laquelle ils disaient notamment :

“ Le régime qui a été établi dans le Parti est absolument intolérable. Il annihile toute initiative à l’intérieur du Parti. Il remplace le Parti par l’appareil... qui fonctionne assez bien quand tout va bien, mais qui, inévitablement, flanche dans les périodes de crises, et qui menace de faire complète banqueroute lorsqu’il se trouvera en présence des graves développements qui sont devant nous. La présente situation est due au fait que le régime d’une dictature fractionnelle, qui se développa après le 10e congrès, a survécu à son utilité. ”

Divers groupes d’opposition se formèrent. Toutes les protestations furent vaines. Ce “ régime intolérable ” était justement celui que les triumvirs voulaient imposer au Parti. C’était, selon eux, le seul régime possible, comme ils l’avaient déclaré expressément quand Trotsky, au cours d’une réunion du Bureau politique l’avait déjà dénoncé comme intolérable - avant les “ quarante-six ” - protestant énergiquement contre ce reniement des enseignements et des pratiques de Lénine. Ils étaient entièrement d’accord sur ce point capital : la discussion n’était plus permise, l’appareil décidait et agissait pour le Parti, mais, bien entendu, il ne fallait pas le dire. Au contraire, pour paraître donner satisfaction aux protestataires, à Trotsky et à tous ceux qui demandaient le retour à la démocratie dans le Parti, ils firent voter, le 5 décembre, par un Comité central unanime, une résolution dans laquelle cette démocratie était solennellement affirmée. Mais ce n’était que façade ; en même temps qu’ils la votaient, ils préparaient la tactique au moyen de laquelle toute opposition serait rendue impossible : la douceur d’abord, la violence ensuite. Car ceux qui avaient pris au sérieux le texte du 5 décembre ne consentaient pas à être dupes. Les conflits s’aggravèrent.

Au cours de la discussion, qui pendant quelque temps fut publique, Trotsky ayant fait allusion à une dégénérescence possible de la “ vieille garde ” bolchéviste, Staline lui répondit avec sa grossièreté habituelle : la “ vieille garde ” était sacrée, faire seulement l’hypothèse de sa dégénérescence était un sacrilège ; il défendait qu’on y touchât. Or, les membres du Bureau politique étaient alors : Boukharine, Rykov, Kaménev, Staline, Tomsky, Trotsky et Zinoviev. Staline en a fait exécuter quatre : Boukharine, Kaménev, Rykov et Zinoviev ; il a acculé Tomsky au suicide, et après avoir exilé Trotsky il l’a fait assassiner par un de ses tueurs professionnels.

Cependant si les triumvirs étaient d’accord pour instaurer un régime qui avait déjà tous les traits essentiels d’un régime totalitaire, une sourde lutte opposait Staline à Zinoviev. Celui-ci était persuadé que lui seul pouvait remplacer Lénine. Il avait en Kaménev un second tout à fait sûr, et Boukharine était alors de son côté. Au fond, nul ne pensait - sauf l’intéressé - que Staline pourrait même ambitionner la première place.

Toutes ces protestations, résolutions, manœuvres, rivalités, étaient complètement ignorées dans l’Internationale ; on ne les apprit, assez tard, que par bribes. Certains faits revenaient alors à la mémoire et prenaient une signification qu’on n’avait pas pleinement comprise sur l’heure. Je ne puis ici qu’en faire un bref résumé, en dire juste ce qu’il faut pour expliquer les indécisions, les incohérences et les désastres qui marquèrent l’année.

La campagne contre Trotsky avait commencé dès le début de 1923. Jusqu’alors le gros argument toujours prêt à être dirigé contre lui, c’était qu’il n’était pas un “ vieux bolchévik ”. Nombre de “ vieux bolchéviks ” avaient un passé qui n’était cependant pas trop brillant, ils avaient flanché pendant la guerre ou en Octobre, tandis que Trotsky pouvait leur opposer le sien, son rôle en 1905 et en Octobre, son attitude pendant la guerre ; peu importait, il n’était pas un “ vieux bolchévik ” [49]. Mais maintenant une rumeur qu’on retrouvait partout indiquait une manœuvre bien préparée et moins inoffensive : “ Trotsky s’imagine être Bonaparte, Trotsky veut jouer aux Bonaparte. ” Elle circulait dans tous les coins du pays ; des communistes rentrant à Moscou venaient parfois m’en informer ; ils comprenaient que quelque chose se tramait contre Trotsky : “ Vous devriez l’en informer ”, me disaient-ils.

Aux séances régulières du Bureau politique, Trotsky s’efforçaient de retenir l’attention des membres sur les problèmes du moment, qui ne manquaient certes pas de gravité. On l’écoutait, on ne décidait rien [50]. Car le vrai Bureau politique n’était pas celui que le Parti connaissait ; Trotsky en était éliminé ; Kouibychev l’y remplaçait. J’eus l’occasion d’assister, fortuitement, à une de ses réunions. C’était en mai 1923, lors du Comité exécutif élargi convoqué pour examiner la situation créée par l’occupation de la Ruhr. Le jour de mon arrivée à Moscou, Zinoviev m’avait fait demander d’aller le voir dans la soirée. Je me rendis directement à son logement ; je le trouvai en compagnie de Boukharine, et comme tous deux paraissaient surpris et amusés de me voir entrer, je demandai : “ Qu’y a-t-il donc ? ” - On ne vient plus comme cela chez Zinoviev, dit en riant Boukharine ; il faut passer par le secrétariat. ”

De grands changements étaient intervenus à l’intérieur du Parti communiste français depuis le 4e Congrès ; Zinoviev était impatient de me questionner à ce sujet ; c’est ce qui expliquait son empressement tout à fait inhabituel à me voir. La conversation se poursuivait depuis assez longtemps quand Kaménev arriva, puis Rykov, Tomsky... J’eus à peine le temps d’entrevoir la figure chafouine de Staline - je ne l’avais encore jamais vu malgré mes fréquents séjours à Moscou - car Olga Ravitch s’approcha alors de moi et me mit gentiment à la porte en disant : “ Ca ne va pas être amusant pour vous à présent ; ils vont tous se mettre à parler russe. ”

Toutes les décisions étaient prises sans Trotsky, parfois même par Zinoviev seul, ainsi qu’il en advint pour l’ “ insurrection ” déclenchée en Bulgarie en septembre. Trotsky avait tout ignoré de cette désastreuse opération. Quand il demanda des explications à Zinoviev, celui-ci se borna à répondre, d’un air détaché : “ Il arrive qu’à la guerre on perde parfois une division. ”

On peut comprendre maintenant pourquoi les délégués français à la réunion secrète de Moscou rapportaient des informations confuses et contradictoires : c’est que l’incohérence et l’indécision régnaient parmi les dirigeants du Parti communiste russe et de l’Internationale communiste ; ils étaient trop préoccupés de s’attribuer la succession de Lénine en faisant une politique contraire à la sienne ; cela les obligeait à ruser, à tromper constamment le Parti, à remplacer les débats approfondis par des conciliabules secrets d’où étaient écartés les militants les plus capables. Le secret de ces délibérations était tel que Trotsky lui-même se trompa sur la position prise par Staline dans la question allemande. C’était la première fois que ce dernier participait à la vie de l’Internationale communiste. L’attitude qu’il eut alors ne fut révélée que beaucoup plus tard, en 1929, quand Brandler, exclu de l’Internationale, publia, pour sa justification, la lettre que Staline avait adressée à Zinoviev et à Boukharine. Lettre importante pour l’histoire des événements d’Allemagne et pour la biographie du personnage : Staline s’était prononcé finalement contre l’insurrection. “ Il est de notre intérêt, écrivait-il, que les fascistes attaquent les premiers ; cela ralliera l’ensemble de la classe ouvrière autour des communistes (l’Allemagne n’est pas la Bulgarie). D’ailleurs, d’après toutes les informations, les fascistes sont faibles en Allemagne. ” Ce début ne se signalait évidemment pas par la clairvoyance. Zinoviev était plutôt favorable à l’insurrection, mais il hésitait ; il pensait sans doute à certains précédents peu encourageants. Quand enfin, après tous ces flottements, on se décida pour la préparation de l’insurrection, le moment favorable était déjà passé, et on imposa à Brandler la direction d’une action à laquelle il avait été opposé. Les partis communistes des pays voisins de l’Allemagne qu’on avait mis en état d’alerte furent déconcertés par la capitulation sans combat. Staline se trouva d’accord avec Zinoviev pour essayer de dégager la responsabilité de l’Internationale en faisant de Brandler le grand responsable. C’était la première application de la tactique du bouc émissaire qui, par la suite, devint la règle.


Notes

[48] “ Le 26 mai 1922 Lénine fut frappé par la première attaque de paralysie ; la direction du Parti garda quelque temps la nouvelle secrète. Lénine, qui s’était toujours préoccupé de la santé de ses camarades, avait été lui-même une source inépuisable de vitalité. Maintenant sa maladie était si sérieuse qu’on ignorait s’il pourrait jamais reprendre son travail. Les manœuvres pour sa succession commencèrent immédiatement. Précisément parce que Trotsky apparaissait comme l’héritier désigné, les dirigeants du Parti s’unirent contre lui ; c’est ainsi que se développèrent les circonstances historiques qui allaient permettre à Staline de devenir le chef. ” (Ruth Fischer, Stalin and German Communism, p. 235.)

[49] Lénine s’était heurté à cette sorte de “ vieux bolchéviks ” dès son arrivée à Petrograd, en avril 1917, et il en parlait alors en ces termes : “ Le mot d’ordre et les idées bolchévistes dans l’ensemble sont complètement confirmés, mais, concrètement, les choses se sont présentées autrement qu’on eût su le prévoir, d’une façon originale, plus singulière, plus variée. Ignorer, oublier ce fait signifierait qu’on s’assimile à ces “ vieux bolchéviks ” qui ont plus d’une fois déjà joué un triste rôle dans l’histoire de notre parti en répétant une formule ineptement apprise au lieu d’avoir étudié l’originalité de la nouvelle et vivante réalité. ” (Cité par Trotsky, Histoire de la Révolution russe, I, 431.)

[50] “ Durant 1923, la participation de Trotsky au Bureau politique fut réduite à une simple formalité. Toutes les questions étaient examinées et les décisions prises en séances secrètes de tous les membres moins Trotsky. ” (Ruth Fischer, Stalin and German Communism, p. 236, Harvard University Press.)


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